Lancement d'une grande initiative pour la valorisation des salariés expérimentés
Publié le Mis à jour le 30/04/2025 |

La ministre chargée du Travail et de l'Emploi Astrid Panosyan-Bouvet lance une initiative majeure pour l'emploi des travailleurs expérimentés à partir du 29 avril prochain.
Comparée à d'autres pays européens, la France affiche une chute notable du taux d'activité dès l'âge de 53 ans. Nous avons comblé notre retard sur nos voisins européens sur la tranche de 55-59 ans, en revanche, nous affichons un taux d’emploi très bas pour les 60-64 ans. Seuls 35 % des 60-64 ans sont encore en activité, contre 61 % en Allemagne.
Cette chute s’explique en grande partie par le regard de la société sur les salariés expérimentés. Selon le défenseur des droits, l’âge est aujourd’hui la première forme de discrimination au travail. Pourtant, l'expérience a une valeur inestimable, et l’inclusion des travailleurs de plus de 50 ans améliore la productivité des entreprises. Mais, après 55 ans, l’accès à la formation est insuffisant, un candidat a trois fois moins de chances d'être rappelés pour un entretien et il restera plus longtemps au chômage.
Nos entreprises, nos finances publiques et la société dans son ensemble se privent donc de capacités productives et contributives précieuses. Aujourd’hui la transition démographique, avec une natalité en baisse et un allongement de la vie en bonne santé doit collectivement nous rendre à l’évidence : nous avons un impérieux besoin des compétences et de l’engagement des travailleurs de plus de 50 ans.
Cette initiative vise à faire évoluer les mentalités, à combattre les stéréotypes et à valoriser les atouts de ces salariés expérimentés pour améliorer le recrutement et le maintien en emploi. Elle se décline en quatre axes.
Organisation d’une grande conférence « Emploi des 50 + : le passage à l’action » le 29 avril prochain au ministère chargé du Travail et de l’Emploi
Cet événement, organisé en partenariat avec l’Association nationale des DRH (ANDRH), la communauté « Les entreprises s’engagent », le Club Landoy et le groupe AEF INFO, réunira les principaux acteurs engagés sur cette thématique pour une journée d’échanges et d’initiatives concrètes.
Le programme comprend des témoignages d’entreprises, des discussions sur la mobilité professionnelle, la formation continue et les moyens de lutter contre les stéréotypes liés à l’âge, le partage des meilleures pratiques, initiées par les employeurs (santé, formation) pour favoriser l’emploi des seniors et encourager une dynamique de recrutement. Ces bonnes pratiques seront regroupées au sein d’un guide à destination des entreprises qui sera publié et diffusé fin mai.
L’événement sera également l’occasion de dévoiler les résultats de deux enquêtes inédites : l’une menée par l’ANDRH et « Les entreprises s’engagent » et le ministère du Travail en partenariat avec l’institut IPSOS sur l’emploi des plus de 50 ans, et l’autre conduite par le Global Deal France relative aux pratiques de recrutement inspirantes, auprès d’une trentaine de grandes entreprises multinationales françaises.
La journée sera clôturée par la signature de la « Charte 50+ » initiée par le Club Landoy et le groupe L’Oréal en 2022. Plus d'une centaine de nouvelles organisations officialiseront ainsi leur engagement à cette occasion. Une première étape qui marquera le début d'un déploiement de cette charte encore plus large en région, grâce à une action conjointe du Club Landoy et de la communauté Les entreprises s’engagent. Cette charte vise à promouvoir des politiques inclusives et à garantir aux travailleurs expérimentés des opportunités d’évolution professionnelle adaptées à leurs compétences et aspirations.
Lancement d’une campagne de communication dans les médias en mai-juin
Pour faire évoluer les mentalités et combattre les stéréotypes, une campagne de communication sera lancée au printemps. Durant plusieurs semaines et destinée aussi bien aux entreprises qu’au grand public sur des médias spécialisés et généralistes digitaux, audio et visuels, elle aura pour but de valoriser les atouts des salariés expérimentés. Elle dirigera vers un site internet ressource à destination à la fois des demandeurs d’emploi expérimentés et des entreprises regroupant témoignages et bonnes pratiques concrètes.
Déclinaison via des actions concrètes partout en France
L’ensemble des partenaires du ministère chargé du Travail et de l’Emploi l’ANDRH, le MEDEF, la CPME et l’U2P, Les entreprises s’engagent, l’Association Pour l’Emploi des Cadres (APEC), France Travail et les services de l’État lanceront conjointement des actions dans toutes les régions. Pendant plusieurs semaines ils organiseront des ateliers d’échanges de bonnes pratiques sur les sujets de la formation continue, la prévention de l’usure professionnelle, les aménagements du temps de travail, l’intergénérationnel, la lutte contre les stéréotypes et des évènements dans toutes les préfectures de régions de France engageant les parties prenantes de l’emploi des salariés expérimentés. La restitution de ces travaux aura lieu à l'occasion de l’Université de l’ANDRH, les 26 et 27 juin à Vannes devant 600 DRH en présence de la ministre Astrid Panosyan-Bouvet.
Transposition de l’Accord national interprofessionnel (ANI) relatif aux seniors, conclus par les partenaires sociaux en novembre 2024
En juin sera présenté au Parlement une transcription des ANI signés en novembre 2024 par les partenaires sociaux, en particulier celui relatif aux outils pour favoriser la reprise d’emploi ou le maintien en emploi des seniors ou salariés expérimentés. L’accord prévoit en particulier :
- L’abaissement de l’âge ouvrant droit à la retraite progressive de 62 ans à 60 ans et des stipulations permettant de favoriser les temps partiels en fin de carrière ;
- La création d’un nouveau type de contrat, le « contrat de valorisation de l’expérience ». Ce CDI, réservé aux salariés de plus de 60 ans au chômage, offre à l’employeur une pleine visibilité sur la date de départ en retraite de son salarié. La mise en retraite serait également facilitée, notamment grâce à la suppression de la cotisation sur l’indemnité de mise en retraite ;
- Un entretien à mi-carrière renforcé par un volet compétences en plus d’un volet santé ;
- Le renforcement des obligations de négociations de branche et d’entreprise sur le sujet du maintien en emploi des seniors.
Selon la ministre chargée du Travail et de l’Emploi Astrid Panosyan-Bouvet, « il y a une place pour tous dans le monde du travail ; les plus de 50 ans sont avant tout des salariés expérimentés très fiables, dont la société et nos entreprises ont besoin. Aujourd’hui, malgré des avancées ces dernières années, la France reste en retard et n’est pas à la hauteur de l’enjeu en comparaison de nos voisins européens. Le gâchis pour toute la société et pour l’économie est immense. Améliorer l'employabilité des seniors est une priorité, en mobilisant les entreprises et en impliquant l’ensemble des acteurs de l’emploi. En parallèle d’un travail continue sur les conditions de travail et la prévention de l’usure professionnelle, la valorisation de l’expérience, lutte contre les discriminations liées à l'âge, et déconstruction des stéréotypes permettront d’encourager le recrutement et le maintien dans l'emploi des travailleurs expérimentés dont nous avons tous tant besoin ».

Programme de l'événement du 29 avril
Colloque Emploi des 50 +
Le passage à l'action
Animation de la journée par Nicolas Lagrange, rédacteur en chef, AEF info
08h00 - 09h00 | Accueil
09h00 - 09h15 | Introduction
par Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l'Emploi
09h15 - 09h50 | Emploi des 50+ : enjeux démographiques, économiques,
financiers et sociétaux
Vincent Touzé, Économiste, Sciences Po Paris
Maxime Sbaihi, directeur stratégique du Club Landoy, expert-associé économie et démographie, Institut Montaigne
Animation : Nicolas Lagrange, rédacteur en chef, AEF info
09h50 - 10h10 | Focus femmes 50+
Florence Chappert, responsable mission égalité, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)
Sophie Fenot, déléguée générale, Force Femmes
Animation : Isabelle Moreau, directrice de la rédaction, AEF info
10h10 - 11h00 | Panel : Quelle vision des entreprises opérant à l’international ?
Jean-Christophe Sciberras, coordinateur Global Deal France
Résultats de l'enquête du Global Deal France
Stéphane Dubois, directeur des ressources humaines, Safran
Dominique Laurent, directeur des ressources humaines, Schneider Electric
Karima Silvent, directrice des ressources humaines, groupe AXA
Animation : Florence Bonnevay, fondatrice, Expérience Plus, co-auteur du livre Le capital seniors
11h00 - 11h25 | Pause café
11h25 - 12h00 | Quelles perceptions, actions et attentes dans les territoires ?
Lors de cette séquence, les résultats de l'enquête de l'ANDRH, du ministère chargé du Travail et de l'Emploi et de la communauté « Les entreprises s'engagent » en partenariat avec l'institut IPSOS vous seront dévoilés.
Brice Teinturier, directeur général, IPSOS
Audrey Richard, directrice des ressources humaines, Canal +, présidente nationale, ANDRH
Sylvain Reymond, directeur général, communauté « Les entreprises s'engagent »
Catherine Pernette, directrice régionale, DREETS Normandie
Animation : Sixtine de Villeblanche, rédactrice en chef adjointe, AEF info
12h00 - 12h10 | Keynote : le 17e baromètre des discriminations dans l’emploi
George Pau Langevin, adjointe de la Défenseure des droits, ancien ministre
Animation : Isabelle Moreau, directrice des rédactions
12h10 - 13h00 | Panel : Faciliter le recrutement des 50+ ? Le poids des stéréotypes
Sylvana Baratiny, dirigeante d’agences Kangourou Kids Paris Sud-Ouest et Val-De-Marne Ouest
Aurelie Feld, présidente LHH France
Gilles Gateau, directeur général, APEC
Thibaut Guilluy, directeur général, France Travail
Bertrand Lamour, président Directeur Général, IFOCOP
Animation : Nicolas Lagrange, Rédacteur en chef, AEF info
13h00 - 14h15 | Cocktail déjeunatoire
14h15- 15h25 | Panel : Développement des compétences et liens intergénérationnels, vecteurs d'innovation et de performance
Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales, Fédération du commerce et de la distribution
Arnaud Marchat, président CPNE grandes surfaces alimentaires, Secrétaire national CSFV CFTC
Béatrice Lafaurie, directrice générale des ressources humaines, Groupe BPCE
Laurence Lelouvier, directrice des ressources humaines, NGE
Karine Lopez Moreau, directrice des ressources humaines, Siemens France
Anne-Laure Thomas-Briand, directrice diversités, équité et inclusion, L'Oréal France
Animation : Frédérique Jeske, présidente Senior for good et Uskoa Partners, auteur du livre Le choc des générations n'existe pas
15h25 - 16h15 | Panel : Quels leviers pour prévenir l'usure professionnelle, favoriser le maintien en emploi ?
Matthieu Pavageau, directeur technique et scientifique, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT)
Caroline Gonin, directrice des ressources humaines, Groupe Transdev
Marie Élise Garnier, responsable ressources humaines du site de Procanar
Yvan Le Canderf, responsable de production du site Procanar
Isabelle Quainon, directrice des ressources humaines, groupe Veolia
Animation : Nicolas Lagrange, rédacteur en chef, AEF info
16h15 - 16h40 | Pause café
16h40 - 17h25 | Panel : Quels aménagements du temps de travail et des fins de carrière, quid du cumul emploi-retraite ?
Benoit Serre, vice-Président, ANDRH
Laëtitia de Montgolfier, directrice des ressources humaines, Lidl France
Emmanuel Grimaud, président fondateur, Maximis
Philippe Soullier, CEO, Valtus
17h25 - 17h45 | Prise de parole des ministres
Éric Lombard, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l'Emploi
Voir la rediffusion des échanges
Nicolas Lagrange
Bonjour, bonjour à toutes et tous. Merci à ceux qui sont encore debout de bien vouloir prendre place. On va démarrer. Bienvenue à ce colloque dédié à l'emploi des salariés de 50 ans et plus, colloque organisé par le ministère chargé du Travail et de l'Emploi. Je me présente, Nicolas Lagrange, journaliste à AEF Info. Je vais vous accompagner durant toute cette matinée. Pour ouvrir cet événement, pour contextualiser ces enjeux liés à l'emploi des salariés de 50 ans et plus, je vais demander à Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l'Emploi, de bien vouloir prendre place.
Astrid Panosyan-Bouvet
Bonjour à tous.
Bienvenue ici chez vous, au ministère du Travail, dans cette salle qui porte le nom de Pierre Laroque, l'un des fondateurs de la Sécurité sociale, dont nous célébrons le 80e anniversaire cette année.
Notre système de protection sociale, comme notre prospérité collective, repose effectivement sur le travail. Pour relever tous les défis qui sont devant nous, nous avons besoin de travailler plus, de travailler mieux, de travailler davantage et un peu plus longtemps.
Notre mode de vie, comme notre système de solidarité, ne seront pas soutenables sans cet effort collectif. Un des leviers de notre prospérité future est l'emploi des plus de 50 ans. En prenant à bras-le-corps cette question, nous ne faisons pas du social, nous répondons à une nécessité. Parce que, en la matière, depuis les années 70 et les pré-retraites premières puis avec le choix de la retraite à 60 ans en 1983, nous avons trop longtemps roulé à contre-sens. Avec cette politique de sortie précoce du monde du travail, souvent bien avant 60 ans, nous avons formulé une promesse intenable en raison du double choc démographique qui est l'arrivée des retraites des générations nombreuses du babyboom et la bonne nouvelle de l'allongement de la durée de vie.
Ce choix malthusien, qui dévalorise le travail des plus de 50 ans, nous l'avons fait en toute bonne conscience pour faire de la place aux jeunes. Et malheureusement, nous avons été perdants très longtemps sur les deux tableaux. Le sous-emploi des plus de 50 ans est une réalité qui se traduit par des fins de carrière difficiles, au mieux en pente douce, plus de formation, plus de promotion, au pire par la confrontation brutale avec le marché du travail y compris quelquefois avec des pratiques clairement discriminatoires.
L'adjointe de la Défenseure des droits, Mme George Pau-Langevin, fera tout à l'heure un point très parlant sur les ravages de l'âgisme. Le sous-emploi des 50 ans et plus constitue un véritable gâchis à tout point de vue: économique, humain et social.
C'est contre ce gâchis que nous devons nous mobiliser aujourd'hui et donner de nouvelles perspectives aux 50 ans et plus. Parce que les choses changent, mais que les choses changent bien doucement, alors qu'il y a urgence, urgence pour notre économie, urgence pour notre société, urgence pour nos finances publiques.
Nous avons besoin de produire plus, de renforcer notre cohésion sociale, d'éviter la guerre des générations, la guerre des actifs contre les inactifs. Nous avons cessé de rouler à contre-sens, le taux d'activité des 50 ans et plus se redresse, celui des 60 ans progresse encore, mais trop doucement, et ce aussi grâce au relèvement de l'âge de départ à la retraite. Si le sous-emploi des 50 ans est en partie lié à nos choix passés, il n'a rien d'une fatalité.
C'est pourquoi j'ai décidé de lancer cette mobilisation nationale avec un triple objectif: changer les pratiques, changer la loi, changer les regards pour passer à l'action. C'est tout l'enjeu de ce printemps 2025 et des nombreuses initiatives que nous allons prendre jusqu'à la fin du mois de juin, jusqu'à l'université d'été qu'organiseront nos partenaires de l'ANDRH en juin devant les directeurs des ressources humaines.
Nous lançons cette initiative dans un contexte politique difficil e: la question des retraites n'est pas refermée, et le gouvernement a décidé d'installer un comité paritaire permanent, notre conclave à nous. Cette méthode inédite peut produire des résultats. Et je fais confiance au dialogue social.
Mais le chantier que nous lançons ne peut pas attendre. La question que nous traitons aujourd'hui est profonde. Les plus de 50 ans sont des salariés comme les autres, attentifs aux conditions de travail, aspirations, besoins de formation, de reconnaissance, comme n'importe quel salarié, besoin de transition et de reconversion également.
La question des 50 ans et plus est aussi une question de femmes et je suis très heureuse que nous prenions le temps d'en discuter. Les chiffres, la réalité, les témoignages le prouvent. La situation est encore plus difficile pour les femmes. Les pénalités s'additionnent. Nous devons penser à toutes ces femmes dont la carrière plafonne après 50 ans, celles qui sont exposées aux nouvelles pénibilités dans les métiers du soin et à ces premières lignes parfois invisibles.
Donc, l'ambition est triple : changer de regard, changer la loi et changer les pratiques.
Changer le regard, ce sera l'objet d'une campagne de communication fin mai pour combattre les préjugés, valoriser les atouts et guider les employeurs et les candidats. Ces gens connaissent les clichés et les qualités et nous projetterons un micro-trottoir fait dans les rues de Paris qui sera tout à fait instructif. Les discriminations fondées sur l'âge comme toutes pratiques discriminatoires sont inacceptables. Des testings vont nous permettre d'objectiver les pratiques discriminatoires, notamment à l'embauche. C'est un chantier que je mène avec la DARES et des campagnes de testing porteront spécifiquement sur l'âge avec une visée statistique. Nous aurons les premiers résultats en 2026. Je souhaite que la délégation interministérielle pour la lutte contre l'antisémitisme, le racisme et l'homophobie puisse, dans ses testings, aussi inclure la question de l'âge, parce que, encore une fois, c'est un des premiers facteurs de discrimination dans le monde du travail.
Changer la loi et les politiques publiques, c'est aussi essentiel. Le gouvernement finalise actuellement un projet de loi qui va permettre de transposer l'accord intervenu entre partenaires sociaux au mois de novembre 2024 au sujet de l'emploi des seniors. Le Parlement sera saisi en juin. Et par ailleurs, avec Catherine Vautrin, nous avons invité les partenaires sociaux à négocier sur les dispositifs de transition-reconversion pour permettre de les simplifier rapidement.
Faire évoluer les politiques publiques, c'est par exemple le cas de France Travail qui devra simplifier les dispositifs d'aide de retour à l'emploi et à la reconversion pour qu'ils soient plus connus, plus opérationnels, plus accessibles et utilisés par les entreprises et les demandeurs d'emploi. Dans les conditions actuelles, 56 ans est l'âge de bascule à partir duquel le taux de retour à l'emploi est particulièrement difficile selon l'Unedic. France Travail va faciliter ces dispositifs et former ses conseillers aux spécificités des plus de 50 ans, proposer un parcours collectif, parce que, souvent, sur les cas des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans, l'approche collective peut être extrêmement utile sur plusieurs semaines pour pouvoir permettre d'accélérer le retour à l'emploi. Le programme Atout Senior, expérimenté aujourd'hui en Ile-de-France depuis l'an dernier, va être généralisé afin d'accompagner les plus de 50 ans en reconversion grâce à une pédagogie adaptée et un mode de financement innovant.
Enfin, nous allons changer les pratiques. Ce volet sera le coeur des échanges qui débutent aujourd'hui et qui vont se poursuivre tout le printemps. Merci d'avoir répondu à cette invitation. La salle est pleine, quasi pleine, il va y avoir beaucoup de monde en ligne, que je salue également. Et quand on lance un appel à la mobilisation, c'est rassurant de le faire devant tant de monde. Vous êtes des acteurs de terrain. Moi-même, j'ai été une femme d'entreprise. Cet enjeu, c'est votre quotidien, ça a été mon quotidien pendant de longues années. Certains d'entre vous apportent déjà des réponses qui sont adaptées à la réalité des métiers et des entreprises. Il y a des entreprises qui sont présentes ici, et je les salue, elles seront d'ailleurs aussi mises à l'honneur ici.
Misons sur l'intergénérationnel pour booster l'innovation et la performance, misons sur l'innovation pour augmenter la productivité de tous. Certains métiers ne sont pas faisables après 50 ans pour des questions physiques, certains nécessitent des aménagements de fin de carrière avec des retraites progressives, et dans certaines situations, le cumul emploi-retraite peut être aussi une solution. Ce qui marche dans les entreprises qui se sont saisies de ce sujet, c'est de ne pas avoir une approche uniforme, mais d'avoir autant de réponses aux travailleurs de plus de 50 ans. Certains veulent mettre un petit peu...
Ralentir un petit peu, parce qu'il y a aussi des sujets d'aidance familiale, le Club Landoy a beaucoup travaillé sur ces questions. Certains se disent : je n'ai plus mes enfants, c'est le moment d'accélérer. D'autres veulent plutôt être dans la transmission. C'est toutes ces solutions très adaptées en fonction des aspirations de chacun et des besoins de l'entreprise qu'il faut pouvoir effectivement déployer. Beaucoup d'entreprises prennent leurs responsabilités et développent ces pratiques innovantes. Et ce sera aussi effectivement l'occasion de pouvoir en discuter et de pouvoir les partager.
Donc, ces questions, nous allons les aborder ici, aujourd'hui, nous allons les mettre sur la table et dans tout le pays jusqu'à l'été. Cette partie va se jouer et se gagner dans les territoires, là où les gens vivent et travaillent, là où les entreprises sont présentes, pas ici, dans ce Ministère, ni dans les Etats-majors des entreprises.
Aujourd'hui, nous allons élaborer un beau programme de travail avec nos partenaires de l'association nationale des DRH, les Entreprises s'engagent, le Club Landoy, de France Travail, de l'APEC, de l'AEF, de l'ANACT, et le concours d'IPSOS. Acteurs, actrices de l'entreprise, du travail et des territoires, mobilisons-nous pour l'emploi des 50 ans et plus et passons à l'action. Des pays européens ont déjà réussi avant nous. Nous aussi, on va y arriver.
Merci et bon travail.
Nicolas Lagrange
Merci. Un double public aujourd'hui, en présentiel, dans cette salle avec 300 personnes, et plusieurs personnes inscrites en distanciel qui vont suivre le débat avec un dispositif de vélotypie pour les personnes sourdes et malentendantes.
Merci de mettre en mode silencieux votre téléphone.
D'abord des enjeux économiques, démographiques, sociétaux, en Europe et en France, enjeux avec un focus sur les caractéristiques particulières des femmes de 50 ans et plus au regard de l'emploi. Nous verrons ensuite comment et en quoi l'emploi des salariés expérimentés est un objet de dialogue social dans un certain nombre de pays, via le Global Deal.
Après une pause de 20 minutes, nouveau temps fort avec la présentation des résultats d'une enquête sur l'emploi des salariés de plus de 50 ans auprès de mille responsables des ressources humaines et un gros plan sur les initiatives d'ores et déjà déployées sur les territoires.
Dans la foulée, un zoom sur la réalité des discriminations à l'encontre des salariés de plus de 50 ans.
Pour terminer, des échanges sur les leviers pour lutter contre les stéréotypes et favoriser le recrutement des salariés de plus de 50 ans. C'est un défi, qui est encore aux prémices.
Les enjeux des salariés de plus de 50 ans, quels enjeux? Deux interlocuteurs pour nous éclairer. Maxime Sbaihi et Vincent Touzé.
Bonjour à tous deux. Je vous invite à vous saisir d'un micro.
On va passer en revue un certain nombre de données clés. On va essayer d'éclairer ces enjeux, ça va nous aider pour la conduite de nos échanges tout au long de cette journée.
Vincent Touzé, on peut d'ores et déjà dire que le constat d'une nécessité d'accroître le taux d'emploi des salariés de plus de 50 ans, c'est un enjeu partagé partout en Europe.
Vincent Touzé
Tous les pays européens ont profité du progrès social, économique qui s'est traduit par un allongement de l'espérance de vie, plus une croissance démographique post Seconde guerre. Tous les pays européens ont été amenés à conduire des réformes de leur système de retraite, avec l'âge minimum, l'âge du taux plein, avec des incitations.
Nécessairement, il y a eu un défi qui était : comment transformer une élévation du taux d'activité en taux d'emploi ?
C'est un premier élément.
J'ai préparé quelques documents.
Je présente des graphiques à la suite d'une étude sur l'évolution du taux d'emploi en Europe.
En horizon, c'est d'où on vient en 2008, et les variations des pays européens.
Il y a quelques pays... NLD, c'est pour les Pays Bas. DNK, c'est Danemark.
Les pays les plus en pointe il y a 15 ans, en termes d'emploi des seniors, il y a une tendance générale, les pays les plus en pointe, c'est ceux qui ont connu les variations les plus faibles. Ceux qui sont plus en retard, comme la France, on a connu des évolutions massives, pour les hommes comme les femmes.
C'est le cas de l'Italie, la Belgique.
Nicolas Lagrange
Pour le taux d'emploi en France, il est de 48%. Il a augmenté de plus de 15 %.
Vincent Touzé
Oui, c'est ça.
Là, c'est sur la tranche 55-64. Si on cherche à nuancer, on voit que le taux d'effort dans les pays européens, pour beaucoup (courbe orange), c'est surtout sur la tranche 55-59 que les résultats ont été les plus massifs. C'est-à-dire qu'on partait de moins loin, mais on a des variations relativement élevées. En revanche, pour la tranche 55-64, on part de très bas.
Autant sur la courbe orange, il y a peu de variabilité. En Europe, on était en retard... Quelque part, on rattrape le retard en proportion du point de départ. Mais on voit que c'est plus dispersé sur la tranche 55-64 ans. Au Danemark, par exemple, ils étaient plus avancés.
On est un peu en queue de peloton par rapport à certains pays qui étaient déjà en avance.
L'Allemagne, les pays scandinaves sont très en avance. Les pays du sud beaucoup moins. La France est entre les deux.
Nicolas Lagrange
On sait que le taux d'emploi des salariés de plus de 50 ans, notamment des 55-64 ans, sont liés aux politiques publiques et aux conditions de rémunération et aux conditions de travail.
Vincent Touzé
Oui, il y a plusieurs éléments
On se préoccupe si la question de l'emploi est liée à l'âge. Le facteur âge... On peut avoir une ancienneté plus longue, et un contrat de travail plus protecteur potentiellement. Il y a la question entre âge et productivité : y a-t-il un lien? Il y a deux tendances qui viennent se poser: l'obsolescence des connaissances, avec une capacité physique en baisse, et éventuellement cognitive, mais de l'autre côté, il y a toute la question expérience.
C'est comment évolue la productivité.
Il y a aussi tout l'environnement, la protection sociale qui facilité une sorte d'obsolescence programmée.
Si on met en place des dispositifs comme par exemple à 57 ans, vous avez 2 ans de chômage, vous partez avec une prime, et après, vous aurez une retraite pleine, nécessairement, ça a pu faciliter des départs précoces. Ça a pu conduire aussi à une forme du fait qu'on anticipe vite. C'est une croyance collective qui dit que: âge = baisse de la productivité. Mais ce n'est pas le cas. Dans le travail, ce qui est important, c'est la synergie, et la mixité des différentes tranches d'âge.
Nicolas Lagrange
Maxime Sbaihi, les enjeux démographiques sont prégnants. On pourrait presque dire que ça peut être une clé d'entrée particulièrement éclairante pour illustrer les enjeux et la nécessité d'agir très rapidement. Vous avez préparé quelques éléments qui montrent ces enjeux, en croisant les départs massifs à la retraite et ce qu'on sait aujourd'hui des sortants de formation initiale.
Je vous propose de commenter ce graphique que, probablement une partie d'entre vous connaît déjà, étude métiers 2030 réalisée par la DARES et par France Stratégie.
Maxime Sbaihi
Merci de m'avoir invité. La toile de fond de cet évènement, c'est la démographie.
En France, les plus de 60 ans sont maintenant majoritaires par rapport aux plus jeunes. Les 55-64 ans sont un tiers de la population active. Ça, on n'avait jamais connu.
Le ventre mou de la population active qui finance les enfants et les personnes âgées est en train de bouger.
On voit métier par métier l'impact des départs du marché du travail sur les effectifs aujourd'hui employés. Dans certains métiers, agents d'entretien, enseignants, aides à domicile, les départs sont massifs. Pour les aides à domicile, c'est un tiers des effectifs qui part à la retraite sur cette décennie.
Pour les entreprises, c'est une défi énorme. Dans certains métiers, infirmiers, agriculteurs, assistants maternels, les flux sortants vont être massifs.
En orange, ce sont les estimations de départ. Et vous avez les créations nettes d'emploi. C'est aussi, dans certains secteurs, il y a une demande qui augmente.
Vous voyez les départs massifs, mais la demande va être croissante car avec l'âge, on va avoir besoin de plus de gens en aide à domicile par exemple. Donc il y a des tensions très fortes.
La génération du babyboom, c'était le général de Gaulle, en 45, les Français auront fait 24 millions de bébés. Aujourd'hui, les babyboomers arrivent avec une forte dépendance à 90 ans. Les derniers boomers, nés en 75, aujourd'hui, ils ont 50 ans. Ils entrent dans cette classe d'âge pour laquelle on est réunis aujourd'hui. Tout ça déstabilise l'économie et aussi le marché du travail.
Nicolas Lagrange
La population active à horizon d'une décennie environ va commencer à diminuer, et les jeunes actifs ne suffiront pas à combler ces importants besoins de recrutement.
On va voir tout de suite une seconde diapositive. Mais quelques mots pour évoquer cette baisse de la population active qui a pu être chiffrée par l'INED et l'INSEE.
Maxime Sbaihi
On avait l'habitude d'avoir une main-d’œuvre toujours abondante. La démographie était un vent porteur de l'économie.
On pouvait recruter parce qu'il y avait de la masse et toujours des candidatures. Là, c'est un monde nouveau: la population active a commencé à diminuer. En France, on n'y est pas encore par rapport à l'Allemagne. C'est en 2036 où on devrait avoir une bascule.
Dans certaines régions, c'est déjà le cas. Au niveau national, c'est probablement la prochaine décennie, peut-être avant 2036. Mais dans le Grand Est, la population active est déjà en train de décliner.
En Ile-de-France, en Occitanie, ce sont des régions avec encore un dynamisme plus important. Mais ça crée aussi des tensions entre les territoires.
Nicolas Lagrange
La situation est assez disparate entre les grandes métropoles qui ne verront pas leur population active diminuer, par rapport aux populations rurales.
Maxime Sbaihi
Quand vous regardez les taux de natalité, oui, il y a un écart énorme. Il y a oui, cet effet de concentration des bassins d'emplois qui fait que les jeunes viennent dans les grandes villes et faire des enfants. Un tiers des départements français est déjà en décroissance démographique. On bascule lentement dans la croissance démographique, c'est la composition de la population qui va changer, on va être de plus en plus vieux, avec de plus en plus de personnes âgées, de moins en moins de bébés et de jeunes.
Ça crée des tensions aussi sur le marché du travail.
Quand on fait la somme entre les départs (en orange) à la retraite, et les jeunes débutants (en rouge), qui sont formés, qualifiés pour prendre la place des départs, et on ajoute des estimations/créations/destructions nettes d'emploi. Le déséquilibre est énorme. Vous n'avez pas assez de jeunes pour remplacer les départs pour les agents d'entretien par exemple. Bien sûr, il y a les questions d'orientation, de formation, du système d'éducation français, il y a des choses à revoir.
Nicolas Lagrange
Pour bien comprendre cette diapositive, de DARES France Stratégie, on prend les 462 000 départs à la retraite, on déduit les 160 000 jeunes, ça donne les 300 000 besoins de recrutement non couverts si rien n'est fait.
Maxime Sbaihi
Oui, c'est ça. Ça permet de voir certains déséquilibres. Certains sont couverts, d'autres pas du tout.
La différence au niveau national, c'est 100 000 personnes.
Il y a beaucoup d'hypothèses qui entrent en jeu, comme la politique migratoire, donc on n'a pas encore les réponses.
Pour l'instant, on arrive à compenser par la migration. Dans les prochaines décennies, ce ne sera pas le cas.
Il y a déjà des secteurs en tension, comme les services à la personne. Aujourd'hui, on manque d'auxiliaires de puériculture dans les crèches, de médecins dans les campagnes, de chaudronniers dans les usines.
Souvent, la réaction, c'est de dire: je n'ai plus de candidatures car les jeunes ne veulent plus travailler. Ce n'est pas vrai, c'est parce qu'il y a moins de jeunes qu'avant.
Les entreprises sont prises en étau.
Nicolas Lagrange
Cela pose beaucoup d'enjeux en termes de promotion, de formation continue, et de reconversion.
Vincent Touzé, le taux d'emploi des salariés de plus de 50 ans est en moyenne plus faible en France. Finalement, n'est-il pas corrélé à une pression démographique qui est plus faible en France qu'ailleurs, compte tenu du taux de fécondité qui baisse en France, mais qui est supérieur à la moyenne européenne?
Vincent Touzé
En France, on a un meilleur dynamisme démographique par rapport à l'Italie par exemple. L'Allemagne est très en avance. Sur les pays nordiques, certains ont des taux de fécondité qui sont très en avance, même s'ils n'ont rien à envier à la France en termes de démographie.
On ne peut pas réduire ça à une pure différence de fécondité.
Nicolas Lagrange
En France, si on zoome sur les caractéristiques principales des salariés de 55-64 ans, et notoirement sur les 60-64 ans, que pouvez-dire des différences des taux d'emploi avec un comparatif hommes/femmes ?
Vincent Touzé
En Europe, on a des différences en niveau.
C'est important de comprendre les mouvements. En Europe, le mouvement, on le compare... La variation du taux d'activité, c'est en horizontal: en Europe, les taux d'activité, ça va d'un peu moins de dix points pour la Suède pour les hommes, à plus de 30 points pour les femmes aux Pays Bas. Cette pression est liée au système de réforme des retraites qui consiste à travailler plus longtemps, et il y a un mouvement qui fait que les femmes ont un taux d'activité plus élevé, et 30 ans, 40 ans plus tard, on va les retrouver encore sur le marché du travail.
On observe que cette pression sur le taux d'activité, il faut que les gens soient employés, ça peut aussi conduire à une hausse du taux de chômage.
