Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2001/14 du dimanche 5 août 2001
NOR : CSCL0104967X
La loi portant diverses dispositions dordre social, éducatif et culturel, adoptée le 28 juin 2001, est contestée devant le Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs. Les requérants invoquent, à lencontre de ce texte, trois séries de moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur larticle 6
A. - Larticle 6 de la loi déférée insère, dans le titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale, un nouveau chapitre V bis relatif au Fonds de réserve pour les retraites.
Initialement créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 sous la forme dune section du Fonds de solidarité vieillesse, ce fonds devient, selon le nouvel article L. 135-6, un établissement public de lEtat à caractère administratif. Il a pour mission « de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite ». Le même article précise que les réserves sont constituées au profit des régimes obligatoires dassurance vieillesse visés à larticle L. 222-1 et aux 1o et 2o de larticle L. 621-3 du code de la sécurité sociale, cest-à-dire, dune part, le régime général des salariés, dautre part, ceux des professions artisanales et des professions industrielles et commerciales.
Par ailleurs, larticle L. 135-10 confie la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations, tout en spécifiant que cette activité est indépendante de toute autre activité de la caisse et de ses filiales.
Selon les sénateurs, auteurs du recours, ces dispositions seraient contraires à la Constitution, à un double titre. En premier lieu, larticle L. 135-6 méconnaîtrait le principe dégalité devant la loi en réservant le bénéfice du fonds au seul régime général et aux régimes dits « alignés », alors que les autres régimes dassurance vieillesse ne sont pas dans une situation différente. En second lieu, les dispositions de larticle L. 135-10 confiant la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations méconnaîtraient le principe de liberté du commerce et de lindustrie et placeraient les concurrents des filiales de la caisse dans une situation dinégalité au regard des appels doffres qui seront organisés pour la gestion financière.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
1. Sagissant des régimes bénéficiaires du Fonds de réserve des retraites, il convient dabord de rappeler que la création de ce fonds se situe dans la perspective de la sauvegarde des systèmes de retraite par répartition. Son objet est dintervenir pour assurer une sorte de « lissage », à compter de 2020, en complément de réformes structurelles engagées par les régimes dassurance vieillesse.
Au regard de cet objet, il existe une différence de situation objective entre les régimes visés à larticle L. 222-1 et aux 1o et 2o de larticle L. 621-3 du code de la sécurité sociale et les autres. Les premiers ont fait lobjet, en juillet 1993, dune réforme se traduisant notamment par un allongement de la durée dassurance et de la période prise en compte pour la détermination du salaire annuel moyen, ainsi que par une maîtrise de lévolution des prestations.
Ces caractéristiques justifiaient que le législateur ne retienne pas, à la date à laquelle il se prononçait, les autres régimes qui nont pas entrepris de telles réformes. Sagissant, en particulier, de celui des professions libérales (CNAVPL) mentionné dans la saisine, il est dans une situation objectivement différente, à plusieurs titres :
- il ne fonctionne pas selon les mêmes principes que le régime général et les régimes alignés, dans la mesure où la prestation servie par le régime de base est une prestation forfaitaire qui ne représente quune part faible de la pension, celle-ci étant, pour lessentiel, assurée par le régime complémentaire ;
- ce régime doit, par construction, être équilibré en vertu de larticle R. 642-13 du code de la sécurité sociale ;
- en outre, il dispose lui-même dun fonds de réserve et de compensation, défini à larticle R. 642-4 du même code.
Il convient cependant de rappeler que les sommes mises en réserve sont indisponibles jusquen 2020 et que la liste des régimes concernés nest pas définitive : comme il a été souligné par le Gouvernement au cours des débats devant le Parlement, celui-ci sera appelé à se prononcer sur lintégration dautres régimes dassurance vieillesse parmi ceux qui sont éligibles au fonds.
