Intervention de Myriam El Khomri, à l’occasion du débat du groupe CRC "Santé au travail"

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des affaires sociales,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je suis heureuse de pouvoir intervenir à l’occasion de ce débat consacré à la question du travail, avec une attention plus particulière accordée ce soir à la problématique de la santé au travail.

Avant de répondre aux questions que vous avez soulevées, je souhaitais revenir rapidement sur ce qui me semble être la place du travail au sein de notre société, comme nous y invite votre collègue Annie David.

C’est un fait, le travail reste un vecteur extrêmement puissant d’intégration économique et sociale et d’émancipation personnelle.

A ce titre, il occupe une place centrale dans nos constructions identitaires, individuelle et collective.
Mais pour chacun d’entre nous, la frontière est toujours plus ténue entre l’individu au travail et tous les autres pans de la vie humaine : les mutations dans le monde productif et les aspirations individuelles mêlent ainsi de plus en plus le professionnel et le personnel, dans une articulation complexe, tour à tour source d’épanouissement, mais potentiellement source également de nouvelles souffrances.

Ma conviction, c’est que la conciliation de la réalisation professionnelle et de l’accomplissement personnel est une utopie réaliste.

Dans une société de progrès, vie professionnelle et vie personnelle doivent pouvoir s’articuler pour garantir et le bien-être et l’efficacité des travailleurs, dans une dynamique vertueuse.

C’est tout l’enjeu de la qualité de vie au travail, cette « QVT » comme disent les spécialistes, qui s’affirme comme une revendication légitime et qui offre à un individu les leviers de son bien-être professionnel.

Cela passe par l’intérêt éprouvé pour sa mission, l’ambiance et l’environnement de travail, la charge de travail naturellement, l’autonomie accordée, les perspectives d’évolution, la reconnaissance – de ses pairs et de sa hiérarchie -, les conditions de trajet domicile-travail, etc. etc.

Il est impossible d’être exhaustive, tant s’agrègent de facteurs qui concourent à la satisfaction professionnelle de chacun-e.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que la combinaison de tous ces paramètres pèse fortement sur la qualité de vie générale de l’individu, sur la performance organisationnelle et, par conséquent, sur le fonctionnement global de notre société.

De ce point de vue, la transition numérique nous offre un beau défi pour faire de cette profonde mutation technologique une opportunité de progrès économique et social, réinventant le sens et les formes du travail dans notre organisation collective, en permettant à chacun-e de s’y retrouver.

Assurément pas en ouvrant l’horizon d’une société déshumanisée ou d’une société faisant rimer connexion et aliénation, soumettant les individus à une cadence toujours plus intensive.

Dans un monde moderne, enfin, employeurs et employés doivent pouvoir se reposer sur le dialogue social pour co-définir les orientations stratégiques de l’entreprise, son organisation et son fonctionnement. Il ne s’agit pas bien sûr de nier l’existence de rapports de force au sein des entreprises, mais d’encourager des débats réguliers et constructifs au bénéfice de tous.

C’est cette vision que je défends.

C’est cette vision que je porte avec le projet de loi de réforme du code du travail qui sera présenté jeudi en conseil des Ministres.

Avec ce texte, nous adaptons et modernisons les règles qui encadrent le monde du travail aux grandes évolutions économiques, sociales et sociétales que chacun peut constater au sein de notre société.

C’est le renforcement du dialogue social, c’est la souplesse apportée aux entreprises, ce sont les protections garanties aux salariés, notamment à travers le compte personnel d’activité.

C’est aussi justement le renouvellement de notre approche concernant la santé au travail.

Sur ce point, nous voulons bien sûr nous assurer que le travail ne soit pas synonyme de souffrances physiques ou psychiques, mais nous voulons aussi que les lieux de travail soient des lieux d’épanouissement et de bien-être.

Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas seulement de limiter les risques, mais aussi de soutenir le développement humain dans le cadre du travail. Cela passe par la reconnaissance de la place de chacun, l’autonomie et la participation.
C’est à la fois un droit pour les travailleurs et un atout pour les entreprises et les administrations qui, évidemment, fonctionnent mieux lorsque leurs salariés vont bien.