En moyenne, dans les pays de notre étude, la hausse d'activité, c'est associé à une élévation du taux de chômage sur la tranche 55-64 ans. Cette pression sur le marché du travail des seniors, certes, il y a un taux d'emploi plus élevé, mais il y a plutôt une hausse. Mais ce n'est pas universel. Il y a des pays qui ont bien réussi. En France, on n'est pas loin de zéro, c'est pas mal, comme la Belgique, l'Autriche par exemple, les Pays Bas. L'Allemagne, eux, il y a moins de pression d'entrée sur le marché du travail pour les jeunes.
Cette hausse massive du taux d'activité, c'est des baisses du taux de chômage de plus de 5 points pour les hommes et 6 points pour les femmes.
Nicolas Lagrange
On n'est pas mal en France, en tendance, mais pas en valeur absolue.
Vincent Touzé
On part de loin aussi. Toutes les politiques conduites, et la volonté des travailleurs de rester plus longtemps dans leur travail, car ils ont compris que le travail est rémunérateur, qu'on peut réaliser quelques problèmes existentiels aussi dans le travail, c'est un effort qui a porté ses fruits. On est vraiment dans la bonne pratique européenne, on a encore des belles marges de manœuvre.
Nicolas Lagrange
Il y a beaucoup de sujets qui font débat en matière de taux d'activité, beaucoup de sujets autour de l'âge légal de départ à la retraite. Mais il y a un levier financier assez considérable dès lors qu'on parviendrait à élever le taux d'emploi des salariés de plus de 55 ans, notamment plus de 60 ans.
Maxime Sbaihi
Il n'y a que du gagnant à faire ça. D'un point de vue budgétaire, un taux d'emploi plus élevé, c'est des cotisations qui rentrent, et sur l'emploi des seniors, c'est des pensions en moins à payer, dans l'immédiat. Ça permet de faire monter les recettes et de modérer les dépenses.
Si la France avait même taux d'emploi que l'Allemagne, avec la même structure de travail, on aurait 20 milliards de recettes fiscales en plus à la fin de l'année. Je rappelle que le déficit de la Sécu, c'est 15 milliards.
Quand vous avez...
Nicolas Lagrange
Et si on ajoute une égalité professionnelle, l'équation est encore plus...
Maxime Sbaihi
Oui, on est encore plus gagnant.
Cela montre qu'on ne travaille pas assez collectivement, pas assez longtemps, et pas assez en tant que société.
On parlait de la baisse de la population active, il n'y a pas 10 000 leviers pour pallier ça. Il y a la productivité. Aujourd'hui, la productivité du travail en France est très basse. On a pris beaucoup de retard par rapport à nos voisins. L'autre solution, c'est de faire augmenter les taux d'emploi et les taux d'activité, ce que la France a réussi à faire, c'est rattrapé. On a quand même réussi à rattraper le retard.
Dernier point : c'est travailler plus longtemps dans la vie. Ça, on voit quand même... C'est ce qu'on appelle, en économie,...
Quand vous repoussez la perspective d'une retraite par les moyens, par les mécanismes de marché du travail, par la législation, vous changez aussi les mentalités, les comportements, des employés et aussi des employeurs.
Concrètement, j'ai travaillé dans cinq milieux différents, il n'y a qu'en France qu'on estime que les quinquagénaires sont des retraités. Car on part tôt.
Il y a cette espèce d'horizon, très politisé d'ailleurs, Mitterrand en 80, on revient à peine de ça. Pour les 55-64 ans, on retrouve le même taux d'emploi qu'en 75.
En fait, on s'est un peu trompé de direction par rapport à la démographie, on a pris du retard. Il y a des marges de manoeuvre aujourd'hui, on peut encore activer les leviers. On n'est pas du tout à la ramasse par rapport à certains pays, qui ont activé cela, et qui sont déjà en décroissance démographique.
Nicolas Lagrange
Avec un vrai enjeu de faire évoluer les représentations, sociétaux, aussi bien dans le grand public que dans les entreprises, et parfois chez les salariés expérimentés eux-mêmes.
Maxime Sbaihi
Si vous estimez à 55 ans qu'il vous reste 4 ans, finalement, quel intérêt pour vous-même de vous projeter ? Quel intérêt pour l'employeur d'investir dans la formation ?
Cet effet horizon est important des deux côtés. Ce n'est pas seulement d'un point de vue moral de dire que les plus de 50 ans, il faut les chouchouter en entreprise, c'est un impératif économique dicté par une réalité démographique.
Ce n'est pas un luxe les plus de 55 ans. Beaucoup d'entreprises regrettent d'en avoir fait partir trop tôt, d'avoir fait partir les compétences, le savoir-faire.
Quand vous regardez les enquêtes de l'INSEE, sur l'emploi, les retraités qui travaillent continuent de travailler car ils aiment travailler. Un tiers, c'est pour des raisons financières, et l'autre tiers dit que c'est parce qu'il en a besoin.
La retraite progressive va être mise en place, et aussi l'activité des retraités pour ceux qui veulent travailler. C'est une question de stratégie, de marketing pour les entreprises de considérer que les plus de 50 ans, aujourd'hui, c'est le gros de la population active.
C'est eux qui doivent être chouchoutés, car le jour où ils partent, on finit par les regretter.
Nicolas Lagrange
16 % des 55-69 ans ne sont ni emploi ni à la retraite. 17 % sont en recherche d'emploi.
Et d'autres sont en incapacité de travailler pour des raisons de santé ou incapacités.
Vincent Touzé
Le défi de maintenir ces seniors dans l'emploi se heurte aussi à des questions liées à la pénibilité et des problèmes de santé qui peuvent être croissants avec l'âge. Toujours est-il que la proportion de seniors en parfaite santé qui ont fait de la formation, qui aiment leur travail, qui souhaitent travailler plus longtemps dans de bonnes conditions, ils sont nombreux. Ils ont anticipé aussi que le système de retraite va être moins généreux.
On le voit.
Le niveau de vie des retraités supérieur à celui des actifs, ça va baisser. Pour maintenir un revenu décent après 60 ans, il y a intérêt à travailler plus longtemps, à réinvestir dans son capital humain, à faire plus attention à sa santé.
Sur ce dernier graphique, c'est une façon de comparer. En horizontal, l'indice des conditions de travail: on mesure les gens qui déclarent porter des charges lourdes par exemple.
C'est un indicateur de sorte de pénibilité, de perception de l'environnement.
En France, le score n'est pas bon. Les pays qui ont réussi sont quand même plutôt des pays où les personnes, quand elles répondent, ont des scores plus faibles. Donc il y a une vraie question, sur : travailler, mais dans quelles conditions ?
Il y a des enseignants qui disaient: je veux bien travailler, mais pas dans ces conditions.
Les conditions, c'est un élément clé pour encourager les personnes à travailler plus longtemps.
Nicolas Lagrange
On aura l'occasion de creuser les différents enjeux soulevés. Merci à vous deux pour vos éclairages. Merci.
On a commencé à parler d'évolution du taux d'emploi des salariés de plus de 50 ans, à regarder les caractéristiques qui affectent plus particulièrement les femmes. On va approfondir, nouvelle séquence avec un focus sur les femmes de plus de 50 ans, avec Isabelle Moreau.
Isabelle Moreau
On a vu rapidement la situation des femmes expérimentées.
J'invite Sophie Fenot et Florence Chappert.
Bonjour.
La Ministre l'a dit : la situation des femmes expérimentées est plus particulière par rapport à celle des hommes.
Florence Chappert, vous êtes corapporteure du rapport paru en 2019, et vous avez été récemment auditionnée par une députée dans le cadre de son rapport pour lever le tabou la ménopause.
Pouvez-vous nous dresser un panorama des femmes 50 ans + .
Florence Chappert
Bonjour.
Je ne serai pas exhaustive. Mais à l'ANACT, il y a 15 ans, quand on travaillait sur la gestion des âges, nous avions constaté que la question des femmes et des hommes était absente.
On ne peut que constater aujourd'hui, mais c'est en train de changer, on déplore le fait qu'il y a peu de travaux qui croisent les dimensions de sexe et d'âge.
Pour compléter, en matière d'emploi, aujourd'hui, d'après la dernière enquête de la DARES, en 2023, parmi les 55-64 ans, les taux d'emploi et d'activité des femmes sont quand même légèrement inférieurs à ceux des hommes, de moins de 3 points.
Mais point remarquable, le taux d'emploi des femmes seniors est dans la moyenne européenne alors que celui des hommes seniors est inférieur de plus de dix points. Donc il y a eu une progression très importante pour les femmes. Ce qui est plutôt une bonne chose. Mais ces travailleuses expérimentées sont davantage en temps partiel, en situation de sous-emploi, temps partiel subi le plus souvent, et avec une grande précarité, donc des emplois moins stables.
On retrouve deux tiers des femmes dans les secteurs d'activité qui ont été présentés dans la diapositive des métiers en 2030, c'est-à-dire concentrés sur le secteur du soin, aide à la personne, gardiennage-nettoyage, secrétariat, saisie, comptabilité, vendeuse.
Cette ségrégation des emplois selon le sexe est accentuée dans la dernière partie de la vie professionnelle. Dans cette partie, les femmes ont une palette de métiers et d'emplois moins importante qu'en début de vie professionnelle.
En matière de conditions de travail, un point important: il y a une corrélation très forte entre les conditions de travail et la capacité des personnes à rester en activité.
Les femmes ont plus que les hommes le sentiment d'insoutenabilité au travail, c'est-à-dire de ne pas pouvoir rester au travail dans le même poste jusqu'à la retraite.
Isabelle Moreau
Vous avez des exemples ?
Florence Chappert
Justement. Certaines conditions de travail accélèrent ce processus de difficulté à rester au travail, à vieillir au travail. En fin de carrière, les femmes sont autant exposées à ces contraintes de travail dans lesquelles il est difficile de rester. Par exemple rester longtemps dans une posture fatigante, pénible, porter des charges lourdes. Les femmes, ce sont des personnes... mais encore des contraintes sociales, être exposé à des contraintes en termes de rythme, travailler dans l'urgence, être exposé à des changements organisationnels fréquents.
Isabelle Moreau
Par exemple les caissières de supermarché, qui ne choisissent pas leurs horaires.
Florence Chappert
Ce sont tous les métiers en contact direct avec le public.
On peut se poser des questions sur l'évolution du compte professionnel de pénibilité. 25 % des femmes sont concernées. Du coup, il faudrait réfléchir à d'autres critère des pénibilité qui concernent les métiers à prédominance féminine.
J'ajoute qu'en matière de sinistralité, on a très peu de données qui croisent sexe et âge.
A 60 ans, une femme a autant de risques qu'un homme d'avoir un accident de travail.
Isabelle Moreau
Ce n'est pas encore trop documenté ?
Florence Chappert
On manque encore d'éléments sur les maladies professionnelles. Aujourd'hui, il faut regarder les maladies à caractère professionnel dont les troubles musculosquelettiques. Il faut aussi regarder la souffrance psychique. Et regarder aussi le risque à la discrimination, l'âgisme, qui impacte plus les femmes que les hommes.
Isabelle Moreau
Avec les questions de représentation homme-femme qui sont différentes aujourd'hui.
Sophie Fenot, vous accompagnez les femmes de 50 ans et plus. Quelles sont les difficultés auxquelles elles sont confrontées aujourd'hui ?
Sophie Fenot
On accompagne les femmes de plus de 45 ans, mais la moyenne est 53 ans, car la vraie bascule qui change tout, c'est le passage des 50 ans, c'est ce qu'on constate sur cette population de femmes plutôt formées, diplômées, de bac+4 à bac+5 à Paris, en moyenne, et bac+2, bac+3 en province. On les retrouve moins dans des secteurs comme la finance, dans des métiers proches du cashflow, qui permettent une sécurité dans l'emploi plus longue, et qui sont un tremplin pour celles qui voudraient entreprendre.
Par exemple, pour expliquer celles qui poussent la porte de Force Femme, quand il y a une rupture professionnelle, un licenciement, un licenciement économique etc., c'est souvent la première fois que ça leur arrive, et il n'y a pas forcément de grandes entreprises à côté. A partir de là, bouger, ce n'est pas simple parce qu'elles ont souvent encore leurs enfants qui n'ont pas encore intégré le marché d'emploi, et elles sont aidantes de leurs parents. Car les femmes sont plus souvent aidantes familiales que les hommes. Elles n'ont pas cherché d'emploi depuis longtemps, le marché a changé. Se vendre sur LinkedIn, pitcher son parcours, ce sont des codes qu'il faut entièrement réapprendre. Côté entreprise, elles sont perçues comme trop âgées, ce qui veut dire pas assez flexibles, pas assez rapides, pas à l'aise avec le numérique.
Isabelle Moreau
Vous l'avez beaucoup soulignée, cette perception négative des femmes techno-exclues.
Sophie Fenot
Et elles intègrent ce préjugé, alors qu'elles savent s'en servir dans le quotidien.
La question qui se pose en entreprise, c'est : comment les intégrer dans une équipe plus jeune ? Comment un manager de 30 ans va manager cette femme senior ?
Ces stéréotypes-là sont plus forts quand on parle d'une femme, car dans la société, l'âge pour une femme, c'est moins valorisé socialement, elles sont invisibilisées dans les médias, la publicité. Et les entreprises ne font que refléter cette image. C'est ce qui fait qu'une femme senior met trois fois plus de temps à retrouver un emploi durable qu'un homme.
Pour autant, quand elles commencent à chercher, elles sont persuadées que leur expérience va parler pour elles. D'ailleurs, elles ont des entretiens, car la volonté est là des deux côtés. Mais ce ne sont jamais elles qui sont retenues, ce sont toujours des plus jeunes. Ce qu'on a en visibilité, c'est que la volonté est là chez les RH, mais en suite, c'est au niveau des entretiens opérationnels, des managers, et aussi parce qu'ils n'ont pas les outils et la formation pour se sentir à l'aise pour les intégrer dans leurs équipes. Donc c'est cette perte de confiance. Et dernier point : l'isolement. Quand on perd son emploi, c'est tout un réseau qu'on perd, personnel et professionnel. Les femmes sont quand même moins investies dans les réseaux professionnels que les hommes, donc ce sentiment de solitude est la première raison qui les font pousser la porte de Force Femme.
Isabelle Moreau
Merci pour ce tableau, pas très joyeux, mais qui reflète la situation qu'on connaît aujourd'hui.
Florence Chappert, vous allez enfoncer le clou sur les trois sujets qui aggravent la situation aujourd'hui des femmes seniors au travail: l'usure professionnelle, l'activité d'aidance des parents qui touche particulièrement les femmes, et surtout la question de la ménopause.
Pouvez-vous en dire plus ? Et surtout ce que vous pourriez recommander aux entreprises ?
Florence Chappert
Sur l'usure professionnelle, il y aura une table ronde sur ce sujet, donc je ne vais pas m'attarder. Ce n'est pas l'âge qui est prédictif de la capacité à rester dans son travail, c'est lié aux conditions de travail dans lesquelles on est, et aussi à la question des parcours professionnels, qui sont différents pour les hommes et les femmes, particulièrement en fin de carrière. Car cela s'accentue avec l'âge.
Ce qu'ont démontré des chercheuses, c'est que les femmes ont moins de possibilité en fin de carrière de s'extraire de conditions de travail difficiles, alors qu'elles ont moins de marge de manœuvre pour s'adapter, s'organiser, car elles sont dans des métiers moins qualifiés, plus en bas de l'échelle, et moins de possibilités de quitter l'emploi.
Par ailleurs, elles ont moins de possibilités de coopération et d'apprentissage dans les métiers dans lesquels elles sont. Donc elles sont bloquées. D'où cette surexposition à l'usure professionnelle.
Concernant l'aidance, j'ai eu beaucoup de mal à trouver des données qui croisaient à la fois le sexe et l'âge.
La DREES nous dit que les proches aidants sont en moins bonne santé que la population générale. Or, les aidants sont majoritairement... Dans les études, il y a une légère sur-représentation des aidants par rapport aux femmes, mais si on regarde le contenu de l'aidant, on retrouve les femmes en majorité dans des tâches plus difficiles, dans des activités domestiques, un suivi médical, la toilette et l'habillage qui sont plus difficiles pour les femmes, même s'il y a quand même des hommes aidants.
Le rapport regrette que, sur les débats sur l'emploi des seniors, il y ait une impasse sur cette question de la ménopause, qui fait partie non pas des différences sociales, mais de cette question des différences biologiques. On prend en compte la question de la grossesse, pourquoi ne pas prendre en compte la ménopause. Toutes les femmes n'ont pas des symptômes très sévères, un quart des femmes, c'est quand même pas mal. La Grande Bretagne a développé des dispositifs actifs depuis le Brexit. Les études montrent que ce sujet doit sortir du tabou. Il y a un impact, les symptômes sont peu connus, il y a un impact sur le fait de travailler, et il y a aussi certaines conditions de travail qui aggravent ces symptômes: des tenues professionnelles en synthétique, la chaleur, le travail de nuit, le stress etc.
D'où le fait que les femmes mettent en place des stratégies invisibles pour compenser le fait qu'elles n'arrivent pas à faire leur travail en journée, ou ça se traduit par de l'absentéisme, surtout du passage à temps partiel, voire un départ de l'emploi.
En France, auprès d'entreprises et de collectivités, on a vu la mise en place de congés notamment dans une approche congé gynécologique menstruel. Ce que nous apprennent les autres pays, c'est d'avoir une approche beaucoup plus globale d'accompagnement des femmes, des seniors et plutôt d'intégrer ce sujet pleinement dans les démarches d'accompagnement et d'amélioration des conditions de travail des seniors. C'est le levier sur lequel on insiste à l'ANACT : agir sur le poste de travail, sur l'activité de travail. On ne met pas au guichet une femme qui a besoin d'aller régulièrement aux toilettes pour des problèmes urinaires. Et agir sur le rythme: flexibilité des horaires, pauses, télétravail etc.
Isabelle Moreau
Sophie Fenot, quel type d'accompagnement vous proposez aux femmes 50 ans et + ?
Il y en a beaucoup qui font des sacrifices, qui acceptent des emplois pas à la hauteur de leurs compétences ?
Sophie Fenot
On agit sur deux leviers clés : la confiance en soi, et des outils concrets pour retrouver un emploi.
On a des ateliers collectifs, dispensés par des bénévoles et experts de leurs métiers, qui les accompagnent individuellement, et surtout en collectif, car le collectif, ça change tout, ça permet d'être en lien, et de se rendre compte qu'elles ne sont pas le problème, que d'autres sont confrontées aux mêmes problèmes. On agit aussi auprès des entreprises. On essaie de créer des passerelles entre ces femmes et ces entreprises, des journées dédiées avec des entretiens d'embauche inversés par exemple.
Et l'idée est de faire changer le regard des deux côtés, du côté des femmes pour se sentir légitimes et attendues, et du côté des entreprises pour changer de regard sur le parcours de ces femmes, et faire bouger les lignes des deux côtés.
Nos bénévoles accompagnent environ trois femmes. L'expertise fonctionne. Près d'une femme sur deux retrouve un emploi, même si c'est trop souvent des emplois en dessous de leurs compétences ou de leurs salaires. pour la création d'entreprise, elles sont 30 % à y aller, soit pour se réinventer en fin de carrière, soit parce que le marché de l'emploi ne leur a pas laissé la place. Notre rôle est de leur ouvrir d'autres horizons que le care, et de les outiller pour avoir une rémunération suffisante et une retraite digne.
Isabelle Moreau
Merci à toutes les deux. Le temps est toujours très court, malheureusement.
Nicolas Lagrange
Merci à vous.
De quelle manière les entreprises françaises, les grandes entreprises implantées à l'international perçoivent-elles et appréhendent-elles le recrutement des 50 ans et plus. Une séquence animée par Florence Bonnevay à suivre.
Bonjour, Florence.
Florence Bonnevay
J'appelle quatre grands experts du sujet, dont trois DRH de grands groupes internationaux.
Karima Silvent, Stéphane Dubois, Dominique Laurent, Jean-Christophe Sciberras.
Je vous présente brièvement.
Karima Silvent, du groupe AXA, votre groupe opère dans 50 pays.
Bonjour. Bienvenue.
Stéphane Dubois, directeur des ressources humaines groupe Safran. Votre groupe comprend plus de 100 000 salariés. Plus de la moitié des effectifs est en France.
Dominique Laurent, votre entreprise est le leader de la transformation digitale de la gestion de l'énergie et des automatismes. Il est présent dans plus de cent pays. Plus de 15 000 collaborateurs en France.
Jean-Christophe Sciberras, vous êtes expert reconnu du dialogue social. Vous avez de nombreux succès de transformation RH.
Le Global Deal, vous allez pouvoir nous en parler en présentant ce matin le résultat de la dernière enquête internationale qui concerne les travailleurs expérimentés dans six pays dans des situations relativement comparables à la France.
Jean-Christophe Sciberras
Bonjour Madame la Ministre, bonjour à toutes et à tous.
Le Global Deal est une initiative lancée par la Suède, qui vise à promouvoir un dialogue social responsable et montrer que c'est possible.
Ce réseau fonctionne depuis maintenant huit ans.
Vous voyez les entreprises qui sont là : une trentaine de multinationales, dont les trois représentées sur la scène, cinq confédérations syndicales de salariés et les partenaires internationaux, l'OCDE, l'OIT, et Global Compact.
Ce que nous avons réalisé pour cet évènement, c'est de travailler avec les entreprises du réseau du Global Deal en essayant de faire un travail de comparaison, à organisations du travail comparables. On a demandé à six pays de donner des éléments sur le taux d'emploi des salariés expérimentés, par âge, sur le taux de recrutement, sur les taux d'engagement etc.
Il y avait un questionnaire quantitatif et qualitatif. On a eu un travail avec des entreprises qui ont bien voulu commencer à regarder les résultats et à en tirer quelques enseignements.
Les principaux enseignements, quand on compare l'emploi des salariés expérimentés en France, on retrouve, sans surprise, que le vrai décrochage de la France par rapport aux autres pays, c'est à partir de 60 ans qu'il apparaît. Là, le décrochage est très fort. Il n'est pas tout à fait le même selon le secteur professionnel, mais ça peut être frappant. On est dans des ratios de 1 à 3. Il y a des pays, dans la même entreprise, 17 % des salariés ont plus de 60 ans, là où on est à 56 %.
Tout ça dans la même entreprise, avec des conditions de travail, de production industrielle identiques.
Qu'est-ce qui qu'il y a des différences ? Des facteurs externes sont mentionnés: les conditions légales du départ à la retraite, quand il y a des lois dans ce domaine, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis par exemple.
Le taux de remplacement, plus il est bas, plus on pense que ça va intensifier le travail.
Quand la retraite est précédée d'une période de chômage, le niveau d'allocations de chômage a un effet sur le comportement du travail.
Et la pénurie de main-d’œuvre: selon les pays, ça peut varier de façon importante.
Les seniors sont plus ou moins engagés. Toutes les entreprises, la plupart ont des enquêtes mondiales d'engagement, ça s'est beaucoup développé, les salariés sont interrogés chaque année. On en déduit un taux d'engagement, dans la motivation. Au fond, il n'y a pas de véritable différence. Parfois dans un sens, parfois dans l'autre. On ne peut pas dire que les seniors soient moins engagés que ceux qui le sont moins.
En cas de restructuration, d'adaptation des effectifs, y a-t-il des différences entre la France et les autres pays? La réponse est non. Tous les pays disent: quand on a des questions d'ajustement, il se trouve que, même si ce n'est pas une volonté, au bout du bout, il y a un impact plus important de la part des salariés seniors. De ce point de vue, la France ne bat pas plus sa coulpe que les autres pays.
La question du temps partiel senior, on ne le retrouve pas dans tous les pays. On a des choses extrêmement installées dans certains pays, comme l'Allemagne.
La question de la pénibilité du travail. Ce qui revient, c'est qu'il y a une sensibilité particulière dans le dialogue social d'entreprise, plus en France que dans les autres pays, alors qu'on est dans des conditions de travail voisines.
Sur l'importance du dialogue social, on est très actifs en cette matière en France. Ce n'est pas nouveau. Ce sont les négociations senior par exemple, les différents accords, le dialogue social est plutôt structuré en France.
Phénomène puissant et important : sur la tendance à la généralisation de politiques en faveur des aidants et des politiques de suivi de la santé personnelle, notamment les visites médicales plus fréquentes, ce sont des choses que les entreprises du Global Deal développent. Ça ne vise pas que les seniors, mais ça les concerne plus que les autres.
Y a-t-il des best practices qui pourraient inspirer la France?
Peut-être une chose qui est plutôt neutre, c'est la question du temps partiel senior. Souvent, ce temps partiel précède la retraite. Donc il n'a pas d'effet sur le taux d'emploi, sauf s'il est conditionné à une poursuite d'activité au-delà de l'âge de la retraite, ce qui est tout à fait rarissime.
Le temps partiel senior qui marche le mieux, c'est celui qui est différencié: il y a une période de temps plein et une dispense d'activité, avec un salaire plus bas. Cette méthode très développée en Allemagne pose moins de questions sur l'organisation du travail.
Le dispositif emploi-retraite, il y a le Japon, la Corée, c'est standard: on propose une reprise d'emploi après la retraite aux seniors. Parfois, ça se combine avec un salaire pas du même niveau. De toute façon, au niveau statistique, ce sont des phénomènes tout à fait massifs qui peuvent se combiner avec des attentes de salariés à la retraite, de temps partiel, d'être rappelés mais dans le cadre d'un temps partiel.
Quatrième point : dans les entreprises, là où les politiques marchent, c'est quand il y a des ressources dédiées qui y sont consacrées. Là où il y a un correspondant senior. Là, on voit des véritables politiques globales s'installer. Il faut donc y consacrer quelque moyen et énergie.
Dernier aspect : la question de la discrimination à l'égard des seniors. Tous les pays disent: la discrimination n'est pas possible en vertu des législations à l'égard des âges. En réalité, la sensibilité au risque de la discrimination n'est pas la même. Aux Etats-Unis, les lois anti discrimination visent les salariés de 40 ans et plus. Il y a une extrême sensibilisation du risque, et les DRH répondent s'ils sont précautionneux. C'est quelque chose qui est moins sensible dans les autres pays. je vous remercie.
Florence Bonnevay
Merci beaucoup pour votre intervention.
Nous allons nous intéresser ce que font les 3 entreprises qui nous ont rejoints aujourd'hui. Chez AXA, quelle est l'origine de cette politique ?
Karima Silvent
Chez nous, la démarche s'est imposée à partir de 2021. La première préoccupation, c'est tout le travail que nous faisions sur la diversité et l'inclusion. Nous avons décidé de lancer une enquête, nous posions des questions à nos collaborateurs : avez-vous le sentiment d'avoir une égalité des chances? Avez-vous été victime d'un comportement non inclusif ? etc.
Ensuite, nous avions des questions d'autodétermination, les salariés pouvaient répondre sur leur âge, leur genre etc.
L'âge ressortait beaucoup dans les réponses.
A l'intérieur de cette enquête, on avait beaucoup de verbatims de collaborateurs, sur les sujets liés à l'âge, beaucoup de verbatims sur les stéréotypes, les comportements en entreprise.
En France, particulièrement, notre démarche première a consisté à commencer à regarder de près cette question. On a commencé à regarder la question des stéréotypes liés à l'âge.
Deuxième préoccupation, c'est la préoccupation industrielle, préoccupation démographique. On est profondément européens, 55 % de nos collaborateurs sont en Europe. On a 30 % de collaborateurs en Europe qui ont 50 ans. On a une moyenne d'âge... On a des transitions importantes sur des métiers critiques, pour l'assurance, notamment la souscription entreprise, ce sont des métiers d'expertise. On met 20 ans à construire une expertise en souscription. Dans ces pays, on a une transition où 30 % des collaborateurs ont plus de 50 ans. Du coup, ces préoccupations démographiques étaient très fortes pour nous.
Il y a la dimension du télétravail. Pour une entreprise comme la nôtre, qui recrute 16 000 personnes dans le monde, le fait d'avoir des collaborateurs aussi qui passent la moitié de leur temps au bureau, dans les métiers où la transmission se fait aussi en étant côte à côte, la transmission est une donnée supplémentaire. En 2021, on a eu une prise de conscience très forte, on a voulu agir, en passant d'abord par AXA France, puis dans une démarche européenne et mondiale.
Florence Bonnevay
Stéphane, chez Safran, vous avez mis en place une politique depuis un certain temps. Ça vient d'où ?
Stéphane Dubois
Il y a deux éléments importants dans l'origine. La première, c'est que, pour un acteur industriel, ce qui est fondamental, c'est l'expertise, la construction de la compétence dans le temps. Nous recrutons beaucoup, 18 000 personnes dans le monde par an, on a un changement opérationnel qui s'opère. Il faut, pour que cette compétence se transmette, qu'on l'organise. Donc un élément d'équilibre et de maintien des expertises.
Deuxième élément : l'anticipation. Si on traite la question de l'évolution dans l'entreprise des 60 ans, on arrive très vite en butée. Si on la traite en anticipation, vers 50 ans, avec la médecine du travail et avec les personnes, de façon très individualisée, en proposant des parcours de reconversion, ou de maintien des expertises, très customisées en fonction des personnes, cette question du passage était en fait une non-question.
Florence Bonnevay
Donc deux entreprises, deux mondes.
Dans le groupe Schneider Electric, on a beaucoup de visibilité. Les membres du COMEX sont très investis dans le sujet.
Comment s'est passée cette prise de conscience?
Dominique Laurent
Nous, ça a été la rencontre de plusieurs éléments. On n'a pas forcément fait porter le sujet des salariés expérimentés, que nous, nous appelons les seniors. Faisons attention aux mots. Je veux bien qu'on change les mots. Les Etats-Unis sont en train d'en mourir de ces histoires de mots. Un senior peut être un senior, je n'ai pas de problème à l'appeler senior.
Coagulation de différentes problématiques, ça a été porté par la direction de la diversité et la direction de la citoyenneté.
On considérait que c'était un enjeu sociétal. Schneider Electric a toujours été engagée sur les enjeux de développement durable.
On a cinq générations qui cohabitent chez Schneider Electric, les Y, les X etc.
Donc c'est quelque chose qui est important, l'intergénérationnalité, et dans tous les pays. Chaque pays a sa problématique différente.
Une des caractéristiques, c'est d'être l'entreprise la plus globalisée. C'est 10 % des effectifs totaux du groupe. Chaque pays, sa problématique particulière sur les seniors ou sur les salariés expérimentés.
Florence Bonnevay
Pouvez-vous nous parler de l'intention de cette politique globale ?
Dominique Laurent
Nous, on a fait les mêmes enquêtes, pour comprendre les problématiques attachées à cela, les stéréotypes. On a souhaité véritablement identifier les personae. De dire: finalement, il y a plusieurs types de seniors. On a voulu identifier quatre personae. A chacun de ces personae, on a souhaité... J'ai amené ça, ça marche toujours quand je montre ça. Ce n'est pas les tarifs douaniers...!
C'est une notre master slide, auquel je suis le plus attaché, c'est le slide de la piscine, car il y a des couloirs de nage.
A chacun de ces personae, on y associe des mesures, qui ne sont pas exclusives. Ce n'est pas parce que je suis Claire que je n'ai accès qu'à ces dispositifs, je peux avoir accès aux autres dispositifs également.
Je vais avoir des mesures qui vont bénéficier à tout un chacun.
On ne souhaite pas catégoriser les collaborateurs, mais les inviter à travers cette grille de lecture à se reconnaître pour avoir des discussions constructives, essentiellement avec le manager, plus qu'avec la fonction RH. Car les collaborateurs disent que c'est important de discuter avec le manager, plus qu'avec le RH.
C'est de discuter de ces dispositifs, de les faire connaître.
Et ça, cette démarche-là est structurante. On ne l'a pas développée avec la même finesse dans tous les pays, mais en France, on a développé cette approche qui fonctionne plutôt très bien.
Florence Bonnevay
On en reparlera. Merci.
C'est une bonne idée, car finalement, à force d'enfermer les gens dans des stéréotypes, ils finissent par croire qu'ils sont hors du jeu.
Dominique Laurent
C'est dire quel senior je veux être sur les 10, 5 dernières années de ma carrière.
Florence Bonnevay
Merci.
Sur cette dimension globale et internationale, Karima Silvent, comment ça se passe chez AXA, comme le sujet des 50+... J'aime bien ce terme-là aussi... Comment ça a été traité ?
Karima Silvent
D'abord la France, en France, en fait, on n'a pas fait de personae, mais on a essayé de libérer la parole. C'est important que les personnes parlent. On a initié cette campagne L'audace n'a pas d'âge, avec des podcasts, pour montrer que l'audace n'a pas d'âge à travers des personnalités externes, et aussi des salariés en interne qui ont témoigné.
La première conférence a accueilli 2500 personnes avec un nombre de commentaires considérable et de questions considérables avec un sentiment de soulagement, car enfin, on mettait le sujet sur la table. Le sentiment de soulagement émanait des salariés de plus de 50 ans et aussi des salariés plus jeunes qui avaient aussi la préoccupation de savoir ce qui se passe une fois passé ce cap.
La France a joué ce rôle de porte-avion en mettant en place cette démarche, et en regardant de près ce qu'est une politique RH inclusive sur l'âge : comment on regarde la promotion, le recrutement. Car il faut le mesurer. Toutes les directions de RH ne sont pas équipées pour ça.
A partir de là, on a porté le sujet au niveau européen, on a discuté avec nos partenaires sociaux et on a signé une charte similaire à celle du Club Landoy pour faire de cette démarche une démarche européenne et une démarche globale. Et on a commencé à travailler dans d'autres pays en Europe. Ce qui a beaucoup compté, c'est l'engagement des dirigeants. Chez nous, la démarche est portée par nos directeurs généraux, qui implantent ça dans les pays européens.
Cela consiste à travailler sur les stéréotypes, à regarder de près l'outillage RH, former les équipes RH. Il ne faut pas croire que toutes les équipes RH sont équipées. Il y a des dimensions sur lesquelles il faut se former.
