Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2003/17 du samedi 20 septembre 2003
LOI PORTANT RÉFORME DES RETRAITES
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons lhonneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de larticle 61 de la Constitution, lensemble de la loi portant réforme des retraites.
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I. - Sur larticle 3 de la loi et, par voie de conséquence,
lensemble du texte
Cet article pose le principe que les assurés doivent pouvoir bénéficier dun traitement équitable au regard de la retraite, quelles que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent.
En prescrivant cette règle, le législateur est resté en deçà de sa propre compétence et a méconnu tant larticle 34 de la Constitution que le Préambule de la Constitution de 1946. Par voie de conséquence, le principe dégalité est méconnu.
I-1. Quen particulier, le onzième alinéa dudit Préambule dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à lenfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans lincapacité de travailler a le droit dobtenir de la collectivité des moyens convenables dexistence ».
Il sen évince que le droit à une retraite par répartition se trouve effectivement relever des principes constitutionnels sappliquant aux droits sociaux de luniversalité des citoyens. Mais, au-delà de ce principe que larticle 1er de la loi entend rappeler, il importe de considérer que ce droit à la retraite comprend la prise en compte de la pénibilité des tâches que chacun a assumées pendant sa vie de labeur. Le lien fait, dans ce même alinéa, entre la protection du vieux travailleur, le droit à la santé, le repos, létat physique et mental, et le droit dobtenir une aide de la collectivité au titre de la solidarité nationale marque, on ne peut plus clairement, lobligation qua le législateur, quand il met en uvre ce principe de valeur constitutionnelle, de prendre en compte la pénibilité des tâches assurées par les travailleurs.
Mais la loi présentement critiquée est muette sur ce point.
I-2. Il sensuit que les personnes se trouvant, au jour de laccès à la retraite, dans une situation plus défavorable du fait de la lourdeur de la tâche quils ont accomplie durant leur vie de travail ne bénéficient pas du traitement adapté à la réalité objective et rationnelle de leur existence.
Ainsi, des personnes se trouvant dans des situations différentes sont traitées de manière identique, alors même que le Préambule de 1946, pris en son onzième alinéa, assigne au législateur lobligation de prendre en compte ces différences objectives de situations.
Le principe dégalité sen trouve, paradoxalement, méconnu.
I-3. Ce nest pas, sur ce point, la session de rattrapage organisée par larticle 12 de la loi, lequel prévoit que les organisations professionnelles et syndicales sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité du travail, qui peut suppléer au devoir qui incombe au législateur.
En tout état de cause, il est certain que lobligation positive qui sadresse au législateur en matière de prise en compte de la pénibilité des tâches ne peut être satisfaite par une négociation collective qui, au demeurant, ninterviendra que dici à plusieurs années.
Au surplus, il faudrait considérer que les résultats de cette négociation collective ne pourraient lier le Parlement quant à sa compétence pour mettre en uvre le onzième alinéa du Préambule de 1946.
Dans ces conditions, en ne prenant pas en compte la pénibilité des tâches comme ly conduisent pourtant les principes de valeur constitutionnelle qui viennent dêtre rappelés, le législateur est resté en deçà de sa compétence. Dès lors, cette loi ne garantit pas le traitement équitable des retraités.
Il sensuit que la censure de cet article 3, lequel nest pas séparable du reste du texte, entraînera nécessairement linvalidation de lensemble de la loi. Il ne pourra en aller autrement dès lors que cest tout le mécanisme de la loi qui est affecté par labsence de prise en compte dun critère constitutionnellement établi.
II. - Sur larticle 5 de la loi
Cet article pris en son § III précise que la durée dassurance nécessaire pour bénéficier dune pension de retraite à taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum dune pension civile ou militaire de retraite sont majorées dun trimestre par année pour atteindre quarante et une annuités en 2012 sauf si, au vu du rapport mentionné au § II du même article, un décret pris après avis, rendus publics, du Conseil dorientation des retraites et de la Commission de garantie des retraites modifie ces échéances.
