Discours de Myriam El Khomri - Remise du rapport Diagnostic Emploi des Jeunes

Seul le prononcé fait foi


Remise du rapport Diagnostic Emploi des Jeunes
Mardi 24 janvier 2017

Mesdames, Messieurs, les représentants des organisations syndicales et patronales,
Mesdames, Messieurs les représentants de mouvements de jeunesse,
Monsieur le président du CNEFOP, cher Jean-Marie Marx,
Monsieur de commissaire général adjoint de France Stratégie,
Madame la directrice générale de la DARES, chère Selma Mahfouz,
Mesdames, Messieurs,

Il y a quatre mois, nous lancions dans cette salle, comme le gouvernement s’y était engagé au printemps, la concertation sur l’accès des jeunes au premier emploi durable.
Le gouvernement et mon ministère n’ont d’ailleurs pas été inactifs sur ce sujet depuis le mois de septembre, et bien souvent, nous nous sommes appuyés sur vos réflexions pour mettre en œuvre les politiques dont nous avons la charge. J’en veux pour preuve trois exemples.

Tout d’abord, l’extension de la Garantie jeunes sur l’ensemble du territoire, depuis le 1er janvier, comme le stipulait la loi travail. Cette généralisation s’est faite selon des modalités simplifiées qui répondent aux attentes que plusieurs d’entre vous avaient exprimées dans le cadre de votre groupe de travail, et avec un souci constant de décloisonnement et de transversalité qui permettra, par exemple, aux 20 000 jeunes bénéficiaires du RSA, souvent de jeunes mères, d’avoir désormais accès à cet accompagnement.
Je mentionnerai également le lancement du compte personnel d’activité, il y a quelques jours, qui a été cité en exemple dans de nombreux pays européens, et qui apporte une réponse concrète et efficace aux mutations du monde du travail. Nous le savons, la carrière linéaire dans une même et seule entreprise est révolue : les jeunes, au contraire, pourront être amenés à changer souvent de métier, d’employeur, de statut au cours de leur vie professionnelle. Parfois parce qu’ils y sont contraints, souvent parce qu’ils le veulent eux-mêmes ! Pour faire face à ces mutations et pour répondre à leurs aspirations, le CPA est l’outil au service d’une meilleure maîtrise de son destin professionnel, compensant la continuité des parcours par une continuité de droits.

Enfin, la création du conseil d’orientation des politiques de jeunesse, qui se réunira pour la première fois après-demain.

Pour revenir maintenant au travail que vous avez réalisé au cours de cette concertation, après les débats, parfois vifs, du printemps, il n’était pas évident de pouvoir faire dialoguer ensemble, sur un sujet aussi sensible que l’accès à l’emploi des jeunes, les partenaires sociaux, dans leurs diversité, et les mouvements de jeunesse, dans leur diversité également ; je tiens donc à vous en féliciter, et aussi remercier chaleureusement France Stratégie et la DARES, et en particulier Mesdames Hélène Garner, Marine Boisson-Cohen et Selma Mahfouz, pour y avoir contribué avec efficacité.

Je crois qu’il est nécessaire, dans un pays comme le nôtre, d’avoir des lieux, comme France Stratégie, où les forces économiques et sociales peuvent dialoguer et réaliser un diagnostic, le plus possible partagé, des défis posés à notre pays, ici à la jeunesse dans toute sa diversité.

Ce rapport n’est donc pas un rapport de plus sur l’emploi des jeunes : mais, c’est le premier, depuis bien longtemps, qui ait été construit sur ce sujet, avec cette volonté de dialogue et d’échange. C’est un rapport rigoureux, précis, informé des dernières avancées de la recherche, dans un domaine qui recouvre à la fois l’économie et la sociologie ; et lucide sur les difficultés que rencontrent notre pays. Ce sera, à n’en pas douter, un matériau précieux que vous saurez mettre à profit pour aboutir, je l’espère, à des propositions partagées. C’est aussi une riche documentation pour les travaux de la commission Insertion du conseil d’orientation des politiques de jeunesse, où la plupart d’entre vous seront rassemblés prochainement.