Dernier point : en parallèle, nous avons fait le choix d'avoir des politiques mondiales sur deux ou trois sujets structurants : la santé. Nous avons déployé une politique mondiale de santé avec des bilans santé applicables dans les 51 pays à partir de 40 ans, tous les trois ans. C'est fondamental pour toutes les générations.
On a mis en place une politique aidants au niveau mondial, qui est extrêmement plébiscitée. Statistiquement, on voit que 66 % des femmes prennent les congés aidants qu'on a mis en place.
Cette politique sur les salariés expérimentés, sur les salariés seniors a été mise en place au niveau global, car on a estimé que tout cela ne faisait qu'un tout, que tous les sujets étaient extrêmement liés. Certaines entités sont très avancées, certaines au début de l'histoire, mais ça a été important de donner une batterie d'outils et de montrer une direction qui est la même au sein du groupe.
Florence Bonnevay
Il y a un pays qui vous a étonnée dans la mise en place de ces mesures ?
Karima Silvent
La France a fait un truc dingue.
En dehors de ça, c'est l'Italie qui a une situation démographique particulière. Ils ont pris le temps de faire cette analyse démographique et de construire leur démarche de façon très approfondie. Il y a un vrai engagement de l'équipe dirigeante dans le fait de mettre en oeuvre une politique très complexe. Je trouve que c'est là où cette politique s'incarne le mieux.
L'Allemagne aussi a démarré. En Allemagne, nous avions une réalité où nous avions fait partir pas mal d'experts en pré-retraite, et aujourd'hui, on réenclenche une démarche beaucoup autour de la transmission, du mentoring, du reverse mentoring qui est très belle.
Florence Bonnevay
Stéphane, on parlait de porter l'engagement au plus haut. A l'international, comme en France, votre groupe a mis en place un certain nombre de mesures. Comment ça s'articule au niveau international ?
Quels sont les pays où les enjeux sont les plus importants pour votre groupe ?
Stéphane Dubois
Là où on peut voir des pratiques qui sont non homogènes, c'est là où on a des pyramides des âges déséquilibrées. Première des choses, c'est demander à l'ensemble des équipes RH et des patrons de business de gérer leur pyramide des âges. Et ce n'est pas forcément naturel.
On a essayé de proposer un équilibre de trois tiers.
Un tiers entre 25 et 35 ans. Un deuxième entre 35 et 50 ans. et un troisième, le reste.
Tout le monde est à égale proportion dans l'entreprise, ça permet une transmission. Lorsque la pyramide des âges ne ressemble pas à ça, il faut y arriver artificiellement en recrutant plus de personnes âgées par exemple, ou telles autres catégories.
Encore une fois, il n'y a pas de durabilité d'une entreprise sans une vraie durabilité de ses compétences et la façon dont on organise la transmission des informations dans l'entreprise.
La valeur ajoutée vient de la capacité à créer de la compétence.
C'est quelque chose qu'on oublie ou qu'on n'organise pas. On a développé des écoles de production pour pallier ce qu'on ne trouve pas dans la formation primaire. On l'a compensée avec des choses différentes.
Aux Etats-Unis, vous avez des questions différentes liées à des questions de subsistance pour des personnes qui vont avoir accès à leur retraite ou non, au-delà de 60 ans. C'est un système très affecté aujourd'hui par le système de cours des bourses. Donc il y a des personnes qui décident de ne pas partir à la retraite car elles ne peuvent pas assurer leur niveau de subsistance comme elles le souhaitaient.
C'est protéger les collaborateurs en anticipation de leur retraite, et ça se fait des années en avance.
Chez les Chinois, la pyramide des âges s'amoindrit de façon dramatique. C'est pourquoi l'Inde se développe autant.
Il y a des stratégies industrielles d'investissement qui vont être fondées sur cette pyramide des âges. A partir du moment où on perd l'équilibre démographique, on perd une partie de souveraineté des compétences.
Florence Bonnevay
Vous avez été une des premières entreprises à avoir signé un accord intéressant qui reprend les éléments de transmission de compétences, de préoccupation démographique. Pouvez-vous en dire un mot ?
Stéphane Dubois
En effet, il y a une espèce de paradoxe de voir autant de monde dans la rue et d'avoir obtenu une unanimité complète de nos syndicats sur cet accord. La caractéristique, c'est d'arriver à travailler sur cette notion d'anticipation, de pouvoir se dire que, en effet, on offre un choix de possibilités qui correspond à ce que Dominique a décrit: si on prend le temps avec les services médicaux d'anticiper, de proposer des bilans médicaux... On a systématisé le check-up à partir de 50 ans... Ça permet aussi de s'intéresser à son bilan médical, savoir où on en est. Tous ces éléments- là, si vous en faites une synthèse professionnelle, les personnes font des choix: certaines vont continuer, certaines attendent de l'entreprise d'apporter une réponse. Si on prend le temps de cette réponse, on arrive à quelque chose de constructif.
A 60 ans, on peut faire la même chose que n'importe qui. C'est une aberration complète de vouloir faire une ségrégation sur ce sujet. Donc le dire, c'est déjà fondamental. Le second élément, c'est de l'organiser.
C'est là où le dialogue social est essentiel. Si on pose les choses, on arrive à le faire correctement.
Et ça a amené à ce paradoxe. Un certain nombre d'éléments de cet accord est repris dans l'ANI aujourd'hui.
Florence Bonnevay
Ce qui ne se mesure pas n'existe pas.
Vous, Dominique, vous avez discuté avec vos partenaires sociaux sur le suivi des mesures ?
Dominique Laurent
Pour une fois, sur ce sujet, on s'est dit: on ne fera pas d'accord, car tous les dispositifs existent dans l'entreprise.
Et souvent, c'est la direction qui bosse, les organisations syndicales en face, c'est : j'aime, j'aime pas ! On s'est dit : on va vous faire bosser pour une fois. On a mis les OS dans une salle, c'était un moment très sympa, on a dit : on relève les copies dans 15 jours.
Il y a cinq sujets, et vous revenez avec les KPI, les indicateurs que vous souhaitez que la direction suive à l'avenir.
En revanche, on leur a dit : vous n'inventez pas des indicateurs qui n'existent pas.
On a fait un observatoire paritaire des seniors. Aujourd'hui, on suit 20 indicateurs, classifiés par 5 catégories, ça permet de faire du suivi transversal, longitudinal dans le temps. C'est eux qui ont travaillé. Tous les indicateurs avec lesquels ils sont revenus, ils existaient. Et on était plutôt bon, ça a été une bonne surprise, car au départ, j'étais inquiet.
On suit cela maintenant régulièrement, tous les six mois, on fait un point avec eux dans un suivi paritaire.
Deux points à ajouter : c'est le sujet le plus difficile en matière de ressources humaines, le sujet des seniors, il ne faut pas se raconter d'histoire. C'est un sujet très compliqué, il faut de la modestie. Il faut de l'action, mais de la modestie aussi. On fait beaucoup de communication en externe, mais le sujet, il faut le porter en interne. Si j'ai un regret, c'est de pouvoir embarquer la fonction RH. Il y a un travail d'implémentation, pour embarquer tous nos RH sur le sujet. C'est un énorme chantier. L'externe, c'est facile, l'interne, c'est beaucoup plus difficile.
Karima Silvent, à date, quel enseignement vous tirez?
Karima Silvent
Le premier, c'est que, au fond, pour que ça marche, il faut une vision industrielle, une vision métier, ancrée dans la réalité du métier, et portée par les dirigeants. C'est une intime conviction. C'est facile de passer à autre chose, si vous voulez pouvoir agir dans la durée, il faut que ce soit vraiment ancré et porté, et que ça ait une vraie raison industrielle, un vrai sujet business derrière.
Deuxième enseignement: ne pas sous-estimer le temps que ça prend, d'analyse, de préparation, de trouver les bonnes personnes dans l'équipe RH qui vont porter les sujets. Ça prend du temps. On a commencé il y a trois, quatre ans, on est peut-être à 10 ou 20 % du sujet. Donc vous voyez!
Ça prend beaucoup de temps pour l'amener à l'échelle et pour marier la discussion avec les individus, car on a des managers, des RH qui discutent, différentes démarches, donc marier cela avec des sujets plus globaux. Ça prend du temps. Il faut à la fois être très déterminé dans la manière dont on prend le sujet, mais aussi savoir donner le temps pour avoir des résultats.
Florence Bonnevay
Merci à tous.
Je vous propose maintenant de poser quelques questions dans la salle. Des micros sont à votre disposition.
Question dans la salle
Bonjour. Dominique Palestin*, ancienne DRH dans les COMEX.
Les seniors partent des entreprises à 50 ans et plus car on n'en veut plus, pour plein de raisons. Et quand on a un besoin urgent, on refait appel à un senior qu'on ne connaît pas, et en 48h, on le positionne pour régler un problème.
Faut-il parler de gestion des seniors ou de gestion de régler un problème ?
On n'a plus le temps, vous l'avez dit. Et finalement, ça fait trois, quatre ans que les grandes mesures que vous mettez en place sont en place, mais ça fait 25 ans qu'on en parle. Qu'est-ce qui permettrait d'accélérer réellement? Car il reste 2030.
Si vous croisez les seniors et les femmes, vous avez la loi Rixain.
Stéphane Dubois
Un mot là-dessus, car il faut aussi regarder dans ce qu'on a généré depuis un certain nombre d'années. Il y a quand même eu des années et des années de plans sociaux pendant lesquels les DRH étaient très contents de pouvoir appliquer les mesures en faisant partir des seniors, et ça réglait certaines difficultés sociales qu'on a tous mises en pratique.
Donc il faut commencer par regarder par nos propres assiettes et regarder ce qu'on peut changer. Après, il faut chercher dans nos convictions.
Je viens d'un département, le nord de la France, j'ai vu la sidérurgie, ces personnes qu'on faisait partir à 50 ans, qui perdaient toute utilité sociale. C'est probablement à l'origine de mon métier aujourd'hui.
En mars 2020, on est venu me voir pour de me dire de faire la même chose car l'aviation était au plus bas, et la réponse a été non. On est là pour arriver à faire en sorte que l'entreprise vive par ses compétences. Après, il faut avoir des convictions fortes et ne pas accepter les plans sociaux, certainement pas de la façon dont ça a été fait pendant plus de vingt ans.
Dominique Laurent
Votre question est complexe, multidimensionnelle. Sur la question des départs, avec les plans, les entreprises y recourent de moins en moins, ce qui pose un problème de tensions sociales, car les organisations syndicales viennent nous dire: quand on se fait un petit plan pour machin...?! C'est une réalité... Pour sortir les 57 ans ?
Les enjeux d'une bonne gestion des ressources humaines, c'est une politique qui sait écouter et mettre en face les bonnes mesures. L'enjeu est plutôt là.
On est sortis du modèle où les entreprises, car ça coûte cher...
Il y a un effet très délétère sur les seniors, c'est la Delalande. Je crois beaucoup à l'hysteresis, c'est un choc imprimé à une matière, le choc disparaît, mais la déformation subsiste. La Delalande a sauté il y a vingt ans, mais aujourd'hui, dans la tête de beaucoup de managers, embaucher un senior, ça coûte cher car si je dois m'en séparer, ça va me coûter plus cher. Mais ce n'est pas vrai.
Question dans la salle
Bonjour.
Olivier Candelier, président de l'Association PEPS, Plein Emploi Pour les Seniors, sur les Hauts-de-France. On accompagne les plus de 50 ans.
On a un taux d'emploi de plus de 80 % ces trois dernières années.
Il faut convaincre les équipes DRH pour travailler régulièrement, car c'est une association créée par des dirigeants. Ne faut-il pas convaincre toutes les strates de l'entreprise, et pas uniquement les DRH ? Car on a des verrous importants aujourd'hui au niveau des opérationnels, ce qui vient bloque des recrutements au sein des entreprises.
Dominique Laurent
Je n'ai pas dit "convaincre", j'ai dit "faire connaître".
Les RH sont la courroie de transmission vers les managers. Chez nous, ceux qui doivent porter la parole sont les RH. Je souhaite que tous mes RH en France maîtrises les politiques seniors, puissent être les meilleurs ambassadeurs pour embarquer les managers.
Je peux aimer un plat, ce n'est pas dit que je sache comment faire ce plat. On veut que chaque personne dans l'entreprise, chaque manager, chaque salarié puisse expliquer nos politiques seniors dans l'entreprise. Et on en est encore loin. Madame la Ministre, je crois qu'elle connaît mieux nos politiques RH.
Maintenant, c'est mon job, c'est à moi de le faire.
Florence Bonnevay
Merci.
Je vous propose chacun... Il reste beaucoup à faire. Il faut mobiliser les directions générales, les seniors aussi enfermés dans des stéréotypes, les jeunes aussi. Pour vous, quelle est la chose prioritaire que vous appelez de vos voeux ?
Jean-Christophe Sciberras
Deux choses.
On a vu que, dans les entreprises, il y a des pays en avance sur d'autres. Quand on voit quelqu'un de bien dans un pays, essayons de l'utiliser en France. En France, le départ des âgés, c'est une drogue dure, ancienne, les changements sont longs, et les torts sont partagés. La réponse, c'est le dialogue social, c'est savoir travailler avec les partenaires sociaux pour que, tous ensemble, il y ait des choses qui changent et bougent. Sans cela, c'est difficile.
Karima Silvent
Le sujet, et la discussion d'aujourd'hui m'a encore plus convaincue, sur lequel on travaille qui est important, c'est celui du management. Les décisions de recrutement, de promotion, de la composition des équipes, c'est très largement le management, aidé par les RH, mais le management, on a beaucoup travaillé sur la question, mais sans doute pas de manière complètement satisfaisante.
Stéphane Dubois
Il y a une opportunité extrêmement intéressante : arriver à combiner la promotion sociale et la reconnaissance qui n'existe plus sociétalement aujourd'hui. On voit à quel point c'est exact dans la société française. Et ce travail sur les travailleurs expérimentés. Les deux vont ensemble. Si on arrive à reposer les possibilités de réorientation, de formation, de promotion, de reconnaissance professionnelle, je pense qu'on règle une partie de la question des salariés expérimentés. Il se trouve qu'il y a besoin des deux aujourd'hui.
Sur cette question : qui le fait?
Bien sûr que les managers, ce travail doit se faire avec eux, mais il y a un professionnalisme RH, on a un métier d'expertise, savoir organiser, structurer, le rendre durable relève de notre fonction.
Dominique Laurent
Je vais aller sur un autre terrain: il y a un truc à creuser... Je vais postuler à un poste de conseiller au Ministère ! Il y a des places ?
Le terrain de jeu historique, ce n'est pas les seniors, mais l'apprentissage.
Un des sujets des seniors, c'est l'intergénérationnalité. Une belle façon de gérer cela, c'est l'apprentissage: un apprenti qui a un tuteur, qui est un senior.
On a beaucoup de jeunes, beaucoup d'apprentis, et beaucoup de maîtres de stage qui sont des seniors. Il y a un truc à creuser là... j'ai une idée, on pourra en reparler... entre les apprentis, les seniors, il y a une sauce à trouver assez sympa.
Florence Bonnevay
Cela amène à repenser la place du collaborateur dans l'entreprise.
Merci beaucoup pour ces témoignages. Je vous demande de les applaudir.
Nicolas Lagrange
Merci à toutes et tous. Je vous propose de faire une petite pause. On se retrouve à 11h25 dans cette salle. Reprise des échanges à distance également. Merci.
(Pause)
Nicolas Lagrange
On va reprendre nos échanges. Merci de reprendre place, Mesdames, Messieurs.
Merci à toutes et tous de bien vouloir prendre place. On va reprendre nos échanges. Si on veut respecter les timings, les durées dévolues à chaque séance, il faut qu'on puisse reprendre nos échanges. Merci.
Trois séquences à venir, d'abord les perceptions et les actions des entreprises par le prisme d'une enquête auprès des responsables RH et des actions territoriales. Ensuite un focus sur la réalité des discriminations liées à l'âge. Et enfin des échanges entre entreprises et acteurs de l'emploi sur les leviers pour faire évoluer les représentations et surtout pour favoriser le recrutement des salariés de plus de 50 ans.
Sixtine de Villeblanche est rédactrice en chef adjointe à AEF Info.
Sixtine de Villeblanche
J'ai le plaisir d'animer cette séquence qui portera sur l'engagement des entreprises dans les territoires.
J'invite Brice Teinturier, Audrey Richard, Sylvain Reymond et Catherine Pernette.
On démarre avec Brice Teinturier. Bonjour.
Vous allez présenter les résultats d'une enquête pour l'ANDRH portant sur l'emploi des salariés expérimentés.
Brice Teinturier
Je suis ravi de partager avec vous ces résultats. Cette enquête a été réalisée, non pas à partir d'un échantillon représentatif, c'est une consultation. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des choses intéressantes.
C'est une consultation réalisée auprès de 1 083 directeurs des ressources humaines issus des fichiers de l'ANDRH et des entreprises qui s'engagent. C'est quelque chose de fait récent.
C'est important, la taille de l'échantillon, pour savoir de quoi on parle ensuite. On a beaucoup de DRH de moins de 250 ETP. C'est assez ouvert dans tous les secteurs.
En termes de part des 50 ans et plus dans l'entreprise, on a quand même de quoi travailler sur une base de réponses suffisantes, on a des répartitions qui le permettent. On a 35 % de seniors en moyenne dans les entreprises interrogées.
Quel est l'âge à partir duquel on est considéré comme senior en entreprise ?
Les choses se jouent très vite à partir de 50 ans, et encore plus à partir de 55 ans. Là-dessus, il y a un consensus assez fort des DRH pour dire : c'est ça, un senior. Ça fait un peu froid dans le dos.
Mais à partir de 50 ans, on est un senior pour beaucoup d'entre nous et des DRH. Une fois qu'on a dit ça, les entreprises ont-elles mis en place des outils pour des mesures spécifiques pour les seniors? Il n'y a que 26 %... Elles n'ont pas cherché à embellir les choses.
La courbe importance, c'est celle qui varie en fonction de la taille de l'entreprise. Dans les grands établissements, avec plus de 10 personnes, ça change beaucoup.
De quelle mesure s'agit-il ? Principalement des plans d'action, l'existence d'un accord, des accords spécifiques pour les seniors en place.
C'est uniquement un quart des entreprises interrogées. Ensuite, on tombe sur des éléments marginaux.
A-t-on mis en place des formations pour prévenir la discrimination et les stéréotypes ?
Là aussi, 38 % seulement disent qu'ils ont prévu des formations. Si on considère que les 21 % où ce sont des formations mais sans ciblage spécifique sur l'âge, on tombe à 29 % qui disent qu'il y a des formations spécifiques liées aux discriminations relatives à l'âge. C'est quelque chose qui n'est pas répandu extraordinairement. Des politiques de recrutement dédiées pour les salariés expérimentés ont-elles été mises en place?
Massivement, à 91 %, ce n'est pas le sujet majeur qui taraude les politiques de recrutement.
C'est la même chose quand on pose la question de la nécessité d'adapter des modalités de recrutement différentes. 74 % disent que non. Dans les entreprises de plus de 5000 salariés, on est à plus de 40 %.
Quels sont les principaux freins un recrutement d'un senior ?
C'est une question ouverte, rien n'était suggéré.
Le premier frein qui ressort, sans surprise, cela montre qu'il y a toujours ces éléments autour de l'image du salarié expérimenté, c'est le niveau de salaire, et la supposée réticence du manager ou de l'équipe et les difficultés à s'adapter à l'entreprise.
Un DRH sur deux cite un frein : il y a quelque chose sur lequel il faut agir pour lever ces freins, notamment la question du coût de ces salariés expérimentés.
On met rarement cela en relation avec leur compétitivité.
Certains salariés vont plus vite qu'à 30 ans, c'est la rançon de l'expérience.
Des mesures spécifiques ? C'est un peu le même résultat. On est entre un quart et un tiers des DRH qui disent: oui, on a mis en place des actions spécifiques. Là, on est à 26 %. Cela montre très fortement, dans les entreprises de plus de 5 000 salariés, ce qui a été mis en place, sans qu'on sache réellement ce qu'il y a derrière, ce sont des actions de formation, de la mobilité interne, et principalement des bilans de compétences, ou un peu d'éléments de reconversion. Donc il y a des mesures d'accompagnement mais encore très limitées. 73 % disent que non. C'est le chiffre principal qu'il faut retenir.
La détermination par l'âge de la politique du maintien en emploi est-elle pertinente ?
Les deux tiers disent que non.
Dans les entreprises où il y a une politique de recrutement dédiée, on monte à 43 %. Donc il y a une sensibilité ou une attention plus grande au sujet.
Quels sont les dispositifs mis en place pour permettre à ces salariés seniors ou expérimentés d'aménager leur temps de travail en fin de carrière? D'abord 40 %, ce n'est pas négligeable, qui déclarent en avoir mis en place. La courbe est quand même impressionnante, c'est plus des deux tiers dans les entreprises de plus de 10 000 salariés.
Chez ceux qui ont fait quelque chose, c'est principalement un mécanisme de retraite progressive, couplée ou pas à une réduction du temps de travail. C'est quand même une sortie douce, mais malgré des efforts pour préparer la sortie du salarié. Il y a un temps partiel avec le maintien des cotisations. Le reste étant dispersé et marginal.
Y a-t-il des entretiens de carrière pour anticiper les besoins et les souhaits des salariés concernés ?
58 % disent qu'ils n'ont pas mis en place ces entretiens pour mieux anticiper les besoins des salariés. C'est le verre à moitié plein, à moitié vide.
Ces entretiens sont-ils liés à une visite médicale ? Près des deux tiers disent que non. Donc les actions sont relativement limitées. On n'a pas le sentiment que c'est un sujet majeur qui taraude véritablement les DRH, mais encore une fois, ils ont répondu en toute sincérité.
Comment maintenant aident-ils les seniors à continuer à se projeter professionnellement à l'approche de leur fin de carrière ? C'était une question ouverte. Il y a d'abord tout un bloc autour de la gestion de la planification des carrières, principalement créée sur des entretiens professionnels réguliers, ce qui normalement se fait avec tous les collaborateurs, mais là, ça semble marqué pour ces seniors, et de la communication, de l'accompagnement avec cette idée d'un dialogue ouvert et bienveillant sur les perspectives de carrière.
Valorisation et transmission de l'expérience: c'est quand même plus faible. C'est 9 % de citations seulement. On n'a pas une valorisation de la productivité, de l'expertise, de la productivité de ces salariés qui est mise en avant.
Les choses sont-elles mises en place sur la prévention de l'usure professionnelle et de maintien dans l'emploi: il y a des choses qui sont faites. 65 % disent que oui, et notamment des aménagements de poste. C'est très lié au secteur d'activité. Ça peut être envoyé directement à la pénibilité. Et il y a des sensibilisations des managers au repérage d'usure professionnelle. Et les changements, et les rotations de poste au sein de la même entreprise.
Quelles sont les mesures les plus répandues pour prévenir l'apparition des TMS ou de troubles psychiques : là, on retombe à nouveau sur cette idée de tout ce qui va relever de la formation, de la sensibilisation, de la prévention avec des ateliers, de la prévention, de la sensibilisation aux gestes et postures à adopter, de la sensibilisation aux TMS, avec également des adaptations sur les postes de travail et sur les équipements. L'accompagnement médico-légal existe, mais il arrive en retrait à 25 %.
Maintenant, y a-t-il des dispositifs mis en place pour que ces salariés expérimentés transmettent leurs compétences avant leur départ en retraite ? C'est un véritable sujet, surtout dans les métiers où il y a des pénuries, car la transmission des savoirs ne s'est pas faite.
Réponse des DRH : oui, à 70 %.
Il y a quand même là une déclaration qui dit que, oui, beaucoup de choses sont faites.
Des dispositifs de lien intergénérationnel sont-ils mis en place? Je vois que cette question est en train de monter, sur la répartition des efforts dans des situations difficiles. C'est une question majeure. 24 % des entreprises ont mis en place ce dispositif. On peut trouver que c'est très faible. Ceux qui sont dans cette dynamique travaillent beaucoup sur ce qui relève de l'accompagnement et de la transmission, principalement à travers du tutorat ou du mentorat. Un peu de travail d'équipe, un peu de temps dédié. C'est surtout l'accompagnement et la transmission.
Comment sont perçus les effets de la cohabitation des générations au sein de l'entreprise ? Massivement, enfin un résultat massif, c'est que tout cela est plutôt positif avec beaucoup de choses autour de l'entraide, le transfert des compétences, la richesse des seniors sur ce qu'ils ont pu vivre et transmettre, et l'idée d'une culture de bienveillance et d'ouverture. On n'a que 10 % des DRH qui parlent de faiblesses.
En conclusion, sur pratiquement tous les indicateurs, on est à un quart ou un tiers des managers qui disent avoir mis en place des éléments spécifiques. C'est peut-être peu, mais c'est peut-être parce qu'ils ont déjà fait beaucoup.
Sixtine de Villeblanche
Merci pour les résultats de cette étude.
Audrey Richard, que retenez-vous de ces résultats?
Audrey Richard
Je rebondirai sur la conclusion qui vient d'être citée. Bonjour.
En effet, c'est une réalité. Mon propos est éclairé à travers l'enquête, et à travers les échanges avec notre collectif, nos adhérents.
Ce qu'on voit dans l'enquête, c'est que les répondants sont plutôt de petites structures, PME, ETI, et pas de grosses entreprises. Cela a forcément son impact. Nos DRH disent que le sujet du salarié expérimenté est traité, les aménagements sont réalisés, les adaptations de poste de travail le sont tout également.
Je pense qu'à travers cette enquête, c'est ça qui est dit. En tout cas, je m'en fais le porte-parole. Après, on peut s'interroger sur: on devrait compléter cette enquête avec les grosses structures.
On a nos salariés en entreprise, c'est géré.
J'aimerais vous faire part de deux citations qui semblent intéressantes pour éclairer le débat. Une première citation: c'est à quel âge le senior déjà ? 62 ? 60 ? 55 ? 40 ?
Je ne travaille plus comme avant, mais je crée de la valeur incontestablement.
On a des malades, des grands, des Blancs, des jeunes, des zèbres, des vieux... Chacun a sa place, sans stigmatisation.
Dans l'enquête, ce qui est intéressant, c'est tout ce qui évoque la formation. C'est un sujet pour les salariés en entreprise, pour le coup, qui sont déjà dans nos entreprises. On voit qu'il y a un décrochage en termes de formation. Donc il y a des choses à mettre en place. Pour moi, c'est ce point-là qui est majeur, sur lequel il faut investir.
Sixtine de Villeblanche
L'ANDRH est très investie dans les territoires. Pouvez-vous en parler ?
Audrey Richard
Il y a eu une forte mobilisation sur le sujet.
A nous tous, on porte 12 millions de salariés, 80 % dans le privé, 20 % dans le public. Les demandes se côtoient.
Il y a eu un engouement et une volonté de participer. On a 64 groupes territoriaux qui se sont mobilisés. On a fait 8 gros paquets de groupes et on a fait travailler sur les thématiques qui nous concernent. On a cherché à faire remonter les bonnes pratiques. Il y a eu aussi quelques requêtes, je vous l'avoue. En tout cas, sur les tables rondes de cet après-midi, vous allez développer, mais on voit, sur le sujet des stéréotypes, biais, on voit que des entreprises ont formé des managers, des collaborateurs sur antidiscri, sur les sujets de seniorité mais pas que. Ils disent que les choses ont permis de voir des changements par rapport à cela, que les personnes qui ont suivi ces formations ont été ensuite des ambassadeurs.
Dans ces formations, on insiste sur le fait de se concentrer sur les compétences. On a vu des impacts positifs contre les stéréotypes. Des entreprises ont décidé de recruter avec les CV mais sans âge.
En tout cas ne pas pointer l'âge en tête de CV pour valoriser les profils.
Certaines entreprises disent : ça a permis de faire passer des CV qu'on n'aurait jamais regardés.
D'autres groupes ont travaillé sur la partie recrutement. Dans les témoignages intéressants à partager avec vous, c'est que les entreprises ont mis en place des accords senior avec les partenaires sociaux dans lesquels on s'engage à recruter à compétences égales davantage une personne expérimentée. Ça a été mis en valeur.
Toujours sur le recrutement : la formation des managers qui vont accueillir des salariés expérimentés. Manager un jeune professionnel qui sort de l'école, ce n'est pas la même chose que manager un salarié expérimenté. Des entreprises ont mis en place des formations pour parler de cela. On a vu que ça pouvait porter ses fruits.
Ce qui est mis en place, ce sont des mises en situation professionnelle avant embauche. Certaines entreprises le font avec l'APEC ou avec France Travail. D'autres le font seuls.
Et ça, ça marche. Ça permet de rassurer les deux parties sur la bonne intégration.
Sixtine de Villeblanche
Une dernière bonne pratique ?
Audrey Richard
J'en ai plein.
Ce qui a été remonté aussi, c'est le marketing du salarié expérimenté: comment j'aide le salarié à se vendre, à se présenter. On a vu certains décalages sur le sujet. On a vu que des formations, des mobilisations là-dessus, ça pouvait...
Sur le thème du recrutement, ce qui remonte de partout, c'est l'adaptation du CDD, c'est comment rendre plus souple le CDD, comment s'assurer ou comment proposer un dispositif qui permet à l'entreprise d'être rassurée quand: j'ai mon salarié qui arrive à taux plein, le CDD s'arrête à ce moment-là... D'autres souplesses ont été remontées, c'est une attente forte qui permettrait de rassurer.
Le principe, ça a été de mettre en avant les bonnes pratiques pour les essaimer, et il y en a plein.
Sixtine de Villeblanche
Merci.
Sylvain Reymond, pouvez-vous parler de votre communauté ?
Sylvain Reymond
Les Entreprises S'engagent, c'est sur ces sujets d'inclusion : derrière chaque recrutement, il y a la perspective d'un engagement. Là, on est sur un sujet qui consiste à se tourner vers un public auquel on n'aurait pas pensé spontanément. Les entreprises s'engagent sur les 50+. C'est de faire travailler les personnes pour construire un programme le plus complet possible. On est à 95 % de TPE PME dans la communauté.
Les entreprises permettent d'avoir des bonnes pratiques sur le recrutement, sur le maintien dans l'emploi, sur la lutte contre les stéréotypes. C'est un sujet qui touche les entreprises et la société dans son ensemble, le sujet des transitions de carrière avec notamment un certain nombre de dispositifs. C'est 1200 entreprises mobilisées aujourd'hui à travers la communauté, c'est une plateforme du ministère du Travail. Ce sont des entreprises recontactées systématiquement par les opérateurs publics du service public de l'emploi. Ce sont des clubs départementaux qui font ce travail au quotidien de sensibiliser et de créer des premiers passages, avec des chiffres d'entreprises membres des clubs qui recrutent plus que celles qui n'y sont pas.
Sixtine de Villeblanche
Sur les résultats de l'enquête ?
Sylvain Reymond
Il n'y a pas de stratégie. Ça peut être un sujet maîtrisé encore aujourd'hui, mais la raison d'être de Les Entreprises S'engagent, c'est que ce soit un sujet de petites et moyennes entreprises. Ces chiffres nous aiguillent beaucoup sur le fait d'affiner tout le système accessible en priorité à ces entreprises.
Aujourd'hui, il y a des dispositifs portés par l'APEC et France Travail mais qui sont non connus.
Le deuxième sujet, c'est 71 % des entreprises en France qui considèrent qu'elles ont besoin de l'Etat pour les accompagner sur le chemin de l'engagement.
Il y a un besoin criant d'un Etat partenaire sur le sujet qui montre la voie, qui met en avant les dispositifs évoqués, et surtout qui met en avant des rôles modèles. Il n'y a pas mieux qu'un dirigeant pour dire à un autre dirigeant que c'est possible.
Notre enjeu, c'est de faire en sorte qu'un maximum de bonnes pratiques soit remonté. On lancera un guide pratique prochainement pour essayer de démocratiser ces pratiques à l'échelle de toutes les entreprises en France. Il y a une cinquantaine d'évènements programmés en 2025. On se fera le relais de ce guide et des pratiques qui en sortent.
Sixtine de Villeblanche
Merci.
Comme on doit conduire des actions en juin, voyons maintenant ce qui se passe concrètement sur le terrain.
Catherine Pernette, vous êtes confrontée à une baisse de la population active dans votre territoire. Pourquoi la DREETS se mobilise ?
Catherine Pernette
On est parti d'un constat de plusieurs chiffres.
Le nombre de travailleurs expérimentés de 55 à 64 ans est supérieur au nombre d'actifs de 15 à 24 ans.
Il y a une baisse du nombre de personnes actives, et on commence à sentir le décalage de départ à la retraite. C'est conforté par une étude de l'INSEE sur la Normandie qui prévoit une baisse des jeunes de 23,1 % des actifs et une hausse de 31,6 % des retraités. On a essayé d'utiliser 4 leviers: la formation professionnelle, qui est essentielle, l'accompagnement vers l'emploi, la prévention de la désinsertion professionnelle, et l'amélioration des conditions de travail. La DREETS a un périmètre très large. Elle peut aller de l'accès à l'emploi qu'au maintien dans l'emploi des 50 ans et +.
Sixtine de Villeblanche
Vous avez parlé d'un sujet, celui du dialogue social, d'un fort taux de PME TPE sur votre territoire.
Catherine Pernette
On a été confrontés à la question du stéréotype et du changement du regard nécessaire sur cette population.
Les grosses entreprises ont des services RH, donc des compétences. Donc l'enjeu, c'est comment atteindre les PME TPE sur ces questions. Les contacts qu'on a eus mettent en évidence un grand enjeu de maintien des compétences. C'est le premier sujet abordé par un manager, un entrepreneur en matière d'emploi, sachant qu'une partie des compétences est détenue par les 50 et +.
