Audition de Myriam El Khomri - délégation des droits des femmes

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les député(e)s,

Je suis très heureuse de pouvoir m’exprimer aujourd’hui devant votre délégation pour vous présenter le projet de loi travail et échanger plus largement autour de la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

C’est un combat qui me tient particulièrement à cœur, vous le savez, et un de ceux qui fonde mon engagement en politique. Il a toujours guidé mon action au Ministère du Travail, mais aussi précédemment au secrétariat d’Etat à la politique de la Ville. Ce matin même j’ai présenté en conseil des ministres l’ordonnance sur la désignation des conseillers prud’hommes qui prévoit désormais la parité au sein des CPH !

Je sais le chemin qu’il nous reste à parcourir.

Je sais que, malgré nos efforts, être une femme aujourd’hui c’est bien souvent être moins bien rémunérée pour un poste équivalent, l’écart des salaires est toujours de 19% en 2016 (contre 29% en 1991) ; être une femme aujourd’hui c’est aussi devoir faire face au temps partiel subi plus que les hommes ; c’est affronter la double journée de travail et assumer l’essentiel des tâches domestiques ; c’est connaître les difficultés du quotidien pour trouver une place en crèche, pour trouver une garde, en particulier au sein des familles monoparentales qui ont dans 80% des cas des femmes à leur tête ; c’est enfin subir trop fréquemment – au sein d’une société pourtant dite « moderne » - des remarques et comportements sexistes.

Nous le savons toutes et tous, les stéréotypes au travail ont la vie dure. Le milieu de l’entreprise n’échappe pas aux mécanismes sociaux qui empêchent les femmes de bénéficier des mêmes opportunités que leurs collègues hommes.

En matière de carrières, les plafonds de verre sont toujours là ; dans l’accès à des emplois stables et de qualité ; mais aussi sur la question, centrale, de la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle et de la parentalité.

Mais ce que je sais aussi, j’ai pu le voir en particulier dans les quartiers populaires - par exemple lors de mon déplacement récent dans la Mission locale des Ulis avec Madame la députée Maud Olivier - c’est le rôle majeur que tiennent les femmes en matière de développement et de cohésion sociale. J’ai soutenu lorsque j’étais en charge de la politique de la Ville des associations et des initiatives du terrain exceptionnelles, de lutte contre la délinquance, d’insertion par l’emploi, de développement économique et social portées par des femmes. Aujourd’hui, je rencontre constamment des femmes qui entreprennent, qui osent, qui connaissent des carrières brillantes et qui affirment leurs droits et prennent enfin la place qui est la leur.

Le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes est donc un combat qui demande une mobilisation sans cesse réaffirmée. Aujourd’hui, 27 % des femmes ont des postes peu qualifiés d’employés ou d’ouvriers, contre 15 % des hommes, et les femmes sont presque deux fois plus souvent en CDD que les hommes ! C’est contre ces inégalités que je veux agir, notamment à travers ma loi.

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Avant de venir à cette loi, je voudrais rappeler ici les avancées importantes que nous avons menées depuis le début de ce quinquennat, avec votre appui, concernant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans le monde du travail.

C’est vrai de la loi pour « l’égalité réelle » du 4 août 2014 qui a considérablement renforcé les obligations des entreprises pour mettre en œuvre des actions en faveur de l’égalité, à travers la négociation. Elle a réformé le congé parental, notamment pour encourager les pères à en bénéficier, et donc favoriser l’égalité dans les couples. Je salue à ce titre de nouveau le texte porté par la députée Dominique Orliac, qui va considérablement améliorer le cadre des congés maternité et paternité.

La loi de « sécurisation de l’emploi » du 14 juin 2013 a également permis des avancées majeures notamment en instaurant une durée minimale du travail à temps partiel de 24 heures par semaine. Cela permet de lutter contre la précarité au travail qui frappe particulièrement les femmes. Cette même loi a permis de mettre en place une modulation des cotisations d’assurance chômage sur les contrats courts pour inciter au recours au CDI plutôt qu’au CDD.

Je pense aussi à la loi sur « le dialogue social et l’emploi » du 17 août 2015, qui, je le sais a suscité beaucoup de débats, mais a finalement apporté des progrès majeurs, en renforçant la parité dans les institutions représentatives du personnel, dans les conseils d’administration, dans les conseils de prud’hommes, et en mettant l’égalité professionnelle au cœur du dialogue social en entreprise.

Mon projet de loi travail s’inscrit dans la continuité de ces textes portés par le Gouvernement depuis 2012. Permettez-moi à présent de vous le présenter.

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Ce projet de loi travail a une cohérence forte, basée sur une philosophie dont je suis convaincue : il faut créer un mouvement profond qui fasse franchir à notre démocratie sociale une étape nouvelle, pour la rendre plus forte et plus efficace, parce que c’est à travers la négociation au plus près du terrain que se nouent les bons compromis, favorables à la compétitivité de notre économie et à la protection de salariés - et donc des femmes. Notre volonté, c’est de donner dans un même mouvement plus de moyens aux acteurs du dialogue social et plus de place à la négociation collective. Loin d’opposer négociation et droits des femmes, je pense au contraire que c’est par le dialogue social que l’on peut, aussi, améliorer leurs droits.

Le renvoi à l’accord d’entreprise est vu par certains comme un danger pour la protection des salarié-e-s. Je ne partage pas cette analyse. D’abord, ces accords devront être majoritaires, donc reposer sur un consensus social beaucoup plus fort qu’aujourd’hui. Ensuite parce que, dans les matières les plus sensibles comme les 24 heures du temps partiel, l’accord de branche restera prépondérant. Enfin, parce que si on pense que l’accord négocié par des syndicats signifie moins de droits pour les salariés, alors, je le dis, nous ne sommes pas mûrs pour une démocratie sociale digne de ce nom. Et ça n’est pas ma vision.

