Remise du rapport Mettling

Cher Bruno Mettling,
Mesdames et Messieurs

Je veux d’abord vous remercier, cher Bruno Mettling, pour le rapport que vous me remettez aujourd’hui, et saluer sa grande qualité. J’y associe François Rebsamen qui en est à l’origine. Vous avez beaucoup réfléchi, écouté, débattu pour nous livrer un rapport pédagogique sur cette nouvelle grande transformation et 36 préconisations.

Votre constat est clair : le numérique a profondément transformé nos univers professionnels – et cela dans un temps record. Nous avons beaucoup parlé d’uberisation de l’économie et des plateformes collaboratives. L’impact est plus profond et s’est diffusé à tous les pans de la société. Son irruption massive bouleverse profondément les relations du travail :

- Il brouille les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle : chacun voit bien, en particulier les cadres, le flux incessant des mails, l’injonction à agir et à répondre quel que soit le moment, s’immisçant dans les sphères de la vie personnelle. Ou encore l’avalanche de mails à l’ouverture de son ordinateur le lundi matin. Le mail appelle le mail et nous sommes tous dans une surenchère de communication.

- Cette surcharge informationnelle a un terme m’avez-vous dit : l’infobésité qui a des conséquences sur l’attention, le stress et nuit à la qualité du travail. Derrière l’efficacité procurée par le numérique, il y a aussi un sujet important de santé au travail, de régulation des temps de vie. Vous y avez répondu en suggérant le droit et le devoir de déconnexion. C’est un sujet qui méritera réflexion.

Le numérique rebat les cartes du lien hiérarchique traditionnel. Le collectif de travail n’est plus structuré par l’unité de lieu ; on travaille de plus en plus à distance ; la frontière de la relation salariale hiérarchique s’érode.

Le rôle des manageurs de proximité en est fortement transformé. Mais cela pose aussi de nombreuses questions : celle du temps de travail, des conditions de travail, de la mesure de la charge de travail, de la sécurisation du forfait-jour : toutes ces questions doivent être posées.

Le numérique modifie à grande vitesse les compétences dans tous les métiers, qu’ils soient manuels ou intellectuels. Des fonctions sont appelées à disparaître, d’autres à se transformer.

Ce rapport n’est pas pessimiste, des dizaines de milliers d’emplois vont se créer pour remplacer ceux qui vont disparaître. Mon enjeu est d’aider les actifs de notre pays à réussir cette mutation et à œuvrer, à cette occasion, pour la mixité des métiers entre les femmes et les hommes

L’enjeu est énorme : nous avons potentiellement un levier d’exclusion massive ; ceux qui n’auront pas su adapter leurs compétences seront fragilisés sur le marché du travail.

Et comme souvent, ce seront les moins qualifiés, les plus âgés ou les femmes qui seront les plus exposés à cette transformation du marché du travail. Vous le soulignez dans votre rapport la formation numérique de tous est indispensable ; ce sera une de mes priorités.

Enfin, le numérique bouscule les schémas d’organisation de l’entreprise traditionnelle. L’emploi hors salariat se développe, porté par l’essor des plateformes. C’est une évolution encore modérée mais dont on sent le développement rapide. On peut y trouver le meilleur, comblant ainsi les aspirations à l’autonomie des plus jeunes, mais aussi retrouver des formes de précarité inacceptables.

Il peut aussi conduire à une forme d’isolement des salariés - je serai donc attentive aux propositions visant à renforcer le collectif – y compris en cas de télétravail. Ce débat n’est pas franco français et nous voyons que de nombreux pays s’interrogent sur les nouvelles formes de régulation à mettre en œuvre.

J’y vois pour ma part un lien fort entre votre rapport et la réflexion que nous avons sur la sécurisation des parcours professionnels et le compte personnel d’activité.

Il nous faut donc nous adapter à ces évolutions – je dirais même à cette révolution – et anticiper ce que le numérique peut nous apporter de meilleur.

C’est ce que vous faites dans votre rapport. Je ne vais pas reprendre point par point vos propositions que vous aurez l’occasion de détailler tout à l’heure devant la presse.

Mais vous vous en doutez, votre proposition de donner plus de poids à la négociation dans les entreprises a retenu toute mon attention. On le sait bien, le quotidien des salariés est différent d’une entreprise à une autre et les solutions ne peuvent pas être les mêmes.

Vous en parlez d’ailleurs en proposant d’adapter le cadre du télétravail. J’observe également que Jean-Denis Combrexelle suggérait quelque chose de similaire dans son rapport.

Votre rapport est riche et est source d’inspiration pour avancer rapidement sur ces sujets. Nous devons agir pour que le travail de demain soit un facteur d’épanouissement. Ma méthode sera celle du ministère que j’incarne : le dialogue, la concertation avec les partenaires sociaux, la mobilisation des énergies.

Je souhaite d’ailleurs que la question du numérique et de ses conséquences sur l’organisation du travail soit l’objet d’une réflexion avec les partenaires sociaux à l’occasion de la Conférence sociale qui aura lieu le 19 octobre prochain.

Cela pourrait faire l’objet d’un débat en séance plénière et d’une déclinaison ensuite dans les tables rondes, qu’il s’agisse de celle dédiée au compte personnel d’activité, à la transition écologique ou à l’avenir de nos filières et de nos métiers.


Ce temps de concertation sera nécessaire pour réfléchir aux pistes de réforme qui, concernant le droit du travail et les conditions de travail, seront inscrites dans le projet de loi que je présenterai en conseil des ministres fin 2015 / début 2016.

Je vous remercie.