Ouverture des travaux du Conseil National du Numérique

Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Monsieur le Président du Conseil National du Numérique,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil National du Numérique,
Mesdames et Messieurs,

Bonjour à toutes et à tous, je vous remercie de m’avoir invitée à ouvrir cette journée contributive, qui est une nouvelle occasion de réfléchir collectivement sur l’avenir du travail et de l’emploi à l’heure où le numérique bouleverse et transforme nos quotidiens personnels et professionnels.

C’est une « Journée contributive » : c’est une belle expression, qui évoque le plaisir de la réflexion partagée, du débat, de l’échange d’idées et de propositions – même s’il nous sera difficile d’éprouver cette joie du débat, tant nous sommes toutes et tous marqués par les terribles attentats dont notre pays a été victime. Et permettez-moi d’ailleurs d’avoir une pensée émue pour Claude-Emmanuel Triomphe qui a été blessé lors de l’attentat de vendredi soir.

Mais cette journée contributive garde malgré tout, tout son sens. Elle est un moment de démocratie, de démocratie participative, dans ce lieu des forces vives de notre pays qu’est le Conseil économique, social et environnemental.

La barbarie, qui voudrait nous faire reculer dans le passé, ne doit pas nous empêcher de travailler à notre avenir. C’est aussi pour cette raison que j’ai souhaité être présente parmi vous aujourd’hui.

Le numérique est notre avenir, mais il est déjà aussi notre présent. Tous les secteurs d’activité sont désormais concernés par la transformation numérique : industrie, culture, presse, finance, assurances, santé, éducation, agriculture, commerce. Ces transformations interrogent en profondeur l’action publique. Il n’est pas un domaine de compétence de mon ministère qui ne soit impacté par le numérique :

- Le travail d’abord : le numérique bouleverse l’organisation du travail, il modifie les conditions d’exercice du management, il invite à repenser la mesure de la durée du travail ;

- L’emploi également : le numérique provoque la restructuration d’un nombre croissant d’activités, il permet la création d’emplois, il en transforme d’autres, il en détruit certains ;

- La formation professionnelle aussi : les besoins d’évolutions des compétences des salariés induits par le numérique sont considérables, nous en parlions ici-même il y a un mois lors de la Conférence sociale ;

- Enfin le dialogue social : le rôle des partenaires sociaux est modifié par le numérique, celui-ci ouvre de nouvelles formes de mobilisation collective, favorise l’expression directe des salariés et invite les acteurs sociaux à faire évoluer leurs pratiques.

C’est bien conscient de tous ces enjeux que mon prédécesseur François Rebsamen avait saisi le Conseil national du numérique, afin qu’il anime une réflexion collective. Et je suis venue aujourd’hui pour saluer ce travail et montrer toute l’importance que le gouvernement attache à cette contribution – qui devrait m’être remise au tout début de l’année 2016.
Je ne suis pas venue vous délivrer une vérité, puisque nous allons la construire ensemble. Mais je souhaite vous faire part dès maintenant de trois convictions.


1. Nous sommes à un moment de choix collectifs décisifs

Le rapport que vous me remettrez au mois de janvier prochain, qui sera la traduction de vos réflexions et travaux interviendra au bon moment, celui où la décision publique se fait. Deux projets de loi aborderont ces sujets dans les prochains mois, le projet de loi sur les nouvelles opportunités économiques et le projet de loi sur le travail.

De nombreuses contributions alimentent ou vont alimenter le débat public, comme le rapport de Bruno Mettling sur la transformation numérique et la vie au travail, ou celui à venir de Pascal Terrasse sur l’économie collaborative. Tout ceci n’est pas à un hasard : nous sommes à un moment de cristallisation, où notre pays doit faire des choix qui détermineront l’avenir des conditions de travail et de l’emploi.

