Discussion générale du projet de loi croissance, activité et égalité des chances économiques

Discours de François REBSAMEN

Seul le prononcé fait foi

Monsieur / Madame le/la Président(e),
Madame/Mesdames et Monsieur/messieurs les Ministres,
Messieurs les Rapporteurs, Présidents de commission,
Mesdames et messieurs les Députés,

Je tiens d’abord à remercier le travail accompli par les rapporteurs, la Commission spéciale et le Ministre de l’économie Emmanuel Macron

Le titre III du projet de loi soumis à l’Assemblée est intitulé, comme vous le savez, « Travailler ».
C’est un titre cohérent car comme l’activité (c’est le titre I) et comme l’investissement (c’est le titre II), les réformes en matière de marché du travail sont un facteur de relance de la croissance, et donc de création d’emplois, objectifs majeurs du Gouvernement.
Cette cohérence se retrouve à l’intérieur de ce titre III : si l’on veut que le travail contribue mieux au fonctionnement de notre économie, il faut plus d’équité et d’efficacité sur le marché du travail et dans les relations de travail, et vous pouvez le constater, pour chacun des sujets de la partie « Travail », efficacité et équité sont constamment liées.

Tout d’abord, en matière d’exception au repos dominical dans les commerces de détail.
Il nous faut aboutir à un dispositif plus sûr juridiquement et plus simple, pour plus d’efficacité.
Mais il faut aussi un système qui soit plus équitable.
D’où la volonté du Gouvernement d’étendre les compensations salariales partout où, dans le commerce de détail, les salariés travaillent le dimanche.
La précédente majorité avait introduit des dérogations au principe du repos dominical en ne prévoyant pas de telles compensations pour les zones touristiques, notamment. Nous avons pris le parti inverse : là où des exceptions sont faites, il doit y avoir des compensations pour les salariés.
Deuxième exemple : le détachement. Les fraudes au détachement conduisent à un dumping social qui remet en cause notre modèle social. Cela n’est pas acceptable, parce que des salariés sont traités de façon indigne, contraire à ce que des siècles de luttes et de progrès sociaux ont construit dans notre pays : le droit à un salaire minimum, à un hébergement digne, à un temps de repos minimal, etc.
L’iniquité se retrouve également de façon criante entre les entreprises qui « jouent le jeu » et celles qui recourent à des salariés détachés dans des conditions illégales, misant sur une course au moins-disant qui est délétère pour tout le monde.

Pour lutter contre ce phénomène, j’ai souhaité que le projet de loi comporte trois mesures phares :
- une hausse très forte des amendes en cas de fraude au détachement : celles-ci décuplent, puisque leur plafond est désormais fixé à 150 000 euros au maximum ;
- l’instauration d’une procédure de cessation immédiate d’activité à la main de l’administration lorsqu’une entreprise commet des infractions graves : cela permettra de réagir vite et donc de porter un coup d’arrêt réel à la fraude ;
- la généralisation de la carte d’identification professionnelle du BTP, non seulement pour les salariés affiliés à une caisse de congés payés du BTP, mais également pour les intérimaires et les salariés détachés par une entreprise établie hors de France présents sur les chantiers. Cette mesure très forte et emblématique permettra de faciliter grandement les contrôles de l’inspection du travail.

Plus d’efficacité, c’est aussi doter notre droit du travail, au-delà de la seule question du détachement, de sanctions qui soient crédibles, proportionnées, et dès lors effectives et efficaces : C’est l’objet de la réforme de l’inspection du travail et de celle du délit d’entrave, prévues par ordonnance.

Il nous faut donner aux inspecteurs du travail le pouvoir d’intervenir efficacement, en temps utiles, avec des moyens appropriés. La réforme de l’organisation de l’inspection du travail menée l’an dernier par décret assurera un fonctionnement plus collectif et des priorités de contrôle mieux définies –notamment en matière de travail illégal. Il nous faut désormais compléter cette réforme par un volet annoncé dès l’origine, le renforcement des pouvoirs de l’inspection, notamment à travers l’instauration d’une sanction administrative plus rapide et efficace que la voie pénale actuellement existante.

La même nécessité de se doter de sanctions effectives se retrouve en matière de délit d’entrave.
Aujourd’hui, la peine de prison pour entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel n’a plus de sens : elle est disproportionnée par rapport à certains faits (délais de transmission de documents par exemple) et elle n’est quasiment jamais appliquée par les juges.
Elle a donc pour principal effet de dissuader les investisseurs étrangers de venir en France, sans remplir sa finalité première.

C’est pourquoi il sera proposé de supprimer cette peine de prison et, à la place, d’instaurer une amende qui soit applicable et réellement dissuasive, sans pour autant freiner l’investissement étranger. Car c’est aussi une des clés de l’attractivité de la France qui se joue là.
Plus d’équité et d’efficacité, cela passe aussi par une justice prud’homale qui fonctionne. Le constat est aujourd’hui largement partagé : la justice prud’homale souffre de dysfonctionnements importants : la conciliation est réduite à la portion congrue (elle ne représente plus que 7% des affaires terminées), et les délais de jugement sont beaucoup trop longs.
Un premier pas a été franchi avec la réforme du mode de désignation des conseillers prud’homaux pour mieux asseoir leur légitimité.