II-1. Sur la violation de larticle 34 de la Constitution et du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 :
Un tel mécanisme méconnaît larticle 34 de la Constitution et ensemble le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel la Nation garantit, notamment aux vieux travailleurs, la sécurité matérielle, le repos et le loisir.
Quen effet, cet article modifiant, in fine, la durée de cotisations pour chaque travailleur et permettant dallonger encore cette période indispensable pour faire valoir ses droits acquis à la retraite permet au pouvoir réglementaire de procéder à ces éventuelles modifications du régime des retraites.
En sorte que le Parlement est dépossédé de sa propre compétence. A cet égard, et considérant limportance de ce mécanisme pour les travailleurs, il est certain que la modification de la durée de cotisation par la fixation du nombre dannuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein étant déterminée par la voie législative ne peut être modifiée que par la même voie procédurale.
(i) Dans ces conditions, larticle 34 qui fixe le pouvoir du Parlement de voter la loi est manifestement violé. Il lest dautant plus gravement que la matière dont il sagit est, ni plus ni moins, celle de la garantie à laquelle chaque travailleur a droit au titre du onzième alinéa du Préambule de 1946. Vous venez, dailleurs, de rappeler très récemment quil appartient au législateur dexercer pleinement la compétence que lui confie larticle 34 de la Constitution et quil doit, dans lexercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle (décision no 2003-475 DC du 24 juillet 2003, considérant 20).
Sagissant de la mise en uvre dun principe de valeur constitutionnelle, le législateur devait soit épuiser sa compétence, soit, en tout état de cause, conserver la compétence de modifier le mécanisme ainsi établi.
Or, en lespèce, le III de larticle 5 offre la possibilité au pouvoir exécutif de modifier, proprio motu, la règle fixée par le législateur. Il ne sagit en rien dun décret dapplication de la loi, mais de la faculté quaurait le pouvoir exécutif de modifier la règle fixée par le législateur (voir rapport no 898, tome I, M. B. Accoyer, pages 106 et 107).
La circonstance que le décret qui pourrait être adopté pour modifier la durée des cotisations le serait sur avis de la Commission de garantie des retraites et du Conseil dorientation des retraites ne purge pas le vice dinconstitutionnalité ainsi dénoncé. On pourrait même y déceler une aggravation, si possible, du grief. Il est, à cet égard, pour le moins surprenant quune disposition de nature législative puisse être modifiée par le pouvoir réglementaire de sa propre initiative après consultation dorganismes mais au détriment des pouvoirs du Parlement. De surcroît, il importe de sinterroger sur la portée de ces avis. Si ceux-ci, et lindétermination de larticle sur ce point affermit la critique dincompétence négative, lient le pouvoir exécutif, il faut alors considérer que le pouvoir du Parlement pour mettre en uvre un droit de valeur constitutionnelle est transféré à des organismes administratifs.
Ceci est dautant moins admissible que lemploi du décret pour modifier la loi vise lhypothèse de lajustement du mécanisme. Il faut bien avouer que la portée dune telle disposition est bien mystérieuse. Ce qui ajoute à limprécision des termes de la loi.
Autrement dit, cest un simple décret qui peut contraindre les citoyens à cotiser plus longtemps encore que ce que le législateur a déterminé dans la présente loi. On comprend lintérêt pour le Gouvernement de saffranchir dun nouveau débat sur ce thème au Parlement. On ne peut ladmettre constitutionnellement. On doit le refuser au nom des principes démocratiques.
Ainsi donc, on ne saurait imaginer violation de larticle 34 de la Constitution plus flagrante.
