Intervention de Myriam El Khomri lors du CNLE

Monsieur le Président, cher Etienne Pinte,

Mesdames et messieurs,

Je vous remercie de m’avoir invitée à la réunion plénière du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Pour mener le combat contre l’exclusion et la pauvreté, il faut des femmes et des hommes d’engagement, qui portent des convictions et qui soient force de propositions. Je tiens à saluer à ce titre le travail que vous menez au CNLE qui s’inscrit pleinement dans cette philosophie. Et je souhaite que nous continuions à travailler ensemble, comme cela a été le cas avec mes prédécesseurs Michel Sapin et François Rebsamen.

Ma conviction profonde est que les politiques de l’emploi et de la formation ont un rôle immense à jouer dans ce combat. Nos échanges, sur le compte personnel d’activité et le plan contre le chômage de longue durée permettront dans un instant de débattre sur les orientations des politiques du ministère. Mais je souhaite d’abord resituer ces avancées dans l’action menée par le gouvernement depuis 2012.

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Vous le savez, le Président de la République a fait de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion l’une de ses priorités. Dans son action, le gouvernement a tenu à associer pleinement l’ensemble des parties prenantes du CNLE. Cette mobilisation commune était une impérieuse nécessité : entre 2008 et 2012, le nombre de personnes en situation de pauvreté avait augmenté de plus de 800 000.

Elle s’est traduite par le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, dont la mise en œuvre a été régulièrement vérifiée. Le ministère du travail et de l’emploi y a pris toute sa part.

Un effort très important a été consenti pour renforcer la solidarité envers les personnes les plus en difficulté :

  • Le montant du RSA socle a été revalorisé à plusieurs reprises, au-delà de l’inflation ; en 2012, il était de 475 euros pour une personne isolée, il est aujourd’hui de 524 euros ;
  • Le nombre de personnes bénéficiant de la gratuité des soins grâce à la CMU complémentaire a été considérablement augmenté, et l’accès des bénéficiaires aux soins dentaires et optiques a été amélioré ;
  • La prime d’activité a été créée par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, et va entrer en vigueur dans quelques semaines, le 1er janvier 2016 ; cette réforme, que le CNLE a soutenue, va encourager l’activité en soutenant le pouvoir d’achat des travailleurs modestes, de façon plus lisible, et concentrer les aides sur les personnes les plus précaires.

Au cours de ces années, les effets de la crise se sont encore faits sentir, et la situation est restée très difficile pour nombre de nos concitoyens. Mais cet effort de solidarité a produit des résultats. En 2013, dernière année pour laquelle nous disposons des statistiques sur la pauvreté, le taux de pauvreté a reculé pour la première fois depuis la crise, le nombre de personnes passant sous le seuil de pauvreté baissant de près de 200 000. Cette baisse a particulièrement concerné les enfants et les familles monoparentales.

L’effort de solidarité doit se poursuivre. Cette année encore, la prime de Noël sera versée aux bénéficiaires de minima sociaux, notamment du RSA et de l’ASS. Environ 2 millions de foyers seront concernés. C’est depuis 2013 que la prime de Noël a un financement pérenne, apporté par le Fonds national des solidarités actives, ce qui supprime l’incertitude qui pouvait exister auparavant chaque année sur sa reconduction.

Cet effort de solidarité doit s’accompagner d’un effort de réforme, pour que nos dispositifs soient plus efficaces et plus lisibles. Vos travaux l’ont montré à de multiples reprises, dans la lutte contre la pauvreté, il n’y pas d’efficacité si les dispositifs ne sont pas simples d’accès pour les personnes les plus précaires. C’est le sens de la création de la prime d’activité.

Pour les minima sociaux aussi, nous pouvons encore gagner en simplicité. C’est pourquoi le Premier ministre a confié récemment à Christophe Sirugue une mission sur la réforme des minima sociaux, notamment le RSA et l’ASS. Cette mission a pour objectifs de renforcer la cohérence de notre système de minima sociaux, d’améliorer l’accès aux droits et de rendre plus efficaces les politiques d’insertion. Les associations de lutte contre la pauvreté, les collectivités territoriales et les acteurs du service public de l’emploi y seront associés dans le cadre d’un groupe de travail, comme cela avait été le cas pour le rapport de Christophe Sirugue sur le RSA activité et la prime pour l’emploi.

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Je présenterai au début de l’année 2016 une autre réforme d’ampleur : la création du compte personnel d’activité. Notre réunion est l’occasion de vous en présenter les contours et d’entendre vos propositions.

Le CPA a été voulu par le Président de la République comme une réforme de progrès social. Le Parlement en a voté le principe dans la loi du 17 août 2015. Le CPA a vocation à être ouvert à tous les actifs, quel que soit leur statut, à compter du 1er janvier 2017.