Cela étant, il est traditionnel de ne pas appliquer les mêmes règles à tous les régimes, étant rappelé que des mécanismes de financement fondés sur la solidarité entre régimes ou faisant intervenir la solidarité nationale fonctionnent dores et déjà au bénéfice de tous les régimes de base. On relève de nombreux précédents de ressources « universelles » non affectées à lensemble des régimes. On peut à cet égard mentionner :
- le prélèvement social de 2 % sur les produits de placements et les revenus de patrimoine, prévu à larticle L. 245-14 du code de la sécurité sociale, qui na longtemps financé que la Caisse nationale dassurance vieillesse des travailleurs salariés et la Caisse nationale des allocations familiales avant dêtre affecté pour une large part au Fonds de réserve des retraites ;
- la contribution à la charge des laboratoires pharmaceutiques assise sur leur dépenses dinformation et de prospection, définie à larticle L. 245-1 du code de la sécurité sociale, et dont le produit est affecté à la seule Caisse nationale de lassurance maladie des travailleurs salariés.
Ce type daffectation na pas été jugé contraire à la Constitution. Cest ainsi que, à propos de laffectation, à la seule Caisse nationale dassurance maladie des travailleurs salariés, du produit des prélèvements instaurés par la loi no 83-25 du 20 janvier 1983, portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision no 82-152 DC du 14 janvier 1983 « que pour décider de lattribution du produit des nouvelles contributions à la Caisse nationale dassurance maladie des travailleurs salariés, le législateur a pu, sans contrevenir au principe dégalité, prendre en considération la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les différentes caisses participant à la couverture du risque maladie tant du point de vue de leur charges que de leurs ressources ».
De même peut-on remarquer que larticle 21 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 comportait également un dispositif spécifique au bénéfice du régime général et de certains autres régimes : il sagissait de la prise en charge, par la Caisse nationale des allocations familiales, du coût global des majorations de pensions pour enfants dont bénéficient seulement le régime général et les régimes alignés. Or, le Conseil constitutionnel a écarté, par sa décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000, des critiques dinspiration semblable, fondées sur le principe dégalité.
Il est donc clair que le législateur peut, sans méconnaître ce principe, décider de limiter laffectation de certaines ressources afférentes à un risque, à certains des organismes de sécurité sociale concourant à la couverture dudit risque.
2. Les moyens dirigés contre larticle L. 135-10 nouveau du code de la sécurité sociale, relatif au rôle de la Caisse des dépôts et consignations dans la gestion du fonds, ne sont pas davantage fondés.
a) Sagissant, en premier lieu, de la gestion administrative du fonds, il convient de souligner que le fait de la confier à cet établissement public relève des modalités dorganisation du service public, lesquelles ne mettent en cause, par elles-mêmes, ni la liberté du commerce et de lindustrie ni le principe dégalité.
En outre, et contrairement à ce qui est soutenu, la notion de gestion administrative ne présente aucune ambiguïté, y compris en tant quelle inclut la centralisation de la conservation des titres. Il sagit en effet dun élément important de sécurité, dans la mesure où la bonne exécution des autres fonctions de la gestion administrative repose en partie sur les informations données par le service de conservation. A ce titre, linclusion de la fonction de conservation dans la gestion administrative permettra en particulier un meilleur suivi des risques par le fonds.
b) En second lieu, les autres critiques adressées au dispositif manquent en fait, dès lors que la loi nimplique pas, par elle-même, de rupture dégalité entre les participants aux appels doffres de la gestion financière. La loi ne comporte, en effet, aucune disposition favorisant les sociétés du groupe de la Caisse des dépôts pour la participation à ces appels doffres. Dans le cas où son application donnerait lieu à des abus, il appartiendrait aux autorités compétentes, et notamment au juge administratif ainsi que, le cas échéant, au Conseil de la concurrence, dassurer légalité de traitement des candidats.
Il convient à cet égard de souligner que cest, au contraire, lexclusion des filiales de la Caisse des dépôts de la participation aux appels doffres qui aurait été juridiquement contestable. En effet, les sociétés de ce groupe ont un objet propre, juridiquement autonome de celui de létablissement public Caisse des dépôts. En outre, et au-delà du principe dautonomie des sociétés, la séparation opérationnelle des activités concurrentielles des autres activités du groupe CDC limite le risque de conflits dintérêt.
