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∎ Journal officiel du 19 janvier 2005
Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 décembre 2004 présentée par plus de soixante députés, en application de larticle 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2004-509 DC
NOR : CSCL0407897X
LOI DE PROGRAMMATION POUR LA COHÉSION SOCIALE
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons lhonneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de larticle 61 de la Constitution, lensemble de la loi de programmation pour la cohésion sociale telle quadoptée par le Parlement. Plusieurs de ses dispositions sont contraires à la Constitution et particulièrement les articles 1er, 17, 24, 31, 44, 69, 77 et 139.
1. Sur le respect du principe dégalité
Sur larticle 69 :
Cet article, résultant dun amendement no 200 rectifié adopté en première lecture par lAssemblée nationale, complète larticle L. 212-4 du code du travail afin de définir la valeur et la nature du temps de déplacement professionnel au regard du temps de travail effectif. Il pose le principe que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu dexécution du contrat de travail nest pas du temps de travail effectif et prévoit que, si ce temps de déplacement dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire lobjet dune contrepartie.
Lamendement vise, selon son exposé des motifs, à mettre un terme à la jurisprudence qui considère le temps de déplacement professionnel comme du temps de travail effectif.
La durée du travail effectif est, suivant larticle L. 212-4, alinéa 1, du code du travail, le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de lemployeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. Il apparaît donc que, pour être considéré comme du temps de travail effectif, ces trois conditions doivent être réunies.
Si le temps de trajet du domicile au lieu de travail ne constitue pas selon la jurisprudence de la Cour de cassation du temps de travail effectif, celle-ci opère une distinction entre deux types de trajet : dune part, le trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail et, dautre part, le trajet entre deux lieux de travail différents.
Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a considéré que le temps de trajet entre deux lieux de travail constituait du temps de travail effectif. Cest le cas pour un salarié dune entreprise du bâtiment pour se rendre sur des chantiers et en revenir lorsquil est tenu de se rendre au siège de lentreprise avant lheure dembauche et après lheure de débauche de chantiers afin de procéder au chargement ou au déchargement de matériaux (Cass. soc. 12 juillet 1999, no 97-42789, société Lafer). Cest le cas pour un formateur qui doit animer des stages en plusieurs endroits (Cass. soc. 5 novembre 2003 no 01-43109, AFPA). Cest le cas pour un salarié qui visite régulièrement les entreprises clientes de son employeur situées dans plusieurs villes (Cass. soc. 5 mai 2004 no 01-43918, société Segec).
Cette jurisprudence est en conformité avec le droit communautaire et plus particulièrement larticle 15 du règlement (CEE) no 3821/85. En modifiant le code du travail, lintention du législateur est de lever ce quil considère être une insécurité juridique née dune jurisprudence pénalisante pour les entreprises.
Cet article de portée générale est en contradiction avec le droit européen qui reconnaît que le temps de travail effectif recouvre le temps où le salarié ne peut disposer librement de son temps.
Le législateur met en place un dispositif pour le moins confus qui va conduire à des inégalités de traitement entre salariés au sein dune même entreprise, non pas en fonction déléments constitutifs de leur contrat de travail mais en fonction de leur lieu dhabitation, qui relève de la vie privée.
En effet, larticle du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale met en oeuvre une compensation pour le salarié si le temps de déplacement dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail habituel. Cette compensation prend la forme de temps de repos ou de rémunération.
Supposons que dans la même entreprise, deux salariés doivent effectuer ensemble un temps de déplacement professionnel, par exemple de 30 minutes à partir de leur lieu habituel de travail. Lun, sil met 45 minutes pour se rendre de son domicile à son lieu habituel de travail, ne recevra aucune contrepartie, lautre, sil met 20 minutes pour se rendre de son domicile à son lieu habituel de travail, recevra une compensation pour un écart de 10 minutes entre temps de déplacement professionnel et temps de trajet domicile-lieu habituel de travail.
Autrement dit, ces deux salariés qui vont effectuer le même déplacement professionnel pour effectuer le même travail nauront pas la même comptabilisation de temps de travail. Le premier ne recevra aucune compensation en raison du décompte du temps de déplacement professionnel introduit par cet article. En revanche, le deuxième aura droit soit à du temps de repos, soit à une rémunération supplémentaire.