Le CPA sera un compte, sur lesquels les actifs accumuleront des droits tout au long de leur carrière professionnelle, sans jamais les perdre quels que soient leurs changements d’emploi et de statut. Dans un cadre défini collectivement, ils pourront décider des utilisations les plus utiles à la construction de leur parcours professionnel. Concrètement, le CPA intègrera des dispositifs existants, le compte personnel de formation (CPF) et le compte personnel de prévention de la pénibilité, et sera enrichi par des éléments complémentaires, que la négociation entre les partenaires sociaux doit définir.

Le CPA est un dispositif universel et les personnes en situation de pauvreté et de précarité y auront droit comme les autres. Pour autant, je crois qu’une attention particulière doit être portée à leurs besoins. Trop souvent, nos dispositifs sont conçus sur un modèle implicite, celui de la personne avec un emploi stable à temps plein. Or on se rend compte après coup qu’ils ne conviennent pas aux personnes dont les trajectoires sont plus heurtées. Pourtant, c’est d’abord pour elles que nous devons construire le CPA. Le CPA a pour but de sécuriser les parcours professionnels : cette sécurisation, les personnes en situation de pauvreté et de précarité en ont encore plus besoin que les autres.

Voilà pour les grands principes de la réforme. Sur la méthode, suite à la Conférence sociale pour l’emploi du 19 octobre, une négociation interprofessionnelle a été engagée entre les partenaires sociaux. Ceux-ci ont tenu lundi leur première séance de négociation et se sont donnés un calendrier de travail. Je les remercie de leur mobilisation.

Pour autant, comme plusieurs organisations de salariés et d’employeurs l’ont dit, les enjeux du CPA sont si larges que la négociation interprofessionnelle ne peut les traiter tous. Nombre des acteurs de la société civile, notamment ceux qui sont représentés au CNLE, ont vocation à contribuer à sa construction. Ils peuvent le faire dans le cadre des échanges réguliers qu’elles ont, au sein du collectif Alertes, avec les partenaires sociaux ; ceux-ci seront ainsi éclairés dans leur négociation.

Comme la feuille de route de la Conférence sociale l’a prévu, je souhaite aussi qu’un exercice de participation citoyenne soit conduit sur le CPA. Celui-ci permettra aux acteurs de la société civile d’apporter leur contribution. Ce doit être aussi un exercice de participation directe des personnes, pour que le CPA soit construit au plus près de leurs besoins. C’est d’une importance particulière pour les personnes les plus en difficulté. Dans le cadre des travaux de France Stratégie sur le CPA, Solidarités nouvelles face au chômage avait organisé un atelier ; c’est ce type d’expérience qu’il nous faut reproduire et amplifier.

Un autre sujet déterminant est celui de l’accompagnement à l’utilisation du CPA. Pour nombre de personnes, notamment les plus en difficulté, les droits inscrits sur le CPA ne pourront être une réalité que si un accompagnement approprié est mis en place. Sur ce sujet, j’attends particulièrement de vos contributions. Vos associations, vos réseaux, sont au plus près des personnes en situation de pauvreté ou de précarité. Pour qu’il soit une réussite, le CPA doit pouvoir s’inscrire dans chacun des dispositifs d’accompagnement, qu’ils soient mis en œuvre par une mission locale, un CHRS, ou un conseil départemental. Il doit aider les accompagnateurs à connaître les droits de la personne et à la conseiller dans la mobilisation de ceux-ci. C’est pourquoi le CPA doit être construit avec les réseaux de l’accompagnement, notamment son interface numérique.

Ce sont aussi bien sûr, les contributions des personnes elles-mêmes qui sont importantes. J’ai été très intéressée à cet égard par les questions soumises par le 8e collège du CNLE. Elles nous rappellent trois exigences, qui font pour moi partie du cahier des charges du CPA et de son futur opérateur :

  • Pour l’information sur les droits, un service d’accompagnement humain, accessible à des personnes à faibles ressources (et donc pas par un numéro surtaxé), est indispensable ;
  • Pour que toutes les personnes puissent bénéficier des services numériques associés au CPA, les réseaux de médiation numérique devront être mobilisés ;
  • Enfin, la sécurité des données personnelles doit être assurée, et je m’engage à ce que la CNIL soit impliquée très en amont de la conception du système d’information du CPA.

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Notre réunion nous permet de faire ensemble un point sur la mise en œuvre du plan "Nouvelles solutions face au chômage de longue durée". Car le chômage de longue durée est un vrai facteur d’exclusion, une spirale qui éloigne des personnes de la société et les plonge souvent dans la précarité.

Ce plan annoncé en février 2015 est le fruit d’un travail de réflexion et de concertation mené par François Rebsamen qui a duré plusieurs mois. Avec les partenaires sociaux, les Régions, Pôle emploi, les acteurs de l’insertion, tous les moyens pour lutter contre ce fléau du chômage de longue durée qui touche aujourd’hui 4 demandeurs d’emploi sur 10 ont été mis sur la table.