De surcroît, la loi contient des dispositions spécifiques pour la prévention de conflits dintérêt potentiels. Ainsi, larticle L. 135-13 du code de la sécurité sociale prévoit-il que, pour la mise en uvre de la gestion financière, aucun membre du directoire ne peut délibérer dans une affaire dans laquelle lui-même ou, le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il exerce des fonctions ou détient un mandat a un intérêt. Cette disposition sappliquera, le cas échéant, au directeur général de la Caisse des dépôts, président du directoire du fonds.
Enfin, on peut aussi relever que, suivant le premier alinéa de larticle L. 135-10 du code de la sécurité sociale, lactivité de gestion administrative du fonds sera indépendante de toute autre activité de la Caisse des dépôts et de ses filiales.
II. - Sur larticle 17
A. - Le I de larticle 17 de la loi déférée a pour objet dassouplir la règle, posée par le premier alinéa du I de larticle 39 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, selon laquelle une même personne, physique ou morale, ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 49 % du capital ou des droits de vote dune chaîne de télévision diffusée par voie hertzienne terrestre.
Lassouplissement consiste à limiter la portée de cette interdiction aux chaînes hertziennes terrestres dont les programmes touchent une audience moyenne annuelle qui dépasse 2,5 % de laudience totale des services de télévision.
Il est en outre précisé que, pour mesurer laudience des programmes de la chaîne considérée, il doit être tenu compte non seulement de leur transmission par voie hertzienne terrestre (en mode analogique et en mode numérique), mais aussi de leur éventuelle diffusion par câble ou par satellite. De même, lorsque les programmes en cause font lobjet de rediffusions, en horaires décalés, sur des canaux annexes du canal principal, laudience obtenue par ces rediffusions doit être ajoutée à celle du service de base.
Enfin, le législateur a renvoyé à un décret en Conseil dEtat le soin de préciser les conditions dans lesquelles le Conseil supérieur de laudiovisuel mesurera la part daudience de chaque service. En cas de franchissement du seuil fixé par la loi, cette autorité indépendante impartira aux personnes concernées de se mettre en conformité avec la loi dans un délai quelle fixera en fonction des circonstances, mais qui ne pourra excéder un an.
Les auteurs de la saisine, sans contester la nécessité dun assouplissement de la « règle des 49 % », estiment que les modalités choisies par le législateur pour parvenir à ce résultat encourent trois griefs dinconstitutionnalité.
En premier lieu, ces modalités seraient contraires à larticle 11 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, en ce quelles imposeraient à tout moment aux personnes possédant ou contrôlant des services de télévision le respect de plafonds dont le dépassement peut dépendre du succès auprès du public des programmes diffusés par lesdits services ou des mécomptes des chaînes concurrentes.
En deuxième lieu, les saisissants estiment que les dispositions quils contestent ne respectent pas lobjectif de pluralisme des courants dexpression socioculturels en ce quelles rendent possible la détention par une même personne de la totalité du capital de cinq chaînes hertziennes terrestres ayant chacune une part daudience proche de 2,5 % de laudience totale des services de télévision. La même personne pourrait ainsi, au travers de ces cinq entités, contrôler les programmes touchant presque 12,5 % des téléspectateurs.
En troisième lieu, les saisissants font valoir que les dispositions en cause violeraient larticle 34 de la Constitution en laissant au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités de mesure par le Conseil supérieur de laudiovisuel des parts daudience respectives des chaînes de télévision. Ce faisant, le législateur aurait méconnu sa compétence.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que les dispositions contestées sont conformes à la Constitution.
1. En premier lieu, la transposition au secteur audiovisuel, et spécialement au cas des chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre, du raisonnement tenu par la décision no 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984 nest guère pertinente car les activités de communication audiovisuelle sexercent dans des conditions très différentes de celles de la presse écrite.
a) Dans le domaine de la presse écrite, où aucune contrainte technique ne vient limiter le nombre de publications qui peuvent être offertes aux lecteurs, le pluralisme est obtenu exclusivement grâce à la diversité des titres en présence et non par lobligation faite à chaque quotidien ou périodique dassurer en son sein une forme de pluralisme. Pour garantir une diversité de loffre, le législateur de 1881 a supprimé tout obstacle juridique à la création dune publication, et notamment toute forme dautorisation préalable (article 5 de la loi du 29 juillet 1881).
