Commission Nationale de la Négociation Collective sur le projet de loi relatif au dialogue social et au soutien à l’activité des salariés

Discours de François REBSAMEN

Seul le prononcé fait foi

Mesdames, Messieurs,

C’est une journée entière de concertation sur la modernisation du dialogue social qui s’ouvre avec la séance de ce matin.

Je n’ai pas franchi le pas de vous suggérer une réunion commune de la CNNC, du COCT et du HCDS pour mettre en œuvre l’une des novations de ce projet de loi. Toutefois, je vous propose le principe d’un lieu unique en cette salle des accords pour faciliter le déroulement des séances.

Les consultations qui vont se tenir sont un jalon important dans l’élaboration de cette réforme. Elles marquent l’aboutissement d’une première phase de la concertation souhaitée par le Gouvernement dans laquelle, je peux le dire, toutes les organisations autour de cette table ont été forces de proposition. Cela ne veut pas dire, évidemment, que les positions des uns et des autres se rejoignent sur l’ensemble du texte, mais chacun a contribué de manière positive.

Bien sûr, un accord aurait été préférable. J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire. Mais nous ne restons pas sur un échec. Le travail de ces dernières semaines a été l’occasion d’un dialogue constructif, responsable, étant entendu que le Gouvernement avait indiqué qu’il souhaitait légiférer.

Ce travail mené ensemble donne tort à ceux qui se sont plus à dire que les partenaires sociaux n’étaient pas à la hauteur des enjeux. Dans un contexte où certains pensent encore qu’il est possible de réformer en s’asseyant sur le dialogue social, par exemple sur les contrats de travail ou le maintien de l’emploi dans les entreprises, je souhaite rappeler l’attachement de ce Gouvernement à la méthode de la concertation. Cet attachement est constant depuis le début du quinquennat et a toujours porté ses fruits. La réunion de bilan sur la sécurisation de l’emploi vendredi dernier en a été le dernier exemple.

Vous l’aurez donc compris, cette étape ne marque ni le début, ni la fin des concertations qui continueront tout au long du processus.

Avant de vous donner la parole, je voudrais vous présenter en quelques mots ce projet de loi.

Le texte qui vous est soumis vise à une réforme ambitieuse du dialogue social en entreprise.

Cette réforme répond au diagnostic suivant, que vous partagerez sans difficulté :

- D’une part, le dialogue social dans nos entreprises est encore trop faible en qualité, malgré un dynamisme réel qui donne lieu à 36 000 accords chaque année ;

- D’autre part, renforcer le dialogue social, c’est œuvrer pour l’amélioration sociale mais également pour recréer les conditions favorables à la croissance. Il suffit de se tourner vers nos voisins européens pour constater qu’une meilleure qualité des relations sociales favorise de meilleures conditions de travail dans l’entreprise. C’est déjà un objectif en soi pour nos concitoyens. Mais il ne fait plus de doute, en outre, qu’une plus grande participation des salariés contribue à la performance économique.

C’est dans cette optique que ce projet de loi apporte des évolutions profondes. Il permettra de traiter trois axes de faiblesse qui grèvent notre modèle social.

Premièrement, de nombreux pans des salariés et des entreprises sont aujourd’hui, de droit ou de fait, exclus du dialogue social.

Cela concerne en premier lieu les 4,6 millions de salariés des TPE et du particulier employeur pour lesquels la loi ne prévoit pas d’institutions représentatives du personnel. Certains secteurs, représentés autour de cette table, ont mis en place des commissions paritaires locales. Ces expériences sont très positives, pour les salariés comme pour les employeurs, mais elles restent circonscrites et fondées sur le volontariat. Il était nécessaire d’aller plus loin et certains d’entre vous le souhaitaient d’ailleurs de longue date.

Le projet de loi met en place des commissions paritaires, à un niveau régional, qui seront composées de salariés et d’employeurs issues des TPE. Leur composition sera démocratique, car fondée sur la représentativité. Pour les organisations syndicales, il s’agira du scrutin dans les TPE, avec une innovation qui est que les salariés pressentis pour siéger pourront figurer sur la propagande électorale.

Ces commissions seront interprofessionnelles. Elles couvriront l’ensemble des salariés et des entreprises à l’exception de ceux qui sont déjà couverts par des commissions existantes, ou qui pourraient se créer.

