Restitution des travaux du débat public du CPA – 4 avril 2016

Madame la présidente de la commission des affaires sociales, chère Catherine Lemorton,
Monsieur le rapporteur, cher Christophe Sirugue,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le commissaire général de France Stratégie, cher Jean Pisani-Ferry,
Mesdames et messieurs les représentant des partenaires sociaux,
Mesdames et messieurs les représentants d’associations,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse de vous recevoir aujourd’hui à l’occasion de la restitution des travaux du débat public sur le Compte personnel d’activité.
Cette restitution intervient à un moment singulier. Il y a quelques heures, j’étais auditionnée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, où de nombreuses questions m’ont été posées sur le CPA. Et à partir de demain, c’est la commission des affaires sociales qui débattra du projet de loi visant à instaurer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, et notamment des articles sur le CPA.
Ce n’est pas une coïncidence. Le débat public sur le CPA a déjà nourri le projet de loi présenté par le Gouvernement. Et il va alimenter le débat parlementaire. Et je remercie Catherine Lemorton, Christophe Sirugue ainsi que les autres parlementaires présents.

Le CPA aura été élaboré en mariant la démocratie sociale, la démocratie participative et la démocratie parlementaire. La démocratie sociale, avec la négociation lancée à la suite de la Conférence sociale d’octobre dernier. La démocratie participative, avec ce débat public que j’ai voulu lancer le 21 janvier et qui aura duré deux mois et demi. Enfin, la démocratie parlementaire, qui a bien sûr le dernier mot mais qui s’exerce je crois d’autant mieux qu’elle est éclairée par la négociation sociale et par les contributions de la société civile.
Innovante, cette méthode était aussi nécessaire, parce que le CPA n’est pas une réforme comme une autre. Cette réforme, voulue par le Président de la République, vise à poser les bases d’un nouveau modèle social, d’une nouvelle manière de protéger les Français. Protéger aujourd’hui, ce n’est plus garantir une stabilité à vie, qu’aucune législation ne pourrait assurer. Protéger aujourd’hui, c’est donner à chacun les moyens de naviguer dans un monde professionnel plus changeant, de changer de voie s’il le souhaite, de rebondir en cas de difficulté. Il s’agit de rendre aux individus du pouvoir d’action sur leur vie et de donner à chacun de construire son parcours professionnel. En élevant le niveau de formation et en facilitant les mobilités professionnelles et géographiques, la compétitivité de nos entreprises en sera améliorée.

Une telle réforme touche à de multiples enjeux, reliant l’économique et le social. Le CPA concerne tous les actifs, pas seulement les salariés, et ses répercussions. Il peut être un levier en faveur de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, de la reconnaissance de l’engagement, du soutien à l’esprit d’entreprise, ou encore de l’accès aux droits. Le CPA est un enjeu de société, qui touche à la vie de chacun d’entre nous.
C’est pourquoi la société civile et les citoyens doivent s’en emparer, et c’est pourquoi nous avons lancé ce débat public.

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Ce débat, nous l’avons conduit selon une démarche simple, ouverte et transparente. Chaque organisation qui souhaitait contribuer pouvait devenir « partenaire du débat » et choisir la forme de sa contribution : position écrite, organisation d’un événement public ou d’un atelier, consultation des adhérents. France Stratégie a été l’animateur du débat et son site internet recense l’ensemble des contributions.
Plusieurs dizaines d’organisations ont répondu à l’appel et je veux les remercier ce soir : les principaux think tanks français, les associations de lutte contre la pauvreté, les réseaux de soutien à la création d’entreprise, les associations familiales, les mouvements de jeunesse, les coopératives d’activité et d’emploi, les acteurs de l’innovation ou encore l’association des directeurs de ressources humaines.
A travers ces organisations, ce sont des milliers de Français qui ont participé au débat. Ils ont assisté aux événements, ils ont participé aux ateliers, ils ont répondu aux questionnaires envoyés par les organisations auxquelles ils sont affiliés. Par exemple, à travers la fondation FACE, ce sont plus de 5 000 entreprises qui ont participé au débat, comme l’expliquera Alain Roumilhac.