Je veux être tout à fait claire : je ne porterai tout simplement pas cette loi si je pensais, d’une façon ou d’une autre, qu’elle est contraire à l’intérêt et au droit des femmes.

Au-delà de cette philosophie d’ensemble que je viens d’exposer, ma loi sanctuarise un certain nombre d’acquis essentiels.

Tout d’abord, le principe même de l’égalité professionnelle, qui fait partie des grands principes issus des travaux de la commission Badinter qui guideront la réécriture du code du travail qui s’achèvera en 2019. Je sais d’ailleurs que votre délégation souhaite proposer des amendements à ces principes ; j’y serai particulièrement attentive.

Ensuite, concernant le temps partiel, puisque le projet de loi sanctuarise la durée minimale de 24 heures hebdomadaire pour les salariés à temps partiel sauf accord de branche, comme aujourd’hui. J’insiste : rien n’est changé à l’équilibre de la loi sécurisation de l’emploi.

De même concernant les délais de prévenance ou le taux de majoration des heures complémentaires : nous sommes totalement à droit constant !

Concernant l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle, qui est, je le sais, un outil puissant en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, la loi clarifie aussi les choses. En effet, suite aux remarques faites par le CSEP, j’ai souhaité qu’il soit précisé dans la saisine rectificative qui a été envoyée au Conseil d’Etat que lorsque la négociation sur l’égalité entre les femmes et les hommes devient triennale et qu’aucun accord n’est conclu sur ce sujet, l’obligation d’élaborer tous les ans un plan d’action demeure bien évidemment. Et il va de soi que cette loi ne remet pas en cause les pénalités financières prévues en cas de manquements en la matière.

A ce sujet, il n’y a pas de relâchement, bien au contraire. Les services de mon Ministère sont plus que jamais mobilisés pour que la législation soit appliquée : à ce jour 83% des entreprises de plus de 1000 salariés sont couvertes par un accord ou un plan d’actions. Nous devons encore progresser, mais il faut aussi rappeler ces chiffres qui montrent que les choses changent sur le terrain, grâce à l’action du Gouvernement, mais aussi et surtout du fait d’une mobilisation croissante de l’ensemble des acteurs concernés.

Enfin et toujours pour préciser les choses, j’ai souhaité indiquer que, s’agissant des congés pour événements familiaux (mariages, naissances, décès), qui sont des congés payés essentiels pour tous, l’accord ne puisse pas descendre en-dessous des durées aujourd’hui prévues par la loi –et j’ai même souhaité harmoniser vers le haut les congés pour décès car dans les moments les plus douloureux de la vie, le tri qu’opère aujourd’hui le code du travail ne me semblait pas acceptable.

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Au-delà ce des acquis que le projet de loi sanctuarise, ce projet comporte des avancées importantes qui profiteront aux femmes.

Je pense bien sûr en premier lieu au Compte personnel d’activité, qui permettra à tous les actifs - hommes, femmes, à la recherche d’un emploi, salariés, indépendants ou entrepreneurs - de bénéficier des mêmes droits et des mêmes protections, indépendamment de son statut. C’est une avancée sociale majeure, et qui bénéficiera en particulier aux femmes qui présentent des parcours professionnels plus accidentés et qui sont, plus souvent que les hommes, en situation de précarité.

Je pense aussi au droit à la déconnexion, qui permettra de mieux tracer la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle à l’heure du numérique. C’est un dispositif innovant et qui souligne la volonté du Gouvernement de préserver la vie en dehors du travail, pour les femmes comme pour les hommes.

Je pense également aux dispositions en faveur du télétravail qui permettront de mieux prendre en compte certaines nouvelles modalités de travail et apportera plus de souplesse aux salariés, tout en préservant la dimension collective du travail.

Cette politique bénéficiera à toutes les personnes éloignées des emplois stables et donc aux femmes. Je ne suis pas la seule à le dire : même si tous les économistes ne sont pas d’accord, certains d’entre eux parmi les plus réputés ont pris parti pour souligner combien cette loi venait en aide d’abord aux plus fragiles.

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Voici, Mesdames et Messieurs les députés, ce que je souhaitais préciser devant vous aujourd’hui.

Je pense que notre échange sera également l’occasion de vous faire part des autres actions portées par mon ministère en faveur de l’égalité professionnelle, je pense par exemple à la création d’une application qui facilitera l’accès à une garde d’enfant pour les demandeurs d’emploi, ou encore à nos efforts pour la mixité des métiers, notamment dans le domaine du numérique.

J’espère en attendant vous avoir convaincus que les femmes ont à gagner du projet de loi travail. Car ce texte a été pensé en priorité pour permettre à ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi de pouvoir y accéder. Mais aussi parce que ce projet de loi introduit des dispositifs qui permettront de mieux accompagner les femmes et de sécuriser leurs parcours professionnels.

Le projet de loi travail s’inscrit dans la continuité des textes adoptés depuis le début du quinquennat en faveur du dialogue social et d’une nouvelle culture de régulation des enjeux économiques et sociaux dans notre pays. Ce que nous voulons c’est renforcer simultanément les moyens des partenaires sociaux et donner plus de place à la négociation collective. Sans rien céder sur les droits fondamentaux et, au contraire, en créant de nouveaux droits et protections, nous voulons apporter la souplesse qui permettra à notre économie d’être plus dynamique et plus créatrice d’emplois.

Je serai bien entendu à votre écoute et à votre disposition pour que nous construisions ensemble ce texte ambitieux et vecteur de progrès économique et social.

Je vous remercie et vous cède à présent la parole.