Discours de Myriam El Khomri - Vœux à la presse

Seul le prononcé fait foi

Jeudi 26 janvier 2017

Madame la présidente de l’AJIS, chère Florence Mehrez,
Mesdames et Messieurs,
Merci d’abord de votre discours et des mots que vous avez prononcés. Je vous prie en retour, à vous tous qui avez répondu présents aujourd’hui, de recevoir mes vœux de succès et de bonheur, pour l’année qui débute.

Celle qui s’éloigne aura été marquée par quelques événements inattendus, notamment en politique internationale. Je pense évidemment aux choix souverains de deux de nos alliés historiques : celui du peuple britannique de sortir de l’Europe et celui du peuple américain de porter M. Trump à la présidence des États-Unis. Deux événements à méditer alors que notre pays s’approche lui aussi d’échéances majeures, car, personne ne doit l’ignorer, toutes les démocraties se font écho.

En 2016, la France a malheureusement renoué avec le fil tragique de son histoire : la folie terroriste a encore frappé, à plusieurs reprises, toujours nourrie de la même haine et du même aveuglement. Nous garderons tous notamment le souvenir de cette nuit niçoise où un homme seul, par un acte effroyablement inhumain, a massacré sauvagement des dizaines d’hommes, de femmes, d’enfants.
A ces agissements inhumains, à chaque fois, notre peuple a tout simplement opposé son humanité, la solidité de sa cohésion, la force de ses valeurs, son sens de l’histoire.

La parenthèse de 2016 se referme et l’année 2017 verra ma tâche de ministre du travail prendre fin. Parce que je ne l’avais pas rêvé depuis l’enfance, parce que je n’y avais jamais pensé le matin en me rasant, cette charge de ministre fût pour moi un honneur. Ce ne fut certes pas une sinécure, mais ce fut bien un honneur, immense et quotidien – je dis bien « quotidien ».

Des 20 mois que j’aurai passés dans ce Ministère, je ne dresserai pas devant vous le bilan détaillé, rassurez-vous. Mais comme je l’ai fait la semaine dernière, en présence des acteurs économiques et sociaux, je voudrais partager avec vous quelques enseignements tirés de cette expérience.
Dans cette maison, j’ai appris beaucoup, et pas seulement le nombre de CDD renouvelables.

A l’origine de mon engagement politique, il y a l’action locale, celle que l’on mène sur le terrain, au plus près des gens et de leurs difficultés. Je n’ai jamais vécu dans une bulle, selon le reproche parfois fondé, parfois facile, que l’on fait aux femmes et aux hommes politiques.

Je connais les quartiers populaires, je connais mieux que beaucoup les déterminismes et les injustices qui frappent certains territoires et certains de nos concitoyens, notamment dans ces quartiers où le taux de chômage dépasse parfois le taux d’emploi.
Mettre les mains dans le cambouis, c’est ce que j’aime faire depuis toujours et c’est explicitement ce que m’a demandé le Président de la République en me nommant ici.

Modestement et sincèrement, je m’y suis employée, en combattant le statu quo, qui fige les injustices et alimente la souffrance sociale.

Chaque déplacement que j’ai fait – plus de 200 au total entre le Secrétariat d’Etat à la Ville et le ministère du travail – a renforcé mon goût d’apporter des solutions concrètes aux problèmes concrets des gens. Car moi aussi, comme l’a dit un Président de la République célèbre et en activité, « j’aime les gens ».

C’est ce refus du statu quo qui nous a conduits, avec le président de la République justement, à engager un plan inédit dans l’histoire de notre pays en faveur de la formation.

Le plan 500 000 formations, piloté d’une main de maître par Clotilde Valter – je lui témoigne devant vous de façon appuyée mon estime et ma reconnaissance -, est d’abord une révolution quantitative : doubler l’effort de formation pour en porter le nombre à un million, c’était tout simplement du jamais vu.

Mais ce plan constitue aussi une révolution qualitative, par le travail de fourmi, accompli bassin d’emploi par bassin d’emploi, pour identifier tout à la fois les besoins de compétences des entreprises et les besoins de formation de nos concitoyens, notamment les plus fragiles. Disant cela, je pense notamment aux 2 millions de nos concitoyens qui sont au chômage et dont le niveau de qualification est inférieur ou égal au bac. Je l’ai souvent répété et le redis devant vous : former plus et former mieux est une exigence économique, une exigence sociale, une exigence morale.

Peut-être serai-je naïve, mais je veux croire que les nombreux postulants aux plus hautes responsabilités de la République, je veux croire que ceux-là surmonteront les calculs politiciens et consolideront cet engagement en faveur de la formation.

Je veux croire aussi que notre ambition en faveur de l’apprentissage sera prolongée. Car l’apprentissage n’est pas qu’un moyen de lutte contre le décrochage scolaire et le chômage : il s’agit d’une voie d’excellence et de réalisation de soi pour les jeunes, tous les jeunes.

Venons-en à la question du chômage. Certains affirment que le chômage a commencé à baisser trop tard et trop lentement. Ceux-là sont fondés à le faire. Qui pourrait en effet se satisfaire de la situation ?