Quels constats dresse ce rapport ? Certains sont connus, certains sont même anciens, mais d’autres sont nouveaux, ou, tout du moins, exprimés avec une clarté inédite.

Le premier constat, que nous connaissons tous, c’est que les jeunes les moins qualifiés sont ceux qui connaissent les plus grandes difficultés d’insertion professionnelle.

C’est un constat ancien, et c’est bien parce que nous savons que les jeunes sans qualification risquent de s’engager dans des parcours où l’inactivité et le chômage prennent le pas sur de trop courtes périodes d’emploi que nous nous sommes attachés à répondre en priorité aux difficultés de ces jeunes, grâce à la Garantie jeunes notamment, grâce au travail des plateformes d’appui et de suivi aux décrocheurs, grâce au CPA « jeunes décrocheurs » qui rendra effectif leur droit à l’obtention d’un premier niveau de qualification, grâce au plan 500.000 formations, grâce aux emplois d’avenir.

L’importance de la formation, dans les emplois d’avenir, a constitué une vraie rupture par rapport aux autres types de contrats aidés, parce que l’ensemble des études montrent que les emplois aidés doivent s’accompagner d’un véritable effort en matière de formation et d’accompagnement, mais nous pouvons aller plus loin.

Ce qui est plus nouveau, c’est de montrer les difficultés d’insertion que connaissent les titulaires d’un diplôme de niveau 5 des spécialités tertiaires. Cela doit nous amener à une véritable réflexion sur l’évolution de la voie professionnelle, mais aussi à une réflexion sur les informations qui sont mises à la disposition des familles et des jeunes pour s’orienter en toute connaissance de cause.

Dans la loi Travail, j’ai souhaité que les taux d’insertion par spécialité soient rendus publics, à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays, comme le Québec : cette transparence sur la capacité à s’insérer sur le marché du travail des diplômés de telle ou telle filière me semble essentielle. C’est faire de la transparence un levier de justice sociale que de mettre cette information cruciale à la portée de tous.

Le deuxième constat, qui est moins courant, c’est la différenciation des parcours au sein de la jeunesse, qui bien souvent, comme le disait Pierre Bourdieu, n’est « qu’un mot ». Au point qu’il est assurément plus juste de parler de jeunesses au pluriel.

Nous savions, bien entendu, que les trajectoires des jeunes étaient très contrastées et qu’elles étaient fonction de leur parcours scolaire, lui-même largement lié à des déterminismes sociaux. Mais ce rapport met en lumière la diversité des raisons qui empêchent une partie des jeunes de s’inscrire dans une trajectoire menant à un emploi stable. Il montre bien que, parmi les facteurs expliquant le sur-chômage des jeunes issus de l’immigration, figurent des phénomènes de discriminations à l’embauche liés à l’origine de ces jeunes, à leur religion supposée ou à leur lieu de résidence. C’est une réalité que la France n’a plus le droit d’ignorer.

Dans cette même salle, au terme d’une opération de testing inédite et particulièrement fouillée - et qui d’ailleurs n’a été remise en cause par personne -, nous avons montré, durant les derniers mois, qu’une partie non négligeable des entreprises ne prenaient pas toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que leurs recrutements n’étaient pas discriminatoires. Ce n’est certainement pas un constat agréable à entendre, dans un pays qui a placé, à juste titre, l’égalité au frontispice de tous ses bâtiments publics, mais c’est aussi une réalité qu’il faut prendre en compte pour mieux pouvoir la combattre.