Il faut s’en tenir à quelques principes de bon sens en la matière : des salariés qui se sentent bien dans leur environnement professionnel, ce sont des salariés moins malades, moins absents, plus impliqués, plus solidaires, plus efficaces, qui mettent leur investissement au service du collectif.

Pour pouvoir atteindre cet objectif, nous défendons le passage d’une logique de réparation à une logique de prévention.

Pour faire de l’entreprise un lieu où le bien-être est possible, nous ne pouvons pas nous contenter de traiter et d’indemniser les pathologies lorsqu’elles apparaissent.

Il serait bien sûr absurde de nier ces maux : l’activité professionnelle nuit parfois à la santé des salariés et le Gouvernement, qui a mis en place le compte personnel de prévention de la pénibilité, agit en pleine conscience.

Mais le plus pertinent est naturellement d’agir en amont pour éviter que ces maux existent.

C’est toute la philosophie du plan santé au travail et des mesures relatives à la médecine du travail contenues dans le projet de loi sur la réforme du code du travail.

Je veux favoriser une approche collective dynamique, moderne et qui réponde directement aux situations que l’on observe concrètement dans les entreprises et administrations aujourd’hui.

  • La nouvelle conception de la santé au travail avec le « plan santé au travail 2016 - 2020 »

Concernant le Plan santé au travail : j’ai officialisé en décembre dernier ce document qui constitue la feuille de route du Gouvernement en la matière jusqu’en 2020.

Ce plan marque une étape importante dans la politique de santé au travail en France et cela pour deux raisons.

D’abord : comme je le soulignais à l’instant, il marque un infléchissement majeur en faveur de la prévention. Bien sûr, cette nouvelle approche suppose une petite révolution culturelle et l’adoption de nouveaux réflexes collectifs et individuels en matière de santé au travail.

Ce qui me conduit au deuxième point qui caractérise ce plan, à savoir le rôle particulier qu’ont joué les partenaires sociaux dans son élaboration.
Cette implication, c’est pour moi la meilleure garantie de la qualité du texte, de son appropriation par tous les acteurs de l’entreprise et donc de son efficacité.

Je veux saluer à ce titre les travaux des membres du Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail.
Cette instance paritaire est le modèle à suivre en matière de dialogue social. Tous les points de vue peuvent s’y exprimer chacun apportant ses compétences, ses expériences et ses propositions.
Cette capacité à dialoguer, à s’écouter, à trouver des terrains d’entente est une caractéristique forte du COCT.
La concertation sert clairement l’intérêt général lorsqu’elle permet à ce « Plan Santé au Travail », longuement discuté avec les partenaires sociaux, d’être approuvé par l’ensemble de ces derniers.

  • La réforme de la médecine du travail avec le projet de loi travail

En parallèle du Plan santé au travail, le projet de loi consacré à la réforme du code du travail contient des mesures de modernisation de la médecine du travail, qui s’inscrit dans la continuité du rapport de Monsieur le Député Issindou et de la loi relative au dialogue social et à l’emploi

Vous le savez, l’idée qu’une réforme à ce sujet est nécessaire n’est pas nouvelle.

Le système actuel, malgré ses ambitions, ne garantit pas dans les faits le suivi des salariés, et nous ne pouvons donc pas nous en satisfaire.

Il faut dire les choses telles qu’elles sont : il y a une pénurie des ressources médicales
On anticipe le passage de 5000 médecins à 2500 d’ici 2020 et il faut donc repenser l’organisation de la médecine du travail en conséquence.
Ma conviction c’est que nous pouvons tout à fait faire cet effort et améliorer le système par la même occasion.
[Nous ne pouvons-nous satisfaire de la réalisation d’uniquement 3 millions de visites médicales sur les 20 millions d’embauches réalisés chaque année. Cette situation est ]

Pour cela, il s’agit de miser sur une approche qui privilégie la prévention et qui donne la priorité à ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés
Concrètement, tous les salariés bénéficieront d’une réunion de sensibilisation aux risques professionnels qui pourra être réalisées par des infirmiers ou des préventeurs sous l’autorité du médecin du travail. L’infirmier pourra bien sûr orienter le salarié vers un médecin du travail.