Mais le chômage recule enfin. Qui peut le nier ? 2016 aura été la première année de baisse depuis 2007. Et – les journalistes économiques et sociaux que vous êtes le savent bien - cette baisse n’a rien d’artificiel, comme tentent de l’insinuer certains. La reprise de la création d’emplois marchands est là et connaît un rythme inédit depuis 2001. Un petit rappel chiffré même : au printemps 2012, notre pays enregistrait 25.000 chômeurs de plus chaque mois en moyenne ; en 2016, chaque mois, nous avons comptabilisé 9.000 chômeurs de moins. Les chiffres sont là, mais ils ne suffisent évidemment pas.

Ceux qui prétendent que notre pays ferait en la matière tellement plus mal que nos voisins devraient faire preuve de nuance. Aucun grand pays développé comparable à la France n’est parvenu au cours des dernières années à renouer avec le plein emploi par de la création d’emplois durables et de qualité.

C’est au contraire notre choix singulier que d’avoir cherché à concilier, en toute chose et en toute circonstance, le redressement économique et la cohésion sociale. Car il est possible, nous l’avons démontré, de faire reculer le chômage sans fragiliser les actifs, de développer l’emploi sans le rendre jetable. Cette voie est la bonne mais il faut aller encore plus loin.

Le refus du statu quo, c’est aussi ce qui nous a conduits à engager ce que l’opinion a retenu sous le nom devenu célèbre de « loi travail ».

Je crains qu’elle n’ait fait office de catharsis, en mettant à jour des clivages syndicaux anciens, des clivages politiques profonds, un malaise général de l’opinion.

Je continue à penser que beaucoup de mécontentements exprimés tenaient davantage au contexte qu’au texte. Et que celui-ci a surtout alimenté des postures et suscité beaucoup d’approximations et de fantasmes. Il y a quelques jours encore, certains ont cherché à imputer à cette loi la responsabilité de plans sociaux engagés récemment, au mépris de toute rigueur intellectuelle. La politique est chose sérieuse, pas seulement effet de tribune.

Non, la loi travail ne facilite pas les licenciements. Elle explicite seulement, sur la base de la jurisprudence actuelle, dans quelles circonstances précises une entreprise a le droit de procéder à des licenciements économiques. Elle leur donne un cadre clair et sécurisé, sans rien retirer aux pouvoirs des juges. Codifier la jurisprudence, quelle audace ? N’est-ce pourtant pas le rôle des responsables publiques que de clarifier et de sécuriser les règles de la vie collective ?

J’en profite pour partager avec vous un chiffre, éclairant mais écrasé par l’impact médiatique de certains plans sociaux actuels. Je n’entends naturellement pas minimiser l’ampleur de ces derniers, qui précarisent des salariés et leurs familles et mobilisent mes équipes quotidiennement.

Mais je veux dire ici que le nombre de PSE a diminué de 12% entre 2015 et 2016. Ce chiffre significatif, je m’étonne que tout le monde le taise.

On peut maudire cette loi et l’accabler de tous les vices, faire de son abrogation l’alpha et l’oméga d’une politique économique, on ne m’ôtera pas une intime conviction  : cette loi répond concrètement aux enjeux de notre temps et ceci sans faire la moindre entorse à nos valeurs profondes. N’offre-t-elle pas finalement l’occasion d’une clarification politique, autour de notre rapport à la démocratie sociale et plus généralement à l’action publique ?

Pourquoi l’avons-nous faite, cette loi « scélérate » ? Parce que nous ne sommes pas dans le discours mais de plain-pied dans la réalité. La réalité d’un monde du travail bouleversé par la révolution numérique et la transition énergétique, par l’explosion du travail intérimaire et du travail détaché, par les contournements constants au droit du travail, par la discontinuité des parcours.

Les jeunes d’aujourd’hui, en moyenne changeront 10 fois de métier, d’entreprise, de secteur, de statut au cours de leur vie. Y compris parce que telle est leur volonté, tel est leur choix !

A ces mutations et ses aspirations nouvelles de nos concitoyens, nous avons voulu leur apporter des réponses concrètes. Avec deux crédos.

Le premier, c’est celui de la confiance et de la responsabilisation des acteurs de terrain, en leur donnant le pouvoir de décider et d’agir. Mettre plus de démocratie dans l’entreprise, c’est y contribuer et c’est ce que la gauche a toujours défendu et fait, depuis 1982.

D’où la place centrale que nous avons donnée aux accords d’entreprise, comme le réclamaient certains syndicats de salariés, car eux et nous sommes convaincus que les acteurs de terrain sont les mieux placés pour discuter de ce qui fait leur quotidien professionnel.

Et nous l’avons fait, j’insiste lourdement, en posant les bases d’un dialogue social rééquilibré, grâce aux moyens supplémentaires accordés aux représentants des salariés et au cadre nouveau de l’accord majoritaire. Je n’ai pas entendu que ces dispositions étaient défendues par le patronat…

Ma seconde conviction tient à l’impérieuse nécessité d’instaurer des protections nouvelles, efficaces et adaptées, efficaces parce qu’adaptées, qui répondent tout à la fois aux nouveaux risques professionnels et au besoin d’autonomie revendiqué par un nombre croissant de nos concitoyens.