Mais, comme il ne suffit pas quun journal soit créé pour que les lecteurs puissent y avoir accès, le législateur est ultérieurement intervenu pour régir de façon beaucoup plus contraignante les entreprises de groupage et de distribution de la presse écrite. Cest ainsi que la loi no 47-585 du 2 avril 1947 (dite « loi Bichet ») a prévu que, en dehors des cas où une entreprise de presse assurerait elle-même la distribution de ses propres titres, la mise en place des journaux et périodiques dans les points de vente doit être assurée par des sociétés coopératives de messageries de presse, lesquelles sont obligées daccueillir, sur un pied dégalité avec les autres membres, toute publication souhaitant recourir à leurs services (articles 6 et 10 de la loi du 2 avril 1947).
Les pouvoirs publics ont également mis en place des dispositifs visant à maintenir la diversité des titres existants, quil sagisse des avantages fiscaux et postaux réservés aux publications dinformation générale (article 39 bis du CGI, article 72 de lannexe III du même code, articles D. 18 et D. 19-2 du code des postes et télécommunications) ou de subventions versées à certaines catégories de publications (cf., par exemple, laide aux quotidiens dinformation politique et générale à faibles ressources de petites annonces, régie par les décrets no 86-616 du 12 mars 1986 et no 89-528 du 28 juillet 1989).
Cest dans ce cadre densemble quest venue sinsérer la loi no 84-937 du 23 octobre 1984, dont les articles 10 à 15 visaient à préserver la variété des titres offerts au public en interdisant quune même personne prenne le contrôle dun grand nombre de quotidiens. Ces articles nautorisaient ainsi une personne à posséder ou contrôler un ou plusieurs quotidiens que si la diffusion totale de ceux-ci nexcédait pas certains plafonds, fixés en pourcentage de la diffusion de lensemble des quotidiens nationaux, dune part, et de lensemble des quotidiens régionaux, départementaux ou locaux, dautre part.
Lorsquil a examiné ces dispositions, le Conseil constitutionnel a rappelé quelles ne pouvaient avoir pour effet ni dinterdire de créer de nouveaux quotidiens ni dobliger une personne à se déposséder de son entreprise de presse dans le cas où les quotidiens produits par celle-ci connaîtraient un succès tel auprès des lecteurs que leur diffusion en viendrait à dépasser les plafonds fixés par le législateur.
Le conseil na pas pour autant censuré les dispositions en cause. Au contraire, se fondant tant sur les travaux préparatoires que sur léconomie générale du secteur de la presse écrite, telle que rappelée brièvement ci-dessus, il a admis que les plafonds posés par la loi étaient applicables dans les cas où la diversité des titres offerts au public pouvait se trouver menacée, cest-à-dire en cas dacquisition ou de prise de contrôle dun journal par un autre journal.
b) Dans le domaine de laudiovisuel, la situation est entièrement différente de celle qui prévaut en matière de presse écrite du fait des contraintes techniques liées à la rareté des ressources hertziennes.
Jusquà maintenant, du fait de cette contrainte technique, le nombre de chaînes de télévision pouvant faire lobjet dune diffusion par voie hertzienne terrestre sur lensemble du territoire na pas dépassé six. Il en résulte que le pluralisme ne pouvait être assuré par la seule diversité des programmes offerts aux téléspectateurs. Cest ce qui a conduit le législateur à mettre en place des dispositifs visant à garantir le pluralisme à lintérieur des chaînes de télévision (on parle ainsi de « pluralisme interne »).
Pour le secteur public, cet objectif est atteint notamment par les règles posées par la loi en matière dorganisation et de fonctionnement des chaînes (modalités de nomination des présidents, composition des conseils dadministration, cahiers des missions et des charges, contrats dobjectifs et de moyens...).
