Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2003/2 du mercredi 5 février 2003
NOR : CSCL0306252X
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, dun recours dirigé contre la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de lemploi, adoptée le 19 décembre 2002. Les auteurs de la saisine critiquent les dispositions du B de larticle 2 ainsi que celles de larticle 16 de cette loi.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
*
* *
A titre liminaire, il importe de souligner que si le recours évoque indistinctement, dans lexposé des griefs, le B de larticle 2 et larticle 16 de la loi déférée, les dispositions de ces articles nont ni le même objet ni la même portée.
Il est vrai que ces deux séries de dispositions visent, chacune en ce qui la concerne, à aménager la transition entre le précédent régime législatif de la durée du travail et celui mis en place par la loi déférée. Ces aménagements répondent au double souci, dune part, dassurer lintelligibilité de la règle de droit dans une matière qui se caractérise par une grande complexité et de garantir la sécurité juridique, dautre part, de consolider les effets daccords collectifs conclus sous lempire des dispositions antérieures.
Pour autant, lobjet et la portée du B de larticle 2 et de larticle 16 sont différents. Cest pourquoi le Gouvernement entend répondre distinctement aux critiques portées à chacun de ces articles.
I. - Sur le B de larticle 2
A. - Le paragraphe B de larticle 2 vise à reconnaître un effet, en termes douverture du droit au repos compensateur, aux contingents dheures supplémentaires négociés avant lintervention de la loi déférée, en application du deuxième alinéa de larticle L. 212-6 du code du travail. Cet effet sera réduit dans sa portée parce que limité au niveau fixé par le contingent réglementaire dheures supplémentaires prévu au premier alinéa de larticle L. 212-6.
Selon les députés saisissants, les dispositions de cet article porteraient atteinte à la liberté contractuelle protégée par larticle 4 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen et méconnaîtraient les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Les auteurs du recours invoquent, en outre, à lencontre de la disposition critiquée le « principe de faveur » transcrit notamment à larticle L. 132-4 du code du travail, lequel aurait, selon eux, la valeur dun principe fondamental reconnu par les lois de la République.
B. - Ces griefs ne pourront être retenus par le Conseil constitutionnel.
1. La portée des dispositions du B de larticle 2 de la loi déférée doit, dabord, être précisément mesurée.
Les dispositions principales du A du même article ont pour objet de simplifier le dispositif relatif au contingent dheures supplémentaires en renvoyant désormais à la négociation de branche, avec toutes ses conséquences, la détermination du niveau de ce contingent dheures supplémentaires.
Ce dernier est, en effet, susceptible demporter deux sortes de conséquences : il constitue, dune part, le seuil qui impose de saisir linspecteur du travail afin de pouvoir continuer à faire effectuer des heures supplémentaires ; il détermine, dautre part, les droits des salariés à un repos compensateur obligatoire. Dans le cadre de la législation antérieure, résultant notamment de la loi no 2000-37 du 19 janvier 2000, le niveau du contingent était en principe déterminé par décret, mais une convention ou un accord collectif de branche étendu pouvait fixer un contingent dun niveau inférieur ou supérieur au contingent réglementaire pour ce qui concerne la seule saisine de linspecteur du travail. Le contingent conventionnel ne pouvait ainsi valoir que pour la saisine de linspecteur du travail, le contingent réglementaire sappliquant pour la détermination des droits à repos compensateur obligatoire.
Afin douvrir un champ plus large à la négociation et de simplifier le dispositif, la loi déférée a décidé dunifier ces deux contingents au bénéfice du contingent conventionnel. Ce dernier vaudra ainsi, à la fois, pour la saisine de linspecteur du travail et pour le déclenchement des droits à repos compensateur obligatoire. Le contingent réglementaire ne subsistera quà titre supplétif, ne trouvant à sappliquer quen labsence daccord de branche étendu traitant du contingent.
Dans ce nouveau cadre, les dispositions du B de larticle 2 prévoient que les contingents négociés antérieurement à la date de publication de la loi reçoivent plein effet tant en ce qui concerne le déclenchement de la procédure dautorisation de linspecteur du travail quen ce qui concerne, ce qui est nouveau, le déclenchement du seuil dapplication du repos compensateur obligatoire. Ces dispositions visent à aménager la transition entre lancien dispositif et le nouveau régime institué par la loi déférée.