Pour faire ces choix, deux écueils sont à éviter. Le premier est celui du déni. Le déni, pour les entreprises privées comme pour les pouvoirs publics, serait de minorer l’importance des transformations à l’œuvre, de croire qu’elles ne concernent que quelques secteurs d’activité et que l’on va pouvoir continuer à faire comme avant.

Le déni, ce serait de penser que les choses vont se stabiliser dans leur état présent. Souvenez-vous, il y a tout juste trois ans, on commençait tout juste à parler de « big data », Uber et Airbnb venaient à peine de s’implanter en France, et l’expression « d’économie collaborative » n’était pas encore apparue.

Aujourd’hui, ces réalités nous paraissent des évidences. Dans trois ans, en 2018, quelles réalités seront devenues des évidences, alors que nous les voyons seulement poindre aujourd’hui ?

Le déni, ce serait aussi d’être aveugle aux opportunités crées par la transformation numérique. Le numérique crée déjà des emplois, dans l’informatique, le design, la logistique, le transport, les services à la personne, la restauration. Il peut en créer bien plus si nous accompagnons le développement de ces activités nouvelles et l’entreprenariat. Notre pays a aussi besoin de travailleurs indépendants.

Le second écueil, c’est celui du laissez-faire : laisser faire le jeu spontané des forces du marché et de la technologie, soit parce qu’on croit par idéologie qu’il aboutit toujours au meilleur résultat, soit parce qu’on pense par résignation qu’aucun autre résultat n’est possible. Je ne crois pas au déterminisme technologique. La transformation numérique est inéluctable, mais le modèle de société auquel elle conduit n’est pas arrêté.

Certains travaux, en particulier d’économistes, nous expliquent que le numérique conduit nécessairement à une plus grande « polarisation » des emplois, qu’il y aura de plus en plus d’emplois très qualifiés et d’emplois peu qualifiés, mais de moins en moins d’emplois de la classe moyenne. Est-ce cela la société que nous voulons ? Nous devons nous poser les bonnes questions et penser l’avenir.

Grâce aux outils numériques, des emplois aujourd’hui peu qualifiés pourraient voir leur contenu enrichi et devenir des emplois de la classe moyenne. Des emplois sont transformés par l’essor de échanges numériques et des objets connectés : les activités traditionnelles s’accompagnent de plus en plus d’une fonction de service et de conseil. L’enjeu de tout cela, c’est la formation. Nous devons mieux anticiper et mieux accompagner les parcours professionnels.

Notre action montre qu’il n’y a pas de fatalité. Nous faisons des choix qui combinent le développement de l’économie numérique et la promotion de l’égalité, qui est au cœur de nos valeurs républicaines..

Le projet de loi pour une République numérique, porté par Axelle Lemaire, prévoit le maintien du droit à la connexion pour les personnes les plus précaires. Dans la formation initiale comme dans la formation continue, nous développons l’accès de tous à la littératie numérique, devenue une compétence clé de notre temps.

Sur le travail et l’emploi aussi, nous devons faire les bons choix collectifs, ceux qui vont faire du numérique un outil d’épanouissement et d’autonomie pour les personnes, ceux qui vont l’utiliser pour créer de nouvelles formes de solidarité plutôt que de la distendre. Enfin, ceux qui permettront de mieux sécuriser les salariés, de leur ouvrir de nouveaux droits et de mieux accompagner leurs parcours professionnels.

2. Il ne faut pas opposer protection et esprit d’entreprise

Le numérique crée des opportunités nouvelles, il permet d’inventer et d’innover tout en faisant émerger de nouvelles formes d’activité, de nouvelles organisations du travail avec des services innovants – qui répondent à une demande de plus en plus importante. Mais ces nouvelles formes d’activité soulèvent des questions inédites.

Je voudrais à ce titre vous parler de l’économie collaborative. Les plateformes numériques permettent le développement de nouvelles formes d’activité : celles-ci sont exercées sous le statut de travailleur indépendant, souvent d’auto-entrepreneur, mais dans un cadre fortement défini par la plateforme, qui fixe souvent le contenu de la prestation et son prix.

