Commission nationale de la Négociation collective - Bilan des négociations de 2014

Mesdames et messieurs,

Je me réjouis de vous réunir pour échanger sur le bilan de la négociation collective en 2014. Cet exercice traditionnel pour vous est le premier pour moi. Il est surtout important pour prendre de la hauteur et du recul. C’est d’autant plus vrai lorsque l’actualité sociale est très chargée, comme elle l’a été au cours des derniers mois.

Je voudrais d’abord remercier les organisations présentes autour de cette table pour leurs contributions à ce travail. Ce bilan ne doit pas être seulement celui qu’effectue le ministère. Il doit aussi être le vôtre : il est important que ceux qui sont en première ligne dans la négociation collective expriment aussi leur point de vue. La partie du bilan qui en résulte est ainsi une réussite.

Je tiens également à saluer le travail des services du ministère pour la réalisation de ce bilan : la DARES, la DGEFP et bien sûr la DGT qui en est la cheville ouvrière. C’est grâce à leur travail collectif, dont la qualité ne faiblit pas d’année en année, que cet ouvrage est devenu une référence et que cette réunion se tient aujourd’hui.

1/ Le bilan de 2014 montre que la négociation collective est bien vivante et dynamique dans notre pays, même dans les périodes difficiles

a/ C’est vrai d’abord au niveau interprofessionnel

En 2014, la négociation a permis d’avancer sur des thèmes majeurs. Je pense notamment à la nouvelle convention d’assurance-chômage. Elle a permis de mettre en place le système de droits rechargeables, conformément au principe acté dans l’ANI sur la sécurisation de l’emploi.

L’année 2014 a aussi permis la traduction législative de négociations importantes :

- La loi du 5 mars 2014 a retranscrit l’ANI de décembre 2013 sur la formation professionnelle. Son volet « démocratie sociale », qui a apporté des évolutions majeures sur la représentativité et le financement des organisations, est aussi le fruit d’un intense travail de concertation ;

- La loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes transpose pour partie l’ANI du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail.

Ces exemples montrent que la concertation fonctionne et que les bonnes réformes sont celles qui s’en nourrissent.

C’est dans cet esprit qu’il faut considérer le non-aboutissement de la négociation sur la modernisation du dialogue social lancée à l’automne 2014. Les travaux n’ont pas permis qu’un accord soit conclu, je l’ai regretté, mais je n’ai eu aussi de cesse de rappeler que le climat a été constructif, et que nous n’en serions pas là sans les apports des organisations. Je reviendrai plus tard sur son contenu.

b/ Ce dynamisme, on le retrouve aussi au niveau des branches, avec près de 1 000 accords conclus, et au niveau des entreprises, avec plus de 36 000 accords.
Ces négociations montrent une vraie appropriation de certains sujets, par exemple le temps partiel (54 accords conclus : c’est autant de branches dont les salariés seront mieux protégés contre la précarité) ou l’égalité professionnelle (qui est de plus en plus souvent abordée en lien avec d’autres thèmes).

La négociation est donc bien vivante et dynamique. Les acteurs sont engagés à tous les niveaux.

2/ C’est un constat positif, qu’il est bon de souligner, mais dont on ne peut pas pleinement se satisfaire. La qualité du dialogue social, de même que sa capacité à apporter des réponses aux enjeux du monde du travail, doivent être renforcés.

Nous tous, qui croyons en la démocratie sociale, devons y travailler sans relâche. Je voudrais souligner à cet égard un certain nombre de points :

Premièrement, la qualité du dialogue social dans les entreprises doit être sensiblement améliorée.

Le projet que je défends cette semaine en nouvelle lecture à l’Assemblée va apporter de nouveaux droits, très novateurs, pour les salariés, et également des outils pour les entreprises. Mais tous ces instruments ne seront rien si les acteurs ne s’en emparent pas.

Je vous engage à diffuser l’information auprès de vos structures sur les mesures que contient ce texte. La garantie de salaires, le droit à la formation pour les représentants syndicaux, la reconnaissance des parcours, autant d’avancées dont vous devez vous saisir pour susciter les vocations et renforcer l’engagement. Il vous appartiendra de faire vivre Les commissions dans les TPE pour qu’elles soient bénéfiques pour les salariés et pour les chefs d’entreprises. Il vous faudra expérimenter le regroupement d’instances par accord majoritaire et aller vers un modèle plus décentralisé. Ce projet de loi est porteur de belles promesses pour l’avenir, il vous appartient de les concrétiser.

