Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2003/15 du mercredi 20 août 2003
Décision no 2003-477 DC du 31 juillet 2003
NOR : CSCL0306806S
LOI POUR LINITIATIVE ÉCONOMIQUE
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à larticle 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi pour linitiative économique, le 22 juillet 2003, par M. Jean-Marc Ayrault, Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Serge Blisko, Patrick Bloche, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carillon-Couvreur, MM. Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Jean-Pierre Dufau, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaétan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Bruno Le Roux, Mme Marylise Lebranchu, M. Patrick Lemasle, Mme Annick Lepetit, MM. Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Philippe Martin, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Germinal Peiro, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Simon Renucci, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mmes Ségolène Royal, Odile Saugues, MM. Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque, Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Mme Chantal Robin-Rodrigo et M. Roger-Gérard Schwartzenberg, députés ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu lordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le règlement (CE) no 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant lapplication des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de lEtat en faveur des petites et moyennes entreprises ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 29 juillet 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu,
1. Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi pour linitiative économique ; quils contestent la conformité au principe dégalité devant les charges publiques de ses articles 43, 44, 47, 48 et 49 ;
2. Considérant quil appartient au législateur, lorsquil établit une imposition, den déterminer librement lassiette et le taux, sous réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt ; quen vertu de larticle 13 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen, la contribution commune aux charges de la Nation « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que le principe dégalité ne fait pas obstacle à ce que, pour des motifs dintérêt général, le législateur édicte, par loctroi davantages fiscaux, des mesures dincitation au développement dactivités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés ; que lensemble de ces principes est applicable notamment aux droits de mutation à titre gratuit et à limpôt de solidarité sur la fortune ;
Sur larticle 43 :
3. Considérant que larticle 43 étend aux donations en pleine propriété entre vifs le dispositif dexonération des droits de succession antérieurement prévu par les articles 789 A et 789 B du code général des impôts ; que ce dispositif exonère, à concurrence de la moitié de leur valeur, la transmission de parts et actions dune société, ainsi que celle des bien affectés à lexploitation dune entreprise individuelle ; que cette exonération est subordonnée à diverses conditions relatives à la stabilité du capital et à la direction de lentreprise ; que, sagissant des sociétés cotées, larticle 43 réduit de 25 % à 20 % la part minimale des droits financiers et des droits de vote sur lesquels doit porter lengagement collectif de conservation pris par le défunt ou le donateur avec dautres associés ;
4. Considérant que les députés requérants font valoir que, si le législateur avait antérieurement restreint le bénéfice de lavantage aux transmissions dentreprise par décès, cest en raison de la possibilité offerte par larticle 790 du code général des impôts de bénéficier dune réduction des droits de donation pouvant aller jusquà 50 % ; quils soutiennent que, « du fait de la combinaison de ces deux dispositifs, la personne bénéficiant de la donation dune entreprise pourra prétendre à une économie dimpôt pouvant aller jusquà 75 % » et que, « compte tenu de sa disproportion par rapport à lobjectif poursuivi par le législateur, loctroi dun tel avantage aboutit à une rupture caractérisée du principe dégalité devant limpôt » ;
5. Considérant, dune part, quil résulte des travaux parlementaires que le législateur a souhaité favoriser, en raison du contexte démographique, la transmission dentreprise dans des conditions permettant dassurer la stabilité de lactionnariat et la pérennité de lentreprise ; quil a subordonné lextension aux donations de lavantage fiscal prévu en cas de succession à une transmission en pleine propriété des actions ou des biens de lentreprise ; que le bénéfice de cet avantage reste, par ailleurs, subordonné aux conditions, déjà prévues par le texte, relatives à la stabilité du capital et à la direction de lentreprise ; que, dès lors, cet avantage nest pas de nature à entraîner une rupture caractérisée de légalité devant les charges publiques ;