Deuxième sujet, et ça fait partie de l'ADN d'une DREETS, c'est le dialogue social. J'ai eu de nombreux contacts avec des organisations syndicales et professionnelles, et j'ai senti une convergence sur ce sujet. C'est comment on arrive à faire de ce sujet un objet de dialogue social d'abord en entreprise avec les CSE, mais pas que, et comment on peut l'animer au niveau territorial aussi. C'est important, on a un territoire industriel, de TPE PME, et aussi de grandes entreprises. Il y a cet échange de bonnes pratiques qui peut être sollicité dans les territoires. On y travaille aussi dans le cadre du réseau pour l'emploi. Notre comité régional pour l'emploi va s'attacher à l'action de l'amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés.
Sixtine de Villeblanche
Et Génération Compétence, quel est l'historique de cette expérimentation?
Catherine Pernette
J'ai été surprise par une partie de la consultation que vous avez opérée, sur les DRH qui sont partagés sur le rôle à jouer par les acteurs institutionnels, et dans les demandes portées par les DRH, il y a l'accompagnement et la formation. On a profité d'un marché public.
Dans le cadre du plan régional d'investissement des compétences, cofinancé par la Région et l'Etat, c'est important de dire que c'est une action partenariale: autour de la table, il y avait la Région, France Travail, l'Agefiph et les partenaires sociaux qui se sont engagés fortement. On a eu l'appui de l'Aract et de la Carsat. L'enjeu, c'est comment on instaure de nouvelles pratiques de formation au sein des organismes de formation à destination de ce public particulier.
On a 9 organismes de formation retenus. On a 80 sessions de formations organisées. Et 939 demandeurs d'emploi qui ont participé. Ils ont plus de 50 ans, voire plus de 55 ans, en majorité des femmes, sous-qualifiés, et pour certains avec une RQTH. On a une évaluation en continu de cette expérimentation. Les résultats sont de plusieurs ordres. Le premier, c'est d'abord la sortie en emploi, avec une population difficile en termes de reclassement, d'approche. On a 22 % en sortie de formation en CDD , CDI, en formation, et 32 % à 12 mois. Les résultats ont été en termes de pratique. Ils se sont appuyés sur des dynamiques collectives. Ça a beaucoup marché. Les actions collectives en formation pour favoriser la reprise de confiance, c'est un vrai problème pour les demandeurs d'emploi plus âgés. On a eu des pratiques particulières: par de classe, ça ne marche pas avec les 50 ans et +. Il faut les approcher autrement.
Quand on parle de déconstruire les préjugés, c'est avoir des contacts fréquents avec les entreprises, discuter, échanger. La compétence numérique, il faut l'aborder de façon détournée, pas frontalement.
On a aussi la valorisation des compétences: comment je valorise ce que je sais faire, ce que je peux faire, ce que je peux apporter à l'entreprise. Tout ça a été travaillé avec des nouvelles postures de formation. On a essayé de mutualiser tout cela. On a produit un guide pratique publié en mars 2024. Nous souhaitons poursuivre ce travail d'expérimentation à destination des demandeurs d'emploi les plus âgés.
Sixtine de Villeblanche
Merci à tous pour vos participations.
Nicolas Lagrange
On va faire un focus sur l'objectivation des discriminations à l'emploi. Je demande à Isabelle Moreau de prendre la main et de bien vouloir inviter l'intervenante suivante.
Isabelle Moreau
Nous accueillons George Pau-Langevin. Nous allons parler du 17e baromètre des discriminations dans l'emploi. La Défenseur des Droits et l'OIT ont décidé de consacrer la 17e édition de leur baromètre aux discriminations vécues par les personnes de 50 ans et plus dans le travail. Les 50 + sont fortement exposés aux discriminations. Quand ces discriminations interviennent-elles ?
George Pau-Langevin
Bonjour à tous.
Chaque année, le Défenseur des Droits fait ce baromètre. On a consacré cette année notre travail à la situation des seniors. On s'aperçoit avec ce travail que c'est un âge où les gens sont très conscient, très concernés par des questions de discriminations.
Déjà, cela arrive parfois après une rupture professionnelle où peut-être déjà la confiance en soi des personnes est ébranlée. Un quart des seniors embauchés déclament qu'on leur a fait comprendre au moment de l'entretien d'embauche qu'ils étaient trop âgé pour le poste envisagé.
Par ailleurs, souvent, ils disent avoir connu des relations de travail dévalorisantes au cours des dernières années. Très souvent, ces personnes n'exercent pas de recours. Par rapport à ce qu'on sait sur la discrimination, on voit que très peu de gens se plaignent. Mais là, pour les personnes concernées par la discrimination à raison de l'âge, on s'aperçoit que beaucoup n'entreprennent aucune démarche non seulement pour dénoncer les faits mais pour essayer d'avoir un recours. Elles ont intériorisé le bienfondé de la discrimination.
Sixtine de Villeblanche
Un tiers seulement des victimes de discrimination n'ont entrepris aucune démarche. Seraient-elles entendues si elles le faisaient ?
George Pau-Langevin
Je pense que dans beaucoup de cas, ça ne serait pas le cas. Dans beaucoup de cas, la plupart du temps, à part les quelques exemples cités tout à l'heure, dans beaucoup de cas, les gens considèrent que c'est dans la nature des choses. Une personne d'un certain âge à qui on refuse un prêt, elle ne va pas faire de recours, elle se dit: c'est dans l'ordre des choses. Il me semble que c'est ce type de résignation que nous devons arriver à faire changer.
Sixtine de Villeblanche
Justement, quels sont les préjugés négatifs envers les personnes un peu plus âgées dans le monde du travail ?
George Pau-Langevin
L'étude qu'on nous a montrée tout à l'heure confirme ce que nous avons constaté dans notre travail. Il y a beaucoup de stéréotypes concernant l'âge. Notamment, on a cette image du senior qui manque de dynamisme, qui est dépassé par les nouvelles technologies, qui est difficile à intégrer au sein des équipes plus jeunes. Ces stéréotypes sont difficiles à éliminer. Enfin, je crois qu'on doit signaler que les motifs de discrimination se cumulent. Les gens aiment bien dire " intersectionnel", dans ce cas. Je n'aime pas trop ce terme. Dans la réalité, si on a des problèmes de santé, si on est plus âgé, on a plus de mal à être embauché. Quand la personne parle de la difficulté, ça ne contribue pas à la régler dans l'entreprise. Ça incite le senior à être poussé vers le placard et ensuite le licenciement. C'est ce qui explique pourquoi les seniors ne font pas état des difficultés qu'ils peuvent rencontrer dans l'entreprise. Ils ont au fond surtout peur de perdre leur emploi.
Sixtine de Villeblanche
Il y a quand même des syndicats dans l'entreprise, des personnes qui peuvent les aider. Vous êtes sceptique sur le côté lanceur d'alerte. Il y a des échanges quand même avec des entreprises qui mettent en place des plans senior. Vous avez l'impression que ça ne bouge pas du tout, qu'on est catégorisé et qu'on ne sort plus de ce cadre ?
George Pau-Langevin
D'abord, vous avez tous ceux qui ne sont pas dans l'entreprise. Celui qui a été licencié autour de 50 ans met beaucoup plus de temps à se recaser que quelqu'un d'autre. Vous avez une chute considérable entre 50 et 55 ans. Je crois que au fond, ce n'est pas simplement que nous ayons baissé les bras mais beaucoup de salariés après un certain moment se trouvent face à une situation extrêmement difficile. En tant que Défenseur des droits, nous sommes là pour aider les particuliers. Il y a un moment où c'est plus compliqué de rester en emploi que plus tôt.
Sixtine de Villeblanche
Les seniors indiquent des craintes face à l'avenir. Il y a une responsabilité de l'employeur là-dedans ?
George Pau-Langevin
Oui, il faut sensibiliser les employeurs et les RH. Le débat qui se polarise sur ce que peuvent faire les RH, ça me semble très positif. Il ne faut pas seulement reculer l'âge de la retraite théorique mais il faut aussi que les seniors soient davantage en emploi où ils soient employés normalement. Tant qu'on ne va pas expliquer ça aux gens, dire aux entreprises qu'elles ne font pas des économies en mettant à la porte les personnes de plus de 50 ans, on n'avance pas.
Sixtine de Villeblanche
En clair, il faut que les personnes arrêtent de se dire : c'est normal, c'est comme ça que ça se passe. Et vous dites aux entreprises, qu'il faut prévenir et aussi sanctionner.
George Pau-Langevin
Absolument, il faut se rendre compte qu'on est dans une forme de discrimination en raison de l'âge: l'âgisme. Maltraiter quelqu'un en raison de son âge, c'est une discrimination qui est aussi contestable qu'en raison de la couleur de peau ou du handicap.
Sixtine de Villeblanche
Merci beaucoup.
Nicolas Lagrange
J'ai retenu votre assertion : c'est une mission impossible d'être réembauché à 60 ans lorsqu'on est au chômage. On va regarder quels sont les moyens de lutter.
Nous avons 5 intervenants qui nous rejoignent sur scène.
Bonjour à toutes et à tous. On va faire un rapide tour de table, Thibaut Guilluy, Gilles Gateau, Aurélie Feld, un millier de salariés sur une centaine de sites, 4 missions dont la transition et le recrutement. Bertrand Lamour, PDG d'IFOCOP, un organisme de formation, vous formez plus de 2500 apprenants chaque année, surtout sur des métiers supports avec 23 certifications. On verra les actions qui sont menées sur les salariés de plus de 50 ans.
Sylvana Baratiny, vous dirigez Kangourou Kids. C'est un secteur qui a de forts besoins de recrutement, avec 20 % de salariés de 50 ans et plus.
Aurélie Marfort, directrice attractivité et recrutement d'ORANO. Les 50 ans et plus représentent 31 % de l'effectif. On a commencé à évoquer ce matin les stéréotypes qui ont la vie dure. Quelles réactions suscitent ces stéréotypes ? Réponse en vidéo. On écoute ce micro-trottoir.
(vidéo sous-titrée)
On va commenter, rebondir, réagir par rapport à cette vidéo, en commençant par vous, Aurélie Marfort. On aura une séquence un peu timée. Comment ces stéréotypes s'expriment-ils ? Quelles sont les actions, les dispositifs que l'entreprise peut mettre en place ?
Aurélie Marfort
Bonjour à toutes et à tous. Il y a quelques années, lorsque je suis arrivée chez ORANO, j'ai constaté que dans notre logiciel de recrutement, tous nos postes étaient indiqués avec une borne basse d'expérience requise et une borne haute, on disait : il faut 5 à 10 ans d'expérience. On a changé ça depuis, car on a constaté que cela excluait toute une partie de la population. Finalement, on s'est rendu compte que le sujet, le vrai sujet derrière l'expérience, c'était celui de la rémunération. La rémunération, ça passe par bien d'autres aspirations, qu'on a vues ce matin... Les aspirations passent par bien d'autres leviers que la rémunération. Déjà, la réglementation va nous aider dans les années à venir, j'attends beaucoup la directive européenne sur la transparence salariale.
Nicolas Lagrange
En 2026, obligation d'indiquer la fourchette de salaire dans les offres d'emploi et tout autre avantage en espèce ou en nature.
Aurélie Marfort
Ensuite, il y a la sensibilisation, la formation et le passage à l'action. Nous, on a activé différentes actions au cours de ces dernières années.
Nicolas Lagrange
Merci beaucoup. Sylvana Baratiny, vous dirigez deux agences Kangourou Kids en Ile-de-France, Paris, Val-de-Marne, 80 salariés, vous avez de forts besoins. Il y a des freins aujourd'hui, des freins au recrutement de salariés de plus de 50 ans que vous situez au niveau des salariés eux-mêmes et au niveau des clients. Tout d'abord, au niveau des salariés ?
Sylvana Baratiny
En tant que candidat on a tous des stéréotypes sur le poste auquel on va postuler. Pour les 50 ans et plus, c'est pareil. Je vais souvent avoir la question quand on fait des job datings : c'est jusqu'à quel âge ? Est-ce que je suis trop vieille ? J'ai ces questions en frontal. J'adore, ça me permet de mettre les pieds dans le plat. Il y a aussi la question : je n'ai pas de diplôme pour ce métier, car j'ai fait autre chose auparavant.
Nicolas Lagrange
En fait, les diplômes sont nécessaires pour la petite enfance jusqu'à 3 ans, mais pas nécessaires après.
Sylvana Baratiny
Ça fait partie aussi des préjugés, au-delà d'un certain âge, on ne pourrait plus se former.
Nicolas Lagrange
Il y a aussi des préjugés de la part des parents. On pourrait se dire qu'en tant que senior, on est prédisposé à être dans la garde. Ce n'est pas ce que se disent les parents.
Sylvana Baratiny
On s'est rendu compte que dans l'imaginaire, j'ai quand même un bel état des lieux sur le sujet, dans l'imaginaire des parents, quand on fait appel à une agence pour avoir une nounou à la sortie de l'école, c'est : Lola, étudiante, la vingtaine, qui est hyper énergique. Moi, je n'arrive pas forcément avec ce profil-là. Ça demande un peu d'éducation et un côté ludique pour expliquer tous les atouts que le profil pourra avoir au sein de la famille.
L'atout clé qu'on a, ce qui déclenche le : « bon, OK, on va essayer...» C'est que personne n'est bloqué avec son intervenant.
Nicolas Lagrange
Gilles Gateau, au sein de l'APEC, vous avez régulièrement des études en interne. Vous avez pu constater que des stéréotypes ne se jouaient pas de la même manière à tous les niveaux de l'entreprise. Finalement, il y a quand même un regard un peu plus positif qu'attendu de la part des managers.
Gilles Gateau
Quand on parle des stéréotypes, des idées reçues, la première étape sur le chemin de l'action, c'est de sortir du déni. Les études engagées à l'APEC sur ce sujet ces dernières années avec ça comme objectif, d'essayer de factualiser les réalités de cette discrimination qui passe souvent d'une façon presque inconsciente aussi. Par exemple une étude qu'on a faite auprès des managers de proximité, ceux qui managent des seniors dans leur équipe sur ce qu'ils en pensaient, est-ce que c'est un boulet d'avoir un senior dans son équipe ? Non, au contraire, il y a un élément stabilisant, rassurant dans la présence de personne expérimentée dans l'équipe. Nos études sur les salaires montrent que l'écart de rémunération entre les 50 ans et plus et les 40-50 ans, salaire médiant chez les cadres, c'est 60k euros par an, et pour les moins de 50 ans, c'est 59k euros par an, on n'est pas loin. Une majorité des cadres seniors qui retrouvent un boulot, le font en acceptant une rémunération inférieure.
Nicolas Lagrange
Quand on regarde les dirigeants dans l'entreprise, en général, il s'agit de salariés de plus de 55 voire de plus de 60 ans, et c'est chez eux que la sensibilisation est à faire.
Gilles Gateau
Ça fait partie des paradoxes. Eux-mêmes pratiquent ou laissent se pratiquer des formes de discrimination qui peuvent être assez insidieuses. A l'APEC, le travail que nous essayons de faire, comme à France Travail, c'est d'essayer de déconstruire ces idées reçues. Sur l'Internet, franchement, la génération des 60 ans et plus aujourd'hui, ils ont vu arriver Internet quand ils avaient 25 ou 30 ans, ils ont fait toute leur vie professionnelle avec le digital.
Nicolas Lagrange
L'APEC a lancé des campagnes disruptives, chaque année une campagne.
Gilles Gateau
Nous avons lancé une étude, nous avons montré que certes, certains seniors étaient dans une situation d'attente de la retraite, mais que la grande majorité d'entre eux, 75 à 80 % d'entre eux cherchaient et avaient besoin de retravailler. Les vies changent aujourd'hui, on a parfois besoin de travailler même tard. On a aussi cassé un certain nombre d'idées reçues. Derrière, il faut prendre la parole et communiquer. Notre agence de communication et de publicité qui nous accompagne, quand on leur a dit "on veut faire une campagne sur les seniors", ils n'étaient pas emballés. " Non, mais les seniors ils n'aiment pas être stigmatisés, on ne vous le conseille pas". On est passé outre, on a trouvé une agence qui nous a accompagnés. L'année dernière, celle-ci qui avait vraiment vocation à choquer. Cette étiquette vous choque, nous aussi. C'était en même temps qu'on réalisait un évènement sur cette question de l'emploi des seniors à l'image de ce qui se passe aujourd'hui. Et puis l'année dernière on a lancé celle-ci.
Alors, c'est le versant plus positif mais c'est le même message dans le fond de dire que l'expérience c'est leur puissance, autour des super pouvoirs.
C'est en effet important. C'est pourquoi cette journée est formidable, elle permet de mettre sur le devant de la scène ce sujet-là qui fait l'objet d'une forme d'acceptabilité silencieuse, j'ai entendu beaucoup d'intervenants optimistes, j'aimerais aussi croire que les plans sociaux d'aujourd'hui ne font pas appel aux recettes des plans de départ anticipé.
Nicolas Lagrange
La lutte contre les discriminations se joue tant en interne qu'auprès des clients.
Aurélie Feld
LHH fait partie du groupe Adecco, l'inclusion est l'une de nos cinq valeurs. On a une direction dédiée qui a pour mission d'irriguer notre stratégie et nos opérations au quotidien avec cette intention-là.
Surtout, on a mis en place une formation, d'abord dans notre code de conduite, il y a évidemment le fait d'avoir des pratiques non-discriminatoires et on a mis en place une formation pour l'ensemble de nos collaborateurs qu'ils doivent refaire régulièrement, ce qui nous paraît essentiel. Cette formation permet de reconnaître et d'identifier des biais, notamment les biais liés à l'âge et qui propose aussi des mises en situation notamment des mises en situation client réalistes pour aider nos équipes qui recrutent pour le compte de nos clients à répondre à des demandes qui pourraient être discriminatoires.
Nicolas Lagrange
Quel est l'argumentaire que l'on peut déployer face à des entreprises qui ne sont pas convaincues ?
Aurélie Feld
Il faut ramener les clients à une discussion sur la compétence. Il faut aussi les ramener à la réalité du travail. Il y a des métiers pénuriques, des bassins d'emplois qui sont pénuriques. En objectivant la taille des viviers candidats pour un job donné et en leur expliquant que plus ils élargissent et plus ils ont des chances de trouver la perle rare, on arrive souvent à les convaincre. Le plus souvent, quand on leur fait rencontrer, quand ils acceptent de rencontrer des gens qu'ils n'avaient pas imaginés être leur cible, ils finissent par choisir ces gens-là. Finalement cette catégorie senior c'est une catégorie à laquelle on espère tous appartenir un jour. C'est la seule catégorie stigmatisée à laquelle on souhaite tous appartenir.
Nicolas Lagrange
La lutte contre les stéréotypes passe par une meilleure connaissance des publics. Les faits sont là, il y a une vraie difficulté d'accès à l'emploi, Thibaut Guilluy ?
Thibaut Guilluy
Tout à fait, on a un chiffre, c'est 582 jours, les plus de 50 ans passent 542 jours en moyen au chômage contre 311 jours pour les plus jeunes.
On a plus de 50 % des entreprises qui ont quand même des difficultés à recruter. Notre premier enjeu, notre priorité à France Travail, c'est de réduire le gap. Ensuite, c'est plus difficile de revenir à l'emploi quand on a plus de 50 ans, on se prend tous les arguments, les stéréotypes qui ont été présentés. C'est 40 % plus difficile de retrouver un emploi quand on a plus de 50 ans.
Ensuite, il y a plein de leviers, les leviers sont sur les personnes, les conseillers et sur les entreprises. Sur les personnes, peut-être, ça a été dit, il y a des phénomènes où on finit par avoir presque de la perte de confiance, des phénomènes d'autocensure. On était à Tourcoing, car il y a une initiative sur cette ville avec France Travail qui s'appelle Peps, on a échangé avec des personnes de plus de 50 ans qui étaient dans un programme booster. Ça faisait quelques mois qu'ils étaient en difficulté. Quand on se prend des portes pour des raisons qui n'ont rien à avoir avec la compétence, on perd confiance en soi. C'est quelque chose sur lequel il faut qu'on ait une posture d'accompagnement qui soit plus coach. Je pense qu'à l'APEC vous avez un certain nombre de programmes comme ça. C'est ce sur quoi on doit travailler.
L'initiative 50 et plus nous invite à regarder ces sujets.
Nicolas Lagrange
Astrid Panosyan-Bouvet évoquait aussi un nouvel axe pour France Travail, c'est de former les conseillers, les conseillers demandeurs d'emploi et entreprise. Quelle est la démarche qui est en cours d'élaboration?
Thibaut Guilluy
C'est toute la beauté et la difficulté du métier à France Travail. Entre un cadre qui vient d'exercer un métier pendant plus de 30 ans, qui est en deuil car il a été mis de côté, et celui qui quitte son boulot en n'ayant plus forcément la possibilité de l'exercer pour problème de santé, il faut qu'on hyper-personnalise la relation.
Je pense qu'on a un petit sujet quand même sur les outils. On investit sur les enjeux tech pour adapter l'offre et le profil. On a ensuite le sujet de la formation des conseillers pour avoir la bonne posture. A partir du mois de septembre, il y aura des formations qui seront proposées pour se sentir à l'aise dans l'écoute, les arguments, les orientations. On a de vraies enjeux de formation, c'est 9 points de plus de chances de retrouver un emploi supplémentaire, c'est 17 points pour les seniors. La possibilité d'accéder à de nouveaux métiers, etc., c'est un enjeu sur lequel on doit être plus en accompagnement. On ne présente pas la formation de la même manière à quelqu'un qui a 30 ans d'expérience qu'à quelqu'un qui démarre.
Nicolas Lagrange
Merci beaucoup. Vous formez une proportion importante de personnes de plus de 50 ans, Bertrand Lamour, comment lever les freins des employeurs ?
Bertrand Lamour
On a mis en place des programmes de formation qui permettent aux apprenants de se connecter aux entreprises.
Nicolas Lagrange
Qu'est-ce que vous leur dites aux entreprises auxquelles vous présentez vos dispositifs ? D'une manière générale, quel argumentaire déployez-vous ?
Bertrand Lamour
On est sur le domaine des compétences et sur le sujet de pouvoir accélérer les recrutements. Le programme Atout Senior est en expérimentation en Ile-de-France, on l'expérimente en collaboration avec France Travail et des partenaires comme l'APEC notamment.
Nicolas Lagrange
De quoi s'agit- il ? En termes de modalités, c'est quoi le parti pris?
Bertrand Lamour
C'est un programme de formation qui a vocation d'accompagner essentiellement les reconversions. C'est un programme très intensif qui dure 4 mois, 562 heures de formation. Ça nécessite d'avoir des apprenants motivés. Ces 4 mois de formation théorique sont suivis de 4 mois de mise en application pratique en entreprise.
On va accompagner nos apprenants, on va leur redonner toute la boîte à outils pour trouver une entreprise d'accueil. Ils vont être accompagnés pendant 11 jours de formation sur comment construire un CV, chercher du boulot sur les réseaux sociaux, comment utiliser l'IA. Ce sont 11 jours pour acquérir les techniques de recherche. Ensuite, les 4 mois d'application en entreprise, ça se fait sur la base d'un référentiel de compétences.
L'entreprise explique en quoi elle va donner des activités qui correspondent au référentiel de compétences.
Nicolas Lagrange
L'ambition c'est d'ici à octobre 2025 d'avoir 1 000 entrées dans le dispositif.
Bertrand Lamour
On a 450 apprenants au total.
Nicolas Lagrange
Un mot sur les modalités financières ?
Bertrand Lamour
On est sur un système de co-financement entre l'apprenant et l'entreprise. On demande à l'apprenant de financer 25 % de la formation qui est de 8 000 €. Il va utiliser son CPF, et si le CPF est dégarni, France Travail va abonder le CPF. Ensuite, l'entreprise porte 75 % du coût de la formation, c'est une somme qui est imputable en frais généraux. C'est un système qui est simple administrativement pour l'entreprise, peu onéreux pour bénéficier de quelqu'un pendant 4 mois.
Nicolas Lagrange
On va voir une démonstration avec Orano. Une dernière précision sur les profils de ces cadres au chômage. Est-ce que c'est très variable ?
Bertrand Lamour
On a tous les profils. Dans le cadre d'Atout Senior, on a des niveaux CAP-BEP jusqu'à bac+5. On a une ancienne directrice générale qui se forme en responsable ressources humaines. On a un architecte qui se forme pour devenir comptable.
Nicolas Lagrange
Chez ORANO, vous accueillez une salariée demandeuse d'emploi, elle est aujourd'hui dans sa période de 4 mois en entreprise. De quelle manière vous vous êtes inscrite dans ce dispositif ? Quels sont vos retours aujourd'hui ?
Aurélie Marfort
Ce dispositif s'inscrit dans les principes de notre politique diversité qui comporte un volet senior. On est passé de 5 % de seniors en 2019 à 8 % en 2024. Ensuite, ça a été une question d'opportunité. Lorsqu'on nous a présenté le CV de Caroline, l'apprenante, j'ai constaté qu'elle avait eu un parcours dans la restauration collective, elle avait managé des dizaines de personnes. Elle a voulu se reconvertir dans les ressources humaines. Dans la restauration collective, les managers sont les premiers RH des salariés. La bonne surprise, ça a été la rapidité avec laquelle elle s'est intégrée au collectif de travail car elle avait les codes de l'entreprise, la capacité de lire une organisation matricielle. Quelqu'un qui a 23 ans, qui sort de l'école, il met du temps à acquérir cela.
Nicolas Lagrange
Ça vieillit aussi votre pyramide des âges qui est particulièrement jeune ?
Aurélie Marfort
En tant que manager, c'est un vrai plaisir de voir la dynamique intergénérationnelle qui s'opère au sein des équipes, à laquelle Caroline contribue activement. Pour revenir sur le stéréotype du digital, dans cette équipe, les meilleurs ambassadeurs de l'IA sont des seniors, car ils peuvent se débarrasser de certaines tâches qui les embêtent et se concentrer sur la relation.
Nicolas Lagrange
Vous envisagez de l'embaucher ?
Aurélie Marfort
Elle est en processus de recrutement dans l'une de nos filiales en Ile-de-France. La première question du manager a été : quelles sont ses prétentions salariales ? J'ai expliqué qu'elle était animée par autre chose dans cette période de sa vie. Sur la base de cette expérience réussie, on va essayer maintenant d'aller convaincre avec Caroline demain en job dating d'autres apprenants de nous rejoindre et d'autres managers pour les accueillir.
Nicolas Lagrange
Un job dating demain?
Bertrand Lamour
C'est un job dating qui est ouvert aux 50 ans et plus, une vingtaine d'entreprises, avec Madame la ministre qui nous fera l'honneur de sa présence. On a fait une étude sur les apprenants de 2023, il y avait 106 apprenants de 55 ans et plus en 2023. Ils étaient en emploi six mois après la fin de la formation autour de 83 %. 20 % étaient en CDD, 70 % en CDI.
Nicolas Lagrange
C'est une stratégie de massification qui vous pousse à insister davantage sur la recherche d'entreprises qui reste un défi ?
Bertrand Lamour
L'expérimentation avec France Travail, c'est le passage à l'échelle. On constate que tout ce qu'on a dit ce matin s'avère être une réalité, même pour une période de mise en application pratique de 4 mois, c'est difficile d'ouvrir la porte de l'entreprise aux 50 ans et plus.
Nicolas Lagrange
Thibaut Guilluy, on a parlé du fait d'étendre le dispositif à d'autres régions. Quelques précisions sur ce qui est envisagé ?
Thibaut Guilluy
C'est la recette de la démarche France Travail, c'est de tester, d'évaluation, de raffiner le modèle et de l'étendre. On a testé ça sur l'Ile-de-France. On commence à passer à une nouvelle étape, d'autres régions vont passer à l'action. On a démarré sur 23 métiers, on a plein d'autres métiers sur lesquels on a des filières professionnelles qui nous ont dit être intéressées. Et le troisième élément, il y avait cette démarche de modèle économique.
Quand on voit les efforts de formation qui aboutissent parfois à 55 % seulement de taux de retour à l'emploi, c'est extrêmement frustrant pour les demandeurs d'emploi, pour les conseillers. Le taux à plus de 80 %, c'est une étoile du nord qu'on suit de très près avec l'APEC qui fait partie de l'expérimentation. On est dans cette démarche de former pour recruter, c'est-à-dire l'alliance entre l'entreprise, la personne.
Il faut apporter les apports théoriques. Mais on voit bien que les freins à l'emploi, c'est lever les stéréotypes, les peurs du manager. Il n'y a rien de mieux que d'essayer et de cheminer ensemble pour concrétiser.
Nicolas Lagrange
Quelle stratégie de recrutement de salariés expérimentés peut-on mettre en place, Sylvana Baratiny ?
Sylvana Baratiny
Les premiers recrutements de 50 ans et plus, c'était du hasard, c'est vrai. Je me suis dit: tiens, il y a quelque chose à faire, ça peut être pertinent. En Ile-de-France, on a un réseau de partenaires institutionnels et associatifs qui est énorme et qui peut beaucoup aider les PME comme moi qui n'ont pas toujours les moyens de faire beaucoup d'actions. Dans les actions qu'on a pu faire, il y a beaucoup de salons, dont le Salon des Seniors où on ne nous attendait pas. On avait plein de ballons gonflés, la mascotte. Ça a suscité de la curiosité, du "pourquoi pas moi?".
Je parlais des partenaires justement, j'ai entendu, c'est vrai avec France Travail et d'autres partenaires, c'est une vraie collaboration avec les conseillers pro, de les éduquer, leur apprendre comment on travaille, qui on recrute. Eux, ils ont les fiches de poste avec les prérequis et ils ont leurs stéréotypes.
Nicolas Lagrange
Qui recrutez-vous ? Quels sont les profils ?
Sylvana Baratiny
Pas que Lola, vous vous en doutez. Historiquement dans la garde d'enfants à domicile, c'est beaucoup d'étudiants. Mais ça va être aussi des personnes entre 35 et 50 ans qui sont en reconversion, des personnes qui sont des aidants, des personnes qui travaillent dans les cantines le midi par exemple.
Nicolas Lagrange
Est-ce que vous avez aussi des profils qui sont à la retraite, qui sont en cumul emploi-retraite ?
Sylvana Baratiny
Oui, car ça représente un complément de retraite aussi malheureusement. Il y a ce côté complément de revenu mais aussi pour conserver du lien social. J'ai entendu parler de lien intergénérationnel plus tôt dans la journée, je rejoins cette idée qui est importante pour nous. Sur ce sujet-là, tout à l'heure il y avait Les entreprises s'engagent avec nous, on en fait aussi partie.
Nicolas Lagrange
Quels sont les retours des parents sur ces salariés qui ont plus de 50 ans ?
Sylvana Baratiny
Quand on laisse sa chance à la personne, 9 fois sur 10 ça fonctionne très bien, ça fonctionne sur la durée. On a moins de turnover sur ce type de public. Les familles sont ravies.
Nicolas Lagrange
Merci beaucoup. Aurélie Feld, les viviers de candidats de plus de 50 ans peuvent être déterminants, c'est le cas dans les Hauts-de-France, dans le cadre de l'ouverture d'une giga-factory, vous avez travaillé sur une démarche massive face à une situation qui était une filière en création, pas de formation disponible, de nouveaux métiers. Là, le vivier des 50 ans et plus a été décisif.
Aurélie Feld
LHH accompagne Stellantis avec l'ouverture de la giga-factory. Il s'agissait d'accompagner la baisse de production de l'ancienne usine et la montée en charge progressive de la giga-factory.
C'était dans le cadre d'un dispositif pour sécuriser les parcours de gens qui avaient une forte expérience et ancienneté qui étaient dans la catégorie senior. L'idée qui nous animait c'était de créer une sorte d'économie circulaire de la compétence pour recycler de la compétence. Avec le soutien de la région Hauts-de-France et de la Plateforme automobile, on a créé le premier battery training center en France, pour accompagner vers les métiers de la batterie électrique.
Ça consiste d'abord en une certification. Pour qu'une formation soit attirante, il faut qu'elle soit qualifiante. On avait des modules digitaux en mode C'est Pas Sorcier, pour que ça soit engageant. On avait des parcours de 400 heures, c'est un investissement important, dont 70 % en situation de travail dans un environnement qui est contraint, dans lequel il faut porter des protections personnelles et sous atmosphère contrôlée. Et un gros accompagnement car l'enjeu sur ces profils, c'était de ne pas les remettre plus que nécessaire en salle de classe, mais plutôt de les mettre en situation de travail.
A date, on a accompagné plus de 1 000 personnes qui étaient aussi des demandeurs d'emploi, des gens qui venaient d'autres industries, par exemple l'imprimerie ou le secteur tertiaire.
Evidemment, on va continuer.
Nicolas Lagrange
Merci, Aurélie Marfort de chez ORANO, très présente dans le nord Cotentin, vous misez beaucoup sur les plus de 50 ans en reconversion ?
Aurélie Marfort
ORANO c'était 1 600 recrutements en CDI en 2024. On estime que la filière nucléaire devra recruter 100 000 nouvelles compétences en 10 ans.
C'est 1 500 nouveaux recrutements en moyenne par an pour le secteur. Concrètement, la situation dans laquelle nous sommes dans le nord Cotentin, c'est qu'on a une usine à la Hague qui a des besoins sur des métiers critiques tels que la radioprotection ou l'exploitation et la production. On se situe dans un bassin d'emplois en quasi plein-emploi. Le but est de recruter des techniciens qualifiés de niveau bac pro, bac + 2.
On propose des parcours de reconversion professionnelle à des personnes qui sont sur des métiers très éloignés des nôtres parfois. On a accompagnés des coiffeurs, des boulangers sur un contrat de formation, à terme ils obtiennent un certificat qualifiant. Le but étant de les recruter. A travers ces dispositifs, on a une proportion tout à fait intéressante de senior. Ce n'était pas forcément un objectif de base. On a également des femmes.
Nicolas Lagrange
Gilles Gateau, vous avez mené une étude qui a été publiée jeudi dernier sur la manière dont les entreprises ont commencé à se mobiliser sur le sujet, elle fait écho aux témoignages de ce matin et à l'étude présentée par Brice Teinturier.