En labsence de toute disposition de portée transitoire, la novation apportée par la loi déférée aurait, en effet, conduit à faire application immédiatement du nouveau contingent réglementaire de 180 heures, dans lattente que soient renégociés des accords collectifs conformément à la législation nouvelle. Le B de larticle 2 revient, au contraire, à privilégier les accords précédemment conclus, en leur faisant produire, au besoin, davantage deffets que ce quils avaient pu prévoir, dans la mesure où le contingent conventionnel quils avaient fixé se verra reconnaître également un effet pour le déclenchement du repos compensateur. Cette dernière conséquence ne vaudra, cependant, que dans la mesure où aucune stipulation conventionnelle navait entendu régir distinctement le déclenchement du repos compensateur.
2. Dans ces conditions, les dispositions critiquées du B de larticle 2 ne peuvent être regardées comme portant une atteinte excessive à la liberté contractuelle résultant de larticle 4 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen ou comme méconnaissant les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
a) On peut remarquer, dabord, que les dispositions contestées nont ni pour objet ni pour effet de remettre en cause les stipulations des accords précédemment conclus. Par elles-mêmes, elles ninterfèrent pas avec les stipulations contractuelles : elles ne reviennent pas à priver deffet une quelconque stipulation, ni même à en affecter le jeu.
En particulier, il faut souligner que le B de larticle 2 ne saurait avoir pour conséquence de faire prévaloir une clause conventionnelle relative au « contingent-autorisation administrative » sur une clause expresse relative au « contingent-repos compensateur », dans les hypothèses, dailleurs théoriques, où figurerait une clause de ce dernier type dans les accords collectifs.
Ainsi, contrairement à ce qui est allégué, on peut considérer que les dispositions critiquées nont pas pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle ou à la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, mais procèdent, au contraire, du souci du législateur de promouvoir la négociation collective. Cest à quoi semploie le B de larticle 2, dans le but déviter une renégociation de lensemble des accords de branche, en donnant davantage deffet aux stipulations des accords précédemment signés plutôt que de faire application dune règle uniforme déterminée par voie unilatérale. La méthode retenue par le législateur pour aménager la transition entre les deux régimes apparaît ainsi non seulement opportune et conforme à lintérêt général, mais encore plus respectueuse des principes invoqués par les requérants que ne laurait été lapplication dun contingent unique fixé par voie réglementaire dans lattente dune renégociation générale des accords.
b) Il est vrai que, ce faisant, le législateur a décidé de faire produire à une clause conventionnelle un effet qui nétait pas nécessairement celui quelle recherchait.
Mais, dune part, les conséquences de ce choix ne doivent pas être surestimées.
Il faut, en effet, relever que les partenaires sociaux navaient pas toujours fait, dans les accords précédemment signés, une claire différence entre le « contingent-autorisation administrative » et le « contingent-repos compensateur obligatoire ». Les accords ont souvent été ambigus, de telle sorte que lintention des partenaires sociaux ne transparaît pas toujours avec netteté. Dans nombre de cas, on ne peut déduire des accords signés que les partenaires sociaux entendaient ne faire produire deffets au contingent que pour la seule saisine de linspecteur du travail, à lexclusion de toute autre considération.
On peut noter, aussi, que le législateur a veillé au respect des droits des salariés puisque la référence aux clauses conventionnelles ne vaudra, en tout état de cause, que dans la limite du nouveau contingent réglementaire fixé à 180 heures. Très concrètement, cela signifie que dans les branches où un « contingent-autorisation administrative » avait été négocié à un bas niveau, celui-ci non seulement subsistera, mais verra ses effets étendus au repos compensateur, alors même que ce contingent serait bien inférieur au nouveau contingent réglementaire. A linverse, dans les branches ayant conclu un « contingent-autorisation administrative » à un haut niveau, lextension au repos compensateur ne vaudra, en tout état de cause, que dans la limite du contingent réglementaire de 180 heures.
Dautre part, le choix du législateur, revenant à faire jouer un effet supplémentaire à des clauses conventionnelles négociées antérieurement dans un autre contexte, peut se recommander de fortes considérations dintérêt général, susceptibles dêtre prises en compte par la jurisprudence constitutionnelle (par exemple, décision no 98-408 DC du 10 juin 1998 ; décision no 99-423 DC du 13 janvier 2000).