Il n’est pas facile de mettre en avant telle ou telle contribution, chacune ayant sa valeur. Cependant, certaines ont particulièrement marqué les esprits. La note de Terra Nova sur « Le bel avenir du CPA », qui montre tous les enjeux potentiels de cette réforme. L’événement « Métamorphose de l’emploi » organisé par le Forum modernités au Théâtre du Rond-Point, dont Philippe Lemoine nous rendra compte : il n’est pas si courant de faire se déplacer plusieurs centaines de personnes un dimanche après-midi pour assister à un débat sur une réforme sociale. Ou encore les ateliers impliquant des personnes en situation de pauvreté, organisés par les associations membres du collectif Alertes, qu’évoquera François Soulage.
La matière qui est ressortie est particulièrement riche. Jean Pisani-Ferry aura dans quelques instants la délicate tâche d’en présenter la synthèse.
Pour ma part, je m’étais engagée au nom du gouvernement à donner suite à des propositions issues du débat public. Cet engagement, nous l’avons tenu en reprenant le contenu de certaines propositions dans le projet de loi adopté en conseil des ministres le 24 mars.

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Vous le savez, au cours de la première quinzaine de mars, une concertation intense avec les partenaires sociaux et les organisations de jeunesse a eu lieu pour faire évoluer le contenu du projet de loi. A l’issue de cette phase, le contenu du CPA a été renforcé.

Deux axes ont été retenus qui sont directement issus du débat public.
Tout d’abord, nous avons renforcé considérablement les droits à la formation des personnes peu qualifiées. Tous les Français ne sont pas égaux devant le chômage, qui frappe bien davantage les personnes peu ou pas diplômées. 60 % des chômeurs ont un niveau inférieur au Bac. Le fil rouge de mon action dans ce ministère, avec le « plan 500 000 » formations supplémentaires de demandeurs d’emploi que j ai proposé est de donner la priorité aux peu qualifiés.

Le CPA permettra de pérenniser cet effort.
Il le fera d’abord en direction des jeunes qui n’ont pu acquérir un diplôme au cours de leur parcours scolaire, que l’on qualifie souvent de « décrocheurs ». Le « droit à la nouvelle chance », inscrit dans le projet de loi et financé par les régions, permettra à chacun de ces jeunes de financer gratuitement une formation qualifiante, qui lui permettra d’apprendre un métier. A cette fin, le nombre d’heures nécessaires, qui sera d’au moins 400 heures, sera inscrit sur son CPA.
Il le fera également pour tous les salariés sans diplôme, quel que soit leur âge, ceux qui sont en quelque sorte les décrocheurs d’hier ou d’avant-hier.
Pour les salariés sans diplôme, le projet de loi prévoit de porter le plafond d’heures de formation à 400 heures, contre 150 heures actuellement, au rythme annuel de 40 heures contre 24 heures aujourd’hui. Le gouvernement a aussi demandé aux partenaires sociaux d’explorer les voies d’un mécanisme pérenne pour abonder le CPA des demandeurs d’emploi peu qualifiés entrant en formation, en lien avec la négociation d’assurance-chômage.
Nous avons également voulu, et c’est le deuxième axe d’amélioration issu du débat public, que le CPA soit un levier pour reconnaître et promouvoir l’engagement citoyen dans notre pays. C’est pourquoi le CPA comportera un « compte engagement citoyen ». Il recensera les activités bénévoles ou volontaires, ce qui facilitera la reconnaissance de l’expérience acquise, notamment dans le cadre de la VAE. Il ouvrira aux personnes ayant un engagement particulièrement intense au service de l’intérêt collectif (jeunes ayant accompli une mission de service civique, réservistes, maîtres d’apprentissage, responsables associatifs bénévoles) des droits supplémentaires à formation. Il permettra aussi aux employeurs qui le souhaitent de financer pour les salariés des jours de congé dédiés à l’exercice d’activités bénévoles.

