Colloque Force Ouvrière sur le SMIC

François Rebsamen au colloque de Force Ouvrière

Discours de François REBSAMEN

Monsieur le secrétaire Général de Force Ouvrière, cher Jean-Claude Mailly,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de cette invitation et le ministre du dialogue social que je suis a plaisir à venir échanger avec vous. Mon engagement, vous le connaissez : c’est d’être toujours à l’écoute, de débattre, de se dire les choses franchement et Jean-Claude ne manque d’ailleurs pas de le faire. L’engagement du gouvernement, c’est faire confiance aux partenaires sociaux et depuis 2012, nous avons annoncé une méthode : des documents d’orientation ambitieux, une négociation entre les partenaires sociaux et l’élaboration de la loi qui prend en comte le dialogue social. FO a d’ailleurs signé un bel accord sur la réforme de la formation professionnelle et vous êtes actuellement dans la négociation que j’ai souhaitée portant sur l‘efficacité et qualité du dialogue social. J’y attache une grand importance vous le savez.

1. Le SMIC, ringard ou d’avenir ?

J’en viens au thème de votre colloque : le SMIC. C’est un pilier du modèle social français dont les grands principes n’ont rien perdu de leur pertinence : « garantir au salarié, dont les rémunérations sont les plus faibles, leur pouvoir d’achat et une participation au développement économique de la Nation » tout en veillant à ce que sa progression n’entraîne pas « de distorsion durable avec l’évolution des conditions économiques générales et des revenus ». Tout est dit. Il y a des vieilles idées qui sont toujours neuves. Et dans la crise économique mondiale que nous avons traversée, la garantie d’un maintien du pouvoir d’achat des salariés les moins qualifiés contraste avec tous les pays qui ont connu des reculs sociaux sans précédents. Le SMIC n’est pas pertinent seulement du point de vue des principes politiques. Il l’est aussi économiquement, socialement.

Et la France se bat pour son extension en Europe. C’est un combat politique. Je le mène personnellement, et je continuerai de le conduire. Des avancées ont eu lieu. . C’est grâce aux travaillistes que le salaire minimum a été introduit en 1999 en Grande Bretagne, c’est aussi grâce aux sociaux-démocrates que le nouveau gouvernement allemand l’a instauré cet été.

Ainsi, et c’est un fait majeur, le 3 juillet 2014, le Parlement allemand a adopté la mise en place progressive à partir de 2015 d’un salaire minimum légal interprofessionnel de 8,5 €.

Il faut bien mesurer la rupture que ce choix constitue, dans un pays où les salaires minima étaient jusqu’alors déterminés de façon autonome par les partenaires sociaux via des conventions collectives. Mais depuis 20 ans, la couverture des salariés a reculé. Ainsi, dans les anciens Länder, le taux de couverture par une convention collective de branche est de 60% en 2012 contre 76% en 1998, alors que les nouveaux Länder enregistrent un repli d’ampleur similaire : 49% contre 63%. Quelle est la conséquence : des salariés sous payés qui concurrencent nos industries dans une affolante course au moins disant social (je pense aux abattoirs par exemple), des travailleurs détachés qu’on paie 3 fois rien car il n’y a pas de salaire minimum comme chez nous. L’Europe ne doit pas chercher son salut dans la mise en concurrence des salariés en jouant les systèmes sociaux les uns contre les autres. L’Europe doit promouvoir le progrès social. Au sein de l’Union européenne, seuls sept États membres ne disposent pas actuellement de salaire minimum national.
Et l’Allemagne sort de ce groupe.

Il faudra encore de nombreux progrès (les montants des salaires minima sont très hétérogènes) mais le pas réalisé en ce moment n’est pas négligeable.