En lespèce, ces considérations tiennent au souci de préserver les acquis de la négociation collective tant que de nouveaux accords ne seront pas signés et déviter ainsi de faire table rase des accords collectifs précédemment conclus. Le parti retenu est celui qui contribue sans doute le mieux à la stabilité des situations juridiques au cours de la période de transition. Il est aussi justifié par des considérations liées à la clarté et lintelligibilité de la règle de droit : en prenant comme référence des contingents précédemment négociés, il est en harmonie avec le nouveau dispositif institué par la loi déférée, ce qui en facilitera la compréhension ; sa mise en uvre ne devrait, enfin, pas soulever de difficultés particulières, compte tenu de la simplicité de son maniement.
3. Les députés requérants se réfèrent, également, au « principe de faveur » énoncé, en particulier, à larticle L. 132-4 du code du travail.
Mais, aux yeux du Gouvernement, ce principe, tel quil résulte notamment des articles L. 132-13, L. 132-23 et L. 132-4 du code du travail, ne saurait se voir reconnaître valeur constitutionnelle. La place éminente quil occupe dans le droit des relations du travail tient à sa nature de principe fondamental du droit du travail au sens de larticle 34 de la Constitution. Il appartient donc au législateur den définir et, le cas échéant, den limiter la portée, comme il la fait à de nombreuses reprises au cours des dernières années, notamment en matière de durée du travail. Mais lon ne saurait confondre les principes qui fondent la compétence du législateur avec ceux qui limitent lexercice de cette compétence.
Cest en ce sens quest dores et déjà fixée la jurisprudence constitutionnelle. La valeur de principe fondamental du droit du travail au sens de larticle 34 de la Constitution a été reconnue à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel (décision no 67-46 L du 12 juillet 1967 ; décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989). Elle lest dailleurs aussi par le Conseil dEtat, tant par les avis de ses formations administratives (avis dassemblée générale du 22 mars 1973) que par ses décisions contentieuses (CE Ass 8 juillet 1994, Confédération générale du travail, Recueil p. 356). Mais il a été jugé que le principe en cause ne constituait pas un principe de valeur constitutionnelle, dès lors quil ne peut se rattacher à aucune disposition constitutionnelle et quil nest pas au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (décision no 97-388 DC du 20 mars 1997).
Au demeurant, et en tout état de cause, on ne peut que relever quen lespèce le grief tiré du « principe de faveur » manque en fait. Le dispositif vise, en effet, à faire prévaloir les accords passés comprenant un contingent inférieur au contingent réglementaire. Il ne peut que profiter au salarié. Cest en labsence dun tel dispositif que le régime applicable aurait été plus défavorable, dès lors que le nouveau contingent réglementaire aurait alors été appliqué dans lattente des résultats des négociations sur les nouveaux contingents.
II. - Sur larticle 16
A. - Larticle 16 de la loi déférée prévoit que les conventions ou accords collectifs de branche étendus ou accords dentreprise ou détablissement conclus en vertu des lois no 98-461 du 13 juin 1998 et no 2000-37 du 19 janvier 2000 sont réputés signés sur le fondement de la loi déférée.
A lencontre de cette disposition, les parlementaires requérants invoquent, comme précédemment, la liberté contractuelle résultant de larticle 4 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen, les termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et le « principe de faveur ».
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait accueillir cette argumentation.
1. Larticle 16 a pour objet déviter que ne soient remises en cause des stipulations daccords de branche ou dentreprise, conclus sous lempire des lois no 98-461 du 13 juin 1998 et no 2000-37 du 19 janvier 2000, qui ne disposaient pas de base légale à la date de leur signature mais auxquelles la loi déférée en confère une. Il sagit dun article classique, parfaitement analogue, par exemple, au I de larticle 28 de la loi du 19 janvier 2000.
La portée de larticle est dailleurs limitée. Il se borne à permettre à des clauses daccords qui nétaient pas conformes aux dispositions législatives précédentes, plus restrictives, de trouver une base légale dans la nouvelle loi, à la condition du moins que ces clauses soient conformes à la nouvelle loi. En revanche, il ne conduit nullement à valider des stipulations précédemment illégales qui ne trouveraient pas de base légale dans les nouvelles dispositions législatives. Il ne vaut, de plus, que pour lavenir et nemporte pas validation rétroactive des stipulations illégales qui ne seront réputées valides quà compter de la date dentrée en vigueur de la loi déférée.