Cette inégalité de traitement revient à introduire dans la rémunération le critère du lieu dhabitation, qui nest pas un élément du contrat de travail. Elle va à lencontre de lexposé des motifs de lamendement, qui prétend mettre un terme à une situation inégale où le temps de travail effectif varie en fonction de la situation géographique du domicile du salarié.
Larticle 69 crée bien une inégalité de traitement dans le décompte du temps de travail en fonction dun critère qui ne saurait intervenir dans la définition des termes du contrat de travail. Il ne peut quêtre censuré.
2. Sur larticle 34 de la Constitution
et le respect du principe dégalité
Sur larticle 77 :
Le paragraphe IV de cet article modifie larticle L. 122-14-4 du code du travail en disposant que « lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de larticle L. 321-4-1, il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de létablissement ou du site ou de labsence demploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié ».
Cette disposition qui revient sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation est entachée dincompétence négative constitutive dune violation de larticle 34 de la Constitution. Par voie de conséquence, elle méconnaît le principe dégalité.
La rédaction retenue pour le nouveau paragraphe IV de larticle L. 122-14-4 du code du travail introduit des éléments dappréciation à caractère subjectif. Le concept « dimpossibilité » est utilisé dans un sens obscur et contradictoire. Larticle utilise ce concept dans un sens différent de son objet. Limpossibilité est précisée dans le texte par une liste non limitative de cas qui ne correspondent pas effectivement à limpossibilité dexécuter le contrat de travail. Cette ambiguïté est renforcée par lusage de ladverbe « notamment », plaçant les conditions demplois sous loffice du juge. Pourtant, larticle 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.
Cest à ce titre que vous avez censuré une disposition en matière de procédure de plan social par votre décision du 13 janvier 2000, en considérant que le législateur navait pas épuisé sa propre compétence dès lors quil avait laissé le soin aux autorités juridictionnelles le soin de déterminer si linobservation de la formalité précitée rendait nulle et de nul effet les procédures de licenciement (décision no 99-423 DC, considérant 27).
Or, en loccurrence, il suffit de relever que les conséquences de la procédure de licenciement seront sous la main du juge saisi puisque les effets attachés à sa décision ne sont pas limitativement énoncés, comme latteste la présence de ladverbe « notamment ».
Certes, larticle critiqué énonce que le juge sera guidé par le principe de limpossibilité de réintégration du salarié, principe illustré par deux exemples : fermeture de létablissement ou du site, ou absence demploi disponible.
Cependant, force est dadmettre que ces illustrations sont non exhaustives et que le juge aura une grande latitude pour apprécier les circonstances de limpossibilité de réintégration au travers de cet adverbe. Une latitude disproportionnée dès lors que cela aura pour effet de soumettre le sort des salariés concernés, tout comme la situation de lentreprise en cause, à une incertitude juridique préjudiciable à lensemble des personnes concernées.
Par ailleurs, le texte ne précise pas ce quil faut entendre par la fermeture de létablissement. Il ne permet pas de savoir si la cessation de lactivité est la seule visée ou sil exclut la réintégration lorsque les activités sont redistribuées sur dautres établissements ou dans dautres entreprises dun même groupe.
Cette situation est dautant plus insupportable quest en cause le droit à obtenir lemploi dont le salarié a été illégalement évincé.
Dailleurs, si lon devait, pour les seuls besoins du raisonnement, suivre votre propre motivation telle quelle ressort de votre décision du 12 janvier 2002 (décision no 2001-455 DC), il faudrait, inévitablement, conclure que cette insécurité juridique pèse, dune part, et à titre principal, sur le salarié et, dautre part, sur lentreprise dont lavenir est suspendue à une appréciation judiciaire aléatoire.
La rédaction de larticle 77 heurte le principe de clarté de la loi qui simpose au législateur en application de larticle 34 de la Constitution, que votre jurisprudence récente a rappelé (décision no 2004-494 DC du 29 avril 2004). Elle est incompatible avec les objectifs de valeur constitutionnelle dintelligibilité et daccessibilité de la loi tels que prévus par les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen.