Pour les chaînes du secteur privé, cela a conduit à la mise en place dun mécanisme dautorisation préalable, ce qui est à lopposé de la situation prévalant dans le domaine de la presse écrite. Lobjet même de ce régime dautorisation est de permettre à lautorité de régulation de sassurer que lentreprise à laquelle va être confiée la jouissance dune partie du spectre hertzien respectera, dans ses programmes comme dans son organisation interne, un certain pluralisme, ainsi que le souligne le considérant no 22 de la décision no 86-217 DC du 10 septembre 1986.
Parmi les contraintes édictées en vue de préserver le « pluralisme interne » des chaînes hertziennes nationales figure la règle selon laquelle une même personne ne peut détenir plus dune certaine fraction du capital ou des droits de vote de la société titulaire de lautorisation. Initialement, le plafond a été fixé à 25 % par la loi du 27 novembre 1986. Il a ensuite été relevé à 49 % par la loi du 1er février 1994.
Le passage de la diffusion en mode analogique à la diffusion en mode numérique, qui permet de « comprimer le signal » et par conséquent de loger simultanément plusieurs programmes sur une même bande de fréquences, va permettre de desserrer quelque peu la contrainte technique liée à lampleur limitée du spectre hertzien. Le nombre de chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre sur la plus grande partie du territoire pourrait passer de six à une trentaine.
Cest pourquoi, lorsquil a posé, dans la loi du 1er août 2000, le cadre juridique applicable à ce nouveau mode de diffusion, le législateur a partiellement assoupli les contraintes conçues, dans un contexte de plus grande rareté des fréquences, à lintention des chaînes diffusées en mode analogique. Il a ainsi autorisé un même groupe à détenir jusquà cinq autorisations de diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique couvrant lensemble du territoire, alors quil est interdit de détenir plus dune autorisation de diffusion nationale en mode analogique. Bien que des interrogations aient été exprimées, lors des débats, sur lopportunité de maintenir pour les chaînes numériques une application stricte de linterdiction faite à une même personne de détenir plus de 49 % du capital ou des droits de vote, le législateur a choisi à lépoque de ne pas modifier cette règle.
Lors de lexamen de la loi du 1er août 2000 par le Conseil constitutionnel, les auteurs de la saisine ont contesté le maintien de la « règle des 49 % » à légard des chaînes numériques, estimant que cette contrainte était disproportionnée par rapport à lobjectif de préservation du pluralisme.
Rappelant quil navait pas un pouvoir général dappréciation et de décision de même nature que le Parlement, le Conseil constitutionnel na pas accueilli ce grief. Dans sa décision no 2000-433 DC du 27 juillet 2000, il a jugé que le législateur navait pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté dentreprendre lorsque « faisant usage de son pouvoir dappréciation, [il avait choisi] dappliquer au secteur de la diffusion numérique un certain nombre des règles relatives à la diffusion analogique, afin de préserver le pluralisme des courants dexpression socioculturels », et en particulier le plafond de 49 % applicable à la détention du capital ou des droits de vote dune société.
En fixant les obligations applicables aux chaînes numériques, le législateur doit se livrer à un exercice délicat. En effet, comme le Conseil constitutionnel la relevé, il doit « , dans un contexte où la ressource radioélectrique demeure limitée, (...) prévenir, par des mécanismes appropriés, le contrôle par un actionnaire dominant dune part trop importante du paysage audiovisuel ». Mais il doit également assouplir suffisamment des contraintes, qui ont été conçues dans un cadre de très grande rareté des fréquences, pour ne pas décourager les opérateurs dinvestir des sommes importantes dans le lancement de chaînes numériques, alors que les perspectives de rentabilité risquent dêtre moins intéressantes du fait de la concurrence accrue qui résultera de laugmentation du nombre de programmes disponibles.
En maintenant des règles trop contraignantes, le législateur risque dempêcher lémergence de chaînes supplémentaires dans le paysage audiovisuel et de compromettre ainsi la réalisation de lobjectif de diversité des programmes qui contribuera, mieux que les règles relatives au « pluralisme interne », à assurer la représentation de lensemble des courants dexpression à la télévision. Lenjeu est de taille car seul le développement de la diffusion numérique par voie hertzienne terrestre permettra à la plus grande partie de la population daccéder à un nombre accru de chaînes. En effet, le câble ne dessert que les parties urbanisées du territoire. Quant aux bouquets satellitaires, ils ne touchent que les ménages disposés à acquérir un équipement relativement onéreux et à payer un abonnement. En revanche, les chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre en mode numérique pourront être reçues, à terme, par tous les téléviseurs car les postes mis sur le marché dans les années à venir seront adaptés en vue de décoder les signaux numériques. Il est donc essentiel, en termes de démocratisation du paysage audiovisuel, de créer les conditions du succès pour la télévision numérique de terre.
