Discours de François Rebsamen au Sénat, 22 avril 2014

Mission d’information sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises
22 avril 2014

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Je suis heureux de me retrouver parmi vous aujourd’hui. Vous le savez cette maison est chère à mon cœur.
J’ai souvent vanté la qualité des travaux menés ici dans cette haute Chambre et la question que pose votre mission d’information en est une fois de plus la preuve.
En effet cette question est fondamentale pour l’emploi et pour les salariés.
Elle fait depuis longtemps débat au sein des différentes familles de la gauche, toutes soucieuses de favoriser les créations d’emploi mais divergents sur les moyens d’y parvenir.
Cette question est particulièrement d’actualité puisque elle s’inscrit dans un nouveau contexte, celui du Pacte de Responsabilité présenté par le Premier Ministre à la demande du Président de la République.
Ce Pacte prévoit en effet des exonérations de cotisations sociales.

Prendre la décision d’exonérer les entreprises d’une partie des cotisations sociales constitue un effort budgétaire important, un effort de l’Etat, un effort des Français, et l’impérieuse obligation est que ces exonérations soient efficaces dans la lutte contre le chômage.
Les politiques d’allègements sont pratiquées depuis les années 90, de sorte que nous avons désormais un recul suffisant pour en tirer des enseignements fiables et fonder notre décision, une décision majeure, puisque les masses en jeu sont grandes.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je veux vous l’affirmer ici :
l’effet emploi des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires est massif sur la création d’emplois. Depuis 20 ans, toutes les évaluations vont dans ce même sens, ainsi que les préconisations des économistes.
Les chiffres bruts varient bien sûr d’une évaluation à l’autre, mais ils sont toujours positifs. C’est un fait assez rare pour être souligné, et c’est aussi ce qui fonde la permanence de cette politique. Nos choix présents sont donc fondés sur une observation précise des résultats du passé.

Empiriquement, on constate que l’effet positif sur l’emploi des allègements est important : entre 400 000 et 800 000 emplois créés ou sauvegardés, certains disent plus. Le coût brut par emploi créé est compris entre 20 000 et 40 000 euros.
Mais le coût net, c’est-à-dire le coût véritable pour la collectivité, serait compris entre 8 000 et 28 000 euros car ces salaires ont permis de diminuer les dépenses d’assurance chômage et de verser des impôts et cotisations sociales.

La baisse du coût du travail est essentiellement un soutien à l’emploi des salariés les moins qualifiés, c’est-à-dire ceux qui sont les plus vulnérables au chômage, au temps partiel ou à la précarité. Il est, pour moi, particulièrement important d’agir pour ces salariés qui travaillent dur et qui, trop souvent, ont l’impression d’être seuls face à la mondialisation, au progrès technologique, au chômage ou au déclassement social.

Certains avancent qu’il faudrait baisser le SMIC pour permettre aux moins qualifiés d’accéder à l’emploi. Je l’ai dit, ce type de proposition relève pour moi de la provocation. Nous prenons justement un autre chemin : baisser le coût du travail, ce n’est pas baisser les salaires et en particulier le SMIC. Nous tenons au SMIC qui, à la différence d’autres pays, a permis d’éviter l’explosion du nombre de travailleurs pauvres ; c’est une garantie du pouvoir d’achat des salariés les moins qualifiés, les plus jeunes, les plus vulnérables. Le Premier ministre l’a rappelé : le salaire minimum est un mur porteur de notre modèle social. Les remises en cause préconisées ici ou là n’aboutiraient qu’à une hausse insupportable de la pauvreté des travailleurs.

C’est pourquoi notre politique fait le choix de préserver le pouvoir d’achat des salariés, tout en allégeant le coût du travail pour favoriser l’embauche. L’un va avec l’autre. Nos partenaires allemands découvrent d’ailleurs à leur tour les vertus du salaire minimum face à la montée de la pauvreté avec l’essor des mini jobs.
Alléger les cotisations, ce n’est donc pas un « cadeau aux patrons », c’est un soutien à l’emploi ou au maintien dans l’emploi des moins qualifiés (puisque nous concentrons les allègements dans la proximité du SMIC). Le taux d’emploi des non qualifiés en France est d’ailleurs plus élevé que chez nos voisins européens, en particulier l’Allemagne (66,6% en France, contre 60,7% en Angleterre et 62,7% en Allemagne).

Mais l’effet des allègements va au-delà de l’emploi des seuls salariés peu qualifiés, c’est aussi un soutien à l’ensemble de notre économie, car la baisse du coût du travail se répercute dans les prix de vente des services qu’utilisent nos entreprises exportatrices comme dans les prix que paient les consommateurs. L’exonération des cotisations sur les bas salaires, pour peu qu’elle soit franche et massive comme nous la proposons, peut être l’amorce d’un cycle nouveau d’emploi et de croissance.
Voilà le sens de notre action.