(ii) Cest en vain que lon tenterait dexposer que la durée des cotisations relève en tout état de cause de la compétence du pouvoir réglementaire. A supposer, pour les seuls besoins du raisonnement, que cela soit exact, il resterait que le Parlement ayant décidé, souverainement, de légiférer sur ce sujet, comme il le peut (décision no 82-143 DC du 30 juillet 1982), a seul compétence pour y déroger.
La seule hypothèse contraire serait de recourir à la procédure de larticle 37, alinéa 2, de la Constitution. A défaut de lutilisation de cette voie singulière, et qui nest pas dactualité tant que la loi nest pas entrée en vigueur, il nest pas possible au pouvoir exécutif de modifier une disposition législative.
(iii) On ne saurait davantage avancer lhypothèse téméraire selon laquelle le législateur aurait habilité, à titre extraordinaire, le pouvoir exécutif à prendre une mesure de nature législative.
Ce serait faire échec à la procédure de larticle 38 de la Constitution permettant au Parlement dhabiliter de façon temporaire et précise lexécutif.
Il est donc certain, et cela ne peut que surprendre même les auteurs de la saisine, que le législateur a commis une incompétence négative flagrante.
II-2. Sur la méconnaissance du principe de clarté de la loi et les objectifs de valeur constitutionnelle dintelligibilité et de lisibilité de la loi :
La valeur constitutionnelle de ces principes et objectifs a été reconnue à plusieurs reprises (décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999). Si un certain degré de complexité de la loi peut être admis dès lors que les destinataires du texte sont censés posséder un certain degré de connaissance juridique et technique (décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000), il est certain, en revanche, que la loi doit être aisément accessible quand les destinataires forment lensemble des citoyens.
Au cas présent, le III de larticle 5 de la loi critiquée rend particulièrement délicate linformation effective et objective des ayants droit dès lors que les conditions dapplication de la loi sont susceptibles dêtre modifiées par voie décrétale. Il est difficile de connaître les conditions dapplication dune loi susceptible dêtre « ajustée » par un texte de rang inférieur dans la hiérarchie des normes.
Les citoyens ne pourront, en réalité, jamais savoir avec certitude le nombre de trimestres de cotisations nécessaires pour sassurer une liquidation de leurs droits à la retraite avec un taux plein. En effet, il convient de le rappeler, léchéancier de mise en uvre de cette majoration du nombre de trimestres est celui fixé par le III de larticle 5 querellé, « sauf si » un décret intervient, un jour ou lautre...
La prévisibilité de la loi, la confiance légitime que chaque citoyen doit avoir dans le droit lui étant applicable, la sécurité juridique indispensable dans une société démocratique, sont ici renvoyés à des vux pieux. La République ne peut sen satisfaire.
Le souhait exprimé par le Président de la République, lors de son intervention télévisée du 14 juillet 2003, de voir les Françaises et les Français informés de leurs droits à cet égard pourra être difficilement exaucé. Le mieux pour répondre à ce haut désir de clarté de la loi réside donc dans la censure dun dispositif législatif conditionnel.
II-3. Sur la violation du principe dégalité :
Lune des conséquences, constitutionnellement inacceptable, de cet article 5 de la loi est dintroduire dans le droit des retraites les éléments dun traitement différencié de travailleurs se trouvant dans une situation objectivement identique au regard de la loi.
Lallongement de la durée de cotisation par la voie du décret, même pris sur avis de deux commissions spécialisées, conduira à ce que des personnes se trouvant dans la même situation soient traitées différemment au jour de la mise en paiement de leur retraite en raison de lajustement quaura décidé, in petto, le pouvoir exécutif.
Il paraît peu conforme au principe dégalité quun texte réglementaire puisse modifier les conditions de réalisation dun droit tel que voulu par le législateur.
De ce chef, encore, la censure est inévitable.
III. - Sur larticle 32 de la loi
Cet article modifie larticle L. 351-4 du code de la sécurité sociale en prévoyant que les femmes assurées sociales bénéficient dune majoration de leur durée dassurance dun trimestre pour toute année durant laquelle elles ont élevé un enfant, dans des conditions fixées par décret, dans la limite de huit trimestres par enfant.