Cette méthode de travail a été efficace. Elle a permis d’imaginer et proposer 20 mesures très concrètes qui changent le quotidien de ces personnes. Et elle initie une volonté commune de travailler ensemble pour que ce plan ne soit pas un aboutissement mais le premier pas d’une mobilisation générale. Je crois que cette réunion du CNLE s’inscrit pleinement dans cette dynamique.

Ce plan ambitieux s’organise autour de 3 axes. Il serait fastidieux de détailler ici toutes les mesures, qui feront au mois de janvier l’objet d’un bilan détaillé, mais je souhaite vous faire part de quelques une des avancées.

Le premier axe, c’est de mieux accompagner et former les demandeurs emplois. C’est-à-dire, faire en sorte qu’ils soient mieux suivis et que des réponses personnalisées leur soient proposées :

  • Le plan prévoit ainsi que d’ici 2017, deux fois plus de personnes bénéficient d’un suivi renforcé de Pôle emploi. En juin, l’objectif pour 2015 était déjà atteint, avec près de 370 000 personnes en accompagnement renforcé.
  • Un droit réel à la formation qualifiante gratuite a été mis en place en 2015 pour les demandeurs d’emploi via le compte personnel de formation, abondé en conséquence. Au 30 novembre 2015, 116 450 demandeurs d’emploi avaient pu bénéficier d’une entrée en formation éligible au CPF (70 123 sur financement Pôle Emploi, 46 327 sur financement d’un conseil régional).
  • Les contrats de professionnalisation Nouvelle chance et Nouvelle carrière ont été mis en place, et commencent à être mobilisés.
  • Enfin, des travaux sont engagés afin de lever les difficultés rencontrées par les structures de l’insertion par l’activité économique pour mobiliser les nouveaux outils de la formation professionnelle.

Le deuxième objectif, c’est d’aider à surmonter les obstacles de la vie personnelle qui freinent la recherche d’emploi et empêchent de retrouver un travail :

  • La prestation Déclic pour l’action mise en œuvre par l’AFPA depuis le mois de septembre intègre des prestations d’hébergement et de restauration, de développement des compétences, d’appui social et d’accès à la citoyenneté pour 2000 jeunes en 2015.
  • Ensuite, pour faciliter la garde d’enfants, en particulier pour les mères isolées en recherche d’emploi, Pôle emploi et la CNAF ont développé une application géolocalisée qui sera accessible sur l’Emploi Store, permettant d’identifier facilement les crèches susceptibles d’accueillir ponctuellement les enfants des demandeurs d’emploi le temps d’un entretien d’embauche, d’une visite dans une agence Pôle emploi ou d’une formation.
  • Des crèches à dites à « vocation d’insertion professionnelle » accueilleront pour une durée de 6 mois les enfants des demandeurs d’emploi, prioritairement ceux issus des familles monoparentales ou résidant dans les quartiers politique de la ville, qui s’engagent dans une démarche d’accompagnement global.

Enfin, le troisième objectif, c’est de sortir les personnes du chômage de longue durée en accompagnant les employeurs qui s’engagent dans des recrutements de publics parfois éloignés de l’emploi :

  • Les périodes de mise en situation professionnelle, mises en place début 2015, permettent un appui au processus d’insertion pour le bénéficiaire, mais aussi un appui au recrutement pour l’entreprise. Au 30 septembre 2015, près de 170 000 périodes de mise en situation professionnelle avaient été activées, leur mobilisation est donc supérieure à celles des outils préexistants.
  • Afin de la faire encore mieux connaître aux entreprises, les Direccte lanceront une campagne d’information pour proposer aux entreprises d’apparaître dans une liste locale de volontaires pour accueillir des demandeurs d’emploi dans ce cadre.
  • Par ailleurs, la prestation de suivi dans l’emploi pour aider les employeurs à recruter durablement des demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail, après un long travail d’élaboration est activable depuis le 1er novembre, au bénéfice de 8000 personnes. Après la phase pilote qui se déroulera jusqu’au 30 juin 2016, elle fera l’objet d’une évaluation afin de d’examiner les conditions de sa pérennisation. Les conditions de mobilisation et de renouvellement des contrats aidés ont été assouplies par la loi relative au dialogue social et à l’emploi du 17 août 2015, en particulier pour les séniors.

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Mesdames et messieurs,

La lutte contre la pauvreté et l’exclusion est une exigence : une exigence face à une situation sociale qui ne permet pas à tant de personnes de vivre décemment, une exigence face à la montée du repli sur soi et du vote en faveur des extrêmes.

Vous pouvez compter sur moi pour faire des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle un des bras armés de ce combat collectif et citoyen.

Je vous remercie.