Intervention de François REBSAMEN - Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) - 25 juin 2014

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs,

Même s’il est douloureux de faire ce constat, malheureusement il nous faut l’admettre, l’exclusion, la pauvreté, la précarité touchent notre pays dans de graves proportions.
8,8 millions de personnes en 2011 (contre 7,8 millions en 2008) y vivent sous le seuil de pauvreté.
A tous ceux qui viennent en aide aux plus précaires, qui donnent l’alarme quand la situation est trop critique et qui retiennent le lien social par un fil, je veux ici rendre hommage et leur dire que leur action est non seulement utile et nécessaire, mais qu’elle est souvent vitale.

La population des précaires est diverse.
D’un côté, une minorité qui a toujours été dans la « galère » – la perte précoce des parents, le passage d’institution en institution, parfois la prison, la drogue, l’alcool, la maltraitance.
De l’autre côté, la majorité des exclus, constituée de personnes qui, comme elles le disent, étaient « normales », avant de glisser dans la pauvreté.
Elles avaient un travail, un conjoint, un logement…
Et puis un enchaînement de circonstances, une maladie, un accident du travail, le départ du conjoint, le chômage, les a faites basculer.
Certains ont fait des études supérieures et gagnaient bien leur vie, d’autres ont quitté l’école à 14 ans.
Il y a des femmes seules avec enfants, qui ont des problèmes de garde, qui ne touchent pas toujours les pensions alimentaires auxquelles elles ont droit.
Il y a ceux qui ont perdu leur travail suite à la fermeture de leur usine.
Et puis, des personnes âgées qui perçoivent une trop petite retraite ou sont dans ce moment difficile où elles ont perdu leur emploi mais ne touchent pas encore la retraite.

A tous ceux là nous nous devons d’apporter des réponses.
Et notre réunion d’aujourd’hui montre la mobilisation du gouvernement pour lutter contre la pauvreté. Nous avons déjà adopté des mesures fortes à la suite de la conférence de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Elles se sont traduites par un plan pluriannuel adopté en janvier 2013 ; plan que vous appelez à préserver, c’est dire qu’il est important !

Je ne veux pas faire ici une liste de mesures, mais dans toutes nos politiques, nous avons tenté de tenir compte de la précarité ou de la fragilité.
Ma conviction est que la meilleure des réponses sociales est l’accès à l’emploi.
- C’est le sens des droits rechargeables à l’assurance chômage qui s’adressent à ceux qui sont sur une ligne de crête, afin de ne pas entraver leur retour à l’emploi. Car si reprendre un emploi revient à perdre des droits, c’est ajouter de la précarité à la précarité. La récente convention d’assurance chômage les met concrètement en œuvre et c’est aussi pour cela que je tiens à l’agréer.

- En amont, l’accès à l’emploi passe par la formation. Le compte personnel de formation, même s’il est basé sur l’emploi pour acquérir des droits, permet des abondements spécifiques pour les demandeurs d’emploi. C’est une véritable avancée par rapport au DIF. Par ailleurs, via le FPSPP, les partenaires sociaux augmentent de 50% les fonds qu’ils consacrent à la formation des demandeurs d’emploi.
Conçue quand le chômage n’existait presque pas, la formation professionnelle doit désormais évoluer pour mettre les chômeurs ou les salariés fragilisés par les mutations économiques au centre du processus de formation. Le CPF est une bonne réponse face à la critique d’une protection sociale qui n’est plus en adéquation avec les besoins des plus fragiles.

- Lutter contre le chômage des plus exclus suppose aussi de mobiliser les politiques de l’emploi. 60 000 contrats aidés supplémentaires par rapport à la loi de finances pour 2014 viennent d’être annoncés. En période de crise et malgré un budget contraint, il n’y aura pas de coup de frein.
Vous connaissez l’engagement du gouvernement pour les jeunes. La garantie jeunes, par exemple, expérimentée depuis le début de l’année, propose à des jeunes très désocialisés une prise en charge combinant une aide financière mensuelle (équivalente au RSA) et expériences répétées d’immersion en entreprise.
Désormais, à l’autre bout de la chaîne des âges, nous nous dotons de nouveaux instruments contre le chômage de longue durée, notamment des seniors (surreprésentés). Je viens de proposer, parmi de nombreuses autres mesures, un contrat de professionnalisation « Nouvelle carrière », qui porte un nouvel espoir de sortie du chômage.