Gilles Gateau
Ça va être très convergent avec ce qui a été montré tout à l'heure de l'enquête auprès des DRH, c'est un sondage à base représentative des entreprises qui emploient au moins un cadre. C'est la totalité des grandes entreprises et une bonne partie des PME. Ça montre un peu le point de départ d'où nous en sommes. Aujourd'hui, on demande sur les deux dernières années depuis la réforme des retraites : Est-ce que votre entreprise a fait évoluer sa politique RH vis-à-vis des seniors ?
C'est un beau verre à moitié plein, pas tout à fait à moitié. Mais c'est aussi un verre à moitié vide qui montre aussi le chemin qui est à faire devant nous. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a rien dans les entreprises qui n'ont pas fait évoluer depuis ces deux années, mais ça veut dire que la prise de conscience que le recul de l'âge légal et l'allongement de la vie professionnelle impose de prendre de nouvelles mesures et de nouvelles pratiques pour intégrer cet allongement de la vie professionnelle. C'est un processus en cours.
C'est sur les entreprises qui ont mis en place un certain nombre de mesures. C'est le cas d'une majorité de très grandes entreprises. Mais ça rejoint aussi le constat qui a été fait tout à l'heure, c'est ce qu'on a vu au long de la matinée. Quand on pense senior, on va penser à des actions liées à la santé, aux amé nagements de poste, aux conditions de travail, c'est nécessaire dans des situations de pénibilité. C'est moins souvent le cas pour les cadres. Beaucoup d'emplois manuels et physiques, c'est le cas. Des aménagements du temps de travail et de fin de carrière, on est sur des transitions vers la retraite.
Par contre, vous voyez que les actions de transmission des savoirs en fin de carrière, aujourd'hui ce n'est pas une majorité des entreprises qui organise le transfert des savoirs. Si on parle du recrutement et de la formation, on est très loin, c'est 22 % des entreprises qui ont une préoccupation senior dans leur politique de recrutement. On est dans une forme de déni.
Nicolas Lagrange
Deux dernières questions, Thibaut Guilluy et Gilles Gateau, est-ce que l'offre de service de vos entreprises évoluent ? Quelles évolutions sont sur la table ?
Gilles Gateau
Il faut jouer sur toute la gamme. Il faut hyper-personnaliser et innover. On est tous devant ce défi avec humilité. Il faut qu'on ait beaucoup d'humilité par rapport à ça et beaucoup de détermination. Donc hyper personnalisation et innovation. Et nous à l'APEC, on a des dispositifs qui sont dédiés aux 55 ans et plus, type dispositif qu'on appelle Atout Senior, qui valorise finalement un accompagnement avec une forme ...
Nicolas Lagrange
Talent senior sur le parrainage.
Gilles Gateau
Oui, avec un mentorat. On a des actions qui sont dédiées pour les seniors, d'autres qu'on a pensées pour les seniors.
Notamment avec un atelier qui s'appelle Oser les nouvelles formes d'emploi. Pour beaucoup de cadres, ça va être difficile de retrouver le CDI qu'ils avaient auparavant, le fameux deuil de l'emploi miroir qu'il faut faire aussi. Parfois, c'est le CDI lui-même qui va être très difficile. Il y a d'autres alternatives.
Il faut présenter toutes les formes de travail aujourd'hui. On l'a pensé pour les seniors, ouvert à tout le monde, il y a un tiers de jeunes dans cet atelier. L'intergénérationnel dans l'atelier crée quelque chose d'intéressant. Le senior se sent moins dans un ghetto poussé là, avec des jeunes.
On a besoin de choses dédiées et de choses qui sont pour tout le monde dans lesquelles on doit attirer et construire des choses qui seront pertinentes pour les seniors en particulier.
Thibaut Guilluy
Il faut déjà bien exploiter tout ce qui existe. Il y a quand même déjà une belle caverne d'Ali Baba au sein de France Travail. Par exemple sur la méthode de recrutement par simulation, de détection de potentiel, on pourrait l'utiliser beaucoup plus. L'immersion aussi.
Une immersion, 3 jours, 15 jours, c'est parfois ce qui va faire qu'on va débloquer une situation où on avait chacun des freins, ça permet de lever des stéréotypes.
Nicolas Lagrange
Est-ce à dire qu'il ne faut pas forcément une offre dédiée mais aller vers un fléchage des dispositifs ?
Thibaut Guilluy
L'enjeu c'est de simplifier l'accès pour les entreprises, d'ailleurs vous voyez que le problème est souvent sur les petites entreprises, c'est celles qui recrutent le plus et qui n'ont pas de DRH. Notre objectif c'est d'aller les voir. Ça change les choses quand on va dans une démarche de service. Derrière, c'est plus facile de lever un certain nombre de stéréotypes car il y a une relation de confiance qui s'instaure. Main dans la main avec nos partenaires, c'est ce qu'on est en train de déployer partout en France.
Côté conseiller, c'est de se dire : comment on simplifie ça ? On a déjà parlé de la formation. Je pense qu'on va travailler sur des sortes d'ateliers de découverte de l'offre de service sur laquelle on n'avait pas de marketing pour une offre mieux ciblée en fonction du besoin. Donc ne pas réinventer trop de choses. Parfois, un peu de spécifique mais pour le reste, c'est plutôt de faire en sorte de faciliter l'accès à notre belle offre de service.
Nicolas Lagrange
Merci beaucoup. Nous nous retrouvons dans une heure, à 14h10 ici même pour reprendre nos échanges dans les temps.
(pause méridienne)
Merci de bien vouloir prendre place. On va reprendre nos travaux.
On va essayer de garder un timing dynamique et de tenir les temps des différentes séquences de cet après-midi.
Juste avant de reprendre, un élément à vous partager : début 2023, notre groupe AEF Info a monté un groupe de travail dédié à l'emploi des salariés de plus de 50 ans qui associait des représentants de branches, des représentants d'entreprises, les différents acteurs de l'emploi. Ce groupe de travail a débouché sur un livre blanc. Les travaux de ce livre blanc se poursuivent.
Et il va y avoir d'autres prolongements, notamment grâce au cabinet Fidal qui a rejoint le groupe de travail, cabinet qui vient de lancer une étude sur trois ans d'accords d'entreprise dédiée aux salariés de 50 ans et plus, 2022, 2023, 2024, avec l'idée de mettre en avant un benchmark, des bonnes pratiques, des pratiques innovantes. Les résultats seront présentés à l'automne lors du colloque Nouvelle vie professionnelle dédié à l'emploi des salariés de 50 ans et plus, et deuxième livrable, attendu d'ici la fin de l'année, c'est le lancement d'un observatoire de l'emploi des salariés de plus de 50 anse, un observatoire Club Landoy AEF Info avec des données macro, des indicateurs et l'index coté Club Landoy avec des données issues des entreprises qui auront été recensées.
Cet après-midi, des entrées thématiques.
On était sur le recrutement des salariés de plus de 50 ans. On va poursuivre avec une première entrée sur le développement des compétences et l'intergénérationnel, une seconde sur l'usure professionnelle et le maintien en emploi et une troisième sur l'aménagement des fins de carrière et les transitions vers les retraites avant une clôture interministérielle de ce colloque.
Je vais demander à Frédérique Jeske de bien vouloir rejoindre la scène.
Vous êtes présidente de Senior for good, une association citoyenne, vous êtes également membre du cabinet Uskoa Partners, c'est un cabinet de conseil. Vous avez écrit un livre qui s'intitule Le Choc des générations n'existe pas. Vous avez le plaisir d'animer cette séquence dédiée au développement des compétences et à l'intergénérationnel. Bonjour.
Frédérique Jeske
Bonjour Nicolas. Bonjour à tous. Vidéo s'il vous plaît.
(vidéo)
Je pense qu'on peut applaudir.
Parce que c'est une belle PME de nos territoires, Vermorel, qui est spécialisée dans la restauration du patrimoine bâti et la taille de pierre. Vous voyez, ces témoignages nous montrent à quel point le développement des compétences tout au long de la trajectoire professionnelle et le partage, la transmission générationnelle, c'est essentiel, on le voit, à la fois pour préserver un savoir-faire ancestral, mais aussi l'amour d'un métier et bien sûr pour générer de l'innovation et de la performance. Ce que je vous propose, c'est de vérifier cet après-midi si c'est aussi vrai dans tous nos secteurs d'activité avec Mme Béatrice Lafaurie, Mme Laurence Lelouvier, Mme Karine Lopez-Moreau, Mme Anne-Laure Thomas-Briand, et Messieurs Renaud Giroudet et Arnaud Marchat s'il vous plaît. Installez-vous, je vous en prie. Peut-être juste un petit tour de table de présentation rapide avant de démarrer, pendant que tout le monde s'installe. Installez-vous, je vous en prie.
Béatrice Lafaurie, vous êtes directrice générale des ressources humaines du groupe BPCE. Le groupe BPCE, deuxième acteur bancaire en France, groupe coopératif, 100 000 collaborateurs, 35 millions de clients, si je ne me trompe, présente dans la banque de proximité et l'assurance en France avec Banque populaire et Caisse d'épargne.
Laurence Lelouvier, vous êtes DRH du groupe NGE, groupe français de bâtiments et travaux publics, ça veut dire Nouvelle Génération d'Entrepreneurs. Près de 24 000 collaborateurs en France.
Karine Lopez-Moreau, vous êtes DRH chez Siemens France, vous intervenez dans le secteur de l'industrie, des infrastructures, du transport, de la santé, plus de 6 000 collaborateurs en France pour plus de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en tout cas pour la France.
Anne-Laure Thomas-Briand, vous êtes directrice diversité, inclusion et équité de L'Oréal France, qui est le troisième marché du premier groupe cosmétique du monde, L'Oréal, avec 18 000 collaborateurs sur le territoire français.
Renaud Giroudet, vous êtes directeur des affaires sociales de la Fédération du commerce et de la distribution, organisation professionnelle qui représente une cinquantaine d'enseignes à prédominance alimentaire, un secteur de 630 000 ETP qui y sont rassemblées.
Arnaud Marchat, enfin, nous avons quand même deux hommes, nous sommes chanceuses... Vous êtes dans ce même secteur, président de la CPNE, la Commission paritaire nationale emploi, grande surface alimentaire, et secrétaire général CFTC.
On a constaté ce matin à quel point cette transition démographique était déjà là et nous obligeait en tant que dirigeants d'entreprise, par rapport au ralentissement du vieillissement de la population, prolongation de l'espérance de vie en bonne santé, etc., tout ça fait que les actifs expérimentés vont être majoritaires dans notre pays, et on a quatre, voire cinq générations qui se côtoient.
Comment faire de ces évolutions des leviers d'innovation et de performance et gérer ces deux enjeux complémentaires, l'enjeu de la compétence, qui est quand même aujourd'hui l'ingrédient nécessaire d'une employabilité à préserver tout au long d'un parcours professionnel qui s'allonge et s'allonge de plus en plus, dans un contexte où l'obsolescence des compétences est beaucoup plus rapide ? La notion de métier se transforme en une mosaïque de compétences vivantes aujourd'hui.
Deuxième enjeu : comment on fait de ce lien entre génération un dialogue fertile, une coopération performante ? Sachant que, dans notre société, on parle plutôt de tensions intergénérationnelles. Le premier enjeu, le développement des compétences, notamment en deuxième partie de carrière. On aimerait bien savoir comment c'est abordé, cet enjeu, dans un secteur qui est en aussi forte transformation que la grande distribution avec ses 632 000 ETP qui sont majoritairement employés et ouvriers.
Renaud Giroudet, votre branche a signé un accord sur cet enjeu, vous avez réalisé une enquête auprès des salariés de votre secteur pour préparer les futures négociations et actions. Comment se portent les salariés expérimentés de votre branche d'activité ?
Renaud Giroudet
Notre branche est effectivement signataire avec les 19 autres branches réunies au sein de l'Opcommerce, notre opérateur de compétence, d'un EDEC avec le ministère du Travail sur la génération S, qui est destiné à nous mieux faire comprendre et faire mieux appréhender la problématique : le commerce est souvent un secteur jeune qui n'a pas forcément une très grande expérience encore de gestion des deuxièmes parties de carrière, et l'EDEC doit nous donner un certain nombre d'outils.
Et sans attendre cet EDEC, puisqu'il a été signé très récemment, ces travaux vont se dérouler tout au long de l'année 2025 et 2026, donc, nous n'avons encore aucune conclusion de ces travaux, évidemment, mais dans le cadre de notre branche professionnelle, de l'observatoire prospectif de branche paritaire, nous avons décidé de mener une enquête sur les salariés de seconde partie de carrière, de 45 ans et plus, au sein de la branche professionnelle, avec un volet statistique, un volet interrogation des entreprises sur les actions qu'elles peuvent d'ores et déjà mener, un volet extrêmement important pour nous auprès des salariés concernés et puis un volet qui nous ouvre des pistes de travail et d'actions pour améliorer le taux d'emploi dans les années qui viennent, puisque, bon, sur 630 000 salariés, nous avons à peu près 15 % de salariés au-delà de 55 ans, donc, c'est encore effectivement peu; le secteur est jeune.
Et on a besoin effectivement de s'outiller pour mieux appréhender le sujet.
Donc, les résultats de ces travaux viennent d'être présentés à notre CPNE, et ils sont déjà extrêmement riches dans la perspective des négociations de branches que nous allons mener prochainement à la suite de l'ANI qui a été conclu l'an dernier et qui sera prochainement transposé dans la loi. En premier lieu, ces travaux auprès des salariés de 45 ans et plus nous ont un peu rassurés sur un certain nombre de points.
Nous avions été assez inquiets à cause d'une étude qui avait été assez largement médiatisée, une publication de la DARES de début 2023 portant sur la soutenabilité du travail jusqu'à l'âge de la retraite. On constatait dans cette étude que les salariés étaient globalement à peu près à 40 % à considérer qu'ils ne pourraient pas exercer leur activité jusqu'à l'âge de la retraite, que leur métier n'était pas soutenable. C'était la moyenne tous secteurs confondus. Mais le secteur qui venait en premier avec un taux de 66 % était le commerce. Les employés libre-service du commerce, et les hôtes et hôtesses de caisse. C'était extrêmement interpellant comme statistique, parce qu'on se dit que les conditions de travail ne sont pas si désastreuses dans nos activités.
On avait été un peu rassuré, BPCE est présente sur l'estrade, par le fait que l'emploi qui venait immédiatement derrière était les employés de banque. On s'est dit : ce n'est pas non plus un secteur réputé pour des conditions de travail difficiles, les emplois sont sans doute moins physiques que chez nous, donc, c'est sans doute autre chose. Le point commun, c'est le contact avec le public, qui pouvait expliquer ces résultats. Mais c'est interpellant de constater que 66 % de nos employés de magasin considèreraient qu'ils ne pourraient exercer leur activité jusqu'à l'âge de la retraite, contre 45 % chez les ouvriers spécialisés et non spécialisés du bâtiment.
Donc, dans notre enquête auprès des salariés de la branche, menée par l'institut mandaté par l'observatoire paritaire, il y avait cette question sur la soutenabilité de l'activité. C'est là où on a été rassuré. Quand on interroge les salariés de notre branche professionnelle, notre branche professionnelle et surtout les salariés de 45 ans et plus, on constate que seuls 26 % considèrent ne pas pouvoir exercer leur activité jusqu'à l'âge de la retraite.
On est sur des chiffres qui ne sont pas négligeables, mais 26 %, ce n'est pas 66 %, tel que ça ressortait dans les chiffres portant sur l'ensemble de la population, y compris sans doute des jeunes salariés qui n'ont peut-être pas vocation à rester dans nos secteurs d'activité parce que le commerce, ce n'est pas non plus un secteur forcément fait pour tout le monde.
Evidemment, ce taux de 26 % de non-soutenabilité est aussi à mettre en rapport avec le fait que l'enquête montre qu'on a plus de 80 % des salariés qui sont satisfaits de leur activité, qu'ils considèrent très majoritairement que leur emploi, toujours sur les salariés de 45 ans et plus, est bénéfique sur leur santé mentale. Sur la santé physique, un peu moins, parce que nous avons effectivement des emplois physiques, on a 85 % d'employés et ouvriers qui ont des contraintes physiques. Donc, les exigences de ces postes font qu'il y a un peu moins de salariés considérant que l'exercer est réellement bénéfique pour leur santé physique. Mais on est quand même sur une réponse majoritaire. Donc, c'est quand même là aussi bon signe pour l'avenir.
Frédérique Jeske
Quelles sont les attentes de ces salariés ? Est-ce qu'ils sont en évolution ? Est-ce que, en termes de compétences, ils se sentent à l'aise aussi ?
Renaud Giroudet
Deux éléments de réponse par rapport à ça. Le premier qui paraît une évidence, mais c'est bien quand les chiffres nous la confirment, c'est que la population des salariés de 45 ans et plus est quand même fortement hétérogène, et 45 ans, c'est le début de la seconde moitié de carrière, c'est pour ça qu'on a fait débuter notre étude à cet âge-là, et on voit qu'on a une forte appétence pour la poursuite de l'évolution professionnelle sur toute la tranche 45-55 ans. 55 ans, c'est un peu là où a lieu une certaine bascule, où les salariés plus majoritairement souhaitent continuer à exercer l'activité qu'ils exercent sans évoquer d'évolution professionnelle et commencent à pointer la question de la transmission des compétences.
Mais entre 45 et 55 ans, il y a toujours une forte volonté d'évolution, qui est évidemment aussi à mettre en rapport avec le secteur, secteur à forte promotion interne. 45 % de nos cadres ont commencé comme employés. Si on y ajoute ceux qui ont commencé comme agents de maîtrise, on a 65 % de nos cadres issus de la promotion interne. Forcément, le parcours professionnel n'est pas très loin d'être totalement réalisé à 30 ou 35 ans et il se déroule sur une longue partie de la carrière. Alors, cette culture du secteur joue sans doute aussi sur cette approche.
Après, tout notre enjeu, c'est effectivement de repousser cette bascule de 55 ans.
Frédérique Jeske
Est-ce qu'il y a des initiatives d'enseignes par exemple qui travaillent sur le maintien et le développement des compétences professionnelles de ces personnes sur une durée longue ?
Renaud Giroudet
L'approche majoritairement des enseignes est une approche non pas liée à l'âge, mais aux compétences. C'est-à-dire que plusieurs facteurs, mais notamment l'évolution démographique, avec moins d'entrants sur le marché du travail que de sortants dans le cadre des retraites désormais, cette évolution démographique fait que remplacer les partants est loin d'être acquis, surtout quand le plus gros jour de la semaine, c'est le samedi.
On a un certain handicap sur le marché du travail par rapport à ça. Et, donc, l'approche compétences, qui vise, quel que soit l'âge, à maintenir les compétences et les entretenir tout au long, prend le pas sur une logique spécifique troisième ou deuxième partie de carrière et demie.
Frédérique Jeske
Merci. Arnaud Marchat, vous avez activement contribué également à cette enquête. Comment en percevez-vous les résultats ? Et à votre avis, quel rôle on peut donner à cet enjeu du maintien et du développement des compétences en deuxième partie de carrière dans votre branche, dans votre secteur ?
Arnaud Marchat
Bonjour à tous. Je ne suis pas secrétaire général de la CFTC, je risque d'avoir des problèmes, clairement !
Je suis secrétaire national en charge du commerce alimentaire. Et je tiens à rajouter que je travaille aussi dans la grande distribution puisque je suis salarié Lidl. Je tenais aussi, parce que je suis le premier partenaire social et je crois le seul qui fait partie d'une table ronde, et je trouve ça très intéressant et très important, parce que le colloque d'aujourd'hui, tout le monde doit le prendre à bras-le-corps et je pense que les partenaires sociaux, le collège salariés, dont je fais partie, ont beaucoup d'idées à donner.
Juste pour revenir cinq secondes, par rapport à ce matin, j'aime beaucoup les glaces et je n'ai besoin de personne pour me dire si je dois avoir de la vanille ou de la noisette.
Pour revenir à notre sujet, oui, en effet, je suis président de la CPNE et bien avant que l'EDEC soit décidé au niveau de l'Opcommerce, on a voulu faire cette étude qu'on a voulu appeler "étude deuxième partie de carrière", parce que pour nous, tout se prépare dès l'âge de 40-45 ans avant de basculer dans la "seniorité" entre guillemets. C'était donc quelque chose qui nous tenait à coeur parce que, en effet, le mot senior peut avoir une connotation qui est péjorative, alors qu'elle n'a pas du tout à l'avoir. Il y a plusieurs choses, dans la grande distribution, que je représente surtout, c'est savoir: est-ce que le fait d'être senior, est-ce que ça bloque au niveau de l'évolution de carrière ?
Comme l'a très bien dit Renaud, on est un secteur d'activité où l'ascenseur social fonctionne très bien, c'est-à-dire que la moitié ou les trois quarts des directeurs de supermarché ont commencé comme employés ou agents de maîtrise. Par rapport à ça, le fait d'être dans la seniorité ne bloque pas sur la partie encadrement.
Concernant la formation, les formations au niveau des personnes qui sont seniors, c'est à peu près le même chiffre que les personnes qui sont entrantes. Certes, les personnes qui entrent dans l'entreprise ont des formations pour apprendre le métier, etc., mais jusqu'à la fin de la carrière, il y a toujours autant de formations parce qu'il y a besoin de recyclage, au niveau sécurité, sur la chaîne du froid, etc.
Concernant la transmission, je pense qu'on est un secteur d'activité où on a un taux d'alternance à travers tous les métiers de bouche qui est très important, et donc, on a besoin de ces personnes qui transmettent et qui peuvent, après, être soit sur le tutorat, c'est quelque chose de très important... Mais la seule chose qui peut être relativement négative, qu'on n'arrive pas à faire à ce jour, c'est directement de recruter des personnes qui sont seniors. Ça, c'est vrai qu'on n'est pas très fort à ce niveau-là.
Ce qu'il faut savoir, c'est que notre secteur d'activité est un secteur de main-d’œuvre dans lequel on n'a pas des métiers qui sont pénibles, mais des métiers dans lesquels il y a des situations de travail qui sont pénibles. Donc, on se situe un peu au niveau de tout ce qui peut être manutention entre le bâtiment et la banque.
Voilà. On a donc en effet quand même une problématique concernant tous ces salariés qui sont soit employés polyvalents, soit qui sont sur les plateformes logistiques, puisqu'on a aussi des opérateurs logistiques, qui font de la manutention toute la journée, de les amener vers un âge de 60 à 64 ans avec les mêmes rythmes de travail. Et c'est ça qui est compliqué, entre guillemets, parce qu'on a quand même un certain taux d'inaptitudes avant l'âge de la retraite et on a tout ce qui est au niveau aussi bien sûr des TMS, des troubles musculosquelettiques à travers les gestes répétitifs que peuvent faire ces salariés.
Frédérique Jeske
Vous me disiez que les entreprises de votre secteur mettaient en place des dispositifs intéressants, des accords, des actions pour cette deuxième partie de carrière, mais qu'il fallait prendre en compte aussi cette baisse de performance physique liée à la pénibilité de certains postes, et que c'était là que, parfois, il pouvait y avoir des petits hiatus entre l'accord et la réalité du terrain.
Arnaud Marchat
La problématique, c'est qu'on est dans un secteur extrêmement concurrentiel entre les marques. Et donc, où les opérationnels ont besoin de résultats. Et les grands groupes, et l'entreprise à laquelle j'appartiens, Lidl, et ma DRH va intervenir ensuite, en effet, on initie des accords d'entreprise qui sont relativement efficients.
Par exemple, dans mon entreprise, on peut travailler à partir d'un certain âge à 80 %, payé à 80 %, mais l'entreprise paye les charges à 100 % au niveau de la retraite, et à 90 % dans certains cas, puisqu'ils l'ont même relié à l'accord handicap au niveau de l'inclusion. Ce sont des choses qui peuvent être importantes.
Derrière, la problématique, c'est qu'il faut sortir des résultats. Et là, dans la salle, en grande majorité, on a affaire à des gens qui sont dans les ressources humaines, et faire comprendre le message aux opérationnels qui, eux, ont besoin de résultat, c'est là où c'est relativement compliqué, parce qu'employer une personne senior dans un supermarché, une, deux, trois, qui va potentiellement être moins rapide physiquement qu'une personne de 20 ou 25 ans, ce qui est tout à fait normal, elle est très bienvenue, il n'y a aucun souci sur tous nos managers, mais au bout d'un certain temps où on va demander des résultats de performance, de productivité, ça s'appelle différemment suivant l'enseigne, cette personne va ralentir et risque d'avoir ces problématiques qu'elle soit vue plutôt de manière négative.
C'est vrai qu'il y a tout cet axe à travailler entre les services RH et l'opérationnel qui serait important avec potentiellement d'autres dispositifs bien plus longs à travailler avec tous les acteurs.
Frédérique Jeske
Merci beaucoup Arnaud. Anne-Laure Thomas-Briand, vous qui pilotez chez L'Oréal les sujets d'inclusion et de diversité, j'imagine que l'âge fait partie de l'équation. Comment agissez-vous pour développer l'employabilité des collaborateurs, les garder formés, est-ce qu'il y a des dispositifs spécifiques ?
Anne-Laure Thomas-Briand
On a fait un choix, un programme qui s'appelle L'Oréal for all Generations avec une volonté de prendre en compte tous nos collaborateurs dès l'entrée, de la formation, jusqu'à la sortie. Ce qui est intéressant dans ce programme, c'est que, pour le créer, on a essayé de savoir tout ce que faisait le groupe.
On a eu plein de surprises. On s'est aperçu, et je suis certaine que c'est pareil dans plusieurs entreprises, qu'il y avait des dispositifs qu'on ne connaissait pas. On a tout rassemblé et créé ce programme en cinq axes.
Le premier, c'est tout ce qui va être intergénérationnel, lutte contre les biais et stéréotypes, le deuxième lié à la santé, le troisième, qui est le pilier, c'est tout ce qui va être lié à l'employabilité avec les formations; le quatrième, c'est comment on se prépare vers la retraite et ce dès 40 ans, et donc toute la transition, et le départ, et pour ceux et celles qui le souhaitent, comment garder le lien.
Le pilier, c'est la formation. On est un groupe où on est formé dès notre arrivée et tout au long de notre carrière, mais on fait vraiment un focus sur les personnes de plus de 50 ans. On mesure tout. 90 % en 2024 de nos collaborateurs de plus de 50 ans ont été formés, c'est 30 % de nos collaborateurs en France.
On s'est attaqué à différents programmes. Dans toutes nos usines et dans nos centrales, on a travaillé sur tout ce qui est digital, par exemple. On s'est aperçu que, parfois, il n'y avait pas beaucoup de gens qui venaient et que, parfois, c'était tabou de dire: je ne sais pas me servir d'un ordinateur. Donc, on a rendu cette formation obligatoire. Tout le monde vient. Ça fait un rafraîchissement pour ceux qui savent déjà faire, et pour les autres, c'est de la formation sans tabou.
On a formé 99 % de nos plus de 50 ans également à l'IA générative, c'était essentiel pour nous qu'ils soient formés sur ces sujets.
On a également des formations plus individualisées comme "auteur et acteur de son devenir professionnel". Je suppose qu'on est un peu tous pareils. On peut être différents à 20, 30, 40, 50, 60 ans. L'idée, c'est qu'après quinze ans d'ancienneté, chez nous, c'est de partir au vert et de réfléchir aux compétences que l'on a pu acquérir, bien sûr dans son emploi, mais également toutes celles qu'on a pu acquérir parce qu'on fait partie d'un club de foot, d'une association, parce qu'on est devenu parent, parce qu'on a été aidant... toutes les compétences qu'on a acquises au cours de l'année pour se projeter pour se demander ce qu'on veut faire dans dix ans, et se demander : quelles sont les compétences que j'ai déjà ? Quelles sont celles qui vont me manquer ? Et faire un travail avec les RH pour avoir les formations professionnelles qui peuvent manquer.
Les entretiens avec les managers sont importants, également, avec le fait de faire des feedbacks à la personne pour l'accompagner dans son employabilité.
Frédérique Jeske
Des dispositifs dédiés aux expérimentés et d'autres qui s'ouvrent. Sur l'IA, vous avez notamment eu la surprise de voir que ça intéressait toutes les catégories d'âge ?
Anne-Laure Thomas-Briand
Exactement. On a pas mal de surprises comme ça. On avait rassemblé plein de dispositifs épars, et tout ce programme, on le met en main pendant trois jours en juillet à nos collaborateurs où on fait de la pédagogie, où on rend bien sûr des comptes, on explique tout ce qui a été fait pendant l'année, on donne des données, et par tranche de demi -heure, on explique ce qu'on propose sur la formation, ce qu'on propose aux aidants, etc. Pendant trois jours, on dit tout pour faire gagner du temps à nos collaborateurs et qu'ils puissent connaître les programmes qui existent et qu'ils puissent en bénéficier.
Frédérique Jeske
On parlait de l'importance de la communication en interne ce matin, de ce qui existe. Certains intervenants disaient que la communication externe était facile et la communication interne était un peu plus difficile parfois.
Au-delà du développement des compétences, on a ces quatre-cinq générations qui se côtoient au travail. C'est inédit. C'est unique. C'est une richesse.
Enfin si tant est qu'on soit capable, qu'on se mette en capacité de capitaliser sur cette diversité de compétences, d'expériences et de valoriser ce mix intergénérationnel.
Laurence, NGE, un secteur où il y a des enjeux forts de transmission, sur des métiers difficiles. Sur la manière dont vous abordez ce lien intergénérationnel, je vous propose de regarder vos équipes à l'oeuvre dans une courte vidéo.
Il n'y a pas d'âge pour apprendre. On le sent, ce lien intergénérationnel, chez vous.
Laurence Lelouvier
Vous avez vraiment l'ADN de l'entreprise dans cette vidéo. Par rapport au micro-trottoir de ce matin et cette vidéo, il n'y a pas de clivage entre les générations, il y a juste un lien à entretenir, c'est vraiment la courroie de distribution de l'entreprise.
NGE, c'est le quatrième acteur du BTP, c'est un groupe français, mais on est présent dans 20 pays. Quand nous construisons des ouvrages d'art, on peut construire un barrage au Cameroun ou encore plus proche de nous, la ligne 17.2, toute la partie aérienne de cette ligne ou de la ligne 15, il y a un point commun, c'est l'exigence, de qualité, de technicité, d'innovation et l'exigence de sécurité.
Cette exigence-là, elle génère en fait un facteur-clé de succès commun qui est l'esprit collectif, le sens du collectif dans l'entreprise, qui est extrêmement important, parce qu'il a comme socle justement cette transmission. La transmission entre les générations, c'est l'ADN de l'entreprise, c'est l'ADN de nos métiers. Alors, c'est un dispositif qui vient alimenter la courroie de compétences de l'entreprise, et nous avons...
Je vais vous parler juste de deux dispositifs, un dispositif autour du tutorat dont nous sommes très fiers... Avec beaucoup d'humilité. Nous n'avons rien inventé, vous avez sans doute tous ces dispositifs dans vos entreprises, mais ce qui est marquant, dans le groupe, c'est la dimension de ce tutorat et le mode de détection et de formation que nous pouvons avoir. Lors des entretiens d'évaluation, chaque personne est interrogée pour savoir si elle souhaite transmettre, être tuteur, être formateur, formateur interne ou externe, et toutes les personnes sont détectées sur l'ensemble des métiers du groupe, pas uniquement les métiers d'expertise terrain, mais également des métiers supports.
On a aujourd'hui 350 tuteurs en France et à l'international, formés en interne par notre centre de formation des apprentis d'entreprise. C'est un titre certifiant. Ils sont inscrits à l'Ordre des tuteurs. C'est un dispositif qui est aussi très valorisant pour ces personnes. Et ensuite, ils sont, vous l'avez vu, reconnaissables par un casque bleu sur les chantiers. Chaque jeune peut aller les voir pour poser des questions sans aucun problème. Ils sauront leur répondre et les accompagner. On accompagne les tuteurs lors de la formation de trois jours, à la fois sur des formations plutôt techniques, pédagogiques, mais également sur des biais, les biais intergénérationnels. On est vraiment sur cet axe-là. C'est le premier dispositif.
Je les appelle les passeurs d'avenir, puisque sans eux, on ne peut pas construire notre avenir. On est sur des métiers qui sont des métiers d'expertise. Ce matin, on parlait du nucléaire. Dans les écoles, aujourd'hui, personne ne forme au béton nucléaire, personne ne forme des spécialistes sur les circuits de refroidissement, par exemple, personne ne forme des électriciens qui seront spécialisés dans le nucléaire. Ces compétences, nous, nous les avons en interne, mais plutôt des seniors, donc, l'objectif est de s'assurer que ces personnes viennent transmettre cette expertise à nos collaborateurs. C'est le premier dispositif, qui est particulièrement reconnu dans l'entreprise.
Et on valorise nos collaborateurs tuteurs à la fois avec une prime, ça passe aussi par là, mais ce n'est pas ce qui les motive réellement, mais ils sont invités par exemple tous les deux ans par la direction générale, dans une convention. On les a amenés dernièrement, en avril, au Stade de France, et quand vous emmenez des chefs de chantier, des compagnons, des directeurs au Stade de France et que vous leur faites partager la vie de l'entreprise avec une présentation de la direction générale qui les remercie et qui leur explique à quel point leur rôle est vital pour la pérennité et la croissance de l'entreprise, c'est extrêmement important.
On est dans une entreprise qui est en hyper-croissance sur des métiers extrêmement pénuriques, qui peuvent être parfois pénibles, mais qui sont de plus en plus techniques, donc, si on n'a pas ce socle-là de seniors pour transmettre cette compétence, on va perdre le geste métier, on va perdre notre expertise. Donc, ça, c'est un levier de performance d'entreprise et pas qu'un levier RH.
Deuxième dispositif... Il y a eu aussi quelques éléments ce matin, mais on a créé un dispositif qui s'appelle "Ose le BTP", un dispositif de reconversion qui est à la fois interne et externe. On travaille avec France Travail qui va identifier des personnes très éloignées de nos métiers, et par exemple, une prothésiste ongulaire a suivi ce dispositif-là, qui dure un an, qui a eu un titre à bac + 2, qui est aujourd'hui conductrice de pelle.
