Discussion du projet de loi Prud’hommes, Assemblée Nationale

Discours de François REBSAMEN

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la commission des affaires sociales,
Madame la Rapporteure,

Les prud’hommes sont une institution singulière. Ils incarnent à la fois :
- la spécificité du monde du travail dans la gestion de ses conflits,
- la singularité du paritarisme dans l’organisation de la vie professionnelle,
- Mais aussi une forme d’avant-garde : les femmes en sont devenues électrices en 1907 et ont été éligibles en 1908, soit 40 ans avant que ces droits ne leur soient reconnus au niveau politique !

A l’égard des Prud’hommes, je ne crains pas de parler d’exception culturelle française, et comme elle, je veux les défendre.

C’est mon engagement. C’est aussi celui de la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, avec qui nous avons initié une réforme importante des conseils de prud’hommes qui figurera dans la loi croissance, que le Conseil des ministres examinera le 10 décembre prochain. Je vous en dirai un mot mais ce n’est pas l’objet du texte que nous discutons à présent.

Le texte dont nous discutons définit le nouveau mode de désignation des conseillers prud’homaux, en passant de l’élection directe à une désignation fondée sur la mesure de l’audience.

Deux raisons principales commandent ce choix.

- Un constat : 75% des inscrits n’ont pas participé à l’élection des conseils de prud’hommes en 2008 ! Ce taux grossit d’élection en élection : il y avait 63% de participation en 1979, 40% en 1992, 25% en 2008. Cette abstention grandissante érode la légitimité même des juges et de l’institution.
- Une évolution : notre démocratie sociale a été profondément réformée ces dernières années. Nous l’avons progressivement dotée des outils pour mesurer finement la représentativité syndicale et patronale. Du côté syndical, c’est la loi de 2008 qui a permis cette évolution. Puis la loi du 5 mars dernier que vous avez adoptée a posé les règles de la mesure de la représentativité patronale. Nous pouvons en être fiers. Aujourd’hui, il faut inscrire les élections prud’homales dans ce cadre nouveau et prometteur. Le changement de mode de désignation des conseils de prud’hommes est la suite logique et cohérente des réformes de la représentativité.

Le texte qui vous est soumis fonde donc un cadre clair, préalable à tout débat plus large. Il proroge également les mandats des conseillers prud’hommes en place jusqu’en 2017, car il ne serait pas pertinent de renouveler ces mandats avant que ne se mette en place le nouveau mode de désignation.

Je voudrais à présent répondre à un certain nombre d’objections.

J’entends dire que la suppression de l’élection, c’est la suppression de la démocratie.
Mais comment peut-on parler de suppression d’élection quand on assoit la désignation sur le vote exprimé de 5,4 millions de salariés, dans le cadre de la mesure de l’audience ?

Il y a bien élection, il y en a même plusieurs dans différents collèges couvrant davantage de salariés et d’actifs : élections professionnelles, élections pour les salariés des TPE, élections aux chambres d’agriculture. Le socle de la justice prud’homale reste donc fondamentalement électif,. Et ce socle est élargi.

La justice prud’homale, pour être l’émanation exacte et actualisée du monde du travail, se doit d’être le reflet de la mesure de l’audience.

Concrètement, la répartition des sièges se fera sur la base de la mesure d’audience et le renouvellement des conseillers sera opéré tous les quatre ans dans la foulée de la mesure de l’audience

Je veux répondre à une autre objection : la constitutionnalité de la réforme.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus, mais qui, aujourd’hui, ne le sont plus, le Conseil Constitutionnel a répondu que la conformité à la Constitution était respectée. La sécurité juridique de la réforme, y compris la prorogation des mandats, est donc assurée.

Reste la question du recours aux ordonnances.
Je sais que le Parlement ne les aime guère. Il a raison.
Ce recours se justifie ici, je le crois, pour deux raisons. La première tient à la complexité technique du dispositif à mettre en place. Nous instaurons ici le principe et le cadre, ce qui est primordial.