Une telle disposition méconnaît, paradoxalement, le principe dégalité entre les femmes et les hommes. Votre jurisprudence est, à cet égard, constante et vous censurez toute discrimination liée à un traitement différent de personnes se trouvant dans des situations objectivement identiques.
En lespèce, si lon ne peut que soutenir le principe dune telle majoration au bénéfice des femmes, il est certain quil nexiste aucune raison objective et rationnelle justifiant que les hommes soient exclus du bénéfice dun tel droit dès lors quils ont élevé également leur enfant.
On se bornera à rappeler, à cet égard, que larticle 371-2 du code civil dispose que « lautorité appartient au père et à la mère pour protéger lenfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et déducation. » Quant à larticle 203 du même code, il prévoit que « les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, lobligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants ».
La mère et le père ont des droits et des devoirs identiques. Assurément, légalité entre les femmes et les hommes passe aussi par cette égalité domestique (voir en ce sens, pour une application à la situation des fonctionnaires : CE 29 juillet 2002, Griesmar, requête no 141112, conclusions F. Lamy).
Linégalité de traitement que pose larticle ici critiqué conduit, implicitement, la femme à se trouver figée dans un rôle qui devrait être partagé également. Lapplication ainsi partielle de cette bonification risquerait de remettre en cause, de façon insidieuse, la conquête, toujours en cours, de légalité entre les femmes et les hommes. Un tel mécanisme conduit à ce que, dans un couple, ce soit la femme qui doive demeurer au domicile pour bénéficier de ce droit. Or, il est pour le moins souhaitable que lobjectif de parité domestique aboutisse à laisser le libre choix, dans chaque foyer, pour une organisation familiale où lhomme et la femme peuvent également se répartir les tâches quotidiennes.
Certes, il serait pour le moins paradoxal que le vice dinconstitutionnalité dont la présente disposition est entaché conduise à invalider un article faisant bénéficier les femmes dun tel droit. On nose imaginer, à cet égard, que le législateur ait volontairement inscrit dans la loi une telle inégalité pour mieux faire disparaître, en raison de la censure devant intervenir, tout avantage de cette nature avec lintérêt financier susceptible de sy attacher.
La question est donc bien de faire bénéficier les hommes du même droit que celui accordé aux femmes, et non den priver ces dernières.
Cest pourquoi, considérant que le Conseil constitutionnel na pas le pouvoir de transformer un homme en femme, il reste la possibilité dindiquer au législateur que la conséquence de cette inconstitutionnalité lui fait nécessité de modifier, dans les meilleurs délais, la loi afin de rétablir légalité ainsi violée (décision no 2003-468 DC du 3 avril 2003).
IV. - Sur larticle 48 de la loi
Cet article modifie larticle 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Dans son 2o, il remplace le b actuel de cet article 12 par une rédaction aux termes de laquelle les fonctionnaires ne pourront bénéficier dune bonification dun an pour les enfants nés avant 2004, quà la condition davoir « interrompu leur activité dans des conditions prévues par décret ».
Cet article est entaché du vice dincompétence négative (IV-1) et méconnaît le principe dégalité (IV-2).
IV-1. Sur la méconnaissance de larticle 34 de la Constitution :
Selon larticle 34 de la Constitution, la loi fixe également les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de lEtat ».
En modifiant le régime dattribution des bonifications pour charge denfant, et en rétablissant en apparence légalité entre femmes et hommes comme imposée par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et du Conseil dEtat (CJCE, C366/99, avis, 29 novembre 2001, Griesmar, CE 29 juillet 2002, précité), larticle critiqué est resté en deçà de la compétence réservée au législateur.