Or, il est apparu, lors des travaux et des concertations précédant le lancement du premier appel à candidatures pour lattribution dautorisations de diffusion en mode numérique, que labsence dassouplissement de la « règle des 49 % » risquait de compromettre le développement de ce mode de diffusion. En effet, il est économiquement impossible que les opérateurs privés créent de toutes pièces une vingtaine de nouvelles chaînes pour meubler les canaux supplémentaires qui seront dégagés grâce à la numérisation du signal. En outre, si loffre numérique était composée exclusivement de programmes entièrement nouveaux, elle aurait beaucoup de difficulté à conquérir un public face aux chaînes du câble et du satellite qui jouissent dune audience importante.
Il est donc certain quune partie substantielle des programmes offerts en mode numérique par voie hertzienne terrestre sera assurée grâce à la migration vers ce nouveau mode de diffusion des chaînes qui sont actuellement diffusées par câble ou par satellite.
Or, aucune disposition législative ninterdit à un même opérateur de détenir la totalité du capital des chaînes du câble ou du satellite puisque labondance des programmes offerts par ces modes de diffusion (qui ne sont pas soumis aux contraintes techniques liées à la rareté des fréquences hertziennes terrestres) a toujours semblé un moyen suffisant de faire respecter lobjectif du pluralisme. Le maintien en létat de la « règle des 49 % » aurait contraint les opérateurs qui détiennent plus de cette fraction du capital dans les chaînes du câble et du satellite à devoir se dessaisir immédiatement de la part excédentaire pour pouvoir obtenir une autorisation en mode numérique. Compte tenu des investissements exigés par la migration vers la diffusion numérique et de lincertitude sur la rentabilité de cette nouvelle activité, il était à craindre que nombre des opérateurs concernés sabstiennent de faire acte de candidature pour lattribution de ces autorisations.
A linvitation du Gouvernement, le législateur a donc accepté dassouplir la « règle des 49 % ». Il na cependant pas souhaité la faire disparaître. En effet, en létat actuel des choses, le paysage audiovisuel ne comprend toujours que trois chaînes privées diffusées sur lensemble du territoire par voie hertzienne. La limite fixée par la loi en ce qui concerne la détention du capital de ces chaînes na rien perdu de sa pertinence. Les programmes diffusés par les chaînes hertziennes analogiques continueront dailleurs sans doute à capter la plus grande part de laudience pendant un temps assez long. Leffet produit par larrivée des nouvelles chaînes diffusées en mode numérique par voie hertzienne terrestre ne se fera sentir que progressivement, au fur et à mesure que les téléspectateurs acquerront des postes de télévision acceptant les signaux numériques.
Par ailleurs, il nest pas souhaitable de prévoir des règles différentes pour la diffusion analogique et pour la diffusion numérique puisque la seconde a vocation à remplacer entièrement la première dans un délai denviron dix ans et que, dans cette perspective, il est nécessaire que les chaînes actuellement diffusées en mode analogique soient les premières à adopter le mode numérique (les deux modes de diffusion étant appelés à coexister pour ces chaînes jusquà ce que tous les postes de télévision soient à même de recevoir des signaux numériques).
Pour assouplir la « règle des 49 % » sans la faire disparaître, la solution qui a paru préférable, au Gouvernement comme à lAssemblée nationale, est de réserver son application aux chaînes dont la part daudience dépasse un seuil fixé à 2,5 % de laudience totale des services de télévision.
La pertinence du critère daudience pour mesurer limpact dun programme est difficilement contestable. Si lon veut, comme limplique la jurisprudence du Conseil constitutionnel, éviter « les concentrations susceptibles de porter atteinte au pluralisme » (décision no 86-217 DC précitée), il importe de prendre en compte linfluence effective des différents médias sur le public.
