Débat sur le rapport d’information de Philip Cordery « L’Emploi des jeunes en Europe : une urgence » devant la Commission des affaires européennes


Discours de François REBSAMEN

Seul le prononcé fait foi

Madame la présidente de la Commission des Affaires européennes,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et messieurs les députés,

Je voudrais tout d’abord remercier le rapporteur Philip Cordery pour la qualité du rapport qu’il nous a remis.

Le panorama européen de l’emploi des jeunes qu’il dresse indique en effet qu’il y a urgence à poursuivre l’action de l’Europe en faveur de l’emploi des jeunes.

Cette urgence, la France l’a perçue dès 2012, et elle a œuvrée pour que des engagements communs soient pris par l’ensemble des pays membres. C’est le sens de la recommandation sur la Garantie européenne pour la jeunesse, adoptée par le Conseil de l’Europe en avril 2013. Cette recommandation fixe aux pays de l’Union un objectif clair et concret : proposer à tout jeune de moins de 25 ans une offre de qualité pour un emploi, un stage ou une formation, dans les quatre mois qui suivent sa perte d’emploi ou sa sortie d’études.

Ce cadre d’action commun est à mon sens nécessaire, car il faut apporter une réponse globale à cette situation, par-delà les disparités que l’on peut observer d’un pays à l’autre de l’Union européenne.
Une réponse globale pourquoi ?
Parce que 6 millions de jeunes privés d’emploi, c’est une menace pour la cohésion sociale de l’Europe, qui pourrait se traduire par le recul de l’intégration de certains territoires.
C’est une menace pour une génération toute entière, qui risque d’être durablement exclue du marché du travail, même quand la reprise sera là. Or cette génération, ce sont les citoyens européens d’aujourd’hui et de demain. Pourront-ils croire en l’Europe, si celle-ci n’a pas su leur donner de perspectives ?
C’est une menace, enfin, pour la prospérité de l’espace économique européen. Comme le souligne justement le rapport, le non-emploi des NEETs a un coût qui s’élève à 100 milliards d’euros pour l’Europe à 28.

Sept ans après le début de la crise, l’urgence est toujours là.
- Il y a urgence à maintenir l’effort de l’Union en faveur de l’emploi des jeunes ;
- Urgence à développer des solutions innovantes pour faciliter l’accès à l’emploi des jeunes ;
- Urgence, enfin, à améliorer le fonctionnement des dispositifs existants.
C’est ce que pointe le rapport de Philip Cordery. Et c’est un constat que je partage, car je suis convaincu qu’une Europe qui a du sens pour tous, c’est une Europe qui s’engage dans la durée, pour que la crise ne prive pas sa jeunesse d’avenir.

C’est ce message qu’a porté et que porte aujourd’hui la France, avec des résultats concrets. Je pense bien sûr à la création de l’Initiative pour l’Emploi des Jeunes (IEJ) qui constitue l’armature financière de la Garantie européenne pour la jeunesse. Elle s’élève au total à 434 millions d’euros en associant 216 millions du fonds IEJ, auxquels s’ajoutent 218 millions d’abondement du Fonds social européen (FSE) dans sa programmation 2014-2020.

La France a été l’un des pays membres les plus réactifs dans la mobilisation de ces crédits et dans la mise en œuvre d’un programme opérationnel national en faveur des jeunes NEETs.

Ce programme opérationnel national est en cours de déploiement, et il poursuit trois objectifs :
- Repérer des jeunes NEETs, notamment des décrocheurs scolaires, pour une prise en charge adaptée et précoce.
- Mieux accompagner les jeunes NEETs, en leur proposant un suivi personnalisé par Pôle Emploi, les missions locales (notamment dans le cadre de la Garantie jeunes), ou encore l’APEC, pour les jeunes diplômés.
- Faciliter l’insertion professionnelle en proposant une expérience d’insertion professionnelle, à travers, par exemple, les emplois d’avenir, le service civique en alternance, le service militaire adapté dans les DOM, ou encore l’appui à l’entreprenariat et à la mobilité des apprentis

Ces différentes actions doivent prendre en compte l’hétérogénéité des publics-cibles et proposer une offre de service adaptée aux NEETs en situation d’isolement et de grande précarité. C’est l’ambition de la Garantie jeunes, financée à hauteur d’un tiers, soit 75 millions d’euros, par des fonds IEJ.

