TRA4 - Bulletin Officiel N°2005-2: Annonce N°21

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∎  Journal officiel du 19 janvier 2005

Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi de programmation pour la cohésion sociale

NOR :  CSCL0508020X

    Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d’un recours dirigé contre la loi de programmation pour la cohésion sociale, adoptée le 20 décembre 2004. Les auteurs de cette saisine critiquent les dispositions des articles 1er, 17, 24, 31, 44, 69, 77 et 139 de la loi.
    Le Conseil a, en outre, été saisi d’un autre recours, formé par moins de soixante députés. Mais, comme tel, ce second recours ne satisfait pas aux exigences de l’article 61 de la Constitution. Il ne pourra, par suite, qu’être écarté comme irrecevable (décision no 77-89 DC du 30 décembre 1977 ; décision no 81-133 DC du 30 décembre 1981 ; décision no 99-419 DC du 9 novembre 1999 ; décision no 2001-450 DC du 11 juillet 2001 ; décision no 2002-459 DC du 22 août 2002).
    Le recours signé par plus de soixante députés appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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I.  -  Sur les articles 1er, 17, 24, 31 et 44

    A.  -  L’article 1er de la loi déférée traite de l’organisation du service public de l’emploi et prévoit notamment la création de maisons de l’emploi destinées à contribuer à la coordination des actions menées en matière d’emploi et à participer à l’accueil et l’orientation des demandeurs d’emploi, à l’insertion, à l’orientation en formation, à l’accompagnement des demandeurs d’emploi et à l’aide à la création d’entreprise. Les maisons de l’emploi pourront prendre la forme de groupements d’intérêt public associant obligatoirement une collectivité territoriale.
    Les articles 17, 24 et 31 modifient certaines dispositions régissant l’apprentissage. L’article 17 prévoit, en particulier, que la durée du contrat d’apprentissage pourra, dans certaines conditions, varier entre six mois et un an ; l’article 24 a pour effet de permettre de conclure des contrats d’apprentissage avec des personnes de plus de vingt-cinq ans en cas de création ou de reprise d’entreprise ; l’article 31 institue un crédit d’impôt au bénéfice des sociétés qui emploient des apprentis.
    L’article 44 prévoit la possibilité pour l’Etat de conclure des conventions ouvrant droit au bénéfice de contrats de travail particuliers, dénommés contrats d’accompagnement dans l’emploi, pour lesquels l’Etat prend en charge une partie du coût afférent aux embauches. Ces conventions peuvent être conclues avec les collectivités territoriales, ou les personnes morales de droit public, ou les personnes morales de droit privé chargées d’un service public, ou encore les organismes de droit privé à but non lucratif.
    Les auteurs du recours soutiennent que ces différentes dispositions méconnaîtraient les termes de l’article 72-2 de la Constitution, en ce que la loi ne prévoit pas de mesures de compensation financière alors que ces dispositions institueraient de nouvelles compétences obligatoires pour les collectivités territoriales, qu’elles accroîtraient les charges imparties aux régions en matière d’apprentissage ou qu’elles impliqueraient des dépenses nouvelles liées à l’embauche de salariés sous la forme de contrats d’accompagnement dans l’emploi.
    B.  -  Les critiques adressées à ces dispositions ne sont pas fondées.
    1.  Il importe d’abord de relever, en termes généraux, que le quatrième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution, résultant de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, distingue le cas des transferts de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales de celui de la création ou de l’extension des compétences des collectivités territoriales. Le transfert de compétences, aux termes de la Constitution, doit s’accompagner de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à l’exercice de ces compétences à la date du transfert. La création ou l’extension de compétences doivent, pour leur part, être accompagnées de ressources déterminées, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, par le législateur ; le Conseil constitutionnel a déjà précisé que ces dernières dispositions ne concernent que la création ou l’extension de compétences obligatoires et ne valent pas à l’égard de dispositions qui se bornent à ouvrir aux collectivités territoriales l’exercice de compétences facultatives (décision no 2003-474 DC du 17 juillet 2003 ; décision no 2003-480 DC du 31 juillet 2003).