Elle est beaucoup mieux payée. Elle est très heureuse. Et elle est très respectée par les hommes sur le terrain. Je tiens aussi à le dire ! Donc, on a ces dispositifs-là.
On a trois titres qui peuvent être proposés : un titre de conducteur de travaux, ce sont des niveaux où des personnes peuvent gérer de très gros projets, on les forme en partenariat avec une école et on les accompagne pendant un an. On a des dispositifs autour des bureaux d'étude de prix, etc.
Cette année, on a lancé Ose le BTP au féminin, puisque nos métiers subissent aussi une image qui n'est pas forcément la réalité du terrain aujourd'hui. Donc, il faut qu'on travaille sur ce dispositif-là. On a donc lancé ce programme. On lancera en 2026 "Ose le BTP mécanique", puisque, encore une fois, on n'a pas de formation pour les mécaniciens sur les gros engins. On a des mécaniciens automobiles de performance, mais la mécanique sur les gros engins, c'est très compliqué. Donc, on va créer nos propres mécaniciens en les formant.
Frédérique Jeske
Merci. Formation, compétences, transmission, Béatrice Lafaurie, vous m'aviez dit que la transmission était très présente chez BPCE, mais que c'était aussi un outil de motivation pour les collaborateurs et un levier pour accompagner le changement de regard sur l'âge. Pouvez-vous nous parler des dispositifs que vous avez mis en place ?
Béatrice Lafaurie
BPCE est un groupe coopératif. Nos valeurs nous ont conduits à nous saisir du thème de l'inclusion et de la compétitivité inclusive. Donc, de la gestion des seniors notamment, parce que, en fait, nous considérons que nous avons une responsabilité, un vrai rôle pour créer du liant, du lien, de la solidarité dans nos établissements. Et ça, ça résonne beaucoup chez nous. Et comme on gère quatre générations, quatre générations se côtoient dans nos entreprises, c'est idéal pour une fonction RH, ça nous permet vraiment de générer de la cohésion, d'entretenir des liens, de connecter les gens les uns avec les autres. C'est vraiment très précieux pour nous. C'est un signe très important donné aux collaborateurs.
Si on parle maintenant de motivation, de mobilisation des seniors, je peux peut-être vous citer quatre dispositifs très classiques, mais qui ont pris beaucoup plus de résonnance ces temps-ci. Je trouve qu'on est en train, tous, de réactiver des choses qui existaient et qui prennent beaucoup plus de poids.
Par exemple, on a, comme vous, organisé l'accompagnement des nouveaux collaborateurs, pendant toute la période d'intégration, ce sont maintenant des seniors volontaires qui les accompagnent partout dans le groupe. Autant, il y a quelques années, on avait du mal à piloter ce type de dispositifs, aujourd'hui, on a beaucoup de volontaires pour le faire et les jeunes apprécient énormément ça. Ça se faisait moins. On a besoin d'intégrer et on a des valeurs fortes aussi d'incarnation de notre territoire, on a envie de bien accueillir. Ce sont vraiment des dispositifs qui fonctionnent très bien.
On a aussi développé une action qui s'appelle "Campus For You", animée par l'université du groupe, qui concerne des experts, des sachants, et c'est Natixis, la banque d'investissement et de financement du groupe qui a financé ce dispositif, qui a été repris partout. Il s'agit d'identifier des sachants, ceux qui sont vraiment connus et reconnus dans l'entreprise comme vraiment qui ont dans leurs mains une expertise, un geste métier qu'ils doivent transmettre et dont il faut qu'on assure la transmission.
Cette communauté se regroupe régulièrement et organise des formations. Ce sont des sortes de masterclass ouvertes à tous, qu'on soit banquier de longue date ou de moins longue date. On a accès à ces formations qui peuvent être courtes ou longues. Et c'est très valorisant pour la communauté qui est animée et qui expose tout ce qu'elle sait faire et c'est aussi très intéressant pour tous les jeunes qui viennent apprendre des éléments qu'ils ne connaissaient pas du monde de la banque, des univers dont ils n'avaient pas conscience.
C'est aussi une thématique qui a très bien fonctionné, tellement bien que, aujourd'hui, les membres de cette communauté sont aussi très sollicités par des lignes métier sur des projets transverses, quand on veut réunir des compétences qui réunissent plusieurs lignes métier ou géographiers. Pour ces experts, c'est vraiment un atout formidable.
On s'est dit aussi que la transmission des connaissances et des savoirs, ça ne peut pas non plus passer que par les collaborateurs les plus engagés. Il faut aussi mobiliser les autres. Et pour ça, on a inventé le programme des relayeurs. Ça nous permet d'identifier partout dans l'entreprise tous ceux qui sont à peu près à deux ans d'un âge de partir à la retraite, et une fois qu'on les a identifiés, on identifie avec eux ceux qui vont les remplacer.
On organise la transmission de leurs savoir-faire, de leurs compétences avec la personne qui a été pré-identifiée. Mais c'est très important de les associer très complètement au choix de la personne qui va les remplacer. Ça donne beaucoup de sérénité à l'équipe et à l'entreprise et ça crée du lien.
Ces relayeurs sont régulièrement réunis, ils sont formés, ils sont formés à la transmission des savoirs et à la prise de parole, et ça nous crée aussi une communauté dans l'entreprise.
Et puis aussi, ce qu'on réalise à peu près partout dans nos Banques populaires et nos Caisses d'épargne, c'est la sollicitation de nos seniors, partout sur le territoire, experts ou non, pour des fonctions d'ambassadorat sur différents types de sujets. Ou alors, ils apportent aussi leurs expertises sur des missions d'amélioration continue.
On a ça dans toutes les entreprises, mais là, on a besoin de ceux qui ont vraiment une certaine expertise, qu'on va chercher dans ces dispositifs. Ce sont des exemples qui concernent l'ensemble du groupe, qui sont assez valorisés, sur lesquels on communique beaucoup.
Et en fait, ça fait du bien à tous, aux seniors, mais ça fait du bien à l'entreprise elle-même, et ça participe à l'efficacité, à cette fameuse compétitivité inclusive qu'on cherche à obtenir.
Frédérique Jeske
Et ça permet de changer le regard par la même occasion. Merci . Karine Lopez-Moreau, dans l'environnement industriel de Siemens qui est en forte transformation aussi, on avait échangé sur le fait que l'expertise technique est aussi primordiale chez vous. Vous avez mis en place une série de dispositifs pour assurer ce lien intergénérationnel aussi. Pour vous, qu'est-ce qui est impératif ? Quelles seraient vraiment vos recommandations pour que ça réussisse, toutes ces actions, que tous ces dispositifs aient un impact concret ?
Karine Lopez-Moreau
Chez Siemens, on est effectivement sur des secteurs portés par l'innovation, la technologie, l'excellence. Dans pas mal de nos secteurs, on a une belle pyramide des âges en forme de V et une pénurie de compétences sur le marché.
Tout ça nous contraint à nous pencher sur la question de la transmission, puisqu'il y a un enjeu vital pour nous, qui n'est pas tout à fait nouveau. Mais on va dire que les choses s'accélèrent.
Comme mes collègues, on a essayé de mettre en place des dispositifs pour favoriser cette transmission entre générations. Ce qui me semble fondamental, c'est qu'il faut d'abord une prise de conscience. Je pense que, dans ce cercle, on est tous convaincus de l'enjeu.
Ce que je constate, moi, c'est que ce n'est pas forcément le cas dans toutes les organisations et que c'est important déjà d'avoir cette prise de conscience. Pourquoi ? Parce qu'il faut y accorder un peu de temps et de moyens. Ça ne marche pas tout seul. Ça serait super, mais il faut des choses qui soient documentées, sécurisées, structurées. Je pense que la transmission passe aussi finalement par beaucoup de structure. C'est en tout cas le constat que nous faisons, nous.
On a mis en place effectivement un certain nombre de choses et notamment on demande à chacun, dans l'entreprise, d'identifier son successeur, pas forcément pour que ce soit lui ou elle qui prenne sa place, mais pour se positionner dans une logique où je m'interroge sur ce que j'ai à transmettre, parce que cette question n'est pas forcément évidente, et comment le transmettre.
On fait donc des comités carrière où on identifie pour nos expertises-clés un certain nombre de postes : quelles sont ces expertises-clés, d'abord ? Parce que ça ne va pas de soi. Qui pourrait les occuper ? Quels plans d'action il faut mettre en place ? Est-ce de la formation, de la mise en situation ? Ça peut être beaucoup de choses, du plus simple au plus compliqué.
Et surtout, on suit ces plans d'action. Il faut s'imposer une espèce de rigueur pour que ça fonctionne, sinon, on se fait plaisir dans une réunion, on dit: c'est super, on va faire plein de trucs, et puis, à la fin, on n'a pas forcément fait ce qu'on avait dit qu'on ferait. Il faut avoir encore une fois un peu de structure et de moyens pour faire ça.
Il faut aussi veiller au timing, préparer la transmission. Donc, avoir aussi un calendrier, un agenda. Ça paraît tout bête, mais encore une fois, ce n'est pas simple de mettre tout ça en place.
Ça nécessite donc beaucoup de dialogue, parce que, aujourd'hui, on ne sait pas forcément, en tant qu'employeur, quand tel ou tel va partir à la retraite, on ne sait pas forcément quel est son projet professionnel, on ne sait pas beaucoup de choses, finalement. La clé, c'est d'avoir de l'échange et de documenter, encore une fois, les choses et de les suivre dans la durée.
On a également mis en place du tutorat, du mentorat et j'ajoute que la spécificité, c'est qu'il est systématiquement à double sens, parce qu'on est dans des métiers où on a besoin de compétences qui sont sur le marché, des nouvelles technologies qu'on n'a pas forcément, et à l'inverse, on a des gens expérimentés qui maîtrisent d'autres aspects.
C'est systématiquement à double sens. Et là encore, on se dit les choses : qu'est-ce qu'on veut transmettre ? Et pour faire ça, on forme aussi les gens. Ce n'est pas facile de transmettre. Ce n'est pas inné. On forme donc aussi les gens à transmettre ce qu'ils ont à transmettre. Malheureusement, je n'ai pas de formule magique. Mais ce que je constate, c'est que les choses fonctionnent quand elles sont faites en pleine conscience et avec quand même un peu de moyens et un peu de temps à y consacrer.
Frédérique Jeske
Des process structurés.
Karine Lopez-Moreau
Il faut des process structurés, des choses documentées, parce qu'on peut transmettre à des générations plus jeunes qui sont peut-être aussi plus volatiles que leurs aînés, donc, il faut s'assurer que cette transmission traverse les âges, les générations.
Frédérique Jeske
Il y a une question que je me pose et que j'aimerais vous poser, c'est celle de la place à donner à ces sujets dans l'entreprise. Est-ce qu'il s'agit de sujets RH ? Nous avons plusieurs DRH parmi nous. Est-ce qu'il s'agit de problématiques opérationnelles ?
Ou est-ce que cet enjeu, il ne serait pas finalement beaucoup plus systémique, voire stratégique ? Est-ce que ça ne serait pas aussi quelque part une transformation culturelle supplémentaire qui est à porter, à incarner dans nos organisations ?
Je sais que, Béatrice, chez BPCE, pour vous, c'est un pilier stratégique de l'entreprise ?
Béatrice Lafaurie
Tout à fait. C'est inscrit dans notre plan stratégique.
Pendant assez longtemps, on a été dans un tourbillon de changements que nous connaissons tous dans les RH, entre le changement du rapport au travail, l'accélération technologique, la transition environnementale, les risques géopolitiques... On a peut-être un peu perdu de vue que la révolution démographique était sous nos yeux. Maintenant, ça y est, on l'a bien vue, le mur est là !
Donc, nous, on s'en est vraiment saisi, et dans le thème de la compétitivité inclusive qui fait vraiment partie du plan stratégique, on l'a écrit. On communique énormément parce qu'on se rend compte qu'il faut que tout le monde comprenne ce qui va se passer dans l'entreprise et ce que ça veut dire que de travailler ensemble.
Chez BPCE, les plus de 50 ans, c'est plus de 20 % des collaborateurs, donc, on a besoin que 20 % du capital humain de l'entreprise soit absolument mobilisé. Il n'y aurait rien de pire que de se sentir un vieux travailleur dans l'entreprise, considéré comme tel, dans ce cas-là, on va vouloir atteindre le statut plus enviable de jeune retraité, et ça, ce n'est pas possible pour nous.
On s'est rendu compte qu'il fallait vraiment travailler notre plan senior, on s'est donc donné un KPI et un projet de communication assez classique, comme ce qui se fait sur les stéréotypes avec un plan qui s'appelle "Le talent n'a pas d'âge". C'est assez classique.
On s'est donné un KPI qui est suivi dans chacune de nos entités, dans chaque groupe. On souhaite qu'il n'y ait pas moins de 20 % de collaborateurs de moins de 30 ans et moins de 20 % de collaborateurs de plus de 50 ans dans chacune de nos entités.
Donc, ça, c'est un KPI qui est mesuré et regardé tous les mois au comité de direction générale de BPCE.
Frédérique Jeske
Ce qui ne se mesure pas n'existe pas, on l'a entendu ce matin. Laurence, vous nous disiez que cette transmission était inscrite dans l'ADN de votre entreprise. Ça va au-delà de l'opérationnel ?
Laurence Lelouvier
Je ne vais pas être très originale, mais il ne faut pas en faire un enjeu social isolé. Si c'est l'affaire des DRH, on n'a pas gagné. Il faut que ce soit l'affaire de l'entreprise et l'affaire de tous, les dirigeants, les équipes terrain, etc., et pas uniquement en France, mais aussi à l'international, que ce soit un vrai sujet d'entreprise et porté par tout le monde.
Quelques chiffres : sur les deux dernières années, on a recruté 700 seniors, sur 5 000 recrutements à peu près par an. Je n'ai pas de sujet au niveau des opérationnels en termes d'efficacité.
Lorsque la ministre du Travail est venue voir la ligne 17.2, j'ai repris les taux de fréquence, c'est un indicateur de performance dans beaucoup d'entreprises, et sur les plus de 50 ans, ce taux est de - 3 points par rapport au reste de la population. Les opérationnels, ils sont donc plutôt rassurés de voir dans leurs équipes venir des seniors, je ne parle pas uniquement des expérimentés, ils peuvent l'être dans d'autres secteurs, mais ils viennent avec une certaine sagesse et un certain regard.
Et on donne cette autorisation, et je l'ai vu dernièrement sur le terrain, un jeune ingénieur qui arrivait avec une belle formation et qui arrive sur un terrain extrêmement accidentogène, et là, on a un compagnon qui est là depuis très longtemps dans l'entreprise, qui l'arrête, qui lui dit: non, mais là, tu es en train de tous nous mettre en danger. Je stoppe le chantier. J'arrête, moi, en tant que compagnon, et je passe au-dessus de ma hiérarchie de fonction, finalement.
Et ça, en fait, ce n'est pas un droit. C'est un devoir qu'ils ont. Et c'est ces seniors qui peuvent apporter aussi cette plénitude, cette sérénité, parce qu'ils ont vu tellement de choses... C'est l'effet d'expérience qui fait qu'à un moment donné, ils vont stopper le dispositif. Je partage totalement, c'est vraiment la science du dosage, comment trouver un bon équilibre dans la composition des équipes et ne pas faire de clivages sur cette partie-là.
Frédérique Jeske
Merci. Karine, chez Siemens, on évoquait les métiers à forte expertise technique, avec ce lien expérience et expertise, est-ce qu'une culture interne fondée sur une expertise pointue, ça va faciliter cette inclusion générationnelle?
Karine Lopez-Moreau
On est dans une organisation où la valeur atteint le nombre des années, donc, ça peut aider. Car ce que l'on vend au client, c'est cette expertise, cette expérience, connaître l'écosystème, savoir quelle est l'histoire que l'on partage avec notre client, parce qu'on peut lui apporter, parce qu'on connaît son process...
Tout ça nécessite de l'expérience. On ne peut pas l'avoir en sortant d'école. Ce qu'on a en sortant d'école, c'est la maîtrise des nouvelles technologies. On ne travaille pas la pierre, mais je me retrouve tout à fait dans la vidéo qui a été projetée. Je pense que ce qui fonctionne, c'est parce que, effectivement, chacun est à sa place et apporte à l'autre. Il n'y a pas un sachant qui transmet à un plus jeune, il y a vraiment cet échange et je constate que c'est vraiment un facteur de motivation et d'engagement. J'ai des seniors, entre guillemets, quelquefois, qui viennent et me disent : je n'ai personne à qui transmettre, c'est très angoissant! Et des jeunes qui disent : je ne peux pas recevoir tout ce que j'ai à recevoir.
On a massivement investi dans l'apprentissage, on a regardé ce qu'on pouvait transmettre et à qui. Ces jeunes qui nous rejoignent sont hyper contents parce qu'ils mesurent qu'ils ont beaucoup de choses à apprendre et qu'ils ont beaucoup de choses à donner, et les plus anciens, c'est la même chose, ils apprennent des plus jeunes et ont beaucoup à transmettre.
Dans les équipes dans lesquelles ça fonctionne depuis plus longtemps, on a un taux d'engagement plus élevé et un turn over plus faible. C'est vraiment gagnant-gagnant. Cette coopération intergénérationnelle marche vraiment et on ne sent pas de tensions entre générations, bien au contraire. C'est très fluide. Et c'est très motivant.
Frédérique Jeske
Merci. Et ça va au-delà de la transmission. Si on confirme ensemble que c'est bien une démarche culturelle, stratégique, il faut aussi faire vivre cette culture, animer ce lien. On sait que, pour changer nos modèles mentaux, on a besoin d'être dans le faire, dans l'action ensemble, sortir des préjugés, les fameux stéréotypes dont on a parlé ce matin. On a besoin d'expériences communes. Chez L'Oréal, comment vous animez cette dynamique intergénérationnelle sur la durée ?
Anne-Laure Thomas-Briand
Chez L'Oréal, c'est vraiment sur la durée effectivement, c'est tous les jours. Il fallait qu'on casse les biais et les stéréotypes. Ce n'est jamais acquis. 30 % de nos collaborateurs ont plus de 50 ans. Dans nos slides, j'ai 30 % de collaborateurs sur toutes les photos qui ont plus de 50 ans. Ça peut paraître anodin, mais tous les jours, avec toutes nos présentations, on voit cette représentation qui était vraiment essentielle. Toujours dans la représentation, on a fait une grosse campagne d'information et de sensibilisation l'an dernier. C'est un programme sur toutes les générations avec un focus sur les plus de 50, et du coup, on a pris cette campagne avec les codes des jeunes, avec POV, qu'on retrouve dans les réseaux sociaux, pour parler à tout le monde. Et c'était aussi important parce qu'on ne veut surtout pas qu'il y ait une génération contre une autre. C'est ce que vous disiez. C'est vraiment le travailler ensemble.
Et puis on est convaincu que la vie, c'est une histoire de rencontres. Et pour tous nos collaborateurs, on parlait tout à l'heure de la formation, c'est vrai qu'on a la chance d'être dans un groupe où on est beaucoup formé et toutes les personnes qui intègrent le groupe, et chez nous, c'est souvent jeune, après un apprentissage, une alternance, on a entre deux et trois jours de formation sur les cultures, les valeurs, l'ADN du groupe, les métiers phares, etc. Et depuis maintenant trois ans, on intègre à ces formations 20 % de nos collaborateurs qui ont plus de 50 ans. Pourquoi ? Parce que ça fait trois jours passés ensemble à faire des rencontres. Chez L'Oréal, on est plutôt une boîte avec une culture de l'oral, où on va s'appeler: tu as vu ça ? Tu peux m'aider à faire ça ? Cette rencontre permet beaucoup plus facile d'oser, d'avoir accès...
On s'est dit aussi qu'on allait faire un quiz sur nos sièges, dans nos usines, dans nos centrales, sur l'heure du déjeuner, avec des cadeaux à gagner. Il fallait être en binôme. La seule façon de gagner, c'était d'avoir des binômes intergénérationnels, sinon, c'était impossible de répondre aux questions. On se doutait qu'on aurait un petit peu de monde, mais on ne s'attendait pas du tout à ce que ça marche autant. Plein de personnes nous ont dit: c'est génial, on s'est rencontré, maintenant, on travaille ensemble... Il y a tout ce qui va être visuel, rencontres... On multiplie les expériences et les enrichissements par la preuve et par la performance, en fait.
Frédérique Jeske
Le faire ensemble pour prendre appui sur le commun plutôt que de diviser entre les générations. J'espère que ces bonnes pratiques vont inspirer nombre d'entre nous et beaucoup d'entreprises qui nous regardent peut-être aussi à distance.
Pour terminer ce partage, je voulais proposer à nos intervenants de partager en une phrase, chacune et chacun, peut-être un conseil, une recommandation. Qu'est-ce que vous pourriez proposer aux dirigeants, aux DRH présents aujourd'hui sur ces enjeux de l'importance du développement des compétences à tout âge et de l'optimisation du lien intergénérationnel ? Qui souhaite partager un conseil ?
Laurence Lelouvier
Pas vraiment un conseil, mais je pense que la question du sens, par exemple, qu'on entend beaucoup auprès des nouvelles générations, ce n'est pas uniquement réservé aux nouvelles générations. Le fait de donner la possibilité aux seniors d'être des passeurs d'avenir, ça donne du sens à leur parcours.
Frédérique Jeske
Les enquêtes ont démontré que la recherche de sens était transgénérationnelle, contrairement à ce qu'on entend souvent quand on parle de la GenZ. Autre conseil ?
Anne-Laure Thomas-Briand
Moi, ce serait vraiment d'oser et de ne pas se mettre de barrière. On a lancé un programme cette année pour des personnes très éloignées de l'emploi. Dans la première promotion, on a eu 25 % de plus de 48 ans sur des métiers de vendeuse. On a eu 100 % de femmes, on aurait aimé avoir des hommes. Mais 25 % de plus de 48 ans sur les métiers de la vente... J'entendais souvent sur nos produits: il faut des Tik Tokeuses, etc. Donc, on a tenté ça et ça a été un énorme succès quel que soit l'âge. Et on s'aperçoit que, pour vendre des produits, on va aussi vers des consommatrices qui nous ressemblent, donc, c'est hyper important de faire de l'intergénérationnel. Osons, avançons. Je suis convaincue que l'intergénérationnel, c'est un facteur de performance et de bien-être dans la culture du vivre ensemble.
Frédérique Jeske
Merci.
Béatrice Lafaurie
Je dirais simplement qu'il faut dire aux seniors qu'on a besoin d'eux, parce que, parfois, ils en doutent. Parfois, ils ne le savent pas. On en fait partie. J'en fais partie. Et on a besoin de tout le monde et des seniors. Je pense que c'est ça, le truc.
Frédérique Jeske
Merci.
Karine Lopez-Moreau
Peut-être un mot... On a illustré le fait que ce sujet n'est pas un sujet de RH, même si on peut animer, supporter, etc., mais il faut que l'organisation soit convaincue que c'est une nécessité. Je crois que de mettre en avant des succès, des binômes, des situations de transmission qui ont bien fonctionné, ça permet de faire passer le message et de démontrer que c'est un investissement et que ce n'est pas quelque chose de compliqué et que ça peut être simple et efficace.
Arnaud Marchat
En ma qualité de partenaire social, bien au-delà de ce... Parce que ça pourrait faire peur, à l'âge clivant du départ à la retraite, nous, on part du principe... On comprend que c'est quelque chose qui est générationnel et on a besoin de travailler avec vous, avec les entreprises, parce que, clairement, ça sera un problème pour les entreprises et pour les salariés aussi.
Donc, nous sommes force de propositions. Nous pouvons amener beaucoup de matière au débat et des propositions pour travailler ensemble, que ce soit avec les services RH, avec les services organisationnels, et avec l'Etat, parce que c'est en effet un sujet qui est très important, parce que, après, derrière, on parle de la médiane, qui est l'âge de départ à la retraite, mais après, il y en a une autre, c'est l'âge auquel le salarié a commencé à travailler. Qu'une personne ait commencé à 25 ans, à 15 ans... Il y a le poids du nombre des années de travail qui peut compter, et tous les secteurs en plus sont différents et il faut prendre ça en compte.
Frédérique Jeske
Merci beaucoup. Le mot de la fin vous revient, Renaud?
Renaud Giroudet
Je me garderai bien de donner un conseil aux entreprises, mais peut-être une adresse aux pouvoirs publics : on parle de supprimer les barrières. Ça fait plus de vingt ans qu'on parle de formation tout au long de la vie. Il va y avoir une réforme de reconversion professionnelle prochainement, si on pouvait passer au prisme cette ambition de formation tout au de long de la vie, de manière à supprimer les barrières, parce que l'existence de la barrière psychologique que constitue la limite d'âge à l'apprentissage me paraît délivrer un message totalement contre-productif au regard des objectifs que l'on partage dans cette enceinte.
Frédérique Jeske
Merci beaucoup. Merci à tous. On peut les applaudir. Nous avons quelques minutes pour prendre des questions de la salle, si vous avez des questions pour les participants.
Question dans la salle
Bonjour. Un grand merci à Raoul qui est le patron de l'EHPAD où je vis... Ce que je vous demande à tous, c'est de vous rapprocher d'Outil en main, c'est une association d'artisans qui tous les mercredis après-midi, apprennent à faire du carrelage, tout un tas de choses comme ça. Ce qui est intéressant, c'est cette relation qu'il y a: pourquoi les jeunes sont venus là ? En ce qui me concerne, il y a les pilotes d'avion qui passent sur le simulateur de vieillissement pour progresser et tout ça. Moi, je suis un simulateur de vieux, je peux vous apprendre toutes les dissonances qui ne sont pas les mêmes... Il y a plein de choses comme ça... Il faut absolument qu'on communique là-dessus.
Vous avez à chaque fois utilisé " retraité", " travail", moi j'ai une petite retraite qui me permet de faire une passion lucrative. Si on pouvait parler de passion lucrative, ça changerait tout.
Laurence Lelouvier
Je confirme que c'est une très belle association, on est en partenariat avec vous, on vous accompagne dans le cadre du mécénat de compétences.
Frédérique Jeske
D'autres questions de la salle ?
Question dans la salle
Merci pour vos interventions de qualité, je suis Isabelle Rivière, déléguée adjointe du syndicat professionnel de la formation professionnelle. Que fait la formation dans ce bel univers ? Et notamment pour accompagner les talents, notamment les seniors. Vous avez parlé de la formation que vous avez mise à disposition à hauteur de 99 %, c'est à applaudir des deux mains, parce que honnêtement, quand on regardait ce matin les statistiques de la formation pour les seniors, entre 5,11, voire 17 % pour les entreprises, c'est à vous peut-être d'en parler mais je pense que vous êtes un bel exemple. Il faudrait que ça soit repris dans l'ensemble des entreprises quelle que soit la taille évidemment.
Anne-Laure Thomas-Briand
On essaie tous de travailler, de faire au mieux. Je vous donne ce qui fonctionne. On est fier de voir que 99 % de nos collaborateurs ont été formés à l'IA générative. On a rendu cette formation obligatoire, c'est ça la clé. Les gens ne venaient pas. On l'a rendue obligatoire en se doutant que c'était tabou. Au début, on s'est trompés, on a mis en place cette formation et les gens ne venaient pas, on pensait qu'ils savaient se servir d'un ordinateur, mais non, les personnes étaient gênées de le dire. Ce n'est pas grave de se tromper, on le fait tous, ce qui est important c'est de voir ce qu'on peut faire. Donc sur la formation, on continue. Pour nous, c'est un point clé, ce sont des indicateurs qu'on suit. On surveille tout le temps.
Frédérique Jeske
N'y a-t-il pas un besoin de la part des expérimentés d'oser davantage, de demander des formations ?
Anne-Laure Thomas-Briand
La responsabilité est partagée, ce qui est important, c'est que dans de nombreuses entreprises, dans les grands groupes, on a des échanges réguliers avec les managers, c'est un pont pour dire ce qu'on a envie de faire, peut-être de proposer des formations, de regarder ce qu'on peut proposer en fonction de chacune et chacun.
Frédérique Jeske
C'est totalement transposable à la TPE-PME.
Renaud Giroudet
La responsabilité est partagée, dans notre secteur qui intègre des milliers de jeunes sortis de l'éducation, on leur donne la maîtrise de l'activité.
En tant que senior, je suis expérimenté, on se dit qu'on n'a pas besoin de formation supplémentaire. Il y a aussi ce côté-là à prendre en compte. On ne peut pas se contenter du chiffre du nombre d'heures de formation.
Question dans la salle
Bonjour, je travaille avec la Fondation Face, avec 40 entreprises dans tous le pays. Je tiens à saluer Laurence car je fais partie de notre comité d'orientation qui guide nos stratégies d'action dans le terrain.
Notamment, maintenant, on travaille beaucoup sur les seniors, on met en place des dispositifs qui sont censés créer un cercle vertueux pour la collaboration intergénérationnelle en entreprise. Je serais curieuse de demander aux entreprises sur scène: quel est votre rapport à l'âge ? Est-ce qu'à 50 ans on commence à préparer la retraite, ou bien est-ce qu'on prend les choses en main à partir de 45 ans, à mi-carrière ? Merci.
Frédérique Jeske
Qui veut répondre très rapidement ?
Karine Lopez-Moreau
Sur cette question de l'âge, on ne se transforme pas à 50 ans, je ne suis pas sûre qu'il y ait un cut comme ça, un matin où on se réveille. Il y a une question de systématique. On se forme, on apprend à transmettre, on s' interroge sur où on est, où on a envie d'aller. Je ne crois pas qu'il y ait un âge où il faille se mettre à ce type de routine, je crois à une systématique.
Frédérique Jeske
Merci à vous tous.
Nicolas Lagrange
Merci à tous nos intervenants, deuxième séquence thématique de cet après-midi autour de la santé au travail. On aurait pu choisir la santé mentale, on a choisi l'usure professionnelle et le maintien en emploi. Cinq intervenants : Marie-Elise Garnier et Yvan Le Canderf, Isabelle Quainon, Matthieu Pavageau et Caroline Gonin.
Bonjour à toutes et à tous. On va faire un petit tour de table pour vous présenter rapidement.
Caroline Gonin, vous êtes DRH groupe de Transdev, c'est un groupe de mobilité publique, 100 000 salariés, 19 pays, 70 000 conducteurs. En France, c'est 30 000 salariés, 27 % des salariés français ont plus de 55 ans. Vous avez des enjeux de maintien dans l'emploi pour les salariés.
On poursuit avec Marie-Elise Garnier, bonjour, vous êtes RRH de la société Procanar, qui est située dans le Morbihan. Yvan Le Canderf, vous êtes responsable de production chez Procanar.
70 % de salariés sont en de production, plus de la moitié des salariés ont 50 ans et plus. Vous faites face à des problématiques importantes d'usure professionnelle et de maintien dans l'emploi tout en ayant des besoins de recrutement.
Isabelle Quainon, de Veolia, c'est 45 000 salariés en France, 8/10 sont des ouvriers, des techniciens. Vous avez une problématique importante de maintien dans l'emploi, notamment une partie de vos métiers pour la propreté et les déchets qui sont des métiers pénibles.
Matthieu Pavageau, bonjour, vous êtes directeur technique et scientifique de l'ANACT, agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. L'idée, c'était de commencer avec vous avant d'entrer dans le dur des problématiques d'usure professionnelle pour vous demander : quelle est l'approche plus globalement de l'ANACT qui appelle en général à avoir une approche un peu systémique et qui défend beaucoup l'idée de se pencher sur la soutenabilité du travail ?
Matthieu Pavageau
Bonjour à tous. Merci pour votre question. L'approche, il est important peut-être dans la suite des tables rondes précédentes, de se dire qu'il y a un enjeu fort aujourd'hui à agir en direction des petites et moyennes entreprises qui n'ont pas les moyens des grandes entreprises. C'est un enjeu pour nous de les appuyer.
Pour nous, l'approche, quelqu'un a dit : il faut investir le sujet. Il faut y mettre les moyens. On peut dire la même chose pour la question du travail. Nous, notre sujet c'est le travail, ce sont les situations concrètes que connaissent les travailleurs et travailleuses dans leur métier, dans leur passion. Le travail, c'est une oeuvre collective, on y contribue tous. On souhaite pouvoir bien le faire. Les conditions à réunir ont nombreuses pour pouvoir bien faire le travail. Pour nous, c'est ça qu'il faut investir, il faut se donner les moyens de prendre le temps de comprendre ce qui se passe dans le travail. Il faut aider les acteurs à le faire. Quand on n'a pas de service RH, pas de préventeur dans l'entreprise, eh bien, il faut pouvoir s'appuyer sur quelques recommandations, bonnes pratiques et réunir les conditions pour les mettre en oeuvre.
Investir le travail, c'est aujourd'hui pour nous, quand on parle d'usure professionnelle, c'est notre sujet, ça doit s'envisager un peu plus largement que la seule question des expositions à des facteurs de risque ou à la pénibilité. Ça doit être envisagé de manière systémique. Il faut s'intéresser aux risques professionnels, à ce que deviennent les modes de production dans un contexte où on a les transitions : l'IA, le climat. Certains secteurs sont plus impactés que d'autres.
On a aussi des inégalités d'exposition notamment entre les femmes et les hommes, etc. Il faut le prendre en compte. Il faut s'intéresser globalement à la trajectoire de l'entreprise.
Nicolas Lagrange
Si on vient sur ce sujet de l'usure professionnelle, j'ai retenu quelques chiffres, notamment de Santé Publique France qui dit que sur les maladies professionnelles décomptées en 2023, 9 sur 10 sont liées à des troubles musculosquelettiques.
Comment, dans l'analyse du travail, quel type de point d'appui peut-on prendre ? Quel type de discussion peut permettre d'aborder en entreprise ces questions ?