Mise en place dès l’automne 2013 sur 10 territoires-pilotes, elle concerne aujourd’hui 45 territoires, et en concernera 61 dès septembre. Elle illustre la conviction que les jeunes décrocheurs ont besoin d’un accompagnement global, social et professionnel : resocialisation, aide au logement, mobilité, appui à l’élaboration du projet professionnel, travail sur les savoirs-être en entreprise… Mais l’objectif est avant tout de mettre les jeunes en contact avec l’emploi, sous toutes ses formes, que ce soit dans le cadre de périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP), de stages, de contrats d’intérim, d’apprentissage, de CDD ou de CDI.
Bien sûr, nous ne disposons pas encore d’un bilan quantitatif, mais les premiers retours qualitatifs sur la Garantie jeunes sont très positifs. Ils montrent qu’elle constitue plus qu’une solution transitoire. L’accompagnement personnalisé des jeunes NEETs se ressent dans la qualité de l’emploi trouvé ou retrouvé. En d’autres termes, la Garantie jeunes a des effets positifs sur les parcours des bénéficiaires, et pas que sur leur situation à un moment donné.

C’est parce qu’elle permet la mise en place de dispositifs efficaces comme la Garantie jeunes que je souhaite la pérennisation et la simplification des modalités de mise en œuvre de l’IEJ. C’est d’ailleurs l’une des préconisations du rapport, et c’est la demande qu’a faite la France à la Commission dès l’automne dernier.
- La France a déjà obtenu des aménagements : le montant du préfinancement a été porté de 1% à 30% et des modalités simplifiées de gestion seront mises en place, après accord de la Commission, notamment pour permettre la liquidation des dépenses sur une base forfaitaire. Mais je suis conscient du fait qu’il faut aller plus loin dans la simplification et vous pouvez compter sur moi pour porter ce message.
- Il faut que nous puissions accompagner les jeunes décrocheurs dans le temps. C’est pourquoi je souhaite que l’IEJ soit prolongée sur l’ensemble de la période budgétaire 2014-2020. Pour maintenir un niveau d’engagement financier identique, je solliciterai un abondement pour arriver à une enveloppe globale IEJ+FSE de 21 milliards d’euros sur la période 2014-2020.
- La définition des NEETs pourrait être élargie pour inclure les jeunes en cours de décrochage et pas seulement ceux ayant déjà décroché. En revanche, il est essentiel de ne pas éparpiller les crédits, en revoyant trop largement les critères d’âge : pour que ces actions produisent leurs effets, il faut qu’elles soient ciblées.
- Il me semble important de ne pas fusionner Garantie européenne pour la jeunesse et Garantie jeunes comme vous le proposez, M. Cordery. La Garantie européenne pour la jeunesse a permis d’imaginer, au-delà de la Garantie jeunes, des dispositifs complémentaires, comme le recrutement des 740 conseillers spécialisés dans l’accompagnement renforcé des moins de 26 ans (et des moins de 30 ans, dans les quartiers politiques de la ville) prévu en 2015.
Voilà pour ce qui est des positions du gouvernement sur l’IEJ et la Garantie européenne pour la jeunesse.

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Comme le souligne le rapport de Philip Cordery, la formation initiale professionnelle représente une autre solution pour améliorer la situation des jeunes européens et des jeunes Français vis-à-vis de l’emploi. Elle permet en effet une meilleure adéquation entre compétences présentes et compétences attendues sur le marché du travail, et ses résultats en termes d’insertion professionnelle sont probants.
La comparaison avec le modèle allemand ou le modèle autrichien est certes intéressante. Mais elle ne doit pas nous faire oublier les mérites du système français. D’un point de vue quantitatif tout d’abord, la France n’est pas à la traîne : tous dispositifs confondus (contrats d’apprentissage, contrats de professionnalisation et enseignement professionnel), près d’un 1,25 millions de personnes sont en formation professionnelle, soit 17%. Ce taux est similaire à celui de l’Allemagne. D’un point de vue qualitatif, l’offre de formation a toute sa pertinence. Il existe en effet deux voies de formation initiale professionnelle et chaque voie répond à des besoins différents :
- L’enseignement professionnel permet d’obtenir un diplôme sans avoir l’obligation de trouver un employeur.
- L’apprentissage a d’excellents résultats en matière d’insertion professionnelle mais il est étroitement dépendant de la conjoncture économique et de la capacité à faire des entreprises.