Il convient de relever que le critère de laudience télévisuelle ou radiophonique, combiné avec celui de la diffusion en presse écrite lorsquil sagit de règles plurimédias, est couramment retenu dans les législations étrangères visant à limiter, du point de vue du pluralisme et de la liberté dexpression, la concentration des médias. Un plafond daudience, validé par lIndependent Television Commission sur une période de 12 mois, fonde notamment le nouveau dispositif anticoncentration instauré en Grande-Bretagne pour les télévisions privées par le Broadcasting Act de 1996. De même, le troisième Traité fédéral amendant la loi sur la radiodiffusion (Rundfunkstaatsvertrages), entré en vigueur au 1er janvier 1997, a introduit un dispositif de limitation fondé sur les parts daudiences des chaînes de télévision détenues par chaque opérateur observées en moyenne sur 12 mois. Au plan communautaire, le « projet de directive relative à la propriété des médias dans le marché intérieur » établi en septembre 1995 par la Commission sur la base des consultations organisées autour du Livre vert de décembre 1992 intitulé Pluralisme et concentration des médias visait à une réforme harmonisée de lensemble des dispositifs anticoncentration de chacun des Etats, notamment à travers lextension dune limitation de la part daudience, à la fois par média et pour lensemble des médias.
Si lon se réfère au raisonnement tenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 10 et 11 octobre 1984, invoquée par les saisissants, selon lequel il importe que le législateur ne porte pas une atteinte excessive à des situations légalement acquises, les dispositions contestées, loin de remettre en cause de telles situations, permettent au contraire aux opérateurs de faire migrer vers la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique les chaînes quils détiennent à plus de 49 %, sans être contraints de modifier la structure capitalistique de ces dernières. Alors que, selon les dispositions issues de la loi du 1er août 2000, ils auraient été contraints de réduire leur participation au capital pour pouvoir participer aux appels à candidatures en vue de lattribution de fréquences.
De même, les opérateurs qui, au vu des nouvelles dispositions, décideront de faire migrer une chaîne quils détiennent à 100 % vers la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique seront avertis, dès le départ, quil leur faudra, si cette chaîne devient un jour grâce à ce changement de vecteur un acteur important du paysage audiovisuel, diluer une partie de leur capital. Il est important dobserver, à cet égard, que lapplication de la « règle des 49 % » ne se traduira pas, alors, par lobligation de céder une entreprise, ni den perdre entièrement le contrôle, mais simplement par lobligation daccueillir de nouveaux porteurs de parts au sein de lentreprise.
Il sagit, dans un système où le nombre de chaînes hertziennes terrestres restera limité à une trentaine, de compenser la part importante daudience de certaines chaînes, susceptible de constituer une menace pour loffre pluraliste de programmes, par lintroduction au sein de ces chaînes dune dose de « pluralisme interne ».
Il y a donc là une différence fondamentale avec le dispositif en cause en 1984. En effet, les réserves dinterprétation du Conseil constitutionnel portaient alors sur un mécanisme dans lequel un opérateur aurait été obligé de céder son entreprise ou den perdre le contrôle en cas de succès dun organe de presse. En lespèce, il sagit de tout autre chose : la loi conduit seulement, lorsque linfluence effective dun média atteint un certain seuil, à imposer une ouverture plus grande du capital. Loin de sexposer au risque de limiter loffre, ce dispositif en favorise au contraire lextension. Il apporte ainsi une garantie additionnelle, sans remettre en cause, ni le contrôle de lentreprise concernée par son propriétaire ni a fortiori son existence.
Il apparaît donc, au vu de ce qui précède, que les dispositions contestées par les saisissants ne sont nullement contraires à larticle 11 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen.
2. Le deuxième grief articulé par les saisissants doit également être écarté pour les raisons qui viennent dêtre exposées.
