Quelles perspectives pour une transition écologique et juste sur le marché du travail ?
Retour sur le colloque de décembre 2024
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La Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des statistiques (Dares) du ministère chargé du Travail organisait le 3 décembre 2024 un colloque consacré à l’impact de la transition écologique et aux nombreux défis qu'il engendrait, en matière d'égalité territoriale, d'accompagnement des travailleurs ou des demandeurs d'emploi, ainsi que d'évolution des métiers.
Des chercheurs de la Dares, du monde universitaire et d'autres institutions scientifiques ont pu échanger avec des acteurs politiques ou associatifs afin de dresser un état des connaissances, en identifiant les risques et les leviers d'action possibles. Trois intervenants ont accepté de revenir sur leurs travaux.
On s'intéresse aux conditions de travail dans l'économie verte puisque dans la stratégie de la Commission européenne 2020, on nous disait que l'économie verte allait créer de meilleurs emplois, des emplois plus durables, avec des meilleures conditions de travail et surtout que ça allait créer une croissance inclusive et durable.
Donc on présentait les emplois de l'économie verte comme vertueux. L'apport de
l'enquête SUMER pour réfléchir aux conditions de travail dans l'économie verte, c'est essentiellement un apport statistique. On va pouvoir faire des statistiques précises sur tout un tas de facteurs de pénibilité, puisque c'est une enquête qui est menée par des médecins du travail.
Donc ça permet d’avoir des informations fiables sur un certain nombre de facteurs de pénibilité : donc à la fois les contraintes physiques marquées telles que le port de charges lourdes ou les postures pénibles, sur un environnement physique agressif telles que les nuisances sonores ou les expositions à des produits cancérigènes, et aussi sur des rythmes de travail irréguliers tels que le travail de nuit ou le travail posté.
Les principaux résultats de notre étude, c'est que les salariés de l'économie verte sont globalement surexposés aux pénibilités physiques. On trouve surtout qu'ils sont plus exposés aux contraintes physiques marquées et notamment aux vibrations, aux postures pénibles. Mais ils sont aussi
plus exposés à un environnement physique agressif et notamment aux produits cancérigènes.
Par contre, ils sont un peu moins exposés aux rythmes de travail atypiques, un petit peu moins au travail de nuit et un petit peu moins au travail posté.
Nathalie Havet : « On va pouvoir faire des statistiques précises sur les facteurs de pénibilité »
Nathalie Havet, de l'École de l'aménagement durable des territoires (ENTPE, Université de Lyon, Laboratoire aménagement, économie, transports), revient sur l'enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), menée par le ministère chargé du Travail et portant sur les conditions de travail dans le secteur qualifié d'« économie verte ».
Elle explique comment ces métiers ont des facteurs spécifiques de pénibilité : port de charges lourdes, postures pénibles, nuisances sonores, exposition aux environnements physiques agressifs et notamment aux produits cancérigènes... En revanche, les travailleurs (ou professionnels) y sont moins exposés que d'autres aux horaires atypiques, au travail de nuit et au travail posté.
Si l'objectif est d’évaluer les effets de la transition écologique sur l'emploi, en fait, il faut considérer un concept d'emplois portés par la transition écologique plutôt que les emplois verts, qui sont
un concept technique et qui sont les métiers qui contribuent à réduire les émissions carbone.
Or, ce qui nous intéresse dans ce cas c’est que quand on développe une transition écologique, on a une demande sur les différents métiers qui tendront à avoir une expansion. Et ces métiers ne sont pas nécessairement des métiers écologiques. Dans nos analyses, on distingue trois types de métiers.
Il y a des professions qui sont complètement nouvelles, des professions qui ont été créées grâce à des incitations, qu'on a créées avec les politiques publiques pour mitiger les effets de climat et donc qui forcent une transition écologique. Par exemple, tous les exemples relatifs aux énergies renouvelables. Ce sont des nouveaux métiers qui sont portés par ces nouvelles incitations, cette nouvelle économie.
Après, on a beaucoup de métiers qui vont changer, qui vont verdir, d’une certaine sorte. Et là, on peut considérer, par exemple, qu’un architecte doit s'habituer à faire des plans en incluant de nouvelles sources d'énergie peut-être insérées dans les bâtiments eux-mêmes.