    Au cas présent, les dispositions critiquées par le recours ne procèdent nullement à des transferts de compétence entre l’Etat et les collectivités territoriales ; elles n’ont, par suite, pas à faire l’objet de la compensation financière prévue par la première phrase du quatrième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution. En outre, ces dispositions ne procèdent pas à la création de compétences nouvelles devant obligatoirement être exercées par des collectivités territoriales. Certaines d’entre elles ont pour objet de réaménager des dispositions régissant l’exercice de compétences dévolues à des collectivités territoriales, ces réaménagements ne se traduisant pas nécessairement par l’extension de ces compétences. En tout état de cause, ces réaménagements ne sont pas intervenus en méconnaissance des dispositions de la seconde phrase du quatrième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution imposant au législateur de prévoir l’attribution de ressources supplémentaires.
    2.  S’agissant des maisons de l’emploi, il faut relever que les dispositions adoptées par le législateur n’ont ni pour objet ni pour effet d’imposer aux collectivités territoriales de procéder à la création de telles structures ou d’y participer.
    Ces structures ont été conçues comme un instrument permettant de mettre en commun les moyens des diverses composantes du service public de l’emploi. La participation des collectivités territoriales, notamment les communes, à la création de ces maisons de l’emploi ne se fera que sur leur initiative et suppose leur adhésion volontaire. Le dispositif adopté par le législateur permettra à l’Etat de participer financièrement à des projets d’initiative locale ; mais il n’impose aucune participation obligatoire des collectivités territoriales.
    Par suite, dès lors que ces dispositions ne traduisent pas la création d’une compétence obligatoire pour les collectivités territoriales, l’article 72-2 de la Constitution n’imposait pas au législateur de prévoir l’attribution de ressources à ce titre.
    3.  En ce qui concerne les dispositions des articles 17, 24 et 31 relatifs à l’apprentissage, on doit d’abord souligner qu’elles ne procèdent à aucun transfert de compétences entre l’Etat et les régions. Elles ne conduisent pas davantage à la création de compétences obligatoires nouvelles qui ne relèveraient pas déjà des régions. L’appréciation du point de savoir si elles doivent être regardées comme entraînant une extension des compétences déjà dévolues aux régions s’avère plus délicate et n’appelle, sans doute, pas la même réponse pour les différentes dispositions critiquées.
    De ce point de vue, l’article 17 de la loi déférée est critiqué en ce qu’il permettra que soient conclus, dans certaines hypothèses, des contrats d’apprentissage d’une durée comprise entre six mois et un an. Cette modification assouplit la règle antérieure qui ne permettait pas la conclusion de contrats d’une durée inférieure à un an. Elle affecte ainsi le régime du contrat d’apprentissage et intéresse de ce fait les compétences dévolues aux régions en matière d’apprentissage. Mais elle n’a pas, par elle-même, pour effet de modifier le périmètre des compétences exercées à ce titre par les régions : elle n’élargit pas le cercle des personnes susceptibles de conclure un contrat d’apprentissage, toutes les personnes éligibles à ces contrats ayant déjà accès à l’apprentissage. En particulier, s’agissant des mentions complémentaires, on doit observer que l’article 4 du décret no 2001-286 du 28 mars 2001 portant règlement général de la mention obligatoire indique explicitement que la mention complémentaire peut être préparée par la voie de l’apprentissage. Dans ces conditions, on doit considérer que la modification apportée au régime du contrat d’apprentissage par l’article 17 de la loi déférée ne traduit pas une « extension » de la compétence des régions au sens de l’article 72-2 de la Constitution.
