Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2004/9 du jeudi 20 mai 2004
Décision no 2004-494 DC du 29 avril 2004
NOR : CSCL0407317S
LOI RELATIVE À LA FORMATION PROFESSIONNELLE
TOUT AU LONG DE LA VIE ET AU DIALOGUE SOCIAL
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à larticle 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, le 13 avril 2004, par M. Jean-Marc Ayrault, Mme Patricia Adam, M. Damien Alary, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Bernard Derosier, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaétan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Bruno Le Roux, Mme Marylise Lebranchu, MM. Michel Lefait, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Bernard Madrelle, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Mmes Ségolène Royal, Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque, Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg et Mme Christiane Taubira, députés ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu lordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le code rural ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi du 24 juin 1936 « modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail De la convention collective du travail » ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 16 avril 2004 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la saisine, enregistrées le 21 avril 2004 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ; quils contestent la conformité à la Constitution de ses articles 41 à 43 ;
2. Considérant que larticle 41 de la loi déférée modifie larticle L. 132-13 du code du travail aux termes duquel : « Une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel ne peut comporter des dispositions moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en vertu dune convention ou dun accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large » ; que son 1o subordonne lapplication de cette règle à une stipulation expresse des signataires de la convention ou de laccord de niveau supérieur ; que son 2o précise que, lorsquune convention ou un accord de niveau supérieur est conclu, les dispositions de rang inférieur moins favorables aux salariés ne devront être adaptées que si les signataires le prévoient expressément ;
3. Considérant que larticle 42 de la même loi complète larticle L. 132-23 du code du travail afin de permettre à un accord dentreprise ou détablissement de déroger aux dispositions dune convention ou dun accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement ; quil prévoit, néanmoins, que cette faculté ne pourra pas sexercer en matière de salaires minima, de classifications et de garanties collectives dans le cadre de la mutualisation de certains risques et des fonds de la formation professionnelle ;
4. Considérant que larticle 43 de la même loi étend aux conventions et aux accords dentreprise ou détablissement la faculté, jusquà présent réservée aux conventions et aux accords de branche, de mettre en uvre certaines dispositions du code du travail et du code rural ou de déroger à celles-ci ;
5. Considérant que les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient larticle 34 de la Constitution et priveraient de garanties légales le onzième alinéa du Préambule de 1946 ;
Sur la méconnaissance de larticle 34 de la Constitution :
6. Considérant que, selon les requérants, le législateur est seul compétent « pour déterminer les droits et obligations constitutifs de lordre public social protecteur » ; que « les éventuelles délégations de compétence pour y déroger doivent être précises et limitées et résulter dune habilitation législative expresse » ; que les articles 41 et 42, en autorisant de façon implicite et générale les accords dentreprise et de branche à déroger aux accords de niveau supérieur, seraient entachés dincompétence négative ; que, de même, larticle 43 naurait pas suffisamment encadré les nouvelles possibilités ouvertes aux accords dentreprise de déroger aux dispositions du code du travail ; quenfin, la nouvelle architecture conventionnelle méconnaîtrait par sa complexité lexigence constitutionnelle de clarté et dintelligibilité de la loi ;
7. Considérant que, si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son huitième alinéa que : « Tout travailleur participe, par lintermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi quà la gestion des entreprises », larticle 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail ; quainsi, cest au législateur quil revient de déterminer, dans le respect du principe qui est énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en uvre ;
8. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes dapplication des normes quil édicte ; que le législateur peut en particulier laisser les partenaires sociaux déterminer, dans le cadre quil a défini, larticulation entre les différentes conventions ou accords collectifs quils concluent au niveau interprofessionnel, des branches professionnelles et des entreprises ; que, toutefois, lorsque le législateur autorise un accord collectif à déroger à une règle quil a lui-même édictée et à laquelle il a entendu conférer un caractère dordre public, il doit définir de façon précise lobjet et les conditions de cette dérogation ;
9. Considérant, en outre, que le principe en vertu duquel la loi ne peut permettre aux accords collectifs de travail de déroger aux lois et règlements ou aux conventions de portée plus large que dans un sens plus favorable aux salariés ne résulte daucune disposition législative antérieure à la Constitution de 1946, et notamment pas de la loi du 24 juin 1936 susvisée ; que, dès lors, il ne saurait être regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du Préambule de la Constitution de 1946 ; quen revanche, il constitue un principe fondamental du droit du travail au sens de larticle 34 de la Constitution, dont il appartient au législateur de déterminer le contenu et la portée ;