Certes, le SMIC n’évite pas toute la crise, notre situation en atteste, mais il combat avec force la pauvreté et l’explosion des inégalités. Nous lui devons beaucoup. La pauvreté en Allemagne a augmenté 4 fois plus qu’en France et 1 travailleur sur 5 est pauvre, de l’autre côté du Rhin. Le SMIC est le pivot de cette lutte contre la pauvreté, à commencer par celle des travailleurs. Même l’OCDE le reconnaît.

Mais protéger le salaire horaire ne suffit pas quand on ne trouve pas de travail ou qu’on travaille seulement quelques heures par semaine. Le temps partiel contraint est facteur de pauvreté, c’est pourquoi l’ANI du 11 janvier 2013 et la loi de sécurisation de l’emploi ont voulu lutter contre les petits temps partiel subis en prévoyant un seuil minimum de 24h hebdomadaires, sauf accord de branche prévoyant un seuil minimum différent. Et ces négociations ont avancé, il faut le souligner. Nous avons également majoré les heures complémentaires d’au moins 10%, dès la première. La fusion de la PPE et du RSA en une prime d’activité individualisée permettra aussi de soutenir le pouvoir d’achat de ces salariés. Mais je le dis clairement : ce ne sera pas pour se substituer aux hausses de salaire, ni enfermer les salariés dans des trappes à bas salaire.

Cet arsenal ne lutte pas seulement contre la pauvreté, il empêche de chavirer dans la crise économique. Selon l’INSEE, les dépenses de protection sociale et l’assurance-chômage (plus largement les stabilisateurs automatiques) permettent de réduire la baisse du PIB de 10% la première année et de 25% la deuxième.
Notre modèle social – tout réformé qu’il doit être – tient la route. Il faut être critique mais il faut être juste. Le SMIC est un modèle d’avenir.

2. Depuis 2012, un soutien réel au SMIC

C’est d’ailleurs parce que nous tenons au SMIC que le Gouvernement a procédé, dès juin 2012, à une revalorisation du SMIC de 2%, après 6 années de revalorisation a minima.
Surtout, nous avons fait évoluer les règles de revalorisation SMIC et le groupe d’experts qui le suit. Vous y êtes pleinement associés.

La garantie du pouvoir d’achat passe par l’indexation sur l’inflation. Jusqu’alors, l’indice utilisé pour le calcul de la revalorisation était celui dit des « ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé hors tabac ». Nous avons changé cela pour baser l’évolution du SMIC sur l’inflation constatée pour les ménages des premiers et deuxièmes déciles de la distribution des niveaux de vie.
Cet indice permet de mieux prendre en compte les dépenses contraintes qui pèsent lourdement sur ces ménages à faible revenu : je pense au logement ou à l’énergie. C’est une différence qui prend tout son sens quand chaque euro compte. Avec ce nouveau critère, la revalorisation sera un peu plus significative.

Autre évolution : la référence utilisée depuis 1970 était le salaire horaire de base ouvrier (le SHBO). Il ne correspond plus à la sociologie des salariés au SMIC. Hier, c’étaient les ouvriers. La désindustrialisation a fait son œuvre et l’industrie qui demeure en France emploie des salariés souvent payés au-delà du SMIC. Les smicards d’aujourd’hui sont pour beaucoup des employés. Nous prenons donc en compte, désormais, l’évolution du pouvoir d’achat, non plus des seuls ouvriers, mais des ouvriers ET des employés.

Ce soutien au SMIC, au-delà des raisons politiques et économiques précédentes,
 c’est un moyen de contenir et réduire les inégalités en bas de l’échelle des revenus.
 C’est aussi une manière de maintenir notre modèle social quand émergent de nouvelles formes d’emplois, ceux dits atypiques ou même le détachement légal de travailleurs. Le SMIC, là aussi, se pose comme un pilier, c’est-à-dire quelque chose qui soutient tout l’édifice social en disant : « non, aucun travail ne peut déroger au salaire minimum. Point final ».
 Et nous rappelons à l’ordre régulièrement les branches ayant au moins un minima conventionnel inférieur au niveau du SMIC. Ces situations ne sont pas acceptables et je souhaite maintenir une pression forte sur les branches qui sont dans cette situation afin qu’elles renégocient rapidement le niveau de ces minimas. Vous connaissez mon attachement à la branche, eh bien je souhaite que la négociation sociale y soit vivante et j’y veillerai.
 Enfin, défendre le SMIC, c’est une façon de donner de la valeur AU travail. On nous parle sans cesse de la « valeur travail ». Je crois davantage à la valeur DU travail. Le SMIC la reconnaît. Ce dernier point est essentiel et les efforts du Gouvernement tendent dans ce sens.