    On peut observer, en outre, que cette modification, qui vise à offrir davantage de souplesse dans la détermination de la durée des contrats, devrait, en pratique, plutôt conduire à atténuer la charge financière que représentent les contrats d’apprentissage pour les régions : d’une part, parce qu’elle permettra à l’avenir, dans certains cas, la conclusion de contrats plus courts que ceux qui existent aujourd’hui, d’autre part, parce que la possibilité de conclure des contrats plus courts, mieux adaptés à certains profils, sera de nature à éviter des ruptures anticipées de formation qui se révèlent particulièrement coûteuses pour les collectivités.
    Pour sa part, l’article 24 permet de déroger à la limite d’âge supérieure pour les personnes ayant un projet de création ou de reprise d’entreprise et souscrivant un contrat d’apprentissage à cette fin. Il ajoute ainsi une dérogation supplémentaire à la liste des dérogations à la limite d’âge de vingt-cinq ans déjà mentionnées à l’article L. 117-3 du code du travail. Cette disposition modifie ainsi un aspect du régime de l’apprentissage et, à la différence de l’article 17, cette modification a pour effet d’élargir le cercle des personnes susceptibles d’avoir recours à l’apprentissage. En termes juridiques, on peut en déduire qu’elle procède à une extension des compétences dévolues aux régions en termes d’apprentissage. Mais il faut souligner que cette extension est particulièrement limitée et qu’elle n’est certainement pas de nature à modifier significativement la charge qui en résulte pour les régions. A cet égard, on peut observer que les auteurs du recours reconnaissent eux-mêmes que les modifications apportées par la loi au statut des apprentis, notamment par l’article 24, présentent le caractère d’ajustements mineurs.
    Quant à l’article 31 qui institue un crédit d’impôt sur les sociétés pour inciter les entreprises à avoir recours à des apprentis, il faut relever qu’il ne se traduit pas par une modification des dispositions définissant les compétences des collectivités territoriales ni même par une modification du régime juridique applicable à ces compétences. Ses dispositions, qui s’insèrent au code général des impôts, sont tout à fait extérieures aux dispositions régissant l’apprentissage. L’impact qu’elles sont susceptibles d’emporter sur l’exercice par les régions de leurs compétences ne peut ainsi qu’être indirect. On ne peut considérer que de telles dispositions, qui ne traitent pas directement des compétences des collectivités territoriales, se traduiraient par une « extension » de compétences au sens de l’article 72-2.
    De façon plus générale, il est vrai que la loi de programmation pour la cohésion sociale vise à renforcer l’attractivité de l’apprentissage tant pour les apprentis eux-mêmes que pour les employeurs.
    Mais, d’une part, on peut souligner que le nombre d’apprentis demeure, en tout état de cause, fonction de la capacité d’accueil des centres de formation d’apprentis ou des sections d’apprentissage décidées, pour l’essentiel, par les régions. En effet, la création de ces centres est du ressort des régions, selon l’article L. 116-2 du code du travail, ou de l’Etat pour les centres à recrutement national et l’article R. 116-2 du code du travail prévoit que les conventions de création des centres fixent le nombre minimal et maximal d’apprentis admis annuellement au centre ou section d’apprentissage pour la ou les formations qui y seront dispensées. Ainsi, les régions, dans le cadre de ces conventions, disposent des moyens de maîtriser le nombre d’apprentis qu’elles entendent voir former.
    D’autre part, on doit relever que la loi a également entendu rendre le système de financement plus transparent et dégager des ressources supplémentaires au bénéfice de cette filière de formation professionnelle. Ainsi, la loi déférée a décidé de supprimer certaines exonérations de la taxe d’apprentissage et d’affecter les ressources supplémentaires qui en résulteront au Fonds national de développement et de modernisation de l’apprentissage, ce qui permettra de dégager des ressources financières nouvelles au profit de l’apprentissage. Dès 2006, lorsque toutes les suppressions d’exonération auront été réalisées, le fonds disposera de ressources nouvelles annuelles d’environ 214 millions d’euros (153 millions d’euros en 2005) qui viendront s’ajouter aux 150 millions d’euros aujourd’hui répartis entre les régions au titre de la péréquation. Ces ressources nouvelles seront destinées à financer le développement de l’apprentissage, dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens conclus entre l’Etat et la région, les chambres consulaires, les branches professionnelles dont certaines contribuent fortement au financement de l’apprentissage. Ces ressources supplémentaires, via le fonds national, abonderont les fonds régionaux de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue.