Elles auront des missions à la fois ambitieuses et concrètes. Elles seront des instances incontournables de concertations locales sur des sujets stratégiques comme la GPEC, l’emploi ou les conditions de travail. Elles exerceront aussi des missions de conseil au service des salariés et des employeurs.

Ces commissions joueront un rôle essentiel pour la démocratie sociale dans les TPE. Elles auront pour cela des moyens pérennes de fonctionnement. Toutefois, comme il n’y a pas de grande réforme sans recherche d’équilibre, ces commissions n’auront pas accès aux locaux des entreprises. C’est un point auquel je resterai attentif.

L’objectif de développer le dialogue social concerne également plusieurs centaines de milliers de salariés et d’employeurs de PME qui, de fait, n’ont pas d’institutions représentatives du personnel. Pour eux, le projet de loi étend la possibilité de mettre en place une délégation unique du personnel à toutes les entreprises de moins de 300 salariés. La DUP comprendra aussi le CHSCT. Le principe est simple : toutes les institutions demeurent, ainsi que les missions et les compétences associées, mais le fonctionnement est plus simple et plus adapté à une entreprise de petite taille. Les moyens des élus seront préservés.

Enfin, le projet de loi élargit les possibilités de négocier avec des élus dans toutes les entreprises dépourvues de délégué syndical. Trop de salariés et d’employeurs sont aujourd’hui exclus des bénéfices de la négociation d’entreprise. Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle central des syndicats, j’ai été et resterai très vigilant à cette préoccupation. Cela se traduit par le fait que les élus devront être prioritairement mandatés par des organisations syndicales représentatives. Par ailleurs, seuls ces élus mandatés pourront négocier sur l’ensemble des thèmes.

Le projet de loi vise à résoudre une deuxième faiblesse : le dialogue social est trop souvent enfermé dans un cadre rigide qui favorise le formalisme au détriment du fond.

Ce constat est partagé depuis longtemps et a déjà donné lieu à certaines avancées, notamment dans la loi sur la sécurisation de l’emploi. Mais il fallait aller beaucoup plus loin.

Le premier volet concerne la forme et le rôle des IRP.

La loi ouvrira la possibilité, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, de négocier des accords majoritaires pour regrouper tout ou partie des IRP. Cela permettra d’avoir un cadre plus souple, plus adapté. Une large responsabilité sera donnée aux partenaires sociaux. Les accords définiront eux-mêmes le périmètre des instances et ses règles de fonctionnement, mais aussi les moyens des représentants qui pourront être renforcés. Ces accords seront une novation importante, tout en préservant les grands principes. Les CHSCT seront protégés et conserveront l’ensemble de leurs attributions.

Par ailleurs, le rôle des différentes instances sera mieux défini, notamment dans le cadre des consultations sur les projets. Le rôle et le fonctionnement du CHSCT seront renforcés : le projet de loi posera clairement le principe selon lequel tout salarié d’un établissement de plus de 50 salariés sera couvert par un CHSCT.

Le fonctionnement concret des instances sera également facilité, avec par exemple la possibilité d’organiser des réunions communes.

Le second volet concerne la rationalisation des informations-consultations et des négociations obligatoires.

Le nombre des informations-consultations passera de 17 à 3. Elles porteront respectivement sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sur sa situation économique, et sur sa situation sociale. Le cadre général sera simplifié. Par accord, les partenaires sociaux pourront adapter l’organisation de ces consultations. Dans ce cadre, la base de données économique et sociale prendra toute sa portée et tout son sens.

Les négociations seront quant à elles regroupées dans trois blocs qui porteront sur la rémunération, le temps de travail et la répartition de la valeur ajoutée, la qualité de vie au travail, et la gestion des emplois et des parcours professionnels (3). Par accord majoritaire, les partenaires sociaux pourront décider de regroupements et choisir les meilleures périodicités. La négociation sur les salaires fera l’objet d’un traitement particulier qui permettra de préserver son caractère annuel si les partenaires sociaux le souhaitent.

Grâce à ces mesures, le dialogue social en entreprise sera plus stratégique. Il gagnera en sens et en contenu, au bénéfice des salariés et des employeurs.

La troisième faiblesse dont souffre notre démocratie sociale, c’est que l’engagement syndical n’est pas suffisamment valorisé. Il est, au contraire, trop souvent perçu négativement.