Et après on a des métiers traditionnels dont la plupart sont des métiers qui ne sont pas verts du tout, qui ne contribuent pas directement à la réduction des émissions, mais dont on aura besoin parce qu'ils seront demandés par les autres activités. Et donc ces métiers produiront l'infrastructure notamment et les biens et services dont les activités vertes auront besoin.
On observe une croissance claire des métiers liés à la transition écologique qui est d'autant plus marquée, que des pays ont orienté les politiques pour stimuler la transition écologique. Si on regarde les États-Unis, on voit un fort essor des métiers portés par la transition écologique et notamment aussi les métiers verts depuis l'effort qui a été fait avec l'Inflation Reduction Act de l'administration Biden.
En Europe, maintenant, la dynamique s'est plutôt inversée. Ce qu'il faut avoir en tête est qu'on est encore avec des dynamiques timides, parce que les politiques d’atténutation qui sont mises en pratique sont encore relativement timides. On peut dire que si les objectifs qu'on a posés, par exemple en Europe, de transition écologique, sont maintenus, alors il y aura une très forte augmentation de ces métiers.
Andrea Bassanini : « Différents métiers tendront à avoir une expansion, et ils ne sont pas nécessairement écologiques »
Économiste pour l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Andrea Bassanini montre que de multiples métiers sont portés par la transition écologique au-delà des seuls « emplois verts », consistant à réduire les émissions de carbone. Ces métiers sont de plusieurs ordres :
- les nouveaux métiers créés par les politiques publiques en faveur de la transition écologique, comme ceux des énergies renouvelables ;
- les métiers appelés à se transformer, comme ceux de l'architecture ;
- les métiers traditionnels, pas écologiques en eux-mêmes, qui seront nécessaires pour assurer le bon fonctionnement des activités vertes.
À travers l'exemple de l'Inflation Reduction Act porté par l'administration Biden aux États-Unis, Andrea Bassanini montre comment les politiques publiques peuvent fortement accélérer le développement de ces métiers.
À l'occasion de ce colloque, la Dares a souhaité s'intéresser à la question de la transition écologique juste sur le marché du travail, parce qu'il nous semble très important, pour atteindre les objectifs de
neutralité carbone, de poser la question de la transition juste, pour ne pas léser certains individus sur le marché du travail, des travailleurs, des travailleuses, des demandeurs d'emploi, mais aussi des territoires qui peuvent être affectés différemment par le choc induit par la transition écologique.
En 2022, la Dares s'est déjà intéressée au sujet de la transition écologique et de ses impacts sur le marché du travail, car elle a coordonné le rapport thématique sur l'emploi dans le cadre de la mission Pisani-Ferry - Mahfouz. Un des premiers résultats, c'était d'abord que la transition écologique constitue un choc sur le marché du travail qui est d'une ampleur similaire aux chocs passés, comme par exemple lors de la crise financière de 2008. Par contre, ce choc intervient dans un contexte relativement différent, notamment avec des tensions de recrutement fortes sur le marché du travail.
Par ailleurs, le rapport Pisani-Ferry pointe du doigt le risque d'accentuer certaines inégalités sur le marché du travail entre travailleurs et travailleuses et entre territoires notamment. Toutes ces raisons font qu’il est très important de s'intéresser à la question de l'attractivité des métiers qui seront stratégiques pour mener à bien la transition écologique, que ce soit en termes de salaire ou en termes de condition de travail.
La Dares a prévu de continuer à s'intéresser au sujet de la transition écologique et de ses impacts sur le marché du travail. Une étude est notamment en cours sur la mesure des compétences vertes à partir d'un outil d’analyse des offres d'emploi en ligne. Le sujet sera aussi intégré à certaines enquêtes à travers l'inclusion de certaines questions spécifiques dans les enquêtes conditions de travail ou encore l'enquête SUMER.
Noémie Le Toullec : « Il nous semble très important, pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, de poser la question de la transition juste »
S'appuyant sur de précédents travaux réalisés dans le cadre de la mission Pisani-Ferry Mahfouz de 2022, Noémie Le Toullec, de la Dares, aborde pour sa part la question de la transition écologique juste en matière d'emploi, de travail et d'égalité territoriale.
Comparable au choc de la crise financière de 2008, l'impact de la transition écologique intervient dans un contexte différent, marqué par des tensions de recrutement. Afin de lutter contre le risque d'accroissement des inégalités lié à cet impact, elle insiste sur l'importance d'agir pour l'attractivité des métiers de la transition écologique.