    Par ailleurs, la loi a visé, par plusieurs dispositions, à améliorer la transparence du financement de l’apprentissage. A ce titre, l’intermédiation des organismes collecteurs a été rendue obligatoire à partir de l’exercice 2006, de manière à assurer une parfaite traçabilité des flux financiers. De plus, la loi impose aux organismes collecteurs de fournir à chaque région une information annuelle sur l’utilisation exacte du produit collecté en région au titre du quota de la taxe d’apprentissage et de la répartition de ces ressources entre les centres de formation d’apprentis de la région. Ces différentes mesures seront de nature à permettre aux régions de procéder à une meilleurs allocation des ressources disponibles, par une gestion plus rationnelle et plus efficiente des fonds régionaux consacrés à l’apprentissage.
    Ainsi, on doit constater que le législateur a déterminé l’attribution de ressources supplémentaires en faveur de l’apprentissage. Dans ces conditions, à supposer que les dispositions contestées par le recours doivent être regardées comme procédant à des extensions de compétence au sens de l’article 72-2 de la Constitution, le grief tiré de la violation de ces dispositions constitutionnelles n’en sera pas moins écarté.
    4.  En ce qui concerne, enfin, les contrats d’accompagnement dans l’emploi, on ne peut que relever que ces contrats, comme les anciens contrats emploi solidarité (CES) et contrats emploi-consolidé (CEC) qu’ils remplacent, permettront le recrutement, par des employeurs publics ou associatifs, de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles d’accès à l’emploi. Les employeurs publics ou associatifs qui entendraient procéder à de tels recrutements bénéficieront d’une subvention et d’exonérations de cotisations sociales ; la subvention sera versée sur des crédits inscrits au budget du ministère du travail, de l’emploi et de la cohésion sociale.
    En aucun cas, les collectivités territoriales ne seront contraintes de recruter des agents par la voie de ces contrats de travail aidés. Elles ne sont investies, par ailleurs, d’aucune compétence pour ce qui touche à la gestion ou la mise en oeuvre de ce dispositif qui relève de la compétence exclusive de l’Etat. Dans ces conditions, l’invocation de l’article 72-2 de la Constitution à l’encontre de l’article 44 de la loi déférée ne pourra qu’être écartée.

II.  -  Sur l’article 69

    A.  -  L’article 69 de la loi déférée, modifiant l’article L. 212-4 du code du travail, précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail ne constitue pas un temps de travail effectif, mais doit faire l’objet d’une compensation s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.
    Les députés requérants font valoir que ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité.
    B.  -  Un tel grief devra être écarté.
    Il convient, à titre liminaire, de précisément mesurer la portée de l’intervention du législateur, au regard des dispositions générales relatives au décompte du temps de travail.
    La définition générale de la durée du travail effectif a été initialement élaborée par la jurisprudence avant d’être reprise, par la loi no 98-461 du 13 juin 1998, à l’article L. 212-4 du code du travail. Ainsi le premier alinéa de cet article L. 212-4 définit la durée du travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.
    S’agissant des temps de trajet, la jurisprudence distingue les trajets accomplis entre le domicile et le lieu de travail et les trajets effectués entre différents lieux de travail. Le temps de trajet entre l’entreprise et le lieu d’exécution du travail et entre différents lieux de travail est qualifié de temps de travail effectif, conformément aux termes de l’article L. 212-4 du code du travail. En revanche, le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail n’est, en principe, pas qualifié de temps de travail effectif (Cass. soc. 16 mai 2001, Mme Lorin-Blandin c/MACIF).