3. L’augmentation du SMIC

Comme Jean-Claude Mailly va parler après moi, je préfère lui répondre avant.
Pourquoi, après cette défense du SMIC, ne pas plaider pour un « coup de pouce » ?
Dans le SMIC, il y a un engagement national : quand la croissance revient, le SMIC doit augmenter. Quand elle n’est pas là, le coup de pouce n’est pas toujours une bonne solution.

L’objectif prioritaire, c’est l’emploi et l’investissement. Les salaires découleront du redémarrage des deux premiers, tandis que la prime d’activité soutiendra le pouvoir d’achat à court terme. Bien sûr et heureusement, vous négociez dans les branches et dans les entreprises, et le SMIC progresse chaque année. Mais nous avons un défi majeur pour redresser notre pays, dont la compétitivité a été abîmée.

Nous savons tous que le SMIC est un choix de société et que son impact sur l’emploi n’est pas nul quand la concurrence n’est fondée que sur les prix.
Le Gouvernement l’assume avec le Pacte de responsabilité et de solidarité, mais il ne vous a pas échappé que si nous diminuons les cotisations sociales employeurs sans réduire les droits, –nous ne transigeons pas avec le SMIC.

4. Je rejette tout SMIC catégoriel ou dérogatoire

C’est aussi la raison pour laquelle je rejette tout SMIC dérogatoire : un « sous-SMIC » pour les jeunes ou les demandeurs d’emploi de longue durée Je ne suis pas non plus pour des SMIC qui seraient différents d’une région française à une autre : le SMIC est un outil national de solidarité et doit demeurer le même partout sur le territoire national.
Pourquoi les jeunes devraient-ils être moins rémunérés que les autres ?

C’est normal quand le jeune apprend un métier et n’est pas pleinement opérationnel : c’est l’apprentissage (25 à 78% du SMIC suivant son âge et son année d’étude). Nous travaillons d’ailleurs à le développer.
Mais pour un jeune pleinement dans la vie active, la règle est « à travail égal, salaire égal ». La société française ne veut pas d’une solution inégalitaire et l’a fait savoir aux gouvernements de droite tentés par cette voie (retrait du CIP en 1994 et du CPE en 2006).

En outre, l’efficacité économique de ce type de solution n’est pas démontrée. Au Royaume Uni ou aux Pays-Bas, le taux de chômage des jeunes reste, comme en France, 2 à 3 fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population. Et, ici, nous faisons reculer le chômage des jeunes depuis des mois.

La problématique est la même pour les demandeurs d’emploi de longue durée. Demander de choisir entre un emploi ou un salaire n’est pas acceptable. Doit-on considérer que les inégalités en bas de l’échelle des revenus du travail sont plus ou moins supportables que les inégalités d’accès à l’emploi ? La réponse est non. Et c’est la raison pour laquelle nous traitons à la fois des inégalités de salaires et d’accès à l’emploi (emplois d’avenir, contrats de génération, concertation sur les chômeurs de longue durée, dispositifs de soutien à l’embauche, soutien à l’apprentissage…).

Il faut absolument tenir les deux ensemble – et vous aurez noté là aussi que c’est exactement le sens de la nouvelle prime d’activité : soutenir les salaires et rendre l’emploi davantage incitatif.

Je vous remercie.