Cet article a ainsi pour finalité déviter aux partenaires sociaux de devoir renégocier des stipulations identiques à celles qui avaient été précédemment conclues, mais qui étaient alors inapplicables en raison de leur contrariété avec la législation en vigueur à cette date.
2. Dans ces conditions, les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté contractuelle ou du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ne pourront quêtre écartés comme manquant en fait.
En effet, loin de conduire à remettre en cause la volonté des partenaires sociaux lorsquils ont signé laccord de branche ou dentreprise, larticle 16 vise, au contraire, à donner tout leur effet aux stipulations conventionnelles.
De fait, certaines stipulations des accords précédemment conclus demeuraient inapplicables en raison de leur contrariété avec les dispositions législatives en vigueur à la date de leur conclusion. Sagissant des accords de branche, ces stipulations avaient dailleurs fait lobjet, lors de larrêté dextension, soit dexclusions, soit de réserves dinterprétation destinées à en neutraliser les effets en ce quelles avaient de contraire à la loi. Dès lors que ces stipulations sont conformes aux dispositions de la nouvelle loi, larticle 16 leur donnera une base juridique justifiant leur application au niveau des accords dentreprise et la levée des exclusions et réserves au niveau des accords de branche.
A titre dexemples, on peut mentionner certaines stipulations relatives à la durée annuelle de 1 600 heures, à la définition des cadres pouvant relever dune convention de forfait jours, à la définition des itinérants non cadres, ou à la monétarisation du compte épargne-temps. Ainsi, les clauses des accords qui avaient fait référence à une durée annuelle constante de 1 600 heures, quelle que soit lannée, et non à lapplication exacte du calcul de 35 heures en moyenne comme lexigeait la législation antérieure, deviennent valides. Sagissant du compte épargne-temps, les clauses des accords collectifs dentreprise ou détablissement déjà conclus prévoyant une monétarisation du compte reçoivent, du fait de la loi déférée, une base légale dès lors quelles comportent lindication des modalités de valorisation en argent des éléments monétaires du compte et limitent la monétarisation des jours de congés payés à cinq jours par an.
Pour les cadres susceptibles de conclure des conventions de forfaits jours, la définition des cadres autonomes susceptibles dêtre concernés par le forfait jours, définis à larticle L. 212-15-3-III du code du travail, est élargie dans la mesure où les trois critères cumulatifs préexistants - durée du temps de travail non déterminée du fait de la nature des fonctions, responsabilités exercées, degré dautonomie pour lorganisation de lemploi du temps - sont remplacés par un seul critère relatif à lautonomie dans lorganisation de leur emploi du temps. Les accords qui auraient visé des catégories de salariés répondant au seul critère dautonomie trouvent ainsi une base légale par leffet des dispositions de larticle 16.
On doit souligner, enfin, que larticle 16 ne porte pas atteinte à léquilibre des accords, puisquil permet au contraire de remettre en vigueur des stipulations qui constituaient lun des éléments constitutifs de laccord. La question de léquilibre de laccord se posait, en réalité, lors de lextension, le ministre chargé du travail devant apprécier, lorsquil envisageait dexclure de lextension certaines stipulations en raison de leur contrariété avec la loi en vigueur, si une telle exclusion partielle ne portait pas atteinte à léquilibre densemble de laccord tel quil avait été négocié par les partenaires sociaux. En permettant de donner un effet de droit à ces stipulations, larticle 16 ne peut que conduire, contrairement à ce qui est soutenu, à restaurer léquilibre contractuel.
3. Largumentation des députés requérants fondée sur le « principe de faveur » ne pourra pas davantage être retenue.
Outre que le principe invoqué, ainsi quil a été dit précédemment, na pas valeur constitutionnelle, il sera fait observer que le grief, en tout état de cause, manque en fait. Larticle 16 ayant pour seul objet de donner un fondement légal pour lavenir à des stipulations qui sont conformes aux dispositions de la loi déférée, il na pas, par lui-même, pour effet décarter lapplication du principe fondamental du droit du travail selon lequel les conventions ou accords collectifs du travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur.
*
* *
En définitive, le Gouvernement considère quaucun des griefs invoqués par la saisine nest de nature à justifier la censure des dispositions critiquées de la loi déférée. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.