    Toutefois, dans le silence des textes, la jurisprudence récente a réservé les cas où le temps de trajet entre le domicile et le lieu du travail se révèle temporairement anormal, en raison de contraintes de service imposant au salarié des déplacements inhabituels (V. Cass. soc. 5 novembre 2003, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes c/Marini ; Cass. soc. 5 mai 2004, Pennequin c/société Segec). En vertu de cette jurisprudence, le caractère anormal du temps de trajet se traduit par une qualification de ce temps de trajet en temps de travail effectif, du moins pour la partie du trajet qui excède le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail. Cette jurisprudence a ainsi pu conduire au déclenchement des mécanismes de compensation, en cas notamment de dépassement du contingent des heures supplémentaires. Elle a entraîné des difficultés pratiques dans certains secteurs où les salariés sont appelés à de fréquents déplacements.
    Les dispositions adoptées par l’article 69 de la loi déférée modifient l’article L. 212-4 du code du travail afin de résoudre ces difficultés. Elles prévoient, de façon générale, que le temps de déplacement professionnel ne peut plus être décompté comme temps de travail effectif. Sont ainsi visés les déplacements que fait le salarié pour se rendre depuis son domicile sur le lieu d’exécution de son travail ; en revanche, ne sont pas visés les déplacements accomplis entre différents lieux de travail pendant la période comprise dans l’horaire collectif ou individuel de travail qui, pour leur part, demeurent inclus dans le temps de travail effectif.
    On doit observer que la modification adoptée par le législateur est explicitement assortie de deux garanties essentielles pour les salariés. En premier lieu, la loi prévoit que ce nouveau mode de calcul du temps de travail effectif ne saurait se traduire par une baisse de la rémunération ; en second lieu, la loi impose une compensation lorsque les temps de trajet professionnel excèdent une certaine durée, soit sous la forme de repos soit sous la forme d’une indemnisation financière. Il appartiendra aux partenaires sociaux, au niveau de la branche ou de l’entreprise, de définir les modalités de la compensation ; à défaut d’accord collectif, ces modalités seront définies par décision unilatérale de l’employeur après consultation des institutions représentatives du personnel.
    On doit aussi relever que le législateur a utilisé comme critère, afin de déterminer la part du temps de trajet professionnel devant faire l’objet de cette compensation, la même référence que celle qui est aujourd’hui prise en considération par la jurisprudence, à savoir la durée normale du trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail. La jurisprudence considère aujourd’hui que la partie du temps de trajet qui, du fait des contraintes imposées par l’employeur, excède la durée normale du trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail doit être regardée comme du temps de travail effectif. Le législateur a certes décidé que ce temps de trajet inhabituel ne serait plus considéré comme relevant du temps de travail effectif tout en faisant l’objet d’une compensation adéquate ; mais le législateur a, pour aboutir à ce résultat, retenu le même critère que celui qui était mis en oeuvre par la jurisprudence.
    En utilisant un tel critère de référence, le législateur n’a pas porté atteinte au principe d’égalité. D’une part, le mode de décompte du temps de travail effectif prévu par le législateur est identique pour tous les salariés. D’autre part, l’intervention ou non d’une compensation est fonction d’un critère objectif et rationnel, en rapport avec l’objet de la mesure, à savoir la durée du trajet imposé par l’employeur par rapport au trajet habituel entre le domicile et le lieu de travail, ce dernier élément traduisant une différence de situation objective entre les salariés.

III.  -  Sur l’article 77

    A.  -  L’article 77, modifiant notamment l’article L. 122-14-4 du code du travail, précise que le tribunal saisi, lorsqu’il constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est jugée nulle et de nul effet, prononce la nullité du licenciement et peut ordonner, à la demande du salarié, la poursuite du contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi équivalent disponible.