Cette situation est injuste vis-à-vis des salariés qui consacrent de leur temps et de leur énergie au service de la collectivité. Elle est en outre contre-productive, dans un contexte où le dialogue social est appelé à occuper une place de plus en plus importante dans les entreprises. Or, ce dialogue n’est pas possible sans les femmes et les hommes qui le font vivre.

Pour y remédier, le projet de loi contient plusieurs instruments qui seront efficaces, opérationnels.

La première exigence, c’est de lutter contre les inégalités salariales dont pâtissent les représentants du personnels et notamment syndicaux. Qu’elles proviennent de discriminations conscientes de la part de certains employeurs ou de phénomènes plus insidieux, ces inégalités sont une réalité. Elles constituent un frein à l’engagement, notamment des plus jeunes, en plus d’être inacceptables du point de vue de la liberté syndicale.

Pour y remédier, le projet de loi instaure un mécanisme de garantie de non-discrimination salariale, fortement inspiré de celui qui existe pour les femmes en congés maternité. Ce dispositif concernera l’ensemble des représentants dont les heures de délégation représentent 30% ou plus de leur temps de travail.

Au-delà de ces mesures de protection, le projet de loi comporte également des dispositions qui valorisent l’investissement des élus. Valoriser l’engagement, c’est évidemment empêcher que les militants soient pénalisés, mais c’est aussi faire en sorte que leur investissement soit reconnu et leurs compétences, valorisées. Il est paradoxal que l’exercice d’un mandat soit regardé comme un frein à la carrière, alors qu’il permet la plupart du temps d’acquérir des compétences, une connaissance, une expertise, qui sont transposables y compris professionnellement.

Le projet de loi renforce d’abord les possibilités pour les représentants du personnel de bénéficier d’entretiens individuels avec l’employeur. Il crée un dispositif national de valorisation des compétences qui pourra donner lieu à des certifications. Enfin, il permettra aux délégués syndicaux d’utiliser une partie de leurs heures de délégation pour négocier ou participer à des instances de concertation.

Le Gouvernement a également tenu à ce que ce texte marque un progrès en faveur de la parité entre les femmes et les hommes. Le diagnostic est aujourd’hui partagé que les femmes ne sont pas suffisamment représentées parmi les élus et les responsables syndicaux. Une des importantes novations de ce projet concerne l’obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes des élections professionnelles. La règle introduite est pragmatique. Elle tient compte de la réalité : la liste devra refléter la proportion réelle de chaque sexe dans le collège concerné. Mais elle s’appliquera avec fermeté puisque la sanction de son non-respect est une perte d’un ou plusieurs sièges pour l’organisation concernée.

Je suis conscient que ce principe exigera un effort de toutes les organisations dans le contexte de crise des vocations que je viens d’évoquer. Mais en matière de parité, il est parfois nécessaire de prendre les devants et bousculer un peu les pratiques. A terme, je suis convaincu que cette réforme renforcera la perception positive par les salariés des organisations syndicales. Elle permettra également un renouvellement positif des militants et des élus.

Le texte propose par ailleurs certains ajustements mineurs à des réformes introduites par des lois récentes : la mesure de l’audience de la représentativité patronale, le fonds de financement du dialogue social et le compte personnel de prévention de la pénibilité.

Enfin, j’attire votre attention sur deux points qui ne figurent pas encore dans le texte, et sur lesquels le Gouvernement attend des propositions de la part des partenaires sociaux :

- Le premier concerne les administrateurs salariés dans les très grandes entreprises dont la présence a été introduite par la loi sur la sécurisation de l’emploi. J’ai retenu de la réunion de bilan que certaines avancées seraient éventuellement souhaitables, notamment sur le champ des entreprises concernées ;

- Le second concerne la prise en charge des pertes de salaires des militants syndicaux qui partent en formation. Comme cela avait été dit au moment de la finalisation des décrets, le Gouvernement serait tout à fait disposé à introduire dans la loi un dispositif pour rétablir le maintien de salaire.

C’est donc un texte ambitieux, mais équilibré, qui vous est présenté. L’équilibre vient de la méthode concertée, qui a fait émerger des solutions de compromis. Ni les grands principes, ni les acquis sociaux ne sont par ailleurs remis en cause.
Enfin, ce projet de loi contient deux volets supplémentaires :

- Le premier traduit les engagements pris par le Premier ministre concernant le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle. Il définit les grands principes de leur indemnisation ainsi que le cadre de la négociation qui permettra d’en définir le contenu. L’ensemble de ce processus se fera dans le respect du dialogue social.