6. Considérant, dautre part, quil était loisible au législateur, au regard de lobjectif dintérêt général ainsi poursuivi, de ne pas exclure les donations en cause du bénéfice de larticle 790 du code général des impôts, dès lors que ce dernier, qui tend à favoriser une transmission anticipée du patrimoine, a un objet et un champ dapplication différents et que linterdiction du cumul des deux dispositifs aurait fortement réduit le caractère incitatif de la mesure ;
7. Considérant, dans ces conditions, que le grief tiré, à lencontre de larticle 43, dune rupture de légalité devant limpôt doit être rejeté ;
Sur larticle 44 :
8. Considérant que larticle 44 de la loi déférée modifie larticle 1840 G nonies du code général des impôts pour supprimer le droit supplémentaire dû, en sus du complément des droits éludés majoré des intérêts de retard, en cas de manquement aux engagements de conservation pris par les héritiers ou donataires pour lapplication des dispositions de larticle 43 ;
9. Considérant que les requérants font valoir que ces dispositions seraient inséparables de celles figurant à larticle précédent et devraient être déclarées contraires à la Constitution par voie de conséquence ;
10. Considérant que larticle 44, qui se borne à supprimer une sanction applicable en cas de méconnaissance des conditions prévues aux c de larticle 787 B et b de larticle 787 C du code général des impôts, est indépendant, sur le plan juridique, de larticle 43 ; quil nest, au demeurant, contraire à aucune règle, ni à aucun principe de valeur constitutionnelle ; que, dès lors, les conclusions tendant à ce que larticle 44 soit déclaré contraire à la Constitution ne peuvent quêtre rejetées ;
Sur larticle 47 :
11. Considérant que larticle 47 crée une exonération dimpôt de solidarité sur la fortune à concurrence de la moitié de la valeur des parts ou actions de certaines sociétés que leurs propriétaires sengagent collectivement à conserver durant au moins six ans ; que, pour ouvrir droit à cette exonération, lengagement collectif de conservation doit porter sur au moins 20 % des droits sociaux sagissant de sociétés cotées, ou sur au moins 34 % des parts ou actions de sociétés non cotées ; quen outre, lun des associés doit exercer des fonctions dirigeantes au sein de la société ;
12. Considérant quil est reproché à cet article de méconnaître, en premier lieu, le principe dégalité devant les charges publiques en instaurant « un avantage fiscal disproportionné par rapport à lobjectif poursuivi par le législateur » ; quen effet, selon les requérants, alors que cet objectif était « dencourager, dans les entreprises à structure familiale, le maintien dun actionnariat familial », larticle 47 ne réserve pas le bénéfice de la mesure à lactionnariat familial ; quest critiquée, en deuxième lieu, la différence de traitement entre actionnaires qui résulterait de ce que lengagement collectif de conservation doit porter sur 20 % des droits sociaux sagissant des sociétés cotées, alors que les titres de ces mêmes sociétés ne sont considérés comme biens professionnels par larticle 885 O bis du code général des impôts quà partir dun seuil de 25 % ; quenfin, lexclusion des entreprises individuelles du bénéfice du dispositif créerait une rupture caractérisée de légalité entre les redevables de limpôt de solidarité sur la fortune ;
13. Considérant, en premier lieu, quil résulte des travaux parlementaires que le législateur a entendu garantir la stabilité du capital des entreprises, notamment familiales, et, partant, leur pérennité ; que lavantage fiscal accordé tend à inciter les actionnaires minoritaires, qui ne bénéficient pas de lexonération des biens professionnels prévue par larticle 885 O bis du code général des impôts, à conserver les parts et actions quils détiennent ; queu égard aux conditions posées quant à la stabilité du capital et à la direction de lentreprise et à son montant limité à la moitié de la valeur des parts et actions, contrairement à ce que prévoit larticle 885 O bis pour les biens professionnels, cet avantage ne peut être regardé comme entraînant une rupture caractérisée du principe dégalité devant les charges publiques ;
14. Considérant, en deuxième lieu, quau regard de lobjectif dintérêt général ainsi poursuivi, il était loisible au législateur de retenir un seuil de détention du capital de 20 % pour les sociétés cotées et de 34 % pour les sociétés non cotées, compte tenu du caractère inégalement dispersé de la détention du capital dans ces deux catégories de sociétés ; que, si larticle 885 O bis du code général des impôts retient, pour sa part, un seuil de 25 %, celui-ci est commun aux sociétés cotées et non cotées ;
15. Considérant, enfin, quau regard de lobjectif poursuivi, les sociétés se trouvent dans une situation différente des entreprises individuelles, qui ne disposent pas dun capital ouvert aux tiers et dont les propriétaires sont exonérés de limpôt de solidarité sur la fortune en vertu de larticle 885 N du code général des impôts ;
16. Considérant quil résulte de tout ce qui précède que doivent être rejetés les griefs dirigés contre larticle 47 ;
Sur larticle 48 :