La deuxième et la principale tient au fait qu’il faut construire la réforme en lien étroit avec les partenaires sociaux. Cette concertation sera rendue plus aisée dans le cadre d’une ordonnance.
Dès publication de la loi qui vous est soumise, si elle est votée, nous mènerons une large consultation avec toutes les parties prenantes afin d’établir le régime définitif fondé sur l’audience des organisations des salariés comme des employeurs et le mettre en œuvre pour le renouvellement de 2017.

Il est un argument de plus : le coût de l’élection
La démocratie coûte cher, forcément.
Les élections prud’homales, c’est 100 millions d’euros + le coût pour chaque organisation syndicale.
Il ne s’agit pas ici de faire des économies mais d’utiliser plus efficacement l’argent.
Ces sommes ne seront-elles pas mieux employées pour financer la démocratie sociale ou la formation des conseillers prud’hommes par exemple, maintenant que l’on a une vraie mesure de la représentativité de chacun ?
Le dialogue social et le paritarisme méritent le soutien financier de l’État, mais il faut aussi exiger l’efficacité de la dépense engagée ; et dans la transparence la plus totale. Les nouvelles modalités de financement des organisations patronales et syndicales ont d’ailleurs récemment été définies (par la loi du 5 mars dernier).

Dans la foulée de ce texte, une réforme de plus grande ampleur sera engagée.
C’est celle que j’évoquais au début de mon propos. Nous avons, avec la garde des Sceaux, initié une réforme en profondeur des prud’hommes, dont nous sommes allés discuter sur le terrain, à Orléans, il y a deux semaines.
De fait, personne ne peut se satisfaire
- que la part de conciliation ne représente plus que 5,5% des affaires terminées.
- que la durée moyenne de traitement des affaires au fond soit de 16 mois.
- que les condamnations de l’Etat pour lenteur de la justice soient de plus en plus nombreuses : 51 en 2013 en matière de délai des conseils de prud’hommes.
99% des demandes introduites devant les prud’hommes sont le fait de salariés : licenciement contesté, relations de travail dégradées, CDD à répétition.. Ils ont besoin de prud’hommes qui fonctionnent mieux.

Que contiendra cette réforme ?
- Elle réaffirmera le caractère paritaire de la juridiction prud’homale, qui en est sa raison d’être : une justice du monde du travail par le monde du travail.
- Elle s’appuiera sur certaines propositions faites par M. Lacabarats, après les concertations avec les organisations syndicales et patronales, que nous avons menées.
- Elle changera la procédure afin de réduire drastiquement les délais. Elle renforcera la déontologie et la discipline des conseillers.
- Elle portera une avancée en matière de formation des conseillers de prud’hommes. Aujourd’hui, chaque organisation forme, transmet une culture et une expertise de l’interprétation de la jurisprudence et du code du travail. C’est important, et c’est bien évidemment légitime. Mais des voies de progrès existent pour parvenir à une justice plus homogène et à des jugements plus sûrs juridiquement. Cela implique un tronc commun de formation initiale obligatoire pour tous les conseillers. Cette formation sera un véritable creuset pour une justice prud’homale plus cohérente. Je suis convaincu que le respect des différences et de l’identité de chacun n’empêche pas une culture commune, notamment autour de questions procédurales et contentieuses.
- La réforme portera aussi le statut du défenseur syndical. C’est une proposition qui a reçu un accueil très favorable des organisations syndicales. Aujourd’hui, il n’existe aucune règle sur les conditions de recrutement, de formation, de travail des défenseurs syndicaux. Le statut précisera leur formation obligatoire, la rémunération de leurs heures de délégation, les obligations de confidentialité et de non-cumul de certaines fonctions.

Nous aurons le débat sur chaque point, mais il me semblait important d’éclairer la représentation nationale dès à présent – même si, une nouvelle fois, ce n’est pas l’objet de ce texte.

Une justice prud’homale revivifiée est de l’intérêt de tous : des employeurs qui ont intérêt à une plus grande sécurité juridique des décisions rendues ; des salariés qui ont intérêt à des délais plus courts ; de notre société dans son ensemble, enfin, car une juridiction prud’homale qui fonctionne, c’est une garantie de relations sociales plus sereines. La réforme que je présente devant vous aujourd’hui est, en un sens, la première pierre de ce travail d’ampleur que nous avons entrepris avec la garde des sceaux.

Je vous remercie.