En conséquence, il sen évince une incompétence négative et une rupture du principe dégalité devant la loi dans la mesure où des salariés placés objectivement dans une même situation ne seront pas nécessairement traités de manière semblable au regard de leur droit à obtenir un emploi.
De ce chef, la censure est encourue.
3. Sur la méconnaissance du droit à obtenir un emploi
consacré par le cinquième alinéa du Préambule de 1946
Sur larticle 77 :
Cet article révèle également une atteinte disproportionnée au droit dobtenir un emploi reconnu par le Préambule de la Constitution de 1946.
La jurisprudence de la Cour de cassation considère que les salariés ont, en cas de licenciement économique entaché de nullité, un droit à réintégration dans un emploi équivalent lorsque la réintégration dans le même emploi est impossible (Cass. soc. 30 mars 1999, Bull. civ. V, no 144). Dans cette logique protectrice du salarié, les contrats de travail sont réputés navoir jamais été rompus.
Autrement dit, pour que ce droit à la poursuite du contrat de travail soit impossible, cest-à-dire le droit à obtenir lemploi que lon occupait avant lannulation de la procédure de licenciement, il faut un motif impérieux et précisément défini par la loi.
Ce qui nest pas le cas en lespèce du fait, en particulier, de lusage de ladverbe « notamment ».
On notera, en outre, que la définition retenue par larticle critiqué est moins protectrice que celle actuellement appliquée par le juge judiciaire. En effet, la jurisprudence précitée considère la réintégration dans un emploi équivalent comme une alternative à limpossibilité de réintégrer le salarié licencié dans son emploi initial : « la cour dappel a pu décider... la réintégration des salariés dans un emploi équivalent après avoir relevé que la réintégration dans leur emploi était devenue impossible ».
Or, larticle en cause tente de faire échec à cette recherche demploi équivalent qui est pourtant la traduction objective du droit à lemploi tel que reconnu par le Préambule de 1946. Ce faisant, en élargissant les hypothèses pour lesquelles la réintégration est impossible, sans véritables limites en raison de lusage de ladverbe « notamment », le législateur porte une atteinte disproportionnée au droit à obtenir un emploi, cest-à-dire, au cas présent, à obtenir le droit dexercer lemploi contractuellement défini avec lemployeur et qui renaît du fait de la poursuite du contrat de travail résultant de lannulation du plan social.
Par ailleurs, cet article méconnaît la nécessaire conciliation de deux principes à valeur constitutionnelle que sont la liberté dentreprendre, prévue à larticle 4 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen, et le droit à obtenir un emploi, figurant au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Ce principe de conciliation a été clairement affirmé dans votre décision no 98-401 DC du 10 juin 1998, dans laquelle vous jugiez que larticle 34 de la Constitution « ne saurait dispenser le législateur, dans lexercice de sa compétence, du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, en ce qui concerne en particulier les droits et libertés fondamentaux reconnus aux employeurs et aux salariés ; que figurent notamment, parmi ces droits et libertés, la liberté proclamée par larticle 4 de la Déclaration de 1789, dont découle en particulier la liberté dentreprendre, légalité devant les lois et les charges publiques, le droit à lemploi, le droit syndical, ainsi que le droit reconnu aux travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises ».
Il appartient donc au législateur de concilier ces différents droits. Vous lavez clairement réaffirmé régulièrement dans votre jurisprudence et notamment dans la décision no 2001-455 DC du 11 janvier 2002 en précisant que, si le législateur peut apporter au droit à lemploi des limitations liées à lexigence représentée par la liberté dentreprendre, il ne doit pas en résulter datteinte disproportionnée au regard de lobjectif poursuivi par le législateur.
La combinaison des deux modifications prévues au IV de larticle 77 brise léquilibre issu de votre jurisprudence sur la conciliation entre la liberté dentreprendre et le droit à lemploi. Lélargissement des hypothèses pour lesquelles la réintégration est impossible peut conduire lemployeur à sexonérer de ces obligations en la matière et à ce que ne soit plus assuré léquilibre entre la liberté dentreprendre et le droit à lemploi.