La mesure contestée vise, ainsi quon la indiqué, à inciter les opérateurs à créer des chaînes diffusées en mode numérique par voie hertzienne terrestre afin daccroître la diversité des programmes offerts à lensemble de la population. Lobjet même de cette mesure est de garantir, grâce à la présence dun plus grand nombre de chaînes sur les écrans, la représentation plurale des courants dexpression. Labsence dassouplissement de la « règle des 49 % » risquerait au contraire de contrarier la poursuite de cet objectif en restreignant le nombre de chaînes offertes à la majorité des téléspectateurs.
Par ailleurs, il va de soi quune personne qui contrôlerait cinq chaînes ayant chacune une part daudience proche de 2,5 % se trouverait dans une situation différente dune personne qui détiendrait une seule chaîne dont la part daudience serait de 12,5 %. Dans le premier cas, chaque chaîne devrait nécessairement fournir un programme autonome, contribuant ainsi à la diversité du paysage audiovisuel.
3. Le troisième grief ne peut non plus être accueilli.
Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel quen matière de garanties fondamentales des libertés publiques, il est fait obligation au législateur de fixer avec une précision suffisante les règles applicables mais que, comme le montre notamment la décision no 88-248 DC du 17 janvier 1989, cela ne lui interdit nullement de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités dapplication des règles ainsi posées.
En lespèce, le législateur a déterminé avec précision la part daudience qui constitue le seuil de déclenchement pour lapplication de la « règle des 49 % ». Il a défini, en particulier, les principes de comptabilisation des programmes dune chaîne donnée. Il a également fixé lassiette à laquelle cette audience devait être rapportée pour mesurer la part dune chaîne. Il a confié au CSA, autorité de régulation indépendante, le soin de réaliser la mesure des parts daudience. Il a précisé quune chaîne qui franchirait le seuil des 2,5 % disposerait dun délai pour procéder à la dilution de son capital et que ce délai serait fixé par le CSA en fonction des circonstances mais ne pourrait pas dépasser un an.
Au vu de ces précisions, il apparaît que le législateur na pas méconnu les exigences de larticle 34 en renvoyant à un décret en Conseil dEtat le soin de préciser les modalités techniques de mesure des parts daudience.
III. - Sur larticle 36
A. - Larticle 36 de la loi déférée modifie la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération en vue de créer une nouvelle catégorie de coopératives, les sociétés coopératives dintérêt collectif.
Pour contester cet article, les sénateurs requérants font valoir quil a été introduit en méconnaissance des règles régissant le droit damendement. Ils estiment, dune part, que les dispositions quil contient sont dépourvues de tout lien avec le texte en discussion, dautre part, quelles dépassent, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes au droit damendement.
B. - Il convient dobserver que la seconde branche de cette argumentation est inopérante. Il résulte en effet de la décision no 2001-445 DC du 19 juin 2001 que les conditions dégagées par les décisions no 86-221 DC du 29 décembre 1986 et no 86-225 DC du 23 janvier 1987 sont abandonnées. Sagissant de dispositions introduites avant la réunion de la commission mixte paritaire, il suffit donc, désormais, que les articles issus damendements ne soient pas dépourvus de tout lien avec les autres dispositions du texte initialement déposé.
Sur ce point, la jurisprudence est pragmatique, comme le montre, en dernier lieu, la décision du 19 juin 2001. Cette décision admet en effet la régularité de linsertion dans une loi, qui à lorigine ne portait que sur le statut de la magistrature, de dispositions ouvrant aux juridictions pénales la possibilité de solliciter lavis de la Cour de cassation sur des questions de droit nouvelles, permettant à des formations restreintes de la cour de rejeter certains pourvois, ou encore autorisant le recrutement par elle dassistants de justice.
Pour admettre lexistence dun lien suffisant entre des dispositions introduites par voie damendement et le texte initial, il suffit donc de pouvoir les relier à lobjet du texte déposé ou au moins à lune des dispositions qui y figuraient.
A cet égard, on relèvera que le projet de loi portant diverses dispositions dordre social, éducatif et culturel comportait, avec larticle ratifiant le code de la mutualité, un dispositif traitant du statut dorganismes intervenant dans le secteur de léconomie sociale. Il était donc possible dy introduire un amendement créant une nouvelle catégorie de personnes morales intervenant dans ce secteur, les sociétés coopératives dintérêt collectif.