Cette nouvelle réalité met à l’épreuve nos concepts traditionnels. La situation de ces travailleurs n’est pas assimilable à celle du salariat. Mais nous devons être attentifs à la dépendance économique qui s’impose à eux – et à laquelle nous devons apporter des réponses concrètes et des garanties.

Face à cette nouvelle réalité, nous devons cesser d’opposer esprit d’entreprise et protection des travailleurs. Oui, nous devons soutenir ces nouvelles formes d’activité, qui donnent accès à l’emploi à des personnes qui en étaient exclues, qui répondent à de réelles aspirations à l’autonomie ; nombre des personnes concernées ne souhaitent pas évoluer vers le salariat. Mais nous devons les soutenir en leur apportant les protections nécessaires.

Parce que l’écart de protection entre le salariat et l’entrepreneuriat est aujourd’hui trop important, nombre de personnes sont aujourd’hui dissuadées de lancer leur activité. Il en va aussi de l’équité de la concurrence entre les entreprises employant des salariés et les plateformes.

Pour y parvenir, je crois essentiel de sortir des caricatures. Il n’y a pas d’un côté les entrepreneurs, qui vivraient de leur courage et de leur créativité, et de l’autre les salariés inertes et protégés. Combien de personnes ont pu se lancer dans la création d’entreprise grâce au soutien apporté par l’assurance-chômage, en s’étant préalablement constitués des droits en tant que salariés ? Ce sont ces parcours professionnels qu’il nous faut accompagner.

Dès lors, quelles nouvelles protections apporter aux entrepreneurs, en particulier à ceux relevant de l’économie collaborative ? Je ne prétendrai pas ici apporter des réponses, mais je veux lancer quelques pistes.

Il est d’abord important que la création d’entreprises n’occasionne aucune perte de droits. Aujourd’hui, lorsqu’un salarié crée son entreprise, il ne peut pas utiliser les droits à formation acquis comme salarié, par exemple pour apprendre la comptabilité ou la gestion.

Un indépendant n’est pas couvert contre la perte d’activité, ni dans la plupart des cas contre les accidents du travail. Est-il juste qu’un livreur salarié soit couvert en cas d’accident, tandis qu’un livreur indépendant, travaillant pour une plateforme, soit laissé démuni face à la perte de sa capacité de travail ? Enfin, le manque de sécurité associé à l’entrepreneuriat fait qu’aujourd’hui, il est souvent difficile d’accéder au logement locatif ou au crédit.

La création du compte personnel d’activité, qui couvrira à terme l’ensemble des actifs, doit être l’occasion d’apporter des réponses à ces questions. Bien sûr, toutes les réponses ne viendront pas nécessairement de la puissance publique ou de la sécurité sociale et je suis attentive aux nouvelles formes de solidarité qui se développent entre des groupes de travailleurs indépendants, par exemple les coopératives d’activité et d’emploi.

Enfin, une partie de la réponse doit venir des plateformes elles-mêmes. Celles-ci, j’en suis convaincue, ont une responsabilité sociale à l’égard des personnes qu’elles font travailler. Et je sais que nombre de plateformes partagent cette conviction.

3. L’Etat social doit se transformer pour conserver sa pertinence

L’Etat doit permettre de se saisir des opportunités nouvelles que permet le développement du numérique : vous le savez bien, c’est l’ensemble de l’économie qui est devenue « une économie numérique », c’est l’ensemble de l’économie qui sera traversé et transformé par le numérique. L’Etat doit accompagner cette transformation, cette révolution.

De nombreux emplois seront à pourvoir dans les cinq prochaines années. Nous devons mieux anticiper et surtout mieux former. Les entreprises du numérique sont nombreuses à venir me voir pour me faire part de leurs besoins de recrutement immédiatement et dans les années à venir.