En renvoyant, en effet, au décret la détermination des conditions dinterruption dactivité ouvrant droit à cette bonification, le Parlement a méconnu le pouvoir qui lui incombait de préciser les garanties accordées aux fonctionnaires. En particulier, là encore, ce devoir de précision résulte directement du principe constitutionnel applicable en la matière par le Préambule de 1946.
Il sensuit un risque de privation de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
Ce dautant plus que la définition de cette condition douverture du droit à bonification entraînera une rupture caractérisée dégalité.
IV-2. Sur la violation du principe dégalité :
Cette violation se mesure dun triple point de vue.
En premier lieu, le fait de prévoir une nouvelle condition, linterruption dactivité, afin de pouvoir bénéficier du droit à bonification lié aux enfants à charge, applicable selon que les enfants sont nés avant ou après le 1er janvier 2004 et que le fonctionnaire a vu sa retraite liquidée avant ou après le 28 mai 2003, introduit un traitement différencié entre des personnes se trouvant objectivement dans des situations identiques. La charge que représente léducation des enfants est, à cet égard, indifférente à linterruption effective dactivité. Dautant plus que, comme cela résulte dune jurisprudence constante, la pension des fonctionnaires constitue un prolongement du traitement pour services faits. Il sensuit que des fonctionnaires qui auront eu des enfants pendant la même durée de services seront susceptibles de se voir appliquer des régimes différents quant à leur droit à rémunération différée.
Ainsi, et pour lexemple, deux fonctionnaires ayant eu deux enfants en 1981 mais dont lun a vu ses droits à la retraite liquidés avant le 28 mai 2003 et le second après cette même date se verront appliquer deux régimes différents quant aux bonifications. Autrement dit, lapplication de la nouvelle condition après la date du 28 mai 2003, à savoir linterruption dactivité, à des fonctionnaires se trouvant dans des situations objectivement identiques rompt manifestement légalité de traitement entre eux. Ce à quoi, il convient dajouter que cette condition de portée rétroactive ne trouve pas sa définition dans la loi mais dans un futur texte réglementaire dont on nignore la date dentrée en vigueur.
Cest en vain, en outre, que lon chercherait une rationalité quelconque à cette date du 28 mai 2003.
En deuxième lieu, et de manière pernicieuse, il sagit de refermer laccès de ce droit aux hommes et faire échec, sans le dire, à la jurisprudence communautaire et du juge administratif en matière dégalité entre les femmes et les hommes. En posant le principe de linterruption dactivité, dans des conditions inédites à ce jour, le législateur tente de restreindre louverture de ce droit aux hommes dès lors que, de fait et la plupart du temps, ce sera la femme qui se verra contrainte de demeurer au foyer.
Comme on la vu précédemment, les obligations tirées du code civil quant à léducation et la garde des enfants simposent également aux parents, mariés ou non. En fixant un critère lié à linterruption dactivité, larticle 48 conduit à réintroduire une inégalité au sein du couple.
Au lieu de favoriser légalité domestique, et à linstar de ce quil a fait au travers de larticle 32, le législateur tente, indirectement, de contraindre les femmes à demeurer au foyer.
En dernier lieu, le législateur, en prévoyant que ces nouvelles dispositions sont applicables à compter du 28 mai 2003, a conféré une portée rétroactive à cette disposition.
Certes, les auteurs de la saisine nignorent pas que la non-rétroactivité des lois na valeur constitutionnelle que dans certains cas, telle la matière pénale. Pour autant, il est acquis quau titre dune certaine idée de la sécurité juridique, vous censurez les dispositions législatives dont la portée rétroactive ne se trouve justifiée par aucun intérêt général suffisant (décision no 98-404 DC du 18 décembre 1998). On ajoutera que cet intérêt général ne peut se réduire à un simple intérêt financier (décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995) et que la mesure rétroactive ne peut avoir pour effet de priver de garantie légale une exigence de valeur constitutionnelle.