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Le CPA est maintenant entre les mains du Parlement. Ces derniers jours, j’ai pu mesurer tout l’intérêt des députés pour cette réforme. Une grande part des questions qui m’ont été posées dans les auditions et une grande part des amendements qui viennent d’être déposés lui sont consacrés.
Catherine Lemorton indiquera à l’issue de cette soirée les enseignements qu’elle retire de ce débat public.

Je voudrais pour ma part attirer l’attention sur deux domaines dans lesquels, à mon sens, le projet de loi peut être très utilement complété par des propositions issues du débat.
Je pense d’abord à la question de l’accompagnement des utilisateurs du CPA.
L’accompagnement est unanimement signalé comme une des conditions de réussite de la réforme. Sans accompagnement, nombre de personnes ne seront pas informées de leurs droits. Le risque est que les mieux lotis, ceux qui sont déjà les plus agiles dans la construction de leur parcours professionnel, soient aussi les plus à même d’utiliser efficacement leur CPA.

Face à cet enjeu, il n’y a pas de réponse unique, mais une multiplicité de solutions, et de nombreuses propositions ont été exprimées dans le débat.
Le numérique apporte des réponses, et nous travaillons depuis plusieurs mois avec la Caisse des dépôts et consignations et les acteurs de l’innovation pour les construire. Ce vendredi, nous lancerons avec Axelle Lemaire un « Hackathon » de 2 jours en partenariat avec l’Ecole 42. Le but est de construire des services numériques innovants aidant les personnes à évaluer leurs compétences, à trouver une formation ou à mobiliser leurs droits.
Mais le numérique ne peut être la seule réponse, et nous devons en particulier être attentifs à la situation de ceux qui ont des difficultés à l’utiliser.
Dans leur position commune du 8 février 2016, les partenaires sociaux ont appelé à la mise en place d’un « accompagnement global », portant sur l’ensemble des problématiques de sécurisation du parcours, notamment le logement, la mobilité et la garde d’enfants.
C’est un horizon ambitieux. Nous devons certainement aller dans cette direction, en nous appuyant sur les expériences existantes d’accompagnement global, par exemple les partenariats entre Pôle emploi et les conseils départements où l’offre de services mise en place par la branche du travail temporaire.

Pour avancer, et comme le suggère la position commune elle-même, la meilleure méthode est sans doute l’expérimentation. Elle permet d’innover, d’évaluer et de ne généraliser que ce qui a prouvé son efficacité.
Dans l’accompagnement, je n’oublie ni le rôle de l’employeur, ni celui des représentants du personnel. L’enquête auprès des DRH réalisée avec le concours de l’ANDRH a montré que pour 76 % des répondants, l’employeur avait un rôle à jouer en la matière : promotion du dispositif, information et conseil dans l’utilisation en fonction des évolutions souhaitées par le salarié.

Quant aux représentants du personnel, leur implication peut être déterminante pour conduire les salariés à s’engager dans des démarches de formation ou de VAE. Ce rôle pourrait être mieux reconnu.
En second lieu, le débat public a montré une attente de clarification des étapes futures du CPA et de la méthode pour les construire.

Chacun est conscient qu’une réforme aussi ambitieuse ne peut être entièrement accomplie en l’espace d’une année. Le gouvernement a souhaité que la réforme soumise au Parlement pour la première étape ait, selon la formule qu’avait employée Louis Gallois lors du lancement du débat public, une « masse critique suffisante ». Mais d’autres étapes seront nécessaires.
De nombreuses propositions dessinent ce que pourraient être ces étapes supplémentaires. Elles impliquent certainement de nouvelles phases de concertation avec les partenaires sociaux ou de négociation entre eux. Je souhaite que la méthode qui a présidé à cette première étape soit poursuivie pour accompagner la montée en puissance du CPA.

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Je passe la parole à Jean Pisani-Ferry pour la synthèse du débat.