Intervention de Myriam El Khomri - remise de l’avis du CESE

Remise de l'avis du CESE sur le développement de la culture du dialogue social en France - 1er juin 2016
Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président du Conseil économique et social, cher Patrick Bernasconi,
Madame la Présidente de la section sociale, chère Sylvie Brunet,
Messieurs les rapporteurs, chers Luc Berille et Jean-François Pilliard,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie pour votre présence et pour la remise et la présentation de cet avis qui constitue un travail majeur. Je le fais d’autant plus chaleureusement que j’ai conscience que les délais qui vous ont été imposés ont été particulièrement courts.

L’actualité que nous connaissons ne constitue sûrement pas la plus nette illustration que nous pourrions donner d’un dialogue social apaisé et constructif. Elle a pu donner du grain à moudre à ceux qui affirment que notre pays, dont l’histoire sociale a toujours été marquée par une forte conflictualité, n’est pas fait pour la négociation.
Par l’avis que vous me remettez aujourd’hui et qui a été adopté, soulignons-le, à une très large majorité (147 voix pour ; 5 voix contre ; 27 abstentions), vous nous démontrez le contraire. Vous faites la preuve qu’au-delà des postures, il y a dans notre pays des femmes et des hommes qui croient au dialogue social et qui veulent le mettre au cœur de notre projet de société. Vous démontrez aussi la capacité du Conseil économique et social à faire la synthèse de conceptions parfois différentes du dialogue social au sein des partenaires sociaux et des acteurs de la société civile, et de trouver les points qui rassemblent. Le travail efficace qu’ont mené ensemble les rapporteurs pour convaincre et parvenir à ce résultat en est d’ailleurs la meilleure preuve !

La place que nous accordons au dialogue social ira de pair avec notre capacité à transformer notre pays. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a fait le choix depuis le début du quinquennat de donner une place sans précédent à la négociation.

C’est tout un cadre profondément renouvelé qui a été posé au fil des lois : de sécurisation de l’emploi de 2013, relative à la formation professionnelle de 2014, relative au dialogue social de 2015. Le rôle du dialogue social a été revu pour le rendre plus stratégique et moins formel, que ce soit à travers l’association des comités d’entreprise aux orientations stratégiques des entreprises, la création de la base de données économique et sociale, la participation des salariés aux conseils d’administration des grandes entreprises, le recentrage des négociations et des consultations obligatoires autour des enjeux stratégiques. La place et la légitimité des acteurs a été profondément revue, grâce à la réforme de la représentativité patronale et du financement du dialogue social.
Le projet de loi que je porte aujourd’hui s’inscrit dans cette transformation, en lui faisant franchir une étape décisive : par le rôle accru que nous allons donner aux accords d’entreprise, par les accords majoritaires, par les moyens que nous allons donner aux syndicats à travers l’augmentation des heures de délégation, le renforcement de la formation, la protection des bourses du travail. Etendre le champ de la négociation, renforcer ses acteurs, tels sont les deux versants indissociables de cette réforme que nous avons voulu ambitieuse.

Mais pour que ce cadre fonctionne vraiment, il faut autre chose, cet ingrédient sans lequel il n’y a pas de discussion, de négociation, et encore moins de compromis possible : je veux parler de la confiance.
Cette confiance est essentielle. Elle est en quelque sorte, si vous me permettez l’expression, l’âme de la démocratie sociale ; cette dimension immatérielle qui qui ne fait l’objet d’aucun texte, mais sans laquelle aucune des réformes que nous menons ne produira tous ses effets. Elle ne peut découler d’aucune décision venue d’en haut ; elle peut être favorisée mais ne se décrète pas. Elle doit prendre source dans la pratique et procéder d’un changement profond des mentalités. C’est pourquoi la tâche que nous vous avons confiée avec le Premier ministre était à la fois essentielle et particulièrement ardue.

Je tiens à vous dire aujourd’hui que vous avez relevé le défi.

D’abord, en parvenant en quelques semaines à un diagnostic partagé de la situation qui, par rapport aux constats de Jean-Denis Combrexelle, entrent davantage dans le concret et apportent un éclairage pratique. Vous avez mené ce travail de manière extrêmement claire et lucide et cela apportera à la dynamique.

Surtout, votre avis dessine une feuille de route qui sera extrêmement précieuse sur les enjeux les plus importants :
1) le développement du dialogue social dans tous les endroits où il n’est pas suffisamment développé, notamment les petites entreprises ou les territoires d’outre-Mer. C’est également l’objet du projet de loi Travail car l’égalité entre les citoyens comme les bénéfices que nous attendons du dialogue social exigent qu’il concerne tous les salariés et toutes les entreprises.

C’est aussi pour cela que le projet de loi que je porte étend le dialogue social aux petites entreprises, dans le prolongement des réformes précédentes, notamment la loi sur le dialogue social et l’emploi qui a institué les commissions paritaires pour les TPE. Il prévoit notamment des accords types, qui seront conclus au niveau des branches et seront directement déclinables dans les petites entreprises.
Vous nous proposez d’aller plus loin, en prévoyant que les branches pourront proposer des expérimentations de dialogue social dans les TPE. C’est une piste extrêmement intéressante que je souhaite creuser.

2) L’éducation et la sensibilisation de la jeunesse au dialogue social. C’est à mes yeux une dimension essentielle pour que les salariés de demain sachent ce que représentent l’histoire et l’engagement des syndicats dans notre pays. Faisons en donc une part entière de leur éducation civique et citoyenne !