C’est donc une politique efficace, qui soutient l’emploi dans des métiers difficiles et bénéficie aux salariés des petites entreprises. Ce ne sont pas ou peu les grands groupes qui en profitent, mais nos milliers de TPE et PME qui créent l’emploi dans notre pays.
En revanche, il faut veiller à ce que les salariés puissent avoir une progression de leur salaire à mesure qu’ils progressent. Encore trop de branches ont encore des grilles de classification dont les premiers niveaux sont sous le SMIC. Ce n’est pas un problème nouveau malheureusement, mais je ne m’en satisfais pas. Ce sera un des enjeux de la nouvelle impulsion à la négociation de branches que fixe le pacte de responsabilité et de solidarité.

Alors, est-ce que cette politique pousse beaucoup d’actifs dans une spécialisation sur les créneaux à faible valeur ajoutée ? Je crois plutôt que l’entrée dans l’emploi reste le meilleur moyen d’acquérir une qualification. Mais ce n’est pas tout et c’est ici que je veux faire le lien avec la formation professionnelle.
En effet, notre politique de l’emploi est équilibrée : nous aidons l’emploi avec la baisse du coût du travail ET nous avons donné un nouvel élan, avec les partenaires sociaux, à une politique de qualification et de formation professionnelle. La réforme de la formation professionnelle – adoptée ici-même il y a quelques semaines– fait ce pari en donnant une forte priorité aux demandeurs d’emplois, aux salariés les moins qualifiés, à ceux des PME ou ceux qui vont au devant de mutations économiques importantes.

A l’urgence de l’action immédiate, incarnée par les allègements de cotisations, se conjugue un investissement de long terme : le choix d’un effort massif en faveur de la hausse du niveau global des qualifications, en commençant par ceux qui en ont le plus besoin. Cette dimension fut même première dans la chronologie de notre majorité. De la refondation de l’école à la réforme de la formation professionnelle en passant par celle de l’université, nous avons fait le choix de l’avenir et le pari des compétences. Nous les complétons par une action économique conjoncturelle.
Ce pari des compétences, c’est aussi celui du plan 100 000 formations prioritaires pour l’emploi, qui vise à la fois la qualification et l’accès rapide à l’emploi. Dès l’an prochain, de nouveaux dispositifs vont renforcer la qualification de nos compatriotes pour une économie plus forte : compte personnel de formation, conseil en évolution professionnelle, augmentation des moyens dévolus aux formations qualifiantes.

Parce que nous défendons la promotion personnelle, professionnelle et sociale, et parce que nous pensons que le diplôme (ou l’absence de diplôme) ne peut plus être le seul étalon de la valeur sur le marché du travail, nous avons refondé la formation professionnelle. Cette année sera celle de la mise en œuvre.

Chercher à agir maintenant sur le coût du travail ne dispense donc en rien de mener une politique d’emploi et de formation tournée vers l’avenir. Je crois pouvoir dire que nous sommes au rendez-vous de celle-ci. Mais il y a dans ce choix politique du pacte de responsabilité et de solidarité, la volonté de desserrer maintenant l’étau du chômage qui se ressert, dont les moins qualifiés sont les premières victimes. Comme ministre du travail et de l’emploi, j’assume pleinement cette ambition, sans négliger les autres leviers des politiques de l’emploi pour les moins qualifiés, à commencer par les emplois d’avenir.

Le pacte de responsabilité porte des allègements de cotisations conséquents – 20,7 milliards, je l’ai dit.
Au total, plus de 10 millions de salariés, travaillant au sein d’1,6 millions d’entreprises, sont concernés par les allègements. 90% des allègements concernent les salariés rémunérés en-dessous de 1,35 Smic. Nous avons souhaité faire simple : zéro charge au niveau du SMIC, c’est clair, durable et créateur d’emplois.
L’ampleur de l’engagement est donc considérable.
La France doit changer, se transformer pour remonter le peloton, préserver ses emplois, en créer de nouveaux.
Et comme tout effort, il est difficile. Car un allègement de charge est une recette en moins pour l’Etat, il suppose donc des économies résolues.
Il faut du courage à un gouvernement pour les porter. Mais là n’est pas l’essentiel. Il faut surtout du courage à notre société pour l’accepter et en prendre son parti.
- la société française est mûre pour cela. Le pacte de responsabilité et solidarité est le fruit de cette maturité, de ce cap passé.
- le Gouvernement se donne ainsi les moyens d’amplifier le mouvement pour mener la bataille de l’emploi, en complément des réformes de structure et de la politique de contrats aidés.
- Mais cela suppose aussi une vigilance particulière sur les résultats – car ces mesures sont tout sauf un cadeau – à travers l’observatoire des contreparties.
Les employeurs devront assumer leur part de l’effort, conformément au relevé de conclusions entre partenaires sociaux du 5 mars dernier. Les négociations dans les branches devront s’engager sans tarder. J’y veillerai et la grande conférence sociale sera le premier temps fort de ce suivi approfondi de ces négociations et des engagements qui y seront souscrits.

Voilà le grand engagement collectif, le grand effort pour l’emploi, contre le chômage et pour les salariés les plus vulnérables, que nous proposons à la nation.

Je vous remercie et suis prêt à répondre à vos questions.