Pourtant, au cas présent, aucun intérêt général, et certainement pas suffisant, ne vient justifier une telle mesure rétroactive. Bien plus. Cette disposition prive deffet la garantie accordée aux fonctionnaires de bénéficier dune bonification par enfant à charge.
Cette portée rétroactive est dautant plus inconstitutionnelle quelle aboutit, comme montré précédemment, à traiter, sans aucune justification rationnelle, des fonctionnaires ayant eu leurs enfants, sinon le même jour, la même année.
Que la loi produise ses effets à compter du 1er janvier 2004, pour aussi regrettable que cela puisse être, a le mérite de lobjectivité. En revanche, faire dépendre le régime des bonifications en vertu dune date de portée rétroactive arrêtée de façon arbitraire ne peut être admis constitutionnellement.
Enfin, cette disposition aura pour conséquence, on nose imaginer voulue sciemment, de remettre en cause des situations acquises devant les juridictions en application de la jurisprudence Griesmar (précitée) au titre de laquelle les fonctionnaires hommes bénéficiaient de cette bonification.
De tous ces chefs, la censure est encourue.
V. - Sur les articles 51 et 66 de la loi
Ces articles modifiant les articles L. 13 à L. 17 du code des pensions civiles et militaires ont pour effet de diminuer la rémunération de chaque annuité jusquau niveau de 1,875 % par année de service et de bonifications.
Ils méconnaissent le principe dégalité entre fonctionnaires.
La pension des fonctionnaires est bien une rémunération continuée ou différée pour services faits. Vous avez jugé quà linstar des rémunérations des agents de lEtat en activité elles constituent une charge par nature de lEtat, les principes dunité et duniversalité budgétaires faisant obstacle à ce quelles ne soient pas retracées dans la loi de finances, ni financées par des ressources que celle-ci ne détermine pas (décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994). Vous avez, par ailleurs, considéré que la pension a un caractère de prolongement du traitement, les fonctionnaires étant, au regard du régime des pensions, dans la même situation statutaire que face aux droits et obligations attachés à leur fonction durant la période active de leur carrière (décision no 85-200 DC du 16 janvier 1986, considérant 8).
Cest dans le même sens que la Cour de justice des Communautés européennes a statué en considérant quelles entrent dans le champ dapplication de larticle 119 du traité CE (CJCE 29 novembre 2001 précité ; CJCE 13 décembre 2001, Mouflin, aff. C-206//00).
Celle-ci constitue, en réalité, un traitement différé (voir M. Hauriou, Droit administratif, 1911, 7e édition, page 648). Cest ce que confirme le Conseil dEtat en considérant que « les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer, ou à assurer à leurs ayants cause, des conditions.
On mesure tous les aléas qui peuvent survenir dun service à lautre, pour mille raisons, et qui auront pour conséquence de faire appliquer des réglementations différentes aux fonctionnaires ayant été radiés des cadres à la même date.
Le choix du critère de la liquidation, qui ne correspond à aucun moment ayant date certaine, savère de nature à rompre légalité de traitement entre les fonctionnaires.
On doit ajouter quun tel mécanisme fourbu daléas ne peut que méconnaître les principes de clarté, dintelligibilité et daccessibilité de la loi. Il est tout simplement impossible, pour les fonctionnaires, de savoir avec certitude les règles qui seront applicables à leur situation si ces dernières sont susceptibles de varier selon des modalités matérielles de mise en uvre.
De ces chefs, la censure est encourue.
VI. - Sur larticle 54 de la loi
Cet article prévoit que, pour son application, les règles de liquidation de la pension sont celles en vigueur au moment de la mise en paiement.
Les mêmes griefs doivent être dirigés contre cette disposition.
En retenant un critère dapplication de la loi qui peut varier dun service à lautre, pour des raisons matérielles, larticle 54 ne peut que conduire à appliquer des règles différentes à des situations objectivement identiques.
La censure est aussi certaine.
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Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à lexpression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 2003-483 DC.)