Notre pays a besoin d’une nouvelle génération constructive, consciente qu’elle peut défendre ses droits dans les entreprises à travers l’adhésion à un syndicat, l’engagement dans un mandat, la négociation, la recherche de compromis. De la même façon, les recommandations sur la place du dialogue social dans les programmes des universités et des grandes écoles sont très importantes pour former une génération de managers et de chefs d’entreprises qui seront allants sur cette question. Les jeunes se distinguent en effet par la volonté d’une plus grande participation à la construction des décisions collectives. Offrons-leur les moyens de leurs ambitions !
Evidemment, ces recommandations doivent être suivies d’initiatives concrètes. Certaines sont déjà en cours. Cher Luc Berille et cher Jean-François Pilliard, je sais à quel point cette dimension vous tient à cœur et que vous avez la passion de transmettre et d’enseigner à la jeunesse.

Vous savez donc mieux que quiconque qu’il faut aller plus loin dans la mobilisation. Je souhaite donc que nous ouvrions un grand chantier sur ce sujet avec Najat Vallaud Belkacem et l’ensemble des partenaires sociaux et des acteurs de l’éducation,

3) La valorisation des parcours et de l’engagement syndical. Il est essentiel que l’action de ceux qui s’engagent, qui prennent sur leur temps pour défendre les droits des salariés, soit davantage considérée et reconnue. L’engagement syndical doit devenir un plus dans la carrière. Il faut mettre fin au paradoxe qui veut que l’engagement syndical soit souvent pénalisé alors qu’il est évident qu’il permet de développer des compétences qui sont utiles à l’entreprise et au monde du travail. Nous avons beaucoup de progrès à faire sur ce point.
La loi sur le dialogue social et l’emploi a apporté des avancées importantes en créant un mécanisme de non-discrimination salariale, en mettant en place des entretiens obligatoires pour les titulaires de mandats lourds, en créant un dispositif de valorisation des acquis de l’expérience. Comme vous le soulignez, nous devrons évidemment dresser un bilan de leur mise en œuvre et j’y serai particulièrement attachée. Il y a encore beaucoup à faire en particulier sur la VAE et avec Clothilde Valter je vais m’y attacher. J’encourage comme vous les partenaires sociaux à s’engager pleinement dans toutes les expériences et toutes les initiatives qui peuvent permettre cette valorisation et j’approuve votre préconisation consistant à confier au défenseur des droits un rapport sur l’état des discriminations syndicales.

4) l’amélioration des règles de négociation, notamment pour favoriser la loyauté et le partage de l’information. Là encore, vos propositions permettront d’améliorer l’existant, par exemple à travers le bilan de la base de données économiques et sociales qui sera effectivement très important ;
elles s’inscrivent également en cohérence avec des mesures prévues dans le projet de loi, notamment les accords méthodologiques et les clauses de rendez-vous que vous proposez d’enrichir. Avec ces règles, nous encouragerons un dialogue social plus fluide, plus dynamique et pleinement centré sur les enjeux de fond. Autrement dit, nous mettrons les partenaires sociaux vraiment en mesure de prendre ensemble des décisions, y compris et surtout sur les aspects stratégiques ;

5) Enfin, le partage des accords à travers les données numériques et la valorisation des acquis du dialogue social. Vos propositions complètent les dispositions du projet de loi relatives à la publicité des accords afin de faciliter l’accès au droit pour tous les salariés. . Derrière cette diffusion du contenu du dialogue social, il y a un enjeu d’’appropriation par nos concitoyens qui est fondamental et il y a aussi une opportunité pour construire des récits du dialogue social, qui montreront ses réalisations concrètes et les avantages qu’il apporte aux salariés et aux entreprises. Car c’est comme cela, pas à pas, que nous transformerons en profondeur notre culture !

Comme vous le voyez, vos propositions auront leur place dans mon projet de loi et je déposerai des amendements au Sénat pour les y introduire. Ce sera le cas par exemple de l’évaluation de la mise en œuvre de la base de données économiques et sociales, de l’expérimentation à la main des branches sur le dialogue social dans les TPE ou encore, de l’enrichissement des accords de méthode auquel nous pourrons travailler. Mais la plupart, l’essentiel, même, ne sont pas législatives et relèvent du plus long terme. Je soulignerai qu’il est primordial que les partenaires sociaux le fassent vivre, par leurs initiatives, par leurs expérimentations, par leur action. Cette dynamique doit se maintenir dans la durée et le CESE aura pour cela tout son rôle à jouer. C’est pourquoi je suis également favorable à votre proposition de lui fixer l’objectif de dresser des bilans quinquennaux du dialogue social. Nous déposerons en ce sens un amendement au Sénat.

Monsieur le Président, Madame la présidente de la section sociale, je tiens à souligner pour finir que ce rapport honore votre institution et confirme la place importante qu’elle doit tenir dans notre démocratie sociale. Je salue tout particulièrement le travail des rapporteurs qui sont eux-mêmes pétris de cette culture du dialogue social et qui la transmettent et la communiquent avec un plaisir intact.

Par le dialogue, par la confrontation de points de vue différents, par l’expression de voies diverses et la participation de toutes les composantes de la société civile, vous avez produit un travail d’une grande qualité sur ce sujet qui est au cœur des enjeux de notre pays.

Je vous en remercie une nouvelle fois vivement.