Matthieu Pavageau
La question de l'usure doit pouvoir faire l'objet de concertation. Pour aller chercher les causes de ces résultats-là on sait qu'on a besoin de se renforcer très fortement en France sur notre capacité à nous concerter sur les conditions de réalisation du travail.
C'est valable quand on veut pouvoir prévenir les risques mais également quand on veut, pour des personnes qui sont en difficulté, pour lesquelles il faudrait ajuster l'organisation du travail pour pouvoir être en activité et pouvoir se refaire un peu la santé. Ça, ça suppose des conditions, une capacité à se concerter.
On a un certain nombre de productions, des outils, des rapports qui mettent ça en évidence. On essaie d'être au service des entreprises pour qu'elles puissent étudier les conditions de prévention primaire, d'aller regarder ce qui crée ces problèmes dans le travail. Quand on a des TMS, ça devient très vite un problème mental quand on éprouve une fatigabilité.
Nicolas Lagrange
Isabelle Quainon, vous avez mis en place de nouvelles initiatives pour favoriser la santé au travail. Juste avant, peut-être un petit focus sur les dispositions que vous avez mises en place pour réduire les TMS ?
Isabelle Quainon
Chez Veolia, la plupart de nos métiers se font sur la voie publique, avec une exposition aux risques de circulation et à tout risque professionnel. C'est un risque fort chez Veolia.
On n'était pas si bon que ça il y a quelques années. On mesure avec le taux de fréquence et plein d'autres indicateurs. On travaille là-dessus. Comme le disait Matthieu, il n'y a rien de simple dans ce sujet-là. Tout ce qu'on peut imaginer sur le papier, rien de tout cela n'est transposable dans la vraie vie. Ça nécessite un travail de fond minutieux pour évaluer les conditions d'exercice d'un métier.
Ça passe par l'évaluation des risques, les plans d'action de prévention, les mesures de protection, l'adaptation des postes de travail, l'information et la formation des salariés. C'est le triptyque indispensable.
Au-delà de ça, ce qui va compter beaucoup pour nous, car on est beaucoup dans des métiers de main d'oeuvre, c'est l'implication de toute la ligne managériale, la traçabilité de toutes les expositions, et faire des adaptations de poste dans des organisations qui sont relativement cadrées, c'est justement très compliqué. Ça nécessite de remettre en cause l'organisation du travail telle qu'elle existe et qu'elle est comprise par tout le monde. Ce n'est pas le plus facile.
Le dernier point, évidemment, qui est important, c'est le dialogue social. Nous, on est dans des activités où le dialogue social est très présent, et ça nous va bien.
Nicolas Lagrange
On y reviendra tout à l'heure. Vous avez testé l'utilisation d'exosquelette sur certains métiers. L'année dernière, vous avez lancé un programme à destination de tous les collaborateurs d'encouragement à l'activité physique. Quelles sont les orientations que vous avez prises à travers ce programme ?
Isabelle Quainon
C'est un programme qui s'inscrit dans une initiative qui s'appelle So Well, Veolia, c'est 220 000 personnes dans le monde, donc on utilise de l'anglais parfois. C'est le bien-être physique, social et mental.
Ce qui nous est apparu de façon assez claire, c'est qu'on pouvait mener des politiques de prévention relativement efficaces. On n'a pas vocation à tout traiter mais on traite une partie du sujet en travaillant sur l'activité physique.
On a des gens chez nous qui sont exposés physiquement, les gens qui ramassent les poubelles par exemple, les ripeurs, chez nous c'est quelqu'un qui va faire 25 km dans sa journée de travail. Il y a quelques années, ils soulevaient des sacs très lourd, ils montent, ils descendent 150 fois par jour. C'est épuisant.
La question de l'usure, elle est très prégnante. On prononce encore pas mal d'inaptitudes, c'est 300 par an. C'est quand même beaucoup.
On s'est rendu compte que l'activité physique pour eux, pour les chauffeurs aussi, ça a beaucoup d'importance. Donc on a lancé ce programme "On Se Bouge" en 2024. C'était l'année des JO, on en a profité. Donc on a fait des challenges sportifs collectifs, des séances d'activité physique sur le lieu de travail, des conseils.
Ça ne marche pas que pour les seniors, ça marche pour tout le monde en vérité, pour les personnes expérimentées... De la sensibilisation à l'activité physique, et puis des évènements sportifs fédérateurs, c'est très bien tombé dans cette année de JO. C'est toute une thématique qu'on a souhaitée mettre en oeuvre.
On a maintenant de façon très régulière des échauffements au début de la journée de travail, on a des étirements à la fin de la journée de travail sur nos sites également. On a des salariés que l'on a formés pour être, ce n'est pas vraiment un coach sportif, mais des gens qui sont capables d'animer des petites séances auprès de leurs collègues. Ça fait une vraie différence, c'est super apprécié. Quand on l'a lancé, on n'était pas si certains que ça mais c'est apprécié.
Nicolas Lagrange
Caroline Gonin, les métiers de la conduite chez Transdev sont moins exposés à ces facteurs de pénibilité. Vous embauchez une proportion conséquente de salariés de plus de 55 ans.
Néanmoins, il y a quand même un certain nombre de gestes qui peuvent donner lieu à des troubles musculosquelettiques. Quels sont les risques ?
Caroline Gonin
En termes de risques, sur ce qui concerne l'usure professionnelle, on a trois grands types de risques.
On a les gestes et postures avec des problèmes de dos, des problèmes dans les bras sur le fait de tenir le volant. C'est renforcé avec le fait que dans nos villes on a plus de dos d'âne, de ronds points.
Le deuxième sujet, ce sont les risques liés à l'obésité, on est sur des professions qui sont statiques.
Et un troisième sujet, qui là est plus d'ordre psychologique avec le problème des agressions, les agressions qui augmentent, on est dans une société plus violente. C'est une forte pression pour les conducteurs et les contrôleurs.
On est sur ces trois grands types de risques. Et pour les actions...
Nicolas Lagrange
Vous aviez envie de nous partager une action de branche avec le programme "Transportez-vous bien".
Caroline Gonin
On a un programme au niveau de la branche pour les conducteurs qui s'appelle "Transportez-vous bien", et qui propose à l'ensemble des conducteurs des solutions d'assessment de santé, de partage d'information, de formation, de coaching, d'accès à des professionnels de la santé sur différentes thématiques, le sujet des gestes et postures, le sujet du sommeil, des addictions, de la nutrition.
C'est un programme qui est financé par des cotisations employeur et salariés qui fonctionne avec notre institution de prévoyance et qui rencontre un grand succès auprès de nos conducteurs qui sont totalement libres d'accéder à l'ensemble de ces supports.
En plus de ça, je parlais tout à l'heure des aspects plus psychologiques, c'est un sujet qu'on travaille beaucoup en termes de formation en amont et en réaction : accompagnement, suivi psychologique, débriefing des équipes et des personnes soumises à des pressions, des violences verbales ou même physiques malheureusement, c'est un gros sujet chez nous.
Et puis un point extrêmement important, nous on a 30 000 personnes en France, des organisations qui sont décentralisées sur l'ensemble du territoire. Il y a un relais essentiel qui est le relais du management. On travaille beaucoup pour supporter nos managers, partager de l'information et pour qu'ils soient les premiers relais sur ces sujets.
Nicolas Lagrange
Lorsqu'une usure professionnelle est constatée, quels sont les aménagements qui peuvent favoriser le maintien dans l'emploi ?
Caroline Gonin
On travaille sur plusieurs sujets, le premier c'est celui de l'organisation du travail qui est un fort irritant pour l'ensemble des conducteurs car dans le domaine du transport public, on démarre tôt, on finit tard, on a des journées qui peuvent être entrecoupées, on travaille le samedi, le dimanche.
Le sujet de l'organisation du travail, c'est quelque chose qui est extrêmement irritant pour l'ensemble des salariés, mais après de nombreuses an nées, c'est d'autant plus irritant.
Auparavant, la manière dont on construisait les plannings de travail, c'est-à-dire qu'on prenait l'ensemble des contraintes extérieures, c'est-à-dire le service pour les passagers, les contraintes des véhicules, réglementaires, ensuite on regardait avec les conducteurs si c'était acceptable par eux.
Aujourd'hui, c'est compliqué de travailler comme cela. Dans les petites organisations on essaie d'introduire plus de flexibilité. Dans les grandes organisations, on est en train de retravailler des nouvelles manières pour construire ces plannings en interrogeant d'abord les conducteurs sur ce qu'ils souhaitent faire. A partir de ça, on construit les programmes de travail.
C'est un renversement. C'est pour tout le monde, et ça fonctionne car on a une grande diversité dans nos équipes et les souhaits sont différents, tout le monde n'a pas envie de travailler le matin, le soir.
On a des tests un peu partout dans le monde. Les Pays-Bas, qui est le pays le plus abouti sur le sujet, on arrive à satisfaire 80 % des demandes des salariés, c'est énorme.
Nicolas Lagrange
Chez Procanar, vous avez décidé d'entamer une démarche globale beaucoup plus systémique de prévention de l'usure professionnelle. Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre une accélération sur ce sujet-là ?
Marie-Elise Garnier
On a commencé à constater des problématiques chez les employés. On avait plus de 30 % de nos départs liés aux inaptitudes professionnelles, l'augmentation de la durée des arrêts de travail. On a aussi beaucoup de recrutement à venir sur les trois prochaines années car un tiers de nos compétences vont partir en retraite.
Nicolas Lagrange
Avec un secteur qui n'attire pas forcément, la découpe, il y a le bien-être animal...
Marie-Elise Garnier
On a agi avec un investissement dans la modernisation de l'usine. On ne va pas pouvoir automatiser à 100 %, on aura toujours besoin de l'humain.
Il faut maintenir les salariés en emploi.
Nicolas Lagrange
Ces investissements dans l'usine ont permis d'automatiser certaines tâches, néanmoins certains métiers restent pénibles, ils ne sont pas automatisables, il y a un gros sujet.
Marie-Elise Garnier
Même si on met des engins d'aide à la manutention, il faut faire évoluer les pratiques des collaborateurs. On a choisi de partir sur le public d'abord de 57 ans et plus mais ça va toucher l'ensemble des collaborateurs de l'usine.
Nicolas Lagrange
Vous avez été accompagnés par l'Aract de Bretagne?
Marie-Elise Garnier
On avait beaucoup d'outils en interne mais on avait des difficultés pour se coordonner. On était tous dans notre coin, on avait du travail à mutualiser. C'est pourquoi on a sollicité l'Aract. C'était très important pour nous de travailler avec nos élus, les partenaires sociaux car déjà la notion de santé, c'est compliqué de parler de santé. De parler de formation, c'est compliqué parce que c'est encore un tabou. On avait besoin d'eux pour nous faire des retours terrain. Et on avait besoin d'eux également pour négocier nos accords.
Nicolas Lagrange
C'est dans votre service, Yvan Le Canderf, que la chargée de mission de l'Aract a effectué une visite d'une journée et a construit un questionnaire pour aller interroger les salariés.
Qu'est-ce que cette démarche a permis de mettre en évidence ?
Yvan Le Canderf
Le premier point qu'on a travaillé, c'est de bien analyser le bilan social et de partager la problématique de l'entreprise. La visite a permis d'analyser nos pratiques, nos contraintes et la difficulté de nos opérateurs à changer de service, de mettre des mots sur leurs douleurs, de mettre en lumière la difficulté de compréhension, la méconnaissance des formations et de leur utilité, la difficulté de langue étrangère puisqu'on a des personnes qui viennent de diverses origines, donc la compréhension de la langue. On avait parallèlement commencé à travailler sur la cartographie de la sollicitation des charges physiques sur les différents postes.
Nicolas Lagrange
Pour évaluer au niveau du corps en fonction des métiers les zones les plus sollicitées. Vous avez fait ce travail, avec une analyse aussi du temps passé en production, des plannings, des temps d'exposition. Quels sont les aménagements que cette démarche a permis de mettre en évidence ? Vous aviez les données sociales d'un côté, ces ressentis de douleur de l'autre. Sur quoi ça a débouché ?
Yvan Le Canderf
Déjà sur un changement de regard de nos employés. La maladie professionnelle n'est plus vécue comme un départ de l'entreprise, mais comme un accompagnement possible au sein de l'entreprise par différentes solutions comme les rotations.
Nicolas Lagrange
Très souvent, lorsqu'il y avait des arrêts de travail, la reprise était compliquée, voire impossible. Avec des cas d'inaptitude. Quand on analyse le travail, on arrive à quelle conclusion, que peut-être on peut continuer à l'exercer mais pas autant d'heures, avec des aménagements ?
Yvan Le Canderf
En ayant des postes plus doux, des postes avec plus de supervision que des postes d'opérateurs. On a eu un travail sur les essais encadrés qui permet pendant un arrêt de travail pendant 14 jours à un salarié de revenir sur un poste ou plusieurs postes, suivant la démarche employée avec eux, de tester.
Nicolas Lagrange
C'est renouvelable une fois, et ça vous l'avez utilisé à plusieurs reprises avec des retours positifs ?
Yvan Le Canderf
On a eu plusieurs salariés, dont le premier qui a été une réussite, une personne qui était sur un poste d'accrochage de volaille, qui a eu des contraintes médicales au niveau des épaules. On lui a proposé un poste moins pénible sur un poste de supervision de machine, d'accompagnement de ligne, ça a permis de changer le regard des autres opérateurs, sur les essais possibles, les recherches de solutions.
Nicolas Lagrange
Les managers sont impliqués dans cette démarche ?
Yvan Le Canderf
Les managers sont à l'écoute des salariés, ils remontent l'information facilement, très rapidement des groupes de travail. Les grosses solutions viennent très souvent des salariés eux-mêmes. Il faut savoir les écouter, essayer. Il ne faut pas avoir peur d'essayer.
Nicolas Lagrange
Merci, on reviendra avec vous sur ce que le dialogue social peut produire. On y revient tout à l'heure.
Isabelle Quainon, les métiers pénibles débouchent parfois sur des inaptitudes et des licenciements, 300 par an. Vous avez signé dans la principale filiale du groupe en novembre 2024 un accord qui met notamment l'accent sur la nécessité d'évoquer ces sujets avec un entretien professionnel renforcé pour les salariés qui exercent un métier pénible. C'est une nouvelle disposition.
Quelques mots sur les modalités de cet entretien renforcé ?
Isabelle Quainon
Chez Veolia, on a un certain nombre de métiers qui sont reconnus comme pénibles. On a trois accords de branche principaux. Les métiers de la propreté, il n'y a pas eu d'accord pour l'instant. Mais on a eu des accords sur les métiers de l'eau et de l'assainissement.
La première disposition, c'est celle que vous évoquiez, c'est la possibilité pour le salarié d'avoir accès à cet entretien, ce n'est pas un entretien de mi-carrière car il suffit d'avoir 10 ans sur le job pour le déclencher. Le but de cet entretien, c'est pour pouvoir de façon anticipée réfléchir à des modalités alternatives. Ça peut-être une poursuite sur le job même, ou bien envisager une reconversion professionnelle qu'on va préparer. On est sur des métiers assez peu qualifiés, sur lesquels on a des gens pas diplômés, pas forcé ment qualifiés. S'il y a une reconversion professionnelle, il va falloir l'anticiper et mettre pas mal de formation, de la formation sur les savoirs de base, de la formation professionnelle. C'est quelque chose qui va prendre plusieurs années. L'intérêt de cet entretien c'est d'anticiper cela.
L'intérêt de le mettre dans l'accord, c'est de le formaliser, d'en informer les salariés, les représentants du personnel qui ont signé l'accord. On a besoin de toutes les énergies pour faire ça.
Nicolas Lagrange
Il y avait les facteurs légaux de pénibilité que vous preniez en compte. Or, vous vous êtes rendu compte que la notoriété du C2P n'était pas très forte, qu'il y avait une action à mener auprès des managers ?
Isabelle Quainon
On a quand même 3 000 personnes pour lesquelles on déclare des droits C2P chaque année dans la propreté. Il reste encore beaucoup à faire. C'est un dispositif qui n'est pas très connu. Soit il n'est pas très connu, soit il pâtit d'un manque de reconnaissance.
Et du coup, voilà, quand on entre dans le métier, on ne voit pas forcé ment l'intérêt de s'inscrire là-dedans et d'activer ses droits, c'est quelque chose de trop théorique. Il y a vraiment besoin d'en faire la réclame. Pour ce faire, il faut communiquer auprès des salariés mais il faut aussi embarquer les RH. Il faut bien expliquer comment ça fonctionne, comment le salarié va créer son compte. Les partenaires sociaux ils sont super importants parce que c'est eux qui vont se faire les avocats de cette possibilité.
Nicolas Lagrange
Avez-vous déjà sollicité le Fipu, un fonds qui permet de financer des actions de prévention notamment ?
Isabelle Quainon
On l'a sollicité dans le métier de l'eau qui est un très gros métier de Veolia en France. Là, l'accord de branche a déterminé l'allocation des fonds. C'est plutôt fléché vers les entreprises plus petites, ce qu'on peut regretter aussi. Mais aujourd'hui ça fonctionne comme ça. En réalité, on est très contents de ce qu'on peut récupérer, mais c'est 25 000 € pour un métier qui représente 10 000 salariés en France. On lancera d'autres actions.
Nicolas Lagrange
Au-delà de cela, il y a des axes d'amélioration qui passent notamment par le dialogue social.
Isabelle Quainon
Les premiers attirés, c'est les agents de propreté, c'est là où les logiques d'usure professionnelle sont les plus prégnantes. Ils ont signé un accord en novembre 2024. Je vais vous dire ce qu'il y a dans l'accord, il y a quatre actions dans cet accord. La première, c'est la retraite progressive. Le principe c'est qu'on a des salariés qui deux ans avant l'âge légal de départ vont diminuer leur activité entre 40 et 80 % et on va leur verser une prime de compensation et ils vont continuer à cotiser pour la retraite comme des salariés à temps plein.
Ça, c'est la première disposition, c'est la retraite progressive. La deuxième, c'est l'aide à la reconversion professionnelle avec ces fameux entretiens pour explorer les possibilités d'évolution sur d'autres métiers.
La troisième disposition, ce sont les actions de formation. Là, c'est principalement des actions autour de l'information sur la retraite et de la sensibilisation sur les gestes qui sauvent, les arrêts cardiaques. Et la dernière disposition, c'est la possibilité de convertir son indemnité de départ en retraite en journées, en temps, pour les convertir en journées. Ça, encore une fois, il est trop tôt pour dire ce que ça fait, mais ça a l'air de beaucoup plaire.
Nicolas Lagrange
Des éléments qui feront le pont avec la prochaine table ronde. Marie-Elise Garnier, chez Procanar, vous avez renégocié des accords d'entreprise. Quelques éléments, si vous aviez des dispositions nouvelles à nous partager, lesquelles seraient-elles ?
Marie-Elise Garnier
Un accord sur les fins de carrière à partir de 58 ans, avec les retraites progressives, le C2P et des temps partiels aidés avec le maintien de la rémunération, une prime aussi de 1 500 € pour encourager les salariés à solliciter les aménagements de fin de carrière. Nous avons mis en place un accord de CET pour les plus de 45 ans.
Nicolas Lagrange
Point clé à évoquer, il y aurait pu avoir beaucoup d'acteurs autour de cette table car il y a beaucoup d'acteurs sur lesquels les entreprises s'appuient. Quels exemples de partenariat vous semblent clés ?
Marie-Elise Garnier
On a les essais encadrés qui sont un levier pour le maintien dans l'emploi. On a travaillé beaucoup avec le service santé au travail, on travaille également avec le Cap Emploi, l'AGEFIPH, etc., pour les aides à l'aménagement de poste de travail. En interne, on a mis en place des permanences RH, ou avec une assistante sociale qui vient deux fois par mois, et puis toutes les ressources de formation emploi comme Transition pro qui peut accompagner les collaborateurs dans les formations.
Nicolas Lagrange
Merci. Caroline Gonin, lorsque ce maintien dans le poste n'est pas possible, quelles sont les solutions que l'on peut davantage pousser pour permettre aux collaborateurs un rebond interne ?
Caroline Gonin
On travaille beaucoup la mobilité professionnelle. En amont de cette mobilité, on a un accord de maintien dans l'emploi dans lequel il est prévu que tout salarié après 10 ans d'ancienneté dans le groupe peut demander de faire un bilan de compétences.
Et puis en termes de mobilité, on a des conducteurs qui souhaitent rester conducteurs, là on peut leur proposer d'être moins exposés avec des véhicules plus légers, une ouverture sur d'autres métiers, avec une reconversion vers des agences commerciales. La très grande majorité de nos managers de premier et deuxième niveau, ce sont d'anciens conducteurs.
Et puis un troisième axe qui est d'évoluer comme formateur. On a un CFA en interne, on utilise beaucoup de conducteurs pour être formateurs dans notre CFA.
Nicolas Lagrange
Vous avez aussi un certain nombre de dispositifs qui visent à aménager les fins de carrière. Peut-être un mot sur deux ou trois de ces dispositifs et sur leur déploiement.
Caroline Gonin
On a des dispositifs de passage à temps partiel entre quatre ans et 2 ans avant le départ à la retraite. Deux ans avant le départ à la retraite, on peut passer à 80 % du temps de travail.
Nicolas Lagrange
Rémunéré 90 %...
Caroline Gonin
Tout à fait. Un paiement des cotisations retraites qui sont payées par l'employeur et un CET fin de carrière.
On a également un congé de fin d'activité, c'est un arrêt total qui peut être pris à partir de 59 ans, qui est rémunéré 75 %, qui est quand même extrêmement intéressant. Une fois qu'on a dit tout ça, ce ne sont pas des dispositifs qui sont beaucoup utilisés.
Nicolas Lagrange
Ça tient à quoi selon vous ? C'est un déficit de connaissance des dispositifs ?
Caroline Gonin
Je pense qu'il y a ça. Il faut qu'on s'appuie aussi sur les managers pour promouvoir les dispositifs. On est un métier qui attire des personnes en milieu de carrière et qui ont envie de démarrer une nouvelle carrière et qui n'ont pas envie de s'arrêter avant leur retraite.
Nicolas Lagrange
Ça peut être un frein psychologique finalement par rapport à tous ceux qui continuent tardivement parfois.
Caroline Gonin
On a aussi des dispositifs de temps partiel notamment pour tout ce qui est transport scolaire. Ça attire des personnes qui sont en fin de carrière. Et puis nous on a quand même la volonté de pouvoir garder les personnes et plutôt de travailler la mobilité professionnelle. C'est beaucoup ce qu'on pousse, formation et mobilité professionnelle.
Nicolas Lagrange
Matthieu Pavageau, pour conclure cette séquence, quelques mots sur l'appui que vous pouvez fournir aux entreprises ? Il y a des intervenants spécialisés, mais ce n'est pas pléthorique. Vous avez mis en place des outils dont les entreprises peuvent se servir en autonomie, quel type de dispositif ?
Matthieu Pavageau
Pour nous, il faut pouvoir investir les sujets qui concernent la relation professionnelle, la qualité de la coopération. Il existe des dispositifs pour accompagner. Notre enjeu, c'est de pouvoir notamment accompagner les situations difficiles. Ça repose beaucoup sur la qualité managériale, sur la vision qu'a l'entreprise des rapport sociaux. On l'a rappelé hier lors de la journée mondiale de la santé et sécurité au travail, si on peut se saisir de cela avec les managers, ça fait la différence.
On agit à l'échelle du territoire. Il y a des acteurs avec lesquels on travaille sur les territoires avec les entreprises, aussi en inter-entreprises pour investir les enjeux travail très concrets en relation avec des enjeux stratégiques : la production sur le territoire, son avenir la filière.
Deuxième niveau, une filière. Une intervention dans l'entreprise. Il faut poser le problème en semble, avoir les mots pour le dire, ça peut être un bon point d'appui pour continuer le travail. Récemment, on a mis à disposition des acteurs des ressources, des outils par exemple pour pouvoir se situer face à cette question complexe d'accompagnement des carrières, de l'usure, des actifs expérimentés.
Nicolas Lagrange
C'est un outil d'autodiagnostic ?
Matthieu Pavageau
C'est un autodiagnostic que peuvent réaliser les entreprises en 10 minutes. L'outil est là. Commencer par se situer, se poser les bonnes questions... On a une série d'outils qui existent depuis longtemps, un qui est un guide pratique d'accompagnement des situations complexes, par exemple le retour après un arrêt long, pour éviter ces situations de rupture qui peuvent générer beaucoup de difficultés et des chiffres qu'on connaît, mais aussi beaucoup d'anticipation avec un regard sur les parcours de santé au travail des travailleurs.
Nicolas Lagrange
Merci beaucoup. Je vous invite à regarder ce guide pratique qui renvoie à des fiches pratiques. Merci à nos cinq intervenants pour leurs éclairages. Je vous invite à faire une petite pause. On se retrouve dans un quart d'heure pour la dernière séquence sur les aménagements de fin de carrière. Merci.
(Pause)
Nous allons reprendre nos échanges. Merci de prendre place.
Dernière séquence avant les conclusions des ministres de cette journée, de ce colloque emploi des salariés de plus de 50 ans, dernière séquence dédiée aux aménagements de temps de travail, de fin de carrière, au cumul emploi- retraite. Isabelle Moreau est aux commandes de cette séquence.
Isabelle Moreau
Je sens que personne n'est concentré. La journée n'est pas finie. On a des contraintes horaires avec les ministres qui vont nous rejoindre.
J'invite à me rejoindre Laëtitia de Montgolfier, Emmanuel Grimaud, Benoît Serre et Philippe Soullier. Merci pour vos encouragements.
Beaucoup de choses ont été dites. D'ailleurs, en échangeant avec les intervenants, certains disaient : beaucoup a été dit ce matin, est-ce qu'on va être originaux ?
Oui, je le pense.
Benoît Serre, vice-président de l'ANDRH, par rapport au rapport rendu public le 10 avril dernier qui confirme l'existence d'un âge pivot, 56 ans, qui est difficile pour retrouver un emploi.
Pour camper cette table ronde, que pensez-vous de ce rapport ? Quel regard portez-vous sur ces fins de carrière ?
Benoît Serre
Ce rapport a le mérite d'exister. Il dit des choses, c'est à partir de 54-55 que ça commence à devenir compliqué. Les entreprises ont mieux appris à les conserver mais pas à les embaucher. On perd son emploi à 56 ans, là, on entre dans une phase extrêmement compliquée.
C'est la première réflexion, c'est la vertu de ce rapport. Si je dois faire un comparatif avec un autre sorti il y a quelques jours, celui de l'IGAS, il dit des choses que n'importe quel DRH en fonction aurait dit depuis longtemps. Au moins, ça a le mérite d'exister. Il y a deux questions : comment fait-on pour éviter qu'à 55 ou 56 ans, la sanction tombe ? Ou comment fait-on pour éviter qu'à cet âge, la capacité de retrouver un emploi s'affaiblisse de jour en jour ?
Sur la première partie, il ne s'agit pas forcément de systématiquement aménager les horaires, les carrières etc. Si on systématisait ce risque de démarche, on créerait une discrimination de plus. En revanche, ce sont des questions à se poser plus tôt, vers 50 ans, pour voir par rapport à l'usure professionnelle, si la personne pourrait souhaiter avoir un modèle d'aménagement et de passage à la... C'est la fin de partie de carrière. Ça fait des années qu'on observe une chute dans l'accès à la formation à partir de 50 ans, 52 ans. Je l'ai vécu. Il y a quelques raisons qui viennent des seniors eux-mêmes, qui disent : j'ai 53 ans, qu'est-ce que tu m'embêtes avec tes trucs, je n'ai pas envie de me former !
C'est un vrai sujet.
Avec le recul, je me rends compte que ceux qui disaient ça sont ceux vers qui on n'a pas fait l'effort de voir ce qu'ils pourraient faire. C'est un premier sujet.
Il faut trouver des moyens d'assouplir. Sur les bassins d'emplois... Pour moi, la question de l'emploi se traite par les bassins d'emplois. Il faudrait faciliter, pour quelqu'un qui a des vraies compétences et une vraie expérience, de pouvoir apporter cela à différentes entreprises sur un même territoire. Et là, le casse-tête juridique est complexe. Ça peut être une idée. Quand vous interrogez des patrons de PME, ils sont tous confrontés à ces choses-là.
Il disent : c'est dommage, car il y a peut-être quelqu'un qui a 57-58 ans... Il faut inventer des choses plus souples pour faire que les conditions d'emploi bougent, et pas uniquement les conditions pour conserver son emploi.
Isabelle Moreau
Un deuxième accord a été signé pour les seniors qui prévoit des dispositions notamment pour les personnes, les plus de 50 ans chez vous, c'est 12 %, qui comptent 46 000 salariés. Quels sont les points saillants de cet accord ?
Laëtitia de Montgolfier
Bonjour, merci de l'opportunité de laisser parler de Lidl. C'est une grande diversité de géographies chez Lidl.
Le premier accord signé en 2021, le deuxième en 2024. Je vous épargne la liste des mesures. Mais sur l'organisation du temps de travail, on a parlé tout à l'heure des mesures sur la réduction du temps de travail des 57 ans et +, on propose un passage à 80 %. Nous rémunérons à 90 % à deux ans du départ à la retraite. C'est une continuité du premier accord.
Nous sommes engagés à continuer sur la retraite progressive, pour faire en sorte que nos salariés en bénéficient. Nous aimerions aller plus loin. Je suis convaincue qu'on peut faire davantage notamment pour le recrutement et l'attractivité de nos métiers pour les 55 ans et +.
On en a parlé avec nos partenaires sociaux. L'idée est de proposer des contrats avec des durées hebdomadaires plus courtes, avec 10-15h, pourquoi pas, et compléter avec des systèmes de formation. On a aujourd'hui un mode d'organisation avec 6 000 étudiants en CDI sur les contrats de 7, 10 ou 14h, qui viennent apporter un soutien à nos équipes sur les week-ends, et ça permet de libérer plus de week-ends pour nos équipiers polyvalents. On voudrait proposer aux 55 ans et + des créneaux plus courts. Ce sont des discussions que nous avons avec le ministère du Travail, avec...
Isabelle Moreau
C'est un niveau de la branche ?
Laëtitia de Montgolfier
Code du travail aussi, le ministère du Travail, France Travail, Les Entreprises s'Engagent notamment.
Sur les autres mesures, on en a une qui est clé notamment, c'est l'entretien proposé aux salariés de 55 ans et +. Tous nos salariés sont invités. C'est en plus de leur entretien annuel.
C'est une boîte à outils qu'on va adapter aux situations individuelles. Cet entretien a lieu sur proposition, sur invitation de l'entreprise. Il peut être renouvelé tous les trois ans. L'idée est de travailler sur le projet individuel personnel de chacun des 55 ans et +. On met en oeuvre les actions dont on parle pendant cet entretien.
Autre mesure : le mécénat de compétences, qui permet de préparer dans la perspective de la retraite, et on a un partenariat avec les Restos du Coeur pour consacrer deux jours par mois pour les salariés à deux ans du départ à la retraite.
Isabelle Moreau
Il y a plein de dispositions, mais je vous invite à regarder l'accord qui est assez vaste.
Philippe Soullier, chez Valtus, dans le management de transition des cadres sup, vous souhaitez qu'on parle d'experts, plus que de seniors.
Votre fil rouge, c'est la valorisation des compétences. La population est un peu différente de Lidl. Vous, c'est vraiment cadre sup.
Comment vous les aidez à gérer leur troisième partie de carrière ?
Philippe Soullier
Je vais reprendre quelques mots. Cadre sup, je n'aime pas tellement ce mot-là, car ça suppose évidemment l'inverse. Expert et senior non plus. J'aime bien le thème de cette conférence: le passage à l'action.
J'ai créé l'entreprise en partant du principe que j'avais des hommes et des femmes avec des compétences, et qui étaient disponibles. Je me suis senti une âme, j'ai téléphoné à des DRH, à des DG pour leur parler du management de transition, mais pas intérim, car l'intérim, ce n'est pas très valorisant en France.
J'ai fait des centaines de rendez-vous en expliquant que je n'avais pas des managers en stock, mais j'en avais en équipe capables de réaliser les missions.
Ce passage à l'action date de 2001, il y avait déjà deux tiers des personnes qui faisaient valoir leur droit à la retraite qui venaient du chômage. Embaucher les seniors, il y a quand même encore des freins.
Par contre, ce que j'aime, c'est que ça leur donne de la fierté, du sens. Ce métier, on sait pourquoi on se lève le matin. C'est ça que j'aime à donner à ces personnes. Mes managers, il n'y en a pas 12 %, c'est 100 %, c'est un métier qui existe à partir de 40-45 ans jusqu'à 75. A 75, on leur fait comprendre qu'il faut arrêter à un moment.
C'est ainsi qu'on arrive aujourd'hui... J'ai démarré en 2001, zéro. Aujourd'hui, on a mille cadres dirigeants qui dirigent les missions. Ce sont des dirigeants. Aujourd'hui, le métier s'est développé, il regroupe des responsables RH, des head of finances. On a envoyé un manager danois en Arabie saoudite qui va piloter une usine agroalimentaire qui s'occupe des poulets.
C'est la transposition des compétences européennes qui sont d'excellents niveaux vis-à-vis d'entreprises qui ont besoin d'un coup de main, d'un coup de boost pendant quelques mois, quelques années.
Isabelle Moreau
C'est essentiellement un public masculin. Car il y a des fonctions qui sont... On ne va pas parler des DAF, où c'est plutôt masculin. Les femmes commencent à être de plus en plus nombreuses, mais il faut encore un peu de temps.
Philippe Soullier
Je ne peux rien faire contre le plafond de verre des années 90. Mais on peut valoriser l'expertise des femmes dans les missions. Si elles ont réussi leur carrière professionnelle aussi brillamment, c'est qu'en tant que manager de transition, elles vont être ultra brillantes. On a 11 % de femmes dans notre base de données et 25 % de femmes en mission. Il n'y a pas beaucoup d'usines dans Paris 8e, mais elles sont dans toute la France et dans toute l'Europe.