Deuxièmement, les branches doivent se sentir plus responsables des grands enjeux de négociation.

Les salaires, tout d’abord : derrière l’activité de la négociation salariale, c’est le pouvoir d’achat des salariés qui est en jeu, mais aussi l’un des leviers de la reprise. Surtout, il est inacceptable que certaines branches aient durablement des bas de grilles en dessous du SMIC. Une réunion présidée par la DGT va se tenir demain pour faire un état des lieux. Je souhaite qu’elle soit l’occasion d’examiner avec lucidité les situations, et de trouver des solutions. Je continuerai ce suivi dans la durée, je sais que vous-mêmes y êtes attentifs.

Le Pacte de responsabilité, ensuite : le gouvernement a fait le choix de soutenir les entreprises, en leur faisant confiance sur les contreparties en termes d’emploi. Les résultats ne sont pas encore à la hauteur : 15 accords de branche en mai 2015, c’est trop peu. Ces négociations doivent vraiment prendre de l’ampleur. L’effort massif de l’Etat doit aller de pair avec une amélioration des conditions de travail et d’emploi par le dialogue social. Il est temps d’accélérer et je compte sur vous !

Troisièmement, le chantier de la restructuration des branches a maintenant bien commencé : le mouvement doit se poursuivre et s’accélérer.

Les objectifs, que je rappelle, sont ceux fixés par le Premier Ministre lors de la grande conférence sociale de 2014 : 100 branches dans 10 ans, avec « des premiers buts significatifs dès 2015 et 2016 ».

Depuis le lancement du chantier en septembre dernier, des étapes importantes ont été franchies, grâce à votre investissement : elles ont permis de vous consulter en avril dernier sur l’intention de fusionner le champ de 37 conventions collectives sans activité conventionnelle avec celui de branches de rattachement dynamiques.

Il faut encore aller de l’avant ! Les branches doivent non seulement être des champs de régulation de la concurrence, mais également des espaces de mutualisation et d’innovation sociale. Par ailleurs, aucune activité ne doit être laissée pour compte : il n’est pas acceptable que des milliers de salariés et des entreprises se voient appliquer un droit au rabais, faute de négociation dynamique.

La prochaine réunion se tiendra dès septembre prochain sous l’égide de la sous commission de la restructuration des branches. Je souhaite qu’elle aboutisse à des résultats concrets. Le projet de loi sur le dialogue social nous apporte aussi de nouveaux outils, il faudra s’en emparer !

Quatrièmement : l’action concrète ne doit pas empêcher une réflexion de fond sur le modèle de démocratie sociale que nous voulons. Il y a là un défi majeur, qui nous interroge, nous bouscule, mais que nous devons relever. Nous le sentons tous : l’avenir ne se construira pas sur les modèles du passé, même ceux qui ont pu porter leurs fruits. En matière sociale, il faut savoir repenser les droits et les protections pour mieux les renforcer.

La négociation collective a pris une place croissante ces dernières années, mais cela s’est construit par strates, et parfois de manière désordonnée. Il faut aujourd’hui prendre du recul et redéfinir son rôle. L’articulation entre les niveaux de normes peut être mieux pensée C’est le sens de la mission qui a été confiée par le Premier ministre à Jean-Denis Combrexelle. Je sais que vous êtes auditionnés et consultés et le serez jusqu’à la remise du rapport. Je vous invite à proposer, à vous montrer audacieux, à dire aussi vos lignes rouges –je sais que vous le ferez.

Tous ces outils nouveaux, toutes ces opportunités, il faut que vous vous en saisissiez, et que le gouvernement s’en saisisse aussi. Pour ma part je m’engage à poursuivre le dialogue franc et loyal que nous avons depuis trois ans (je crois que suffisamment de liens se sont tissés entre nous pour que vous soyez convaincus que mes propos seront étayés par des actes). Je m’engage aussi à continuer de promouvoir la concertation et la négociation pour les réformes à venir, et enfin je m’engage à améliorer les outils de cette négociation collective dont nous faisons aujourd’hui le bilan ensemble.

Je vous remercie et vous propose de passer au tour de table.