17. Considérant que larticle 48 insère dans le code général des impôts un article 885 I ter exonérant dimpôt de solidarité sur la fortune, dans les conditions quil fixe, les titres reçus en contrepartie de souscriptions en numéraire ou en nature au capital « dune société répondant à la définition des petites et moyennes entreprises figurant à lannexe I au règlement (CE) no 70/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant lapplication des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de lEtat en faveur des petites et moyennes entreprises » ;
18. Considérant que, selon les requérants, cet article méconnaîtrait le principe dégalité à quatre titres ; quen premier lieu, il instituerait un avantage disproportionné par rapport au but poursuivi, en octroyant une exonération totale à ses bénéficiaires ; quen deuxième lieu, lavantage ainsi créé bénéficierait aux sociétés exerçant une activité bancaire, financière et dassurance, mais non à celles exerçant des activités de gestion du patrimoine mobilier ou immobilier, pourtant placées dans une situation identique au regard de lobjet de la loi ; quen troisième lieu, la disposition exclurait indûment « les apports de capitaux réalisés dans une entreprise individuelle » ; quenfin, lextension de lavantage aux apports en nature irait à lencontre du but poursuivi et ferait courir un risque de détournement ;
19. Considérant quil résulte des travaux parlementaires à lissue desquels il a été adopté que larticle 48 a pour objet dinciter à linvestissement productif dans les petites et moyennes entreprises compte tenu du rôle joué par ce type dentreprises dans la création demplois ; que la définition des entreprises concernées, qui prend en compte leffectif des salariés, le chiffre daffaires ou le total du bilan et la composition du capital, est claire et en rapport avec lobjectif poursuivi ; que, compte tenu du risque affectant un tel placement, il est loisible au législateur de prévoir une exonération totale dimpôt de solidarité sur la fortune pour les titres reçus en contrepartie de ces investissements productifs ;
20. Considérant, en deuxième lieu, quau regard de cet objectif dintérêt général, il était loisible au législateur dexclure les activités de gestion de patrimoine mobilier pour compte propre ainsi que les activités de gestion ou de location dimmeubles ; quil lui était également loisible dinclure les activités bancaires, financières et dassurances qui présentent un caractère commercial ;
21. Considérant, en troisième lieu, quau regard de lobjet de la loi, les entreprises individuelles sont dans une situation différente des sociétés, dès lors que leur capital nest pas ouvert aux tiers ;
22. Considérant, enfin, que le législateur était fondé à faire bénéficier du nouvel avantage, non seulement les apports en numéraire, mais encore les apports en nature de biens nécessaires à lactivité de lentreprise ; quen effet, dans les deux cas, linvestissement présente un caractère productif et sexpose au même risque ; quen excluant expressément lapport dactifs immobiliers et de valeurs mobilières, le législateur a pris les précautions nécessaires pour prévenir un détournement de la mesure à des fins dévasion fiscale ;
23. Considérant quil résulte de tout ce qui précède que les griefs dirigés contre larticle 48 doivent être écartés ;
Sur larticle 49 :
24. Considérant que larticle 49 modifie les articles 885 O bis et 885 O quinquies du code général des impôts pour abaisser de 75 % à 50 % la proportion que doivent représenter, dans le patrimoine du dirigeant dune société, les parts ou actions quil détient directement, pour être considérées comme des biens professionnels exclus de lassiette de limpôt de solidarité sur la fortune ;
25. Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, « labaissement du seuil de 75 % à 50 % conduira à accorder un avantage fiscal disproportionné au regard de lobjectif poursuivi par la loi » ; quen outre, les mêmes biens pourraient être assujettis ou totalement exonérés « pour certains contribuables compte tenu uniquement de leurs fonctions » ;
26. Considérant que lévolution récente de la valeur des actions et parts dentreprise, comparée à celle des biens immobiliers, peut conduire à faire perdre aux titres détenus par un dirigeant de société la qualification de biens professionnels sans que la répartition effective de son patrimoine soit pour autant modifiée ; que, pour tenir compte de cette réalité économique, il était loisible au législateur de fixer à la moitié du patrimoine du dirigeant dune société le seuil à partir duquel les parts ou actions quil détient dans celle-ci doivent être considérées comme des biens professionnels ;
27. Considérant que le grief dirigé contre larticle 49 doit, par suite, être rejeté ;
28. Considérant quil ny a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever doffice aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :
Art. 1er. - Les articles 43, 44, 47, 48 et 49 de la loi pour linitiative économique ne sont pas contraires à la Constitution.
Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 juillet 2003, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Pierre Joxe, Pierre Mazeaud, Mmes Monique Pelletier, Dominique Schnapper et Simone Veil.
Le président, Yves Guéna |