La réforme qui vous est proposée aujourd’hui va plus loin, elle revoit en profondeur la procédure devant les prud’hommes –

Pour ma part, je souhaiterais revenir sur deux innovations importantes de ce projet de loi : la mise en place d’une formation initiale obligatoire des conseillers de prud’hommes et la création d’un véritable statut du défenseur syndical.

Concernant la formation, en premier lieu : aujourd’hui, chaque organisation syndicale, du côté des salariés comme des employeurs, assure une formation à ses conseillers. Cette formation est bien évidemment légitime.
Mais elle n’est pas exclusive d’une formation initiale commune obligatoire qui concernerait tous les conseillers prud’homaux, qu’ils soient issus des rangs des salariés ou de ceux des employeurs et quelle que soit leur organisation.
Notre souhait est de créer un tronc commun, véritable creuset pour une justice prud’homale plus cohérente et plus homogène.
Je suis convaincu que le respect des différences et de l’identité de chacun n’empêchent pas une culture commune, notamment autour de questions procédurales et contentieuses. Il en va de l’intérêt de tout le monde, de celui de l’employeur comme de celui du salarié.

Deuxième avancée : le statut du défenseur syndical.
C’est une proposition qui a reçu un accueil très favorable des organisations syndicales. Aujourd’hui, le statut du défenseur syndical n’est pas satisfaisant : il n’existe aucune règle sur les conditions de recrutement, de formation, de travail des délégués syndicaux.
Le code du travail prévoit seulement qu’ils peuvent bénéficier de 10 heures par mois d’autorisation d’absence, non rémunérées.

Le projet de loi qui vous est soumis prévoit au contraire ces règles, créant un véritable statut du défenseur syndical, qui assurera une défense de plus grande qualité aux salariés.
Efficacité et équité sont ici intrinsèquement liés : ayons en effet à l’esprit que 99% des demandes introduites devant les prud’hommes sont le fait de salariés : licenciement contesté, relations de travail dégradées, CDD à répétition, etc. Les salariés ont besoin de prud’hommes qui fonctionnent mieux. Une justice prud’homale plus efficace, c’est donc aussi plus d’équité.

Je tiens pour conclure sur ce sujet à réitérer mon attachement au caractère paritaire de la juridiction, et ma confiance en elle. A ceux qui y voient une institution incapable d’évoluer je voudrais rappeler qu’elle a accordé le droit de vote aux femmes en 1907 et d’éligibilité en 1908, soit 40 ans avant que ces droits ne leur soient reconnus au niveau politique ! Il s’agit donc d’une juridiction qui est capable d’innover…

Ce même souci d’efficacité et d’équité conduit le projet de loi à sécuriser certaines dispositions introduites par la loi relative à la sécurisation de l’emploi en matière de licenciements économiques.
Aujourd’hui, la voie négociée pour les plans de sauvegarde de l’emploi, voulue par les signataires de l’ANI du 11 janvier 2013, est un véritable succès : les PSE se terminent désormais, hors procédures collectives, à plus de 60 %, par des accords collectifs majoritaires.

Mais des imprécisions du texte conduisent à fragiliser les homologations faites par l’administration, par exemple lorsque, alors que les PSEs sont de qualité, la décision de l’administration est considérée comme insuffisamment motivée par le juge.

Les salariés –comme l’employeur- se retrouvent alors dans une insécurité juridique totale en raison d’une décision qui est totalement sans lien avec la qualité du PSE.
Le projet de loi sécurise ce point comme d’autres, en particulier en matière de reclassement à l’international ou de périmètre d’application de l’ordre des licenciements, afin d’éviter des situations dommageables à tous.
Je tiens à ce sujet à saluer les modifications adoptées en commission, qui ont tout mon soutien et qui permettent d’apporter ces précisions tout en maintenant un haut niveau de garantie pour les salariés.

Je voudrais conclure par quelques mots sur le dialogue social.

La période est, vous le savez, particulière à cet égard, puisque la négociation relative à la modernisation du dialogue social s’est soldée par un échec jeudi dernier.

Mais je tiens à vous faire partager ma profonde conviction : non le dialogue social n’est pas mort, oui il reste la méthode du gouvernement, oui nous continuerons d’avancer sur la modernisation du dialogue social au sein de l’entreprise comme sur les autres sujets.
Je reçois dès cette semaine les partenaires sociaux pour réfléchir à la suite.

Et le projet de loi qui vous est soumis ici, apporte une innovation majeure dans le code du travail, en matière de travail le dimanche : il prévoit un dispositif où, sans accord collectif (de branche, territorial, d’entreprise), les commerces de détail ne pourront pas ouvrir le dimanche.
Ce rôle central dévolu aux partenaires sociaux marque la confiance du gouvernement dans ce dialogue social, que les événements de la semaine passée n’ont en aucun cas remise en cause.

Je vous remercie.