Les métiers du numérique sont des métiers d’avenir. Le numérique modifie et va continuer à transformer fortement notre modèle productif, faire émerger de nouveaux marchés. Ce sont des opportunités pour l’innovation et la création d’emploi que nous ne pouvons pas laisser passer.

L’enjeu de la formation aux métiers du numérique est donc essentiel. Il doit être massif. C’est pourquoi, lorsque j’étais secrétaire d’Etat en charge de la politique de la ville, j’ai souhaité porter le projet de création d’une Grande Ecole du numérique en lien avec Axelle Lemaire. Ce projet a été lancé par le Président de la République le 17 septembre dernier à l’occasion d’un hackathon organisé à l’Elysée.

Un premier appel à labellisation des formations a été organisé et a connu un très fort succès bien au-delà de nos espérances. 160 structures ont répondu représentant 230 formations sur l’ensemble du territoire national. L’instruction des projets est en cours et nous annoncerons les résultats avant la fin du mois de novembre, une fois que le Comité de labellisation aura statué.

10 000 jeunes devraient être formés d’ici 2017. Cette dynamique doit permettre de donner des perspectives d’emploi aux publics les plus fragiles et prioritaires : c’est une école qui n’oubliera aucun jeune d’aucun territoire. Nous savons aujourd’hui plus que jamais à quel point cet objectif est essentiel.

Mais au-delà, le service public – et je pense notamment au service public de l’emploi – doit se transformer et repenser ses modes d’intervention à partir de l’outil numérique qui constitue une véritable opportunité. Le numérique est un outil efficace dans la bataille de l’emploi. Et vous le savez, l’emploi, est ma priorité et celle de mes collègues du gouvernement.

Le numérique permet d’inventer de nouveaux outils pour trouver un emploi, se former et comprendre les réalités des métiers. C’est d’abord un fait : les demandeurs d’emploi accèdent aujourd’hui à davantage à des informations et services en ligne. Mais le numérique est bien plus qu’une dématérialisation des usages. Je crois qu’il est d’abord une manière de recouvrer de l’autonomie, d’accéder soi-même à un certain nombre de services qui étaient jusqu’alors à la main de professionnels.

Il y a plus encore : le numérique permet à de nouveaux acteurs de venir renforcer les acteurs de l’emploi en apportant leurs compétences et leurs technologies. Aujourd’hui, c’est tout un écosystème vif et stimulant qui fait émerger de nouvelles manières de s’orienter, se former, trouver un emploi.

Pôle Emploi se modernise chaque jour pour apporter des solutions concrètes et adaptées aux problématiques que rencontrent les entreprises, notamment les TPE et les PME, ainsi que les demandeurs d’emploi, mais aussi les conseillers de Pôle Emploi

C’est tout l’état d’esprit du Lab de Pôle emploi avec l’Emploi store par exemple : innover, inventer des réponses nouvelles et concrètes, en associant tous ceux qui détiennent une partie de la solution. Et c’est d’ailleurs pour capter ce bouillonnement que nous avons fondé l’Emploi store. Le principe est simple : il s’agit d’en faire l’Apple store de l’emploi pour mieux faire se rencontrer les employeurs et les demandeurs d’emploi.

Conclusion

Le numérique pose de nombreuses questions qui sont autant d’enjeux pour nous : celle du temps de travail, des conditions de travail, de la mesure de la charge de travail. Ces questions ne sont en elles-mêmes ni positives, ni négatives, elles sont inéluctables.

Mais je suis convaincue que la révolution numérique est porteuse de formidables opportunités pour améliorer la qualité de vie au travail. Et je vous l’ai dit, la loi que je présenterai en début d’année prochaine sera l’occasion de faire émerger de nouveaux nos droits.

Je vous l’ai dit, j’attends beaucoup de vos travaux et des conclusions que vous me présenterez au mois de janvier. Ils nourriront je n’en doute pas le contenu du projet de loi que je défendrai auprès des parlementaires. Je vous remercie pour votre attention. Et je vous propose de vous retrouver autour des différents ateliers.