De ce chef, la censure de cet article est également encourue.
4. Sur le respect de larticle 72-2 de la Constitution
Le quatrième alinéa de larticle 72-2 de la Constitution dispose que « Tout transfert de compétences entre lEtat et les collectivités territoriales saccompagne de lattribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence daugmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. »
La deuxième phrase de cet alinéa vise à éviter que des transferts ou des extensions de compétences ne soient opérés vers les collectivités territoriales sans que les ressources correspondantes ne leur soient aussi transférées.
La loi de programmation pour la cohésion sociale procède, par plusieurs de ses dispositions, à des extensions de compétences entraînant des dépenses nouvelles importantes. La question est de savoir si la Constitution garantit une compensation aux collectivités territoriales en cas de transferts de compétences opérés par la loi uniquement, mais aussi en cas de transferts de charges résultant dune modification de fait des compétences et doit être tranchée dans le sens dune application extensive.
En effet, la Constitution renvoie aux effets de la mesure envisagée, en précisant que relèvent de la garantie de compensation les transferts ou extension de compétences « ayant pour conséquence daugmenter les dépenses des collectivités territoriales », cest-à-dire non pas une estimation théorique des effets dune nouvelle disposition législative mais bien de ses conséquences pratiques, quand bien même le but poursuivi ou affiché par le législateur ne serait pas daugmenter ces dépenses.
Sur larticle 1er :
Cet article organise le service public de lemploi et institue en particulier un article L. 311-10 du code du travail qui crée les maisons de lemploi, dont la mission est de contribuer à la coordination des actions menées dans le cadre du service public de lemploi. Le ressort des maisons de lemploi ne peut excéder une région.
Le Gouvernement envisage de créer 300 maisons de lemploi entre lannée 2005 et lannée 2009. Elles peuvent prendre la forme dun groupement dintérêt public, régi par une convention déterminant les modalités de participation, notamment financière, des membres, parmi lesquels se trouve obligatoirement une collectivité territoriale ou un établissement de coopération intercommunale.
Autrement dit, au sein des 300 maisons de lemploi, la participation financière dune commune, dun département, dune région ou dun établissement de coopération intercommunale est obligatoire.
Cet article implique manifestement une compétence nouvelle pour de nombreuses collectivités locales qui devraient devenir membres des futures maisons de lemploi, au risque que celles-ci ne voient pas le jour.
En rendant obligatoire la participation financière dau moins une collectivité territoriale à la création de chaque maison de lemploi, cet article crée une nouvelle compétence pour les collectivités territoriales qui ne peut que conduire à une augmentation de leurs dépenses.
Le projet de loi de finances pour 2005 (crédits inscrits au budget de lemploi et du travail) prévoit 300 millions deuros en autorisation de programme, conformément au tableau du I de larticle 38 du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, et 45 millions de crédits de paiement, alors que le même tableau, voté par le Parlement, contient des crédits de paiement pour 2005 à hauteur de 120 millions deuros.
Au-delà de cette différence entre les deux lois dans le financement de lEtat pour les maisons de lemploi, il nest prévu aucune compensation financière pour les collectivités qui deviendraient membre dune maison de lemploi. Limpact financier pour les collectivités territoriales est difficile à apprécier dans la mesure où les maisons de lemploi constituent une structure nouvelle. Il nen reste pas moins quil est dautant plus réel quil est obligatoire.
Les dispositions de larticle 1er de la loi de programmation pour la cohésion sociale, en ne prévoyant pas les ressources correspondantes aux charges nouvelles qui seront la conséquence directe de la création des 300 maisons de lemploi, sont donc contraires à la Constitution et ne pourront entrer en vigueur que si la compensation est prévue simultanément par la loi.