Les jeunes, nous dit aussi votre rapport, ont plus besoin que les autres actifs des réseaux, professionnels ou personnels, pour compenser leur manque d’expérience aux yeux des recruteurs. Or, les jeunes issus de l’immigration subissent non seulement des discriminations à l’embauche, mais ont un environnement familial moins favorable que les autres pour s’appuyer sur des réseaux professionnels facilitant leur insertion. Le déclassement que subissent certains jeunes diplômés, à cause de ces discriminations, est particulièrement mal vécu : les outils, notamment ceux de l’APEC, que les partenaires sociaux peuvent mobiliser sur ce sujet, constituent une aide précieuse ; les forums pour l’emploi et salons de recrutement organisés par vos soins sur les territoires en constituent une autre tout aussi efficace.

J’ai déjà eu l’occasion de leur dire, toutes ces discriminations constituent une faute morale et une aberration économique, dont le coût pour notre économie avait été chiffré à 150 milliards d’euros par France Stratégie.
Il nous appartient de nous mobiliser, tous ensemble, pour donner davantage de chances à ces jeunes de réussir, et à notre économie de s’appuyer sur tous ses talents. Ces jeunes ont besoin qu’on leur ouvre les portes de l’entreprise, ils ont besoin d’un parrainage qui connaisse les métiers porteurs et montre aux plus jeunes comment convaincre un recruteur de la pertinence de leur candidature.

Ce rapport nous alerte également sur les questions de mobilité des demandeurs d’emploi, et en particulier des jeunes. Un chiffre m’a particulièrement frappée : 7 mois après la fin de leurs études, au niveau du CAP, 1 jeune diplômé sur 2 est en emploi lorsqu’il a le permis de conduire. Sans ce sésame, on n’en compte plus qu’1 sur 5. Le permis de conduire est donc aussi la plupart du temps un permis pour travailler. Le législateur s’est saisi de cette question à plusieurs reprises durant les derniers mois : tout d’abord en disposant que les jeunes bénéficiaires de la Garantie jeunes auront accès au permis à un euro, ensuite en disposant que le compte personnel de formation pourra être mobilisé pour financer le permis de conduire. Par ailleurs, Pôle emploi a récemment réformé ses dispositifs d’aide à la mobilité, pour les rendre plus accessibles aux demandeurs d’emploi. De nombreuses solutions existent donc, ou vont se mettre en place dans les prochaines semaines, mais elles restent mal connues.

Il convient sans doute de mieux les faire connaître du grand public, et cela pourrait être le rôle de la plateforme CPA et de l’Emploi store, mais aussi des professionnels du service public de l’emploi, des conseillers en évolution professionnelle et des partenaires sociaux.

Enfin, le rapport rappelle l’importance des phénomènes de non-recours à l’offre d’insertion sociale et professionnelle. Il souligne que les missions locales, et leur offre de service, demeurent encore ignorées d’une partie des jeunes. Pour que les missions locales soient vraiment au carrefour des politiques de jeunesse, il faut que l’ensemble des acteurs économiques et sociaux s’investissent dans le projet qu’elles portent. Certes, les partenaires sociaux participent parfois activement à la vie de ces structures, mais cela est loin d’être systématique. Or, l’accompagnement des jeunes que les missions locales réalisent, et notamment celui que l’État leur confie, ne peut être un succès que s’il s’adapte très finement aux spécificités d’un bassin d’emploi, à l’évolution des métiers, aux attentes des employeurs. L’accompagnement, dans le cadre de la Garantie jeunes, peut d’ailleurs être aussi utile pour les jeunes que pour les employeurs, car il peut leur permettre de répondre à des difficultés de recrutement sur des métiers en tension.

Voici les principales conclusions que je tire de la lecture d’un rapport, dont je tiens à souligner une fois de plus la grande qualité. C’est votre mérite collectif d’y avoir contribué grâce aux débats qui ont animé ce groupe de travail.

J’aimerais désormais vous entendre, en commençant sans doute par les mouvements de jeunesse, puis par les partenaires sociaux, sur les enseignements que vous en tirez, et la façon dont vous entendez vous en emparer pour contribuer à lutter en faveur de l’emploi des jeunes. Car, je le rappelle, sans accès à l’emploi, pas d’accès au logement, pas d’accès à l’autonomie, pas de capacité à agir sur son propre destin.