    Les auteurs du recours soutiennent que ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative, qu’elles méconnaîtraient le principe de clarté de la loi et le principe d’égalité et qu’elles porteraient atteinte au droit d’obtenir un emploi proclamé par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
    B.  -  Ces différents griefs seront écartés.
    1.  Les dispositions de l’article 77 de la loi déférée modifient l’article L. 122-14-4 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’article 111 de la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002 qui avait transcrit la portée de la jurisprudence dite « Samaritaine » du 13 février 1997. Selon cette jurisprudence, la nullité du plan de sauvegarde de l’emploi entraînant celle du licenciement, le juge avait le pouvoir, à la demande du salarié, d’ordonner la réintégration de ce dernier dans l’entreprise. On doit observer que les dispositions critiquées n’ont pas pour effet de remettre radicalement en cause les dispositions antérieures et cette jurisprudence, mais qu’elles se bornent à prévoir que le juge ne disposera plus du pouvoir d’ordonner la réintégration lorsqu’elle se révèle, à la date du jugement, objectivement impossible. A titre d’illustration d’une telle impossibilité, le législateur a mentionné certains exemples comme la fermeture de l’établissement ou du site ou l’absence d’emploi équivalent disponible.
    Contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions précises et non équivoques ne manquent pas au principe constitutionnel de clarté de la loi et ne sont pas entachées d’incompétence négative. Elles énoncent, en effet, clairement la nouvelle règle législative, à savoir l’obligation pour le juge, saisi d’une demande en ce sens, d’ordonner la réintégration du salarié dont le licenciement a été jugé nul sauf si cette réintégration est devenue impossible. En ayant recours à une telle formule qui vise les cas où la poursuite du contrat de travail, tel qu’il avait été initialement conclu, s’avère matériellement impossible du fait de la survenance d’un événement postérieur à la notification du licenciement irrégulier, le législateur ne peut être regardé comme n’ayant pas épuisé sa compétence ou comme ayant méconnu le principe constitutionnel de clarté de la loi.
    La circonstance que le législateur ait, en outre, explicité par quelques exemples non limitatifs la restriction tenant à l’impossibilité de réintégration n’est pas de nature à rendre les dispositions adoptées contraires à la Constitution. Les illustrations données ne sont pas contradictoires et correspondent à des cas où la réintégration, à contrat de travail inchangé, est impossible. En particulier, le cas de la fermeture de l’établissement ou du site traduit bien une réintégration impossible au sens de ce texte, dans la mesure où une réintégration imposée dans un autre site, ou pour une autre qualification, reviendrait à imposer une modification d’éléments substantiels du contrat de travail, c’est-à-dire, en fait, à la conclusion d’un nouveau contrat de travail.
    On ne peut davantage soutenir que serait contraire à la Constitution le fait pour le législateur d’indiquer des exemples de façon non limitative. Le législateur ne peut être tenu de régler par avance toutes les situations qui pourraient se présenter et qui seront soumises aux juridictions. Le pouvoir d’appréciation confié au juge s’inscrit dans le cadre de son office, qui le conduit à appliquer la loi aux situations particulières qui lui sont soumises. On peut noter, d’ailleurs, que le droit du licenciement économique connaît d’autres dispositions non limitatives : ainsi l’adverbe « notamment » ne limite pas l’énumération des causes de licenciement économique de l’article L. 321-1 du code du travail (V. à cet égard la décision no 2001-455 DC du 12 janvier 2002) ; le même adverbe ou l’expression « par exemple » figurent aussi aux articles L. 321-1-1 relatif aux critères de licenciement, L. 321-4-1 relatif au plan de sauvegarde de l’emploi ; il en va de même au paragraphe 2 de l’article L. 122-12 relatif à la modification de la situation juridique de l’employeur.
    2.  Les critiques tirées du principe d’égalité ou du droit à l’emploi résultant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 n’apparaissent pas davantage fondées.