Sur les articles 17, 24 et 31 :
Ces articles portent sur le statut des apprentis et lapprentissage. Ils procèdent à une extension en fait des compétences que détiennent les régions en application de larticle L. 241-12 du code de léducation. Larticle 17 ouvre la possibilité de signer des contrats dapprentissage pour une durée inférieure à un an. Larticle 24 permet aux créateurs dentreprise de conclure un contrat dapprentissage après 25 ans. Larticle 31 instaure un crédit dimpôt pour encourager laugmentation du nombre dapprentis de 355 000 en 2004 à 500 000 en 2009.
Alors que le projet de loi de finances pour 2005 comporte une mesure visant à ajuster les charges de lEtat à laugmentation des effectifs pour accompagner lentrée en vigueur de ces dispositions, aucune compensation financière nest prévue pour les régions.
La première question posée porte donc sur lexistence dun transfert ou dune extension de compétences au sens où le constituant la prévu en adoptant larticle 72-2 de la Constitution.
La combinaison des dispositions de la loi de programmation pour la cohésion sociale aboutira bien à ce que les compétences exercées par les régions évoluent de deux façons.
En premier lieu, par ses articles 17 et 24, la loi étend le champ de lapprentissage à des catégories aujourdhui exclues (possibilité de conclure des contrats de moins dun an ou des contrats après 25 ans pour les créateurs dentreprise). Même sil sagit dajustements mineurs, le champ de lapprentissage est modifié, ce qui revient à transférer aux régions des publics actuellement pris en charge par dautres.
En second lieu, en instaurant, par son article 31, un crédit dimpôt ayant pour objectif de susciter une forte croissance du nombre des apprentis, la loi de programmation pour la cohésion sociale opère un transfert de compétences en fait. En effet, le Gouvernement a indiqué que son plan de développement devait aboutir à augmenter de 40 % le nombre des apprentis entre 2005 et 2009, pour atteindre un total de 500 000 apprentis (contre 355 000 aujourdhui) à lissue de ce plan.
Pour mettre en oeuvre ce plan, il sera nécessaire de faire accéder à lapprentissage des jeunes qui nentrent pas aujourdhui dans cette filière. Actuellement, les jeunes qui ne sont pas en apprentissage relèvent :
- soit détablissements denseignement scolaires (cest lécrasante majorité du nombre des jeunes entre 16 et 19 ans) : le code de léducation affirme clairement les responsabilités de lEtat dans ce domaine ;
- soit de dispositifs dinsertion professionnelle des jeunes (missions locales et PAIO), qui relèvent aussi de lEtat, en labsence de publication des textes dapplication de larticle 138 de la loi de finances pour 2004 qui transfère cette compétence aux régions ;
- soit de dispositifs dindemnisation du chômage relevant des partenaires sociaux en application de larticle L. 351-21 du code du travail ;
- soit de stages de la formation professionnelle relevant des régions.
Hormis ce dernier cas, dans tous les autres, il y aura bien transfert de charges de lEtat vers les régions du fait de ladoption des dispositions législatives en cause.
Aussi, on est en droit de considérer que la loi de programmation pour la cohésion sociale organise, en matière dapprentissage, une extension des compétences des régions, que la Constitution encadre strictement.
La seconde question posée est de savoir si les dispositions attaquées de la loi de programmation pour la cohésion sociale ont bien pour conséquence daugmenter les dépenses des régions.
Il ny a guère de doutes sur ce point. Depuis le transfert de compétence opéré en 1983 en matière dapprentissage, les régions assurent, au travers de leur budget, le financement des centres de formation des apprentis et des sections dapprentissage.
Toute augmentation du nombre des apprentis se traduira de fait par un accroissement des charges supportées par les régions :
- au titre de léquipement des CFA et des sections dapprentissage : le caractère limité des ressources apportées par la taxe dapprentissage (proportionnelle à la masse salariale) et lencadrement par le législateur des ressources des chambres consulaires (impositions additionnelles à la taxe professionnelle) font que les régions devront en pratique financer cet équipement ;
- au titre du fonctionnement des CFA et des sections dapprentissage : les mêmes contraintes pèsent, alors même que les régions doivent assurer léquilibre financier des CFA et des sections dapprentissage ;
- au titre de la prime versée pour chaque contrat dapprentissage à lemployeur : leffet est ici très directement mécanique et le fait que les régions puissent moduler le taux de cette prime ne remet en rien en cause le constat que, à droit constant, toute augmentation du nombre dapprentis se traduit automatiquement par une hausse de la dépense.