- Et puis il reste toute une série d’embûches qu’il faut lever une à une. Pôle emploi expérimente un accompagnement global qui agrège aide sociale et recherche d’emploi. Et pour tout demandeur d’emploi qui viendrait à décrocher un entretien d’embauche mais qui ne pourrait s’y rendre faute de pouvoir faire garder ses enfants, Pôle emploi offre désormais une solution !
Je pourrais aussi parler de la réforme de l’IAE, ou encore des formations prioritaires pour l’emploi, sans oublier le Pacte de responsabilité et de solidarité, qui va permettre à des milliers de salariés de retrouver le chemin de l’emploi. Car ne nous y trompons pas si nous faisons baisser le coût du travail, c’est bien pout favoriser l’embauche, notamment des moins qualifiés.

Toutes ces mesures se complètent et leur synergie forme une réponse et des solutions, même si la conjoncture est difficile.
Pour poursuivre notre action, nous voulons que la pauvreté soit abordée lors de la grande conférence sociale qui se tiendra les 7 et 8 juillet. Elle le sera, je peux vous l’annoncer aujourd’hui.
C’était votre sollicitation, monsieur le Président, dans votre dernier courrier ; c’est aussi le sens de la mobilisation du collectif Alerte.
Ce grand rendez vous du dialogue social sera l’occasion de faire converger les politiques de l’emploi, de la formation professionnelle, de la santé, de l’orientation, de l’accompagnement, de la formation initiale, de la lutte contre les discriminations, pour une réponse globale à la précarité et à la pauvreté, et plus largement, aux défis sociaux de notre pays.

Ainsi, le lundi 7 juillet après-midi, nous proposons deux présentations des enjeux économiques et sociaux de court, moyen et long terme :
- L’une de Jean-Pisani-Ferry, à partir du rapport sur la France dans 10 ans ;
- L’autre d’un représentant du réseau Alerte (Louis Gallois). Il donnera des clés de lecture de la situation sociale de notre pays. Il portera une analyse qui est proche de la vôtre et qui mérite d’être entendue et de nourrir les travaux du lendemain.

Je présiderai pour ma part la table ronde « amplifier l’action pour l’emploi, en particulier pour les jeunes, les seniors et les personnes en difficulté ». Dans la continuité des échanges que nous aurons eus, nous discuterons des engagements concrets qui doivent être pris dans les branches.
Parmi les points de sortie potentiels, nous discuterons d’une mobilisation spécifique sur l’emploi des jeunes, pouvant inclure une négociation interprofessionnelle. Nous aborderons aussi les voies d’une relance de l’alternance et de l’apprentissage en particulier. Et nous arrêterons les contours d’un plan pour l’emploi des seniors, à partir des orientations déjà présentées.
Dans toutes ces politiques, nous aurons un souci particulier pour la précarité et la vulnérabilité. Certains acteurs demandent qu’une négociation spécifique soit conduite sur le sujet, nous en discuterons.

Par bien des aspects, la protection sociale n’est plus adaptée aux formes nouvelles de la précarité ! Aujourd’hui, ne pas être protégé, c’est vivre entre des systèmes de protection sociale, mais ne rentrer dans aucun d’entre eux ; être toujours un peu aidé et toujours un peu exclu. C’est pourquoi nous voulons que la protection sociale évolue, qu’elle soit attachée à l’individu et non plus à l’emploi, qu’elle soit capable de le suivre partout et tout au long de la vie, capable surtout d’accompagner efficacement les moments de transition, de changement, pour en faire des opportunités positives et non des risques de décrocher et d’être balayé par une conjoncture difficile.

Il y a de la place pour tous dans l’emploi, dans la société.
Je veux vous dire que l’Etat, malgré le redressement des finances publiques, se bat au quotidien pour être présent et ne pas laisser les associations seules face à la détresse sociale. La tâche est immense. En conjuguant nos efforts nous pouvons la mener à bien

Je souhaite que la Grande conférence débouche sur des mesures concrètes et immédiates. La feuille de route qui en sortira engage le Gouvernement et constitue le fil directeur des travaux de l’année avec les partenaires sociaux. Elle devra en être la traduction.
C’est bien souvent de la qualité des travaux préparatoires que découle in fine la réussite d’un évènement. C’est pourquoi j’ai souhaité vous entendre afin d’alimenter les travaux et le contenu de la table ronde que je présiderai.

Je vous remercie, et vous donne la parole.