    En ce qui concerne le principe d’égalité, on ne voit pas en quoi les dispositions critiquées seraient susceptibles de lui porter atteinte. La restriction mise au pouvoir du juge d’ordonner la réintégration dans certaines situations est liée à la survenance d’événements objectifs qui rendent une telle réintégration impossible. Le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, prévoir cette restriction pour ces cas particuliers qui diffèrent des autres situations.
    En ce qui concerne le droit à l’emploi proclamé au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, sans doute doit-on admettre que le reclassement des salariés dans l’entreprise puisse s’en recommander. Mais il faut aussi relever que des mesures de réintégration dans l’entreprise de salariés qui ont été licenciés sont de nature à porter atteinte à la liberté d’entreprendre, qui a également valeur constitutionnelle (V. par exemple la décision no 88-244 DC du 20 juillet 1988). Il appartient au législateur, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, de procéder à la conciliation de ces différents impératifs constitutionnels.
    Au cas présent, en prévoyant que le juge ne pourra ordonner la réintégration d’un salarié lorsque cette réintégration s’avérerait matériellement impossible, le législateur ne peut être regardé comme ayant procédé à une conciliation manifestement inappropriée entre les exigences constitutionnelles tenant au droit d’obtenir un emploi résultant du Préambule de la Constitution de 1946 et celles protégeant la liberté d’entreprendre. Le grief sera, par suite, écarté.

IV.  -  Sur l’article 139

    A.  -  L’article 139 de la loi déférée dispose que, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, la légalité des actes permettant la réalisation des travaux, ouvrages et aménagements prévus par des arrêtés préfectoraux pris en 2004 déclarant d’utilité publique les acquisitions et travaux de création et d’extension de lignes de tramways concourant notamment à l’amélioration de la desserte des zones franches urbaines ne peut être contestée au motif que l’étude d’impact présenterait des insuffisances en matière d’analyse des effets du projet sur la circulation routière et du défaut de motivation des conclusions des commissaires enquêteurs ou des commissions d’enquêtes préalables à la déclaration d’utilité publique.
    Les auteurs du recours font valoir que ces dispositions ont été adoptées en méconnaissance des règles régissant le droit d’amendement résultant des articles 39, 44 et 45 de la Constitution et qu’elles ne répondent pas à un motif d’intérêt général suffisant.
    B.  -  Ces différentes critiques appellent les observations suivantes.
    1.  On ne saurait, en premier lieu, soutenir que les dispositions de l’article 45 de la Constitution s’opposeraient à ce que des mesures nouvelles puissent être adoptées, par voie d’amendement, lors de la discussion devant la dernière assemblée parlementaire saisie avant la réunion de la commission mixte paritaire. Le droit d’amendement peut, en effet, s’exercer à chaque stade de la procédure législative, sous réserve des dispositions particulières applicables après la réunion de la commission mixte paritaire. Mais avant la réunion de la commission mixte paritaire, il est loisible à la deuxième assemblée saisie de voter des amendements, qu’ils soient présentés par le Gouvernement ou par ses membres, conduisant, le cas échéant, à adopter des articles additionnels. Et il peut en aller ainsi, sans méconnaître aucune disposition constitutionnelle, que l’urgence ait été déclarée ou non. Toute autre interprétation de l’article 45 de la Constitution reviendrait à limiter sans justification l’exercice du droit d’amendement garanti par l’article 44 de la Constitution.
    Le Conseil constitutionnel ne pourra, dès lors, retenir le grief formulé par les auteurs du recours, selon lequel l’article 139 de la loi déférée résultant d’un amendement déposé, avant la réunion de la commission mixte paritaire, à l’Assemblée nationale et non au Sénat, sur le bureau duquel le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale avait été déposé, aurait été adopté en méconnaissance de l’article 45 de la Constitution.