En ce qui concerne le dernier point, si le taux des primes est variable en fonction de la situation du jeune et de divers paramètres liés au contrat, on peut relever que les régions ne peuvent, dans le cadre de la modulation, attribuer une prime dont le montant est inférieur à 1 000 euros. Au niveau national, cela représente à lhorizon 2010 une augmentation des dépenses des régions au minimum de 145 millions deuros.
En ce qui concerne le soutien aux CFA et aux sections dapprentissage, on peut estimer que limpact financier des mesures en cause de la loi de programmation pour la cohésion sociale est significatif. Selon le document dinformation budgétaire « Formation professionnelle » annexé au projet de loi de finances pour 2005, les régions ont consacré 1 002 438 000 euros au financement de lapprentissage en 2003. La mise en oeuvre du plan devrait donc se traduire au minimum par une hausse équivalente à 40 % de ce montant, soit plus de 400 millions deuros. On peut relever que ce calcul fait lhypothèse que les autres financements de lapprentissage (taxe dapprentissage, dotation de décentralisation) évolueront de façon symétrique, ce qui est loin dêtre avéré. En tout état de cause, les conséquences en matière de dépenses des régions sont significatives.
Enfin, ces conséquences seront avérées dès 2005. En effet, on peut relever que lEtat a, pour les dépenses qui relèvent de ses compétences (exonérations de cotisations sociales en faveur des contrats dapprentissage), prévu un abondement des crédits de 38 millions deuros. Rien nindique que les dépenses des régions ne devraient pas être constatées selon le même calendrier et donc avec des conséquences effectives sur leur budget en 2005.
La troisième question posée est de savoir si une compensation financière a été prévue pour ce transfert de charges. Tel nest pas le cas, aucune disposition législative de la loi de programmation pour la cohésion sociale ni aucune mesure du projet de loi de finances norganise de compensation.
Les dispositions des articles 17, 24 et 31 de la loi de programmation pour la cohésion, en ne prévoyant pas les ressources correspondantes aux charges nouvelles qui seront la conséquence directe de la réforme de lapprentissage sont donc contraires à la Constitution et ne pourront entrer en vigueur que si la compensation est prévue par la loi de façon simultanée.
Sur larticle 44 :
Cet article modifie larticle L. 322-4-7 du code du travail, et permet ainsi la conclusion de conventions ouvrant droit au bénéfice de contrats de travail, appelés contrats daccompagnement dans lemploi. Ces conventions sont signées entre lEtat et les collectivités territoriales, les autres personnes morales de droit public, les organismes de droit privé à but non lucratif et les personnes morales chargées de la gestion dun service public.
Il sagit de favoriser dans le secteur non marchand linsertion professionnelle des personnes sans emploi ayant des difficultés particulières daccès à lemploi en pourvoyant à la satisfaction de besoins collectifs non satisfaits.
Le salarié embauché dans le cadre dun contrat daccompagnement dans lemploi reçoit, sauf disposition contractuelle ou conventionnelle plus favorable, une rémunération égale au produit du montant du salaire minimum de croissance par le nombre dheures de travail effectuées, qui ne peut être inférieur à vingt heures par semaine.
LEtat prend en charge une partie du coût afférent aux embauches effectuées dans le cadre dun contrat daccompagnement dans lemploi. Cette aide est modulable dans des conditions définies par décret en Conseil dEtat, tenant compte de la catégorie à laquelle appartient lemployeur, des efforts en matière de formation professionnelle et daccompagnement, des conditions économiques locales et des difficultés daccès à lemploi. Elle est versée à lorganisme employeur, signataire de la convention.
Autrement dit, aux côtés de la participation de lEtat, est instituée une participation des signataires de la convention pour le financement de la partie restante du coût afférent aux embauches.
Cet article institue une charge nouvelle notamment pour toutes les collectivités locales employeurs. Le Gouvernement ne donne pas dobjectifs précis en termes de nombre de contrats daccompagnement dans lemploi quil souhaite créer, comme il le fait pour les contrats davenir, définis à larticle 49 de la loi de programmation pour la cohésion sociale.