10. Considérant, enfin, quil appartient au législateur dexercer pleinement la compétence que lui confie larticle 34 de la Constitution ; quà cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et lobjectif de valeur constitutionnelle dintelligibilité et daccessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, lui imposent dadopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ;
11. Considérant quil convient dexaminer les dispositions contestées au regard des principes ainsi définis ;
12. Considérant, en premier lieu, que les articles 41 et 42 de la loi déférée nont ni pour objet ni pour effet de modifier, dune part, les rapports entre les normes législatives ou réglementaires et les accords collectifs, et, dautre part, les rapports entre les accords collectifs et les contrats de travail ; quils se bornent à régir larticulation entre les différents accords collectifs afin douvrir à des accords de niveau inférieur la faculté de déroger à un accord de niveau supérieur, sous réserve que les signataires de ce dernier naient pas exclu cette faculté ; que ces accords devront, selon les cas, soit ne pas avoir fait lobjet dune opposition de la part dune majorité dorganisations syndicales ou de la part des organisations syndicales majoritaires, soit avoir été signés par des organisations syndicales majoritaires, dans les conditions prévues par larticle 37 de la loi déférée ; que la possibilité, pour un accord dentreprise, de déroger à un accord de niveau supérieur est exclue en matière de salaires minima, de classifications et de garanties collectives dans le cadre de la mutualisation de certains risques et des fonds de la formation professionnelle ; quenfin ces nouvelles dispositions nauront pas de portée rétroactive, comme le précise larticle 45 de la loi déférée ; que, compte tenu de lensemble de ces garanties, le législateur na pas méconnu létendue de sa compétence ;
13. Considérant, en deuxième lieu, que, si le 2o, le 4o et le 14o du I de larticle 43 renvoient à des accords dentreprise les modalités dapplication de certaines normes législatives du code du travail, les autres dispositions de cet article permettent à des accords dentreprise de déroger à des règles législatives dordre public relatives à lindemnité de fin de contrat ou de fin de mission et à la durée du travail ; que, toutefois, le législateur a défini de façon précise lobjet de ces différentes dérogations et a fixé lui-même ou renvoyé au pouvoir réglementaire, sans méconnaître létendue de sa compétence, les conditions de leur mise en uvre ; que ces accords ne devront pas avoir fait lobjet dune opposition des organisations syndicales majoritaires dans lentreprise ou devront avoir été signés par elles selon les modalités prévues par larticle 37 de la loi déférée ; que, dans ces conditions, le grief tiré de la violation de larticle 34 de la Constitution doit être rejeté ;
14. Considérant, enfin, que, si les dispositions critiquées rendent plus complexe larticulation entre les différents accords collectifs, elles définissent de façon précise les rapports entre les différents niveaux de négociation ; quainsi le législateur, qui a entendu se référer à la position commune adoptée par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001, na pas méconnu les exigences dintelligibilité et de clarté de la loi ;
Sur la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de 1946 :
15. Considérant que, selon les requérants, les articles contestés, en permettant à des accords dentreprise de déroger, dans un sens défavorable au salarié, à des dispositions législatives ou à des accords de branche, sont de nature à priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; quils font valoir, en particulier, que « le droit à la protection de la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs tel quil résulte du onzième alinéa du Préambule de 1946 ne peut être laissé à la libre détermination des partenaires sociaux, et certainement pas au niveau de lentreprise » ;
16. Considérant quaux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à lenfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs... » ; quil est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par larticle 34 de la Constitution, dadopter, pour la réalisation ou la conciliation dobjectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient dapprécier lopportunité ; que, cependant, lexercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
17. Considérant, en premier lieu, que les articles 41 et 42 nont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre à des dispositions conventionnelles de déroger à des normes législatives ou réglementaires ; que, dès lors, le grief invoqué par les requérants est inopérant à lencontre de ces articles ;
18. Considérant, en second lieu, que larticle 43 ne permet pas aux accords collectifs de déroger aux règles dordre public en matière de santé et de sécurité au travail ; quainsi, ni la durée maximale hebdomadaire de travail ni la définition du travailleur de nuit, qui résultent des articles L. 212-7 et L. 213-2 du code du travail, ne sont concernées par lextension du champ de la négociation dentreprise ; que, comme il a été dit ci-dessus, lobjet et les conditions des nouvelles possibilités de dérogation aux règles relatives à la durée du travail, et notamment au droit au repos, sont définis de façon suffisamment précise ; que, dans ces conditions, larticle 43 ne prive pas de garanties légales les exigences constitutionnelles susmentionnées ;
19. Considérant quil ny a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever doffice aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :
Art. 1er. - Les articles 41, 42 et 43 de la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social sont conformes à la Constitution.
Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 avril 2004, où siégeaient : M. Pierre Mazeaud, président, MM. Jean-Claude Colliard et Olivier Dutheillet de Lamothe, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Pierre Joxe et Jean-Louis Pezant, Mmes Dominique Schnapper et Simone Veil.
Le président, Pierre Mazeaud |