    2.  On rappellera, en deuxième lieu, que le Conseil constitutionnel n’impartissant plus de limites tenant à l’ampleur intrinsèque des adjonctions ou modifications apportées au texte initial (décision no 2001-445 DC du 19 juin 2001 ; décision no 2001-455 DC du 12 janvier 2002), la seule limite opposable à l’exercice du droit d’amendement avant la réunion de la commission mixte paritaire tient au fait que les adjonctions et modifications apportées au texte en cours de discussion ne peuvent être dépourvues de tout lien avec l’objet du texte soumis au Parlement (décision no 2001-455 DC du 12 janvier 2002 ; décision no 2002-459 DC du 22 août 2002 ; décision no 2003-472 DC du 26 juin 2003 ; décision no 2004-502 DC du 5 août 2004). Cette condition est généralement appréciée de façon libérale par le Conseil constitutionnel.
    Au cas présent, on peut observer que les dispositions contestées de l’article 139 ont pour objet de permettre la réalisation d’opérations de création ou d’extension d’infrastructures de transports collectifs par tramway, ainsi que les opérations d’accompagnement (mise en compatibilité des documents d’urbanisme, création de parkings-relais, dépôt-ateliers, réaménagements de voirie ou d’ouvrages d’art), dont l’utilité publique a été déclarée par arrêté préfectoral en 2004, en validant partiellement les effets des actes annulés par le juge administratif. La poursuite de ces opérations est de nature à concourir à l’amélioration de la desserte de quartiers situés en zones franches urbaines, caractérisées par des difficultés particulières en termes d’emploi (taux de chômage, proportion de jeunes de moins de 25 ans, de personnes sorties du système scolaire sans diplôme) et d’habitat (présence de grands ensembles, quartiers dégradés). Par leurs effets directs et indirects sur la requalification urbaine ou la redynamisation des quartiers en difficulté ou de bassins d’emploi, ces opérations jouent un rôle important en termes d’insertion professionnelle et de lutte contre les exclusions.
    On doit, par suite, considérer que des dispositions législatives permettant la poursuite de telles opérations ne sont pas dépourvues de tout lien avec les dispositions figurant dans le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale déposé par le Gouvernement sur le bureau du Sénat, dont l’objectif, affirmé dans l’exposé des motifs, visait à traiter ensemble les grands problèmes qui mettent en péril la cohésion du pays et à agir simultanément sur tous les leviers afin d’établir un cercle vertueux de cohésion. De nombreuses dispositions du projet de loi entendaient poursuivre cet objectif. Il convient aussi de relever que l’article 94 de la loi adoptée, résultant de l’article 45 du projet de loi, modifie le code de l’urbanisme pour permettre l’intervention foncière des établissements publics d’aménagement. Dans ces conditions, les dispositions de l’article 139 de la loi déférée ne sont pas dépourvues de tout lien avec des dispositions figurant dans le projet de loi initialement déposé par le Gouvernement.
    3.  En troisième lieu, on doit relever que la validation partielle décidée par le législateur, qui ne fait pas obstacle à l’exécution de décisions de justice passées en force de chose jugée, répond à un motif d’intérêt général suffisant.
    Il s’agit de permettre la réalisation d’opérations lourdes de construction de lignes de transports par tramway, respectueux de l’environnement, facilitant la desserte de quartiers en difficulté classés en zones franches urbaines et d’éviter le blocage durable de chantiers de travaux publics, dont l’utilité publique n’est au fond pas sérieusement contestée et dont l’arrêt emporte des conséquences préjudiciables en termes de circulation, de sécurité et de continuité d’itinéraires routiers, ainsi qu’un impact dommageable sur de nombreuses opérations programmées dans l’agglomération. La validation partielle décidée par le législateur permet de conforter la sécurité juridique des opérations en cause, en évitant que les motifs d’illégalité externe mentionnés par le législateur ne puissent conduire à mettre en cause la légalité des actes pris sur le fondement de déclarations d’utilité publique jugées illégales, obligeant à lancer des opérations de régularisation dont la durée serait de l’ordre de dix-huit mois.

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    Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs de la saisine ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C’est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.