Il prévoit cependant dans le projet de loi de finances pour 2005, une enveloppe de 438,60 millions deuros destinée à prendre en charge sa participation au financement des contrats daccompagnement dans lemploi et des contrats initiative emploi, qui sont au secteur marchand ce que les contrats daccompagnement dans lemploi sont au secteur non marchand.
Cette enveloppe unique sera répartie et modulée par le service public de lemploi au niveau régional entre les deux types de contrats aidés destinés aux personnes rencontrant des difficultés daccès à lemploi. Mais lintention du Gouvernement est bel et bien de signer des conventions avec les employeurs du secteur marchand comme du secteur non marchand.
Les dépenses nouvelles pour les collectivités territoriales, futurs employeurs de salariés dans le cadre de contrat daccompagnement dans lemploi, ne sont pas compensées par lEtat. Les ressources correspondantes à ces contrats ne sont pas transférées par lEtat, qui méconnaît ainsi les dispositions du quatrième alinéa de larticle 72-2 de la Constitution. Le fait que ces nouveaux contrats aidés aient vocation à se substituer aux actuels contrats emploi solidarité nautorise pas le Gouvernement à ne pas prévoir le transfert des ressources correspondantes aux dépenses nouvelles afférentes aux contrats daccompagnement dans lemploi.
Non seulement, les contrats emploi solidarité sont antérieurs à linstauration de larticle 72-2 de la Constitution, et de plus lobjectif du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ne saurait être rempli quà la condition que les nouveaux dispositifs dinsertion concernent davantage de personnes quactuellement.
Les dispositions de larticle 25 de la loi de programmation pour la cohésion sociale entraînent des dépenses nouvelles pour les collectivités territoriales non compensées. Elles sont contraires à la Constitution et ne pourront entrer en vigueur que si la compensation est prévue simultanément par la loi.
5. Sur le respect des articles 39, 44 et 45 de la Constitution
Sur larticle 139 :
Larticle 139 valide les actes prévus par les arrêtés préfectoraux, pris en 2004, déclarant dutilité publique les acquisitions et travaux de création et dextension de lignes de tramways, dans la mesure où la légalité de ces actes serait contestée sur le fondement de lillégalité des arrêtés préfectoraux en tant quils seraient attaqués ou annulés au motif dune part, que létude dimpact présenterait des insuffisances en matière danalyse des effets du projet sur la circulation routière et, dautre part, du défaut de motivation des conclusions des commissaires enquêteurs ou des commissions denquêtes préalables à la déclaration dutilité publique de ces opérations.
Cet article a pour origine lamendement no 1031 du député UMP de la 2e circonscription du Bas-Rhin, Marc Reymann, déposé lors de la première lecture par lAssemblée nationale du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale en sa séance du 6 décembre 2004.
Cet amendement a reçu lavis favorable en séance publique de la commission et du Gouvernement.
La commission mixte paritaire a quant à elle examiné et adopté cet article, après modification rédactionnelle.
Cet article a été adopté en méconnaissance des exigences qui découlent des premiers alinéas des articles 39 et 44 de la Constitution. Il constitue en effet une adjonction dépourvue de tout lien avec lobjet du projet de loi soumis au Parlement.
Ainsi, le lien avec le projet de loi initial est inexistant.
Le projet de loi comporte trois titres dont le premier réunit les mesures de mobilisation pour lemploi, le second organise un rattrapage en matière de logement social, le troisième contient différentes réformes destinées à rétablir légalité effective des chances.
Quant à larticle 139, il sinscrirait, selon son auteur, dans « la volonté du Gouvernement de valoriser les quartiers les plus difficiles » (compte-rendu analytique des débats de la séance du 6 décembre 2004).
Or, tel nest pas lobjet du projet de loi déféré même si son titre III en son chapitre II porte sur une réforme de la dotation de solidarité urbaine en vue daider les villes en grande difficulté.