Le Compte personnel d’activité, lancé le 12 janvier sous le parrainage de Jean Auroux, est sans doute la mesure intégrée à la loi travail qui résume le mieux cette philosophie, entre universalité, justice sociale et autonomie.

La loi travail a instauré, pour la première fois dans notre pays, un droit universel à la formation, mais un droit renforcé pour ceux qui en ont le plus besoin. Aider chacun à avoir la maîtrise de son destin professionnel, quel que soit son statut, son histoire, ses aspirations, qui peut être contre ?

Alors que le CPA est considéré comme une innovation qui intéresse de nombreux pays étrangers, tout comme le droit à la déconnexion ou la Garantie jeunes, peut-on parler de coquille vide ?

La Garantie jeunes, je le redis, est un droit instauré pour tous les jeunes précaires qui souhaitent s’engager dans un parcours d’insertion exigeant. Une vraie seconde chance, loin des caricatures faites par ceux qui confondent solidarité et assistanat. Là, encore, on abroge ? Tout comme les premiers doits sociaux instaurés pour les travailleurs de plateformes collaboratives ou pour les travailleurs saisonniers ? Ou le renforcement de notre arsenal pour mieux encadrer le travail détaché ?

Alors pourquoi tant de bruit autour de cette loi, me direz-vous ?

Ce texte recouvrait une ambition à peine dissimulée : celle de faire vivre un compromis, au sens le plus noble du terme. C’est à dire trouver le juste point d’équilibre entre les intérêts des salariés, ceux des syndicats et ceux des entreprises. Considérer que faire un petit pas vers chacun permettait un grand pas collectif. Utopique ? Peut-être, sans doute… La radicalité et la conflictualité imprègnent depuis toujours notre culture politique et syndicale. Chez nous, un compromis est toujours suspect.

C’est une leçon que nous devrons tirer pour continuer à construire une démocratie sociale qui n’ignore pas les rapports de force mais ambitionne de les dépasser par le dialogue social.

Parce que je crois profondément aux vertus de ce dialogue social et aux bienfaits du paritarisme, je serai toujours du côté de ceux qui les défendent face à ceux qui se vantent de vouloir les piétiner. Je souhaite d’ailleurs bien du courage à ceux-là pour mettre leur menace à exécution. Les forces sociales existent, je les ai rencontrées, nul ne doit les mépriser.

Enfin, devant vous, représentants du « quatrième pouvoir », il est sujet que je ne peux passer sous silence, avant de conclure.

Les médias et les représentants politiques ont en partage de se situer au même niveau, au même sommet de défiance, vis-à-vis de l’opinion publique.

Une opinion de plus en plus nombreuse et encline à dénoncer le système politico-médiatique, sa collusion, ses arrangements. Ma modeste expérience gouvernementale me permet d’en témoigner, avec une certaine crédibilité : de collusion et d’arrangements, je n’ai jamais perçu la trace. Je crois au contraire pouvoir dire que les médias ont très fidèlement relayé les critiques adressées à l’action gouvernementale dans le champ qui est le mien.

Non seulement je ne vous en veux pas mais je vous exprime très ouvertement ici les préoccupations que votre situation m’inspire. Les incertitudes économiques qui menacent votre activité doivent questionner tous les démocrates sincères. Car une entreprise de presse n’est pas une entreprise comme une autre.

Derrière les restructurations déjà menées chez certains – notamment Lagardère, Nice Matin, l’Obs, Bolloré, Liaisons sociales, la Voix du Nord récemment, il n’y a pas la loi travail – désolé de cette incise mais tellement de contre-vérités ont été dites à ce sujet – mais il y a des difficultés, anciennes et structurelles, liées à un modèle technique et économique à réinventer. Et nous ne pourrons pas durablement laisser le marché faire son œuvre et menacer la qualité du travail journalistique et du débat démocratique qui en découle. Ceci constitue un enjeu d’avenir, qui n’est pas de second ordre.

Nous voilà donc à quelques mois d’un rendez-vous électoral majeur. La droite a désigné son candidat, qui assume une ligne politique inédite, ultralibérale en économie et ultraconservatrice sur les questions de société. L’extrême-droite se frotte les mains en revendiquant un social-populisme dangereux. Les données du problème sont sur la table.

La gauche est par nature insatisfaite de sa propre action car son action, tournée vers le progrès et la justice, est par essence inachevée. Pour ce qui est de mon fait, je revendique une cohérence de l’action. Après un quinquennat de redressement, je crois que notre pays a besoin d’un quinquennat de transformation.

Alors, à quelques mois de ce rendez-vous, car il est vrai que l’heure est grave, je nous lance un appel : contribuons collectivement à la hauteur du débat, à l’exigence de vérité, suscitons l’intelligence de nos concitoyens, affirmons notre refus des raccourcis, des simplismes et des mensonges qui font le lit des populismes.

Notre pays et notre histoire commune, je le crois, valent mieux que cela.

Je vous remercie.