Vous le savez, le gouvernement s’est engagé dans un vaste plan de relance de l’apprentissage pour atteindre l’objectif de 500 000 apprentis en 2017. La loi du 5 mars 2014 a déjà permis de clarifier les règles de financement, de simplifier les démarches de collecte des entreprises et de sécuriser le parcours des apprentis.
Pour soutenir la rentrée 2015, deux nouvelles mesures ont été décidées :
- La création d’une aide « TPE jeune apprenti », qui traduit l’annonce récente du Président de la République. Toute entreprise de moins de 11 salariés employant un apprenti percevra 368 euros par mois pour compenser les cotisations sociales restant à payer et la rémunération légale. Ce dispositif entrera en vigueur dès les premiers recrutements d’apprentis en juin prochain.
- Seconde mesure : la prestation « réussite apprentissage », qui a été annoncée dans le cadre du Comité interministériel Egalité et Citoyenneté. Cette prestation sera ciblée sur des territoires prioritaires, et elle permettra à 10 000 jeunes de se préparer à l’apprentissage, et à l’employeur de les aider à s’intégrer durablement dans leur milieu de travail. Ces mesures doivent permettre aux entreprises de s’engager résolument en faveur du développement de l’apprentissage.
L’Etat s’est enfin engagé à accueillir 10 000 apprentis dans la fonction publique, contre 800 aujourd’hui.
Mais contrairement à ce qui peut être dit, le choix d’accueillir un apprenti n’est pas toujours directement lié aux incitations financières. Il existe de nombreuses autres données à prendre en compte : les freins psychologiques, la réserve des employeurs à recruter des jeunes peu expérimentés, une mauvaise expérience passée, des problèmes de comportements, des risques de ruptures… C’est pour lever ces freins que j’ai souhaité lancer une grande campagne de communication et que j’ai fait de l’accompagnement une priorité. Rien ne sera possible sans un engagement résolu des entreprises dans l’accueil d’apprentis, et nous devons encore gagner la bataille des représentations : l’apprentissage ne doit pas être vu comme une voie secondaire mais comme une voie d’excellence pour entrer sur le marché du travail.

Un des leviers pour y parvenir, c’est de créer plus de liens entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise – c’est d’ailleurs une des pistes de votre rapport. Je pense ici aux « Campus des métiers et des qualifications », qui jouent le rôle de pôle de formation d’excellence, en impliquant tous les acteurs de la formation et en s’intégrant au développement d’une filière économique. 14 campus ont déjà été labélisés, 26 projets sont en cours.

Au niveau européen, il me semble important de travailler, comme vous l’évoquez, sur une reconnaissance mutuelle des qualifications pour favoriser les mobilités. Je crois aussi que nous devons renforcer les actions de sensibilisation pour la promotion des métiers, et valoriser les entreprises qui ont mené des actions exemplaires en matière d’apprentissage. Je vous le disais, il faut que l’image de l’apprentissage continue de changer. Je crois enfin que nous devons mieux utiliser les programmes européens pour la mobilité des jeunes, très utiles pour décloisonner les différents marchés du travail. On pourrait imaginer par exemple que les financements EURES ou Erasmus permettent d’accompagner davantage les jeunes demandeurs d’emploi.
Ce sont des sujets sur lesquels j’avance avec madame Thyssen, et j’ai bon espoir d’obtenir prochainement des avancées concrètes.


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La jeunesse était une priorité du candidat Hollande. C’est aujourd’hui celle du Président de la République et celle du gouvernement. Il faut que ce soit aussi une priorité pour l’Europe.

A l’heure où nos concitoyens doutent de la capacité de l’Union à changer leur vie, à l’heure où ce doute se traduit dans les urnes, l’Europe ne peut plus se présenter sous les traits impassibles de la sagesse gestionnaire. Elle doit se doter d’un projet qui lui permette de penser la communauté politique et ses fractures : la richesse et la pauvreté, l’exclusion et l’ouverture, le local et l’universel… Parmi ces fractures, il y a bien sûr celle qui est causée par le chômage des jeunes. Le rôle de la France est mobiliser et de fédérer les énergies de tous les pays membres, pour la réduire au plus vite.