Par ailleurs, si lobjectif de valoriser les quartiers les plus difficiles ne peut quêtre partagé, il nen demeure pas moins quil ne justifie pas nimporte quels moyens pour latteindre, en lespèce celui de passer outre une décision de justice, celle rendue par le tribunal administratif de Strasbourg le 19 octobre 2004.
Il convient dailleurs de préciser le fondement de cette décision. Le tribunal administratif a annulé la déclaration dutilité publique (DUP) parce quil a considéré notamment que létude dimpact présentait « des insuffisances substantielles ». Il a rappelé que « létude dimpact dun projet doit être en relation avec limportance des travaux et aménagements projetés et leurs incidences prévisibles, tant directes quindirectes sur lenvironnement ; que lextension des lignes dun tramway, dont la circulation est prioritaire dans le cadre dun projet multimodal des transports, a, par nature, des effets importants sur la densité et la répartition des flux de circulation automobile, composant essentielle de lenvironnement urbain ; que létude dimpact réalisée par la communauté urbaine de Strasbourg (...) ne fait que décrire la circulation du tramway dans sa nouvelle configuration, sans analyser ses effets provisoires, temporaires et permanents sur le transfert de la circulation automobile ».
Nous sommes bien loin de lobjet du projet de loi de cohésion sociale. En revanche, nous sommes au coeur dune remise en cause de la finalité de létude dimpact en droit de lurbanisme.
Selon lauteur de lamendement dont est issu larticle querellé, cet amendement « tend à permettre aux projets de création et dextension de tramways de se poursuivre lorsque la validité des actes pris en application darrêtés préfectoraux est remise en cause ». Et il ajoute, comme pour rassurer les esprits sur les conséquences juridiques de son amendement : « Pour ne pas fragiliser à lexcès le droit afférent, la mesure proposée porte sur lannée 2004 ».
Cette ambiguïté dans la présentation de lamendement ne peut que contribuer à renforcer notre conviction. En premier lieu, lauteur reconnaît que son amendement fragilise le droit. Il propose donc, en second lieu, de lencadrer dans la durée. Force est donc de se poser la question de lobjectif dintérêt général de cette disposition.
Soit elle est dintérêt général, et il faut lappliquer sans limite dans le temps, soit elle ne lest pas et, auquel cas, il convient de la censurer.
Vous avez reconnu que « le législateur peut, comme lui seul est habilité à le faire, valider un acte administratif dans un but dintérêt général suffisant » (décision no 2003-486 DC, 11 décembre 2003). Permettre aux projets de création et dextension de tramways de se poursuivre constitue-t-il un but dintérêt général suffisant justifiant la remise en question, même temporaire, de la législation en matière de déclaration dutilité publique ? Autrement dit, peut-on admettre dopposer la loi au droit ? La loi doit être lexpression de la volonté générale et non celle dintérêts particuliers. Le caractère « suffisant » de lintérêt général qui justifierait cet article est plus que critiquable.
Larticle 139 est donc un cavalier, au caractère substantiel, ajouté par ailleurs in extremis dans le cadre de lexamen du projet de programmation de la cohésion sociale.
En effet, le Sénat, bien quayant examiné le projet de loi en premier lieu na pas été amené à se prononcer sur un tel amendement qui na été déposé et défendu quà lAssemblée nationale. Lurgence ayant été déclarée par le Gouvernement sur ce texte, ce nest quen commission mixte paritaire que les représentants du Sénat ont pu examiner larticle 139. Or, lors de la réunion de cette commission, il est dusage, sauf pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale dont lexamen et ladoption par les deux chambres sont enfermés dans des délais constitutionnels, que la discussion des articles soit limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement nont pu parvenir à un texte identique (art. 108, al. 3, du règlement de lAssemblée nationale). Outre le fait de constituer un cavalier, cet article a donc été adopté dans des conditions non respectueuses des règles de discussion des articles entre les deux chambres telles que définies par larticle 45 de la Constitution et le règlement de lAssemblée nationale.
Cest pourquoi, pour lensemble de ces motifs, a fortiori cumulés, la censure est inévitable.
(Liste des signataires : voir la décision no 2004-509 DC.)