- le second vise à développer l’activité. Il met en place la prime d’activité, qui fusionne le RSA « activité » et la prime pour l’emploi. Il s’agit d’une avancée majeure, qui permettra d’encourager l’emploi, de soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes et de lutter contre la précarité des jeunes actifs.

Ce projet de loi sera présenté au Conseil des ministres le 22 avril, pour un examen en première lecture à l’Assemblée courant mai.

Je voudrais pour finir évoquer avec vous le sujet de la restructuration du paysage conventionnel. Le Premier ministre l’a rappelé lors de la grande conférence sociale de 2014 : « la négociation de branche souffre d’un nombre excessif de branches. Trop de branches, cela veut dire des branches trop petites, avec une moindre capacité à négocier ». Pour ce travail de longue haleine, le Premier ministre a fixé un objectif de 100 branches dans 10 ans, avec « des premiers buts significatifs dès 2015 et 2016 ».

Ce chantier de la restructuration des branches a été lancé lors de la réunion Commission nationale de la négociation collective du 22 septembre 2014. A la suite de cette conférence, et conformément à la mission qui lui a été confiée, la DGT a réuni un groupe de travail à quatre reprises (13 octobre, 9 décembre 2014, 4 février et 16 mars 2015). Ses travaux ont fait l’objet d’un premier retour lors de la CNNC de décembre dernier.

La réunion d’aujourd’hui est l’occasion de franchir une étape importante dans le cadre de ce chantier. En effet, s’appuyant sur les travaux par les membres du groupe de travail portant sur un panel de branches, vous êtes aujourd’hui consultés sur l’intention de fusionner le champ de 37 conventions collectives sans activité conventionnelle avec celui de branches de rattachement dynamiques. Sur ces rattachements vers une « convention mère », le groupe de travail est parvenu à un consensus.

Cette liste de branches est le fruit d’un travail mené conjointement par les services de la direction générale du travail et vos organisations. Ce travail a consisté à examiner de manière approfondie la situation de chacune de ces branches (examen du champ d’application, de l’activité conventionnelle…) afin d’identifier une branche de rattachement - ce que l’on pourrait appeler une « maison mère » ou « adoptive »- pour chacune d’entre elles.

Ces 37 branches constituent le premier groupe de branches parmi celles ciblées prioritairement. Il s’agit, je le rappelle de celles n’ayant pas fait l’objet de la publication d’un arrêté de représentativité sur la base des critères dégagés de manière consensuelle au sein du Haut Conseil du dialogue social (faiblesse de l’activité conventionnelle, et du nombre de suffrages valablement exprimés).

Cette consultation constitue la première étape de la mise en œuvre de la procédure de fusion :
- je vous annonce aujourd’hui l’intention de procéder à la fusion afin de recueillir votre avis conformément aux dispositions de la loi du 5 mars 2014 ;
- cette intention sera ensuite notifiée aux organisations professionnelles d’employeurs représentatives et aux organisations de salariés représentatives des branches concernées ;
- au terme d’un délai d’un an vous serez de nouveau consultés sur la fusion effective de ces branches. Pendant ce délai, les acteurs intéressés au niveau de la branche de rattachement peuvent bien évidemment définir les conditions dans lesquelles ce rattachement peut être opéré et les ajustements des textes conventionnels qui se justifient.

Les travaux se poursuivront dès la prochaine réunion sur ces branches ciblées prioritairement. Il se poursuivra au-delà grâce au ciblage de nouvelles branches. Un dialogue constant et dans le temps long avec l’ensemble des acteurs de ce chantier, au premier rang desquels les partenaires sociaux au niveau confédéral comme des branches professionnelles, sera bien sûr indispensable pour la poursuite de ces travaux.

Afin d’ancrer ces travaux dans un cadre pérenne, la prochaine réunion se fera sous l’égide de la sous commission de la restructuration des branches, dont la création procède du décret du 5 mars 2015 publié au Journal Officiel du 7 mars.

Un courrier vous invitant à désigner vos représentants à cette sous commission vous a été adressé en début de semaine. Je vous remercie de les désigner rapidement. Je souhaiterais que la sous commission dédiée se réunisse au mois de mai.

Je vous remercie.