Isabelle Moreau
Emmanuel Grimaud, vous avez créé Maximis. Ça fait 21 ans que vous accompagnez les salariés, les cadres dans leur prise de décision sur la retraite.
Vous êtes intervenu à Technicolor sur un plan de départ.
Comment vous travaillez, vous, comment vous intervenez auprès des entreprises ?
Est-ce qu'elles vous appellent pour un plan social?
Emmanuel Grimaud
Vingt ans après, les choses ne sont pas plus claires. Le monde des retraites est un monde d'idées reçues, sachant que les idées reçues sont fausses.
Technicolor était venue nous voir pour nous dire que personne ne voulait accepter le plan social.
On s'est dit qu'on allait d'abord faire un plan d'information et faire tomber les idées reçues et faire un plan personnalisé pour que chaque salarié ait de la clarté sur leurs droits, sur le départ à la retraite. Et ceux qui veulent un entretien individualisé. 98 ont accepté le plan de départ trois semaines après.
A partir de là, plusieurs constats. Là, on était a les pneus qui brûlent, le Préfet qui s'agite. C'était tendu.
De l'ouvrier au dirigeant, voire un président, les ressorts d'angoisse et les incompréhensions sont les mêmes. Ce n'est pas les mêmes mots, pas les mêmes montants, mais les mêmes angoisses. La retraite est un des sujets les plus angoissants.
Le plan de départ, il n'y a pas beaucoup de gagnants dans un plan de départ. Pour le salarié, c'est un chèque pas assez suffisant, c'est du stress pour ceux qui restent. Ce sont des périodes pas drôles.
La question qu'on s'est posé, c'est : n'y a-t-il pas un autre moyen de gérer les populations seniors sans passer par les plans de départ ?
Il y a des métiers en tension, en déclin, il ne faut pas se leurrer, des entreprises qui ont des contextes particuliers, mais on a essayé de développer cette approche. On a des clients qui ont pris le parti de dire: on va mettre en place cette approche personnalisée qui permet... Aujourd'hui, les salariés ne connaissent pas leur date de départ et le montant de la retraite, et le DRH n'a pas le droit de leur poser la question. A partir du moment où le salarié commence à avoir de la certitude, de la clarté, que la nouvelle soit bonne ou pas, du moment que c'est clair, on peut commencer à construire son projet. Du coup, l'entreprise a de la visibilité aussi.
Là, l'entreprise peut déduire l'âge légal, mais elle ne connaît pas le taux plein.
Plus que ça, l'entreprise ne connaît pas l'envie du salarié. Peut-être que je suis carrière longue ?
Là, l'entreprise a cette visibilité. Ça permet d'amorcer un dialogue pour faire du sur-mesure. La technologie permet de faire de l'hyper personnalisation. C'est un domaine dans lequel cette hyper personnalisation est indispensable, car derrière chaque dossier, il y a une famille.
Isabelle Moreau
Vous avez dit : "je n'aime pas trop l'idée du partage de travail". Vous êtes plus favorable à l'idée d'un Compte épargne temps.
Emmanuel Grimaud
On attend la transposition de la loi, car le contrat de valorisation d'expérience prévoit tout ce que vous dites. C'est-à-dire que le sujet, c'est très important. J'ai longtemps pensé, et je continue de le penser, que l'un des principaux freins à l'embauche, car le sujet de conserver les exemples que vous avez données, la plupart des entreprises avancent vraiment là-dessus, c'est une bonne nouvelle. Il y a cinq ans, on était loin de ça.
La question de l'embauche est centrale. Pour une entreprise, il fallait rassurer les deux parties. Si je rassure le salarié en lui proposant un contrat qui lui garantit qu'il ira au taux plein, et si je rassure l'entreprise qui pourra interrompre au taux plein,... Aujourd'hui, vous avez raison, on n'a pas le droit de poser la question. C'est compliqué. J'ai été ravi de voir que les partenaires sociaux s'y sont ralliés.
Parmi les freins à l'embauche, il y a le fait qu'on ne connaît pas la date de départ. Par conséquent, c'est important de pouvoir le faire.
Deuxième chose : vous avez évoqué l'idée du CET, du Compte épargne temps. Le Ministre a un sujet très important de consolidation dans l'entreprise, ça coûte très cher, cette affaire-là. On ne va pas parler de budget, sujet qui fâche.
Il faut ouvrir très largement le CET pour permettre à des gens de le transformer en temps pour partir plus tôt ou pour baisser le temps de travail indépendamment de l'accord.
La question de la transférabilité du CET, l'idée, c'est de pouvoir transférer ces choses-là, pour redonner la main à l'individu.
Chaque salarié expérimenté est différent dans son approche de fin de carrière. Certains veulent baisser, d'autres non, certains veulent arrêter plus tôt.
Beaucoup d'entreprises utilisent l'abondement de l'épargne temps, autant en profiter.
Dans le bilan, c'est vrai, ça coûte cher. C'est peut-être à regarder.
Troisième élément : il existe aujourd'hui les congés de fin de carrière, le fait de garantir à quelqu'un de le payer jusqu'à la fin à taux plein. Ça coûte une véritable fortune. Là, il y a pas mal de gens qui sont candidats. Le senior est protégé, c'est bien, et en même temps, l'entreprise peut avoir un peu de souplesse.
C'est de rendre ceci accessible à des petites entreprises. Dans les grandes entreprises, on a des modèles de protection des seniors en emploi ou sortant d'emploi qui sont plus importants. Il y a parfois 5 à 6 ans de portage. Je ne dis pas que c'est bien. Ce qui est bien, c'est de les embaucher, c'est de les garder. C'est un sujet profondément social et sociétal, sinon on va fabriquer une génération de retraités pauvres.
On ne peut pas ne pas tenir compte du fait que les gens sont aidants. C'est un sujet au-delà de travailler plus, c'est un sujet central.
C'est une politique de responsabilité sociale, de vraie responsabilité sociale.
En plus, le sujet, c'est bien qu'il soit mis sur le devant de la scène, car beaucoup d'entreprises font déjà des choses, maintenant, c'est un combat commun des pouvoirs publics notamment.
Isabelle Moreau
L'un de vos sujets principaux, c'est la communication en interne.
Vous souhaitez aussi attirer à l'extérieur. Comment faire sur un métier comme le vôtre, où il y a une polyvalence organisée dans les différents supermarchés ? Comment attirer des personnes qui ne penseraient pas à Lidl tout de suite ?
Laëtitia de Montgolfier
Je crois beaucoup à la polyvalence.
L'enjeu est multiple. Quand on atteint 55 ans, dans la grande distribution, ce sont des métiers physiques, c'est difficile d'entendre : je ne serai pas capable de!
L'idée, c'est aussi, quand j'ai signé l'acte 50+, j'ai reçu un mail d'une salariée qui me dit: merci de nous valoriser, nous, en tant que salariés de 55 ans et +. J'ai été embauchée à Lidl à 57 ans, au siège, j'ai intégré une équipe de jeunes aux achats. Je pensais ne rien pouvoir apporter, je me rends compte de la force de mon apport." On veut pouvoir valoriser ces témoignages.
C'est possible de travailler dans la grande distribution. On peut aussi aménager nos postes de travail. On a beaucoup travaillé sur la santé et la sécurité. C'est un enjeu surtout sociétal. En entreprise, on a nos magazines internes, où sont expliqués des parcours. On a fait un podcast, on a essayé de mettre en avant sur les réseaux internes, sur les réseaux externes, nos initiatives en faveur des salariés de 50 ans et +. Nous recrutons en cumul emploi - retraite. Il y a des possibilités d'évolution dans les métiers de la grande distribution. Merci, Madame la Ministre, pour l'opportunité de ce colloque, pour valoriser nos salariés de 50 ans et plus.
Isabelle Moreau
Emmanuel Grimaud, vous dites que les personnes sont surprises quand on leur dit ce qu'elles vont percevoir à la retraite. Ça les incite à rester parfois ?
Emmanuel Grimaud
Il y a vingt ans, je m'apprêtais à passer des journées difficiles avec des gens qui allaient me demander comment faire avec une retraite misérable. En réalité, les gens m'ont dit : c'est beaucoup plus que ce que je pensais. Il y a une sous-estimation systématique de nos systèmes de retraite.
On a un système qui est un des plus élevés en Europe.
Le fait que les personnes se disent que c'est une bonne nouvelle, ça leur redonne de la sérénité, de la tranquillité pour prendre les bonnes décisions. Mes amis banquiers et assureurs me diraient qu'ils ne vont plus épargner. Mais les retraités épargnent 25 % de leurs revenus. Donc au contraire.
L'idée, c'est de donner cette clarté.
C'était intéressant ce matin, dans l'étude de Jean-Christophe Sciberras, il était dit que les personnes qui restaient le plus longtemps en poste étaient les taux de remplacement les plus bas.
On est plutôt dans des cas de bonnes surprises, j'ai eu peu de cas critiques avec des personnes qui disaient qu'elles ne s'en sortiraient pas.
Isabelle Moreau
Ce qu'on entend souvent sur les seniors, c'est qu'ils sont moins dynamiques, ils s'investissent moins dans les projets. Pas du tout. Ils s'investissent de manière plus courte, mais à 120 %.
Philippe Soullier
Si on prend un peu de recul, nous constatons que nous sommes dans un monde, une économie de plus en plus volatile, un monde de plus en plus incertain. Trump dit un jour oui, et le lendemain, non. C'est totalement improvisé.
Tout ce monde de volatilité fait que les entreprises doivent s'adapter. On a une hybridation des talents internes et des talents externes.
C'est là que ces talents de managers de transition qui savent pourquoi ils se lèvent le matin, ils veulent donner du sens, de l'impact. Ils vont prendre en main les équipes, réussir les objectifs. S'ils prennent ces missions en main, c'est qu'ils souhaitent obtenir le résultat. Ils sont libres, indépendants, ils sont convaincus de leurs méthodes au service des entreprises.
Isabelle Moreau
L'heure tourne.
Philippe Soullier
On est pas mal, il est 22.
Isabelle Moreau
A tous les quatre, la même question: sur le contrat de valorisation de l'expérience et de l'ANI qui sera transposé dans un texte de loi, ce contrat est-il une bonne solution? Parmi les autres mesures qui ont été négociées dans le cadre de cet ANI, quelles sont celles qui retiennent votre attention ?
Benoît Serre
C'est toujours le même sujet. Il faut avoir le courage de faire.
Ça me permet de faire le pont, sur les retraites progressives qui ont été étendues dans le dispositif qui est très intelligent. Il était mal connu. Le chiffre était ridicule sur le recours à ce dispositif.
Ça, c'est plutôt une bonne chose.
Troisième élément : dans cet accord, c'est le lien avec l'évènement d'aujourd'hui.
Si les entreprises considèrent, ce qui commence à être le cas, qu'embaucher des gens expérimentés, les conserver, cela valorise leur image employeur, alors elles le feront. C'est ce qui est en train de se passer. Les évènements comme aujourd'hui sont utiles pour ça. Après, il faut soutenir la machine.
Apres, il y a une chose à ne pas négliger, on a un vrai sujet de compétences. Tout le monde est en train de devenir compétent.
Il y a des conditions de compétences, on sait qu'il y a un tiers des ouvriers industriels qui partent à la retraite dans les années qui viennent, il va falloir former. Il faut se centrer sur l'effort de compétence pour accompagner toutes les populations, notamment celles qui ont 55 ans.
En période de crise, il faut quelquefois avoir des managers expérimentés, ça ne fait pas de mal. Ils en ont vu tellement, ils sont calmes etc.
Isabelle Moreau
Messieurs, en un mot?
Emmanuel Grimaud
Sur le contrat de valorisation, c'est une très bonne chose, ça enlève l'incertitude de la date de fin de contrat. Il y a encore un problème dans la loi, la mise à retraite d'office à l'initiative de l'employeur.
Sur la retraite progressive à 60 ans, c'est une demande forte, c'est le seul sujet qui suscite l'unanimité entre patronat, partenaires sociaux et gouvernement.
Je rappelle quand même que c'est 31 000 personnes en retraite progressive au 31/12.
Sachant que, dans les études, 40 à 45 % des salariés disent qu'ils sont intéressés par cette retraite progressive.
Il y a un vrai sujet d'information, et aussi une réflexion sur l'organisation du travail et sur le temps partiel. Certains pays arrivent à le gérer mieux que nous. Ce n'est pas facile, ça dépend des métiers, des expertises, mais il y a un vrai travail à faire sur les retraites progressives.
Isabelle Moreau
Philippe Soullier ?
Philippe Soullier
Quand j'ai un manager qui se présente devant moi, qui dit : j'ai 5 ans avant la retraite ; je dis que ça commence mal l'entretien. Moi, je suis plutôt dans la valeur de ses compétences et comment il va pouvoir apporter à l'entreprise. Donc ce n'est pas une question d'âge.
Laëtitia de Montgolfier
Tout dispositif qui permettra de valoriser tout salarié de 50 ans et + sera bénéfique, donc je prends.
Retraite progressive, contrat de valorisation : on est positif sur ces mesures, si on peut avoir plusieurs propositions pour nos salariés.
Isabelle Moreau
Il faut que ça trouve une traduction législative maintenant. Merci à tous les quatre.
Nicolas Lagrange
Catherine Vautrin qui devait être présente vous prie de l'excuser, elle a été conviée à une réunion à l'Elysée. Eric Lombard va rejoindre la scène pour nous livrer un autre éclairage peut-être de nos échanges au travers d'un certain nombre de défis macroéconomiques avec votre regard, Eric Lombard, également, sur les leviers à mobiliser, puis Astrid Panosyan-Bouvet clôturera ce colloque.
Eric Lombard
Bonjour à toutes et à tous.
Madame la Ministre, chère Astrid, on a passé l'après-midi à l'Assemblée nationale ensemble, merci de donner l'occasion à un mâle blanc de plus de 50 ans l'occasion de montrer que ses capacités cognitives lui permettent encore d'échanger avec des jeunes.
La démographie commande, et je commencerai par là, ça a été démontré amplement par un certain nombre de penseurs, de chercheurs, à l'échelle mondiale, avec une baisse de la fertilité, un facteur énorme, qui est bien connu, qui est la hausse de l'espérance de vie, mais ce n'est pas seulement ça qui change, c'est la hausse de l'espérance de vie en bonne santé qui est le facteur en réalité essentiel, si on pense à la situation de nos anciens, pour les plus vieux d'entre vous.
Il y a encore trente ou quarante ans, ça n'avait pas grand-chose à voir avec ce qui se passe aujourd'hui. La conséquence de cela sur l'ensemble des continents, à l'exception pour le moment de l'Afrique, c'est que la population active, définie comme la population en âge de travailler, a commencé à décliner et la conséquence évidente, c'est la baisse de la force de travail, le ralentissement de la croissance potentielle.
Le FMI estime que la baisse de la croissance potentielle dans les 25 prochaines années, et ce n'est déjà pas lourd en ce moment, elle est de 1 % par an moins élevée, de ce fait, dans les années qui viennent. Quand on sait les besoins qui sont devant nous, les conséquences du vieillissement, la transformation écologique, on voit que c'est un défi considérable.
Ça met évidemment une pression qui est analysée de façon parfois un peu atypique dans notre pays, sur les systèmes de retraite et de santé, sur les équilibres budgétaires, et j'y reviendrai parce que c'est un peu mon job au gouvernement, avec Amélie de Montchalain, mais nous considérons que c'est aussi une opportunité parce que les seniors, et c'est aussi l'étude mondiale du FMI...
Une personne de 70 ans en 2022 présente en moyenne une capacité cognitive comparable à une personne de 53 ans en l'an 2000. Quand je dis que l'espérance de vie en bonne santé progresse, c'est mesuré et c'est absolument phénoménal. Ces améliorations ont permis, ces dernières années, une hausse de la productivité d'environ 30 %, une hausse de la participation à l'emploi des seniors de 20 points, malgré tout ce qu'on a pu dire notamment aujourd'hui. Et une augmentation du travail hebdomadaire.
Et donc, c'est à nous de bâtir une économie qui peut utiliser à bon droit ces richesses. Ça exige de transformer notre rapport au travail.
D'abord, peut-être, pour prendre un peu de distance par rapport au sujet, nous étions, avec Astrid, le 15 avril dans un bâtiment pas très loin d'ici, autour du Premier ministre, pour faire état, devant la presse, les élus et devant les Français, de notre situation de finances publiques.
Et le problème de notre pays, pardon de le dire comme ça, mais je ne fais que le dire après le Premier ministre, après les ministres Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet, c'est la quantité de travail. Si on avait le taux d'emploi de l'Allemagne, notre sujet de finances publiques serait quasiment réglé. On regarde souvent nos sujets de finances publiques en regardant la question des prélèvements obligatoires.
En réalité, on est revenu au niveau de 2012, en termes de prélèvements obligatoires, c'est passé un petit peu inaperçu dans la séquence, on est revenu à un niveau qui reste élevé, mais les prélèvements obligatoires dans notre pays couvrent aussi précisément la retraite, la santé. Donc, on est à un peu moins de 43 %.
En revanche, on est à un niveau de dépenses publiques à 57 % et le problème dans notre pays, ça ne va pas tant être la dépense publique, et avant que vous ne m'assassiniez tous, d'abord, la dépense publique, c'est pour un tiers la dépense sociale, l'hôpital, la retraite, justement, l'Etat, mais l'Etat, on sait bien qu'on va devoir dépenser plus pour la défense et la sécurité, et les collectivités locales, qui sont prêtes à dépenser moins, mais pour autant qu'on leur donne plus de ressources. L'équation dans notre pays, en réalité, sur la baisse de la dépens
publique, n'est pas très raisonnable, même si nous nous sommes engagés à la stabiliser, ce qui est déjà beaucoup. Mais en réalité, notre dépense publique n'apparaît comme élevée que parce que la richesse nationale est insuffisante.
Encore une fois, quand on se compare aux grands pays notamment du nord de l'Europe, ils ont un niveau de dépense qui est homogène. Simplement, ils ont un PIB par habitant beaucoup plus élevé.
D'où le fait que, si, par un travail accru, on pouvait avoir un PIB par habitant plus élevé, on aurait réglé à la fois notre problème de dépense publique, notre problème de déficit et le fait que, dans notre pays, à chaque étape, et comme on sort de l'Assemblée nationale, on l'a entendu sur tous les bancs, on veut dépenser moins d'argent public, mais pour qu'il y ait plus de personnes en charge des politiques publiques, donc, à la fin, la réconciliation est un petit peu difficile. Donc, travailler plus...
On ne dit à aucun moment que les Français sont paresseux, ce qui n'est pas du tout exact. La productivité par personne au travail, même si elle a un peu décroché par rapport aux Etats-Unis, elle est en phase avec ce qui se passe en Europe.
En revanche, il y a des facteurs à l'intérieur des parcours, et ça, ce n'est pas politiquement correct d'en parler, mais il faut quand même qu'on le fasse, c'est un taux de maladies plus élevé que dans des pays comparables, donc, les Français sont soit en moins bonne santé, soit il y a d'autres facteurs, plus de vacances que dans les autres pays, et surtout un taux d'emploi des jeunes, et ça, la Ministre est très engagée pour cela, pour ramener les jeunes au travail, parce que toutes les entreprises sont à la recherche de jeunes, toutes ou presque, et ont du mal parfois à trouver des jeunes et sont prêtes à les former.
Il y a une question de coulissage. Mettre les jeunes au travail, c'est un élément de solution. L'autre élément de solution, c'est l'emploi des seniors qui, eux, ont un avantage supplémentaire par rapport aux jeunes, c'est que, en général, ils sont déjà formés.
Je ne vais pas parler du sujet de la réforme des retraites, on a dit qu'on attendrait avant de prendre des décisions, mais quand vous observez l'âge moyen de départ à la retraite des Français depuis que Michel Rocard a lancé le débat par son livre blanc de 1991, on se rend compte qu'il anticipe un peu l'âge légal, et il y a quelque part une force sociale collective qui fait que, en ce moment, les Français comprennent que c'est autour de 62-63 ans, et on voit bien qu'il précède un peu cette date parce que, quand on est en train de prendre un apéritif avec des voisins de son âge et qu'il y en a un qui ne travaille pas, et deux autres qui travaillent, ils se disent...
Il y a une pression sociale. Mettre les Français de plus de 50 ans au travail, c'est bien pour eux, c'est bien pour la productivité et c'est bien pour le budget, et en l'occurrence, ça, c'est mon problème du moment. J'en dirai un mot en conclusion. Faire participer les plus de 50 ans, c'est l'objet de ce séminaire, et étant donné la qualité des personnes invitées, je ne doute pas que vous ayez produit beaucoup d'idées.
Je ne vais pas m'aventurer plus loin sur la question de l'âge légal, mais que les personnes au travail aillent jusqu'à l'âge légal, il y a là une question qui est un sujet social : il y a vingt ans, la mode chez les patrons, c'était de virer les gens de cinquante ans, et puis, les patrons étaient plus masculins à l'époque, c'était peut-être un facteur aggravant. Maintenant, on a plus de mixité chez les dirigeants et on a une culture qui est en train de changer mais qui doit aller jusqu'au bout, c'est-à-dire considérer que, jusqu'à 65 ans, les gens peuvent apporter beaucoup.
Une des façons de traiter le sujet, c'est d'augmenter le taux de participation des femmes, puisque les femmes, malheureusement, et c'est une injustice et une stupidité, sont plus victimes d'être éloignées plus précocement du marché du travail et ont des carrières plus hachées. Si on fait ces trois leviers en même temps, la marge de manœuvre ressort à 3 points de PIB. C'est tout à fait considérable quand on sait combien il est dur de gratter quelques points de PIB en ce moment.
Je veux conclure en rappelant le coeur de l'équation de notre pays et la gravité du moment. Je ne vais pas vous parler des tarifs, même si je reviens de Washington et il y a peut-être un peu de mouvement à l'Ouest, ni des bouleversements du monde, mais nous, on a un danger immédiat qui est le poids de notre dette, 3300 milliards d'euros, cette année, ça nous coûte 67 milliards d'euros de charges d'intérêt et on va vers les 100 milliards d'euros de coût de la dette.
Si on ne s'en occupe pas nous-mêmes, et j'ai rencontré la patronne du FMI à Washington, on s'entend assez bien, la France soutient toujours un agenda de lutte contre le dérèglement climatique, de lutte pour la biodiversité, et à Washington, on est applaudi, maintenant, enfin, pas par tout le monde, et elle ne veut donc que du bien pour la France et me dit: comment je peux t'aider? Je n'ai pas voulu lui dire: surtout, si tu ne m'aides pas, c'est que tout va bien...
Mais la réalité, c'est qu'il faut vraiment qu'on traite nous-mêmes notre sujet de finances publiques parce que c'est un des dangers immédiats qui pèsent, c'est pour ça que je le rappelle, et une des façons faciles de le traiter, c'est de remettre les jeunes de 50 ans, de 60 ans, de 70 ans, même, même si ça dépasse l'âge de départ à la retraite, au travail, et on aura ainsi réglé un problème très sérieux pour nos enfants et petits-enfants et, surtout, je crois profondément que le travail, c'est une façon de se réaliser, de s'intégrer. On aura permis à plus de personnes d'avoir une vie équilibrée pour le bien public.
Merci de votre invitation.
Nicolas Lagrange
Et enfin, la clôture de ce colloque par Astrid Panosyan-Bouvet qui a pu suivre nos échanges, en tout cas au moins toute cette matinée.
Astrid Panosyan-Bouvet
Monsieur le Ministre, cher Eric, merci de ta présence. C'était important que le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique puisse clôturer ce colloque avec vous. Mesdames, Messieurs, chers amis. On arrive au terme de cette journée d'échanges et de mobilisation et les pratiques que vous avez partagées avec nous regorgent d'enseignements précieux.
Comme je l'ai dit ce matin, l'événement d'aujourd'hui n'est pas une fin, ni une fin en soi. Il marque au contraire le début de deux mois de mobilisations intenses sur tout le territoire et jusqu'à notre rendez-vous à Vannes, à la fin du mois de juin, lors de l'université d'été de l'Association nationale des DRH, qui réunit plus de 600 entreprises.
En matière d'emploi des 50 ans et plus, nous devons inverser la tendance dans la durée. Sur le périmètre travail et emploi, nous avons réussi une révolution culturelle de l'apprentissage en la transformant, étape par étape, depuis 2018. Nous avons changé tout à la fois la loi, le regard, les pratiques.
Et cette grande réussite de politique publique peut nous inspirer, elle doit nous encourager et elle doit nous motiver. Ce que nous avons réussi pour la jeunesse de ce pays, et il faut poursuivre, comme l'a dit Eric Lombard, quel que soit son niveau de qualification, nous pouvons aussi le faire pour les 50 ans et plus dans toute leur diversité.
Parce que nous devons travailler tous et parce que nous devons travailler mieux. C'était aussi effectivement le mot d'ordre lancé par le Premier ministre il y a quelques jours.
La marche en France peut sembler haute mais nous devons la franchir. Quand je dis "nous", je pense avant tout aux entreprises, qui étaient très largement présentes lors de ces panels aujourd'hui, à France Travail et à l'APEC, aux partenaires sociaux et à tous les acteurs associatifs qui sont engagés.
Nous devons apporter des changements concrets en termes de conditions de travail, répondre aux aspirations des 50 ans et plus, à leurs besoins légitimes de reconnaissance et de formation, mais aussi de transition et de reconversion. J'étais récemment en déplacement Porte de la Chapelle auprès d'un organisme de formation proposant des dispositifs de reconversion pour les plus de 50 ans, elle s'appelle Winside, je l'ai connue grâce au Club Landoy, elle a décidé de s'attaquer au problème par les trois faces: la tech, les plus de 50 ans et les femmes.
Et ça marche : former au no code ou aux métiers de gestion de projet dans la tech par des bootcamps, des choses extrêmement intenses pendant quatre mois, avec ensuite une expérience pratique dans une entreprise. On a pu aussi travailler avec l'association Force Femme qui a été présenté aujourd'hui, dont l'accompagnement est déterminant pour aider les femmes de plus de 45 ans, au chômage, à construire et relancer leur projet professionnel.
J'ai été également à Nanterre visiter un campus de La Solive, spécialisée dans la reconversion aux métiers de la transition énergétique dans le bâtiment. J'ai croisé des hommes et des femmes de plus de 50 ans qui, en quatre mois, là où les formations durent en général de un à deux ans, ont réussi à trouver leur nouvelle voie dans des métiers en tension extrêmement utiles pour la planète.
Nous devons absolument nous inspirer de ces entreprises, de ces employeurs et recruteurs.
La prochaine échéance devra être celle des compétences et de la façon de penser notre formation continue, qui n'est peut-être pas suffisamment intense et ramassée et pas nécessairement suffisamment en lien et en immersion avec les entreprises dans une logique de former pour recruter.
La mobilisation que nous lançons aujourd'hui a un triple objectif : changer le regard, la loi et les pratiques. Pour changer les regards, il faut gagner la bataille des esprits. Et c'est dans le sens de la grande campagne de communication que nous lançons. C'est une campagne d'ampleur diffusée à la radio, dans les gares, sur les médias digitaux pour frapper fort et partout. On va peut-être citer Gramsci aujourd'hui, il a raison quand il dit que les batailles culturelles précèdent toujours les changements durables, qu'ils soient politiques ou pratiques. Changer les regards, c'est faire une bonne partie du chemin. On a vu la force des préjugés qui associent le regard porté par les managers, les recruteurs, auprès des seniors.
Pour cela, la communication doit circuler et résonner, elle doit s'ancrer. Elle a besoin de vous. Vous devez être nos relais. On a ri ensemble sur les micros-trottoirs qui nous mettaient effectivement en face de nos propres préjugés. Il y aura bientôt des films courts en ligne sur les réseaux sociaux du Ministère et la campagne grand public sera lancée dans quelques semaines. Je compte aussi sur vous pour pouvoir la faire vivre.
Nous allons également changer la loi au-delà des regards. C'est tout le sujet de la transposition de l'accord national professionnel qui va être discuté à l'Assemblée nationale et au Sénat au mois de juin avec des avancées très concrètes, qui ont été discutées ici: la retraite progressive, qui est demandée, mais pas suffisamment connue. Mais là aussi, ça peut exister dans un texte au Journal officiel, si les entreprises et les services RH ne s'en emparent pas... C'est quelque chose que nous voulons faciliter. Il y a le contrat de valorisation de l'expérience pour répondre à la question des employeurs pour pouvoir se séparer d'un salarié au moment où cette personne arrive à temps plein.
Et autre sujet important qu'on a voulu inclure, c'est la relance d'une négociation sur les transitions-reconversions. J'ai parlé des bootcamps, ça pourrait typiquement rentrer là-dedans pour que des personnes à mi-carrière, des personnes dans des secteurs à forte restructuration industrielle, puissent effectivement voir ces dispositifs beaucoup plus simplifiés, mais également beaucoup plus opérationnels et en lien avec les entreprises et les métiers qui recrutent. Si les partenaires sociaux peuvent aboutir à une négociation et à un compromis, on pourra l'embarquer dans le projet de loi qui sera discuté au Parlement au mois de juin.
Et enfin, changer les pratiques. Ce volet a été au coeur des échanges aujourd'hui, il le sera dans les échanges qui vont se poursuivre pendant ces deux mois. Vous connaissez les questions qu'on a évoquées aujourd'hui, vous y êtes confrontés au quotidien et connaissez leur importance. Changer les pratiques ne se fera ni depuis un bureau, ni depuis un Etat -major d'une entreprise, même si on a vu que ces changements doivent être portés au plus haut, puis appropriés par les managers eux-mêmes des services RH qui sont clairement motivés et engagés sur la question.
Mais cela se joue au plus près. Et je pense que toutes les bonnes pratiques qui ont été évoquées (la formation obligatoire à l'usage de l'intelligence artificielle, les cercles vertueux de collaboration intergénérationnelle, les tabous aussi autour de l'illectronisme, les podcasts...) peuvent aussi permettre de parler de ces sujets, là où on essaie de le mettre un petit peu sous la table.
Deux sujets que j'ai notés quand même, notamment dans la table ronde de ce matin, c'était de voir comment les entreprises qui s'intéressent à ces questions des travailleurs expérimentés s'intéressent aussi de manière plus globale à la question de la santé au travail et bien au-delà des segments démographiques et de la question de l'aidance qui devient effectivement plus aiguë quand on s'approche de la cinquantaine.
Les pratiques doivent changer, pas simplement pour les entreprises, mais aussi pour les opérateurs publics. On l'a vu avec France Travail et avec l'APEC. Je suis très heureuse qu'on puisse d'ailleurs aujourd'hui généraliser cette expérimentation de Atout Senior qui a commencé en Ile-de-France et qui vise là aussi à sensibiliser, former les conseillers France Travail sur cette problématique très particulière des demandeurs d'emploi de plus de cinquante ans pour à la fois les intégrer dans une approche plus collective, les aider à définir un projet et ensuite, pourquoi pas, les insérer dans cette logique de bootcamp.
On l'a vu avec l'organisme de formation qui était présent, IFOCOP, comme on peut le voir avec d'autres. C'est vraiment l'ensemble de la chaîne de l'emploi (recruteurs, entreprises, agences publiques) qui doit changer. Notre initiative se veut ambitieuse... Là, c'est mon téléphone, je n'ai mis ma sonnerie que quand mes filles appellent, et je leur ai toujours dit: appelez-moi quand c'est urgent, mais deux fois sur trois, ce n'est pas urgent ! On verra bien. C'est aussi ça... !
Partout en France, donc, c'est ça que je veux dire, au mois de juin... Parce que là, ça se tient ici, il y aura des choses au Parlement avec le vote de la loi, mais il y a aussi ce que vous continuerez à relayer avec des ateliers pratiques, des échanges, des Job Fair à Lille, Paris, Rouen, à Rennes, dans toutes les régions. Le terrain est déjà en mouvement et les bonnes pratiques ne relèvent pas du supplément d'âme, ces bonnes pratiques offrent des perspectives, mobilisent et donnent de la fierté. Nous allons poursuivre. Je n'ai cité que très peu d'organisations, de peur d'en oublier, tant elles sont nombreuses à œuvrer sur le terrain, mais je vais faire deux exceptions. En matière d'engagement, je tiens à saluer le travail du Club Landoy, l'engagement du groupe Bayard et celui de Sibylle Le Maire, la charte initiée par le Club est un modèle du genre. Merci beaucoup. Tout à l'heure, 170 entreprises signeront cette charte.
Merci à l'ANDRH qui, de par sa présence aujourd'hui, et merci aussi à vous, et à toi Benoît, et à cette grande initiative qui conclura à Vannes, qui donne aussi cette capacité à être en lien avec les entreprises et cette crédibilité auprès d'elles, parce qu'on veut aussi être en phase avec toutes les entreprises et de tailles différentes, donc merci à l'ANDRH. Je veux enfin remercier Daniel et Nicolas Lagrange pour avoir contribué à cette réussite de cette journée, pour leur mobilisation sans faille au service de l'emploi des 50 et plus. Aujourd'hui, ce n'est que le début d'un grand chantier. Il ne faut pas abuser du vocabulaire martial, mais c'est véritablement une bataille. D'autre pays européens ont réussi ce pari, ils s'y sont mis avant nous: la Finlande, le Danemark, la Suède, l'Allemagne... On va y arriver nous aussi si on est capable de changer à la fois les regards, les pratiques et la loi qui va arriver.
Merci et au travail ! A bientôt.
Nicolas Lagrange
Une dernière information à l'attention des entreprises, les nouvelles entreprises qui précisément vont changer la charte, rendez-vous ici même dans une demi-heure, à partir de 18h20. Merci à toutes et tous.
Bonne soirée.
Contact presse
Cabinet de la ministre chargée du Travail et de l’Emploi
Elie Revah
elie.revah@travail.gouv.fr
Image générée par une intelligence artificielle et vérifiée par un agent de l'État