Dans le même temps, les visites médicales d’embauches et périodiques seront évidemment maintenues pour les postes à risques.

Je souligne par ailleurs que le projet de loi prévoit l’introduction d’un nouvel article au code du travail qui sanctuarise le principe selon lequel « Tout travailleur bénéficie, (…) d’un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail et, sous l’autorité de celui-ci, par les autres professionnels de santé membres de l’équipe pluridisciplinaire (…) qu’il anime et coordonne ».

Contrairement aux propos des détracteurs de la réforme de la médecine du travail, l’objectif n’est donc pas de créer moins de protection ou de suivi, mais bien de faire en sorte que la médecine du travail soit plus individualisée et plus efficace.
Cette approche optimisée de la médecine du travail, plus finement ciblée et davantage tournée vers la prévention, c’est celle qui est portée par les partenaires sociaux du COCT, qui m’ont encore adressée le 16 mars une lettre en ce sens.

Voici donc en quelques mots, l’esprit du plan santé au travail et des mesures relatives à la médecine du travail contenues dans le projet de loi travail.

Je voudrais pour terminer répondre plus directement aux questions qui ont été posées ce soir et en particulier celles concernant le burn-out, la réglementation relative à l’amiante et le droit de déconnexion.

  • La prise en compte accrue du risque de burn-out

Même si les causes en sont parfois complexes, le burn-out fait partie des risques psychosociaux dont l’origine est à rechercher dans les conditions d’emploi, l’organisation du travail ou les relations de travail.

Cette forme d’épuisement professionnel est particulièrement grave, c’est pourquoi le Gouvernement s’est déjà pleinement saisi de ce sujet.

Notamment à travers l’article 27 de la loi relative au dialogue social et à l’emploi d’août 2015, qui a constitué une avancée majeure en instaurant la pleine reconnaissance du burnout parmi les maladies psychiques et son traitement dans le cadre des instances compétentes.

De ce point de vue, les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles ont pleinement pris leur part de cette action puisque, aujourd’hui, ce sont près de 50% des pathologies psychiques qui sont reconnues comme maladie professionnelle, contre 15% pour les autres maladies professionnelles.

Ce travail législatif et administratif a donc permis de doter notre pays d’un cadre adéquat pour travailler à la réparation de ce nouveau fléau.
Mais nous partageons la volonté des partenaires sociaux de donner désormais la priorité à la prévention sur cette question du burn-out.

C’est, je l’ai dit, un axe fort du plan santé au travail (PST) et c’est le sens de la mission que je souhaite confier avec Marisol Touraine à la Haute autorité de santé (HAS) afin d’améliorer la connaissance du syndrome d’épuisement professionnel auprès des personnels médicaux.

Je souligne enfin que la loi du 4 août prévoit la remise d’un rapport d’analyse sur les modalités de reconnaissance du burn-out. Pour pouvoir avancer plus vite sur cette question, j’ai souhaité que ce rapport me soit remis dès la fin mars et non en juin comme initialement prévu.

Nous pourrons à partir de ses conclusions engager un travail commun approfondi pour, si nécessaire, améliorer le dispositif.

Sur le sujet précis du burnout en milieu hospitalier, même s’il concerne plus directement le ministère de la Santé, il est clair que cette thématique est aujourd’hui placée au cœur des préoccupations des professionnels de santé.
Les contextes d’exercice de ceux-ci, qu’ils soient libéraux, salariés ou hospitaliers, les exposent en effet à des tensions particulières liées à divers facteurs : responsabilité vis-à-vis des patients, charge de travail, horaires atypiques, renforcement des exigences en matière de régulation notamment.

Notre volonté est de développer les démarches de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des professionnels médicaux aux facteurs de risques professionnels / psycho-sociaux.

  • La gestion des maladies professionnelles liées à l’amiante

Concernant la question des maladies professionnelles liées à l’amiante, la mobilisation du Gouvernement à ce sujet est constante et totale.

Je rappelle que ces maladies sont au premier rang des indemnisations versées par la branche AT-MP de la sécurité sociale au titre des maladies professionnelles avec 936 millions d’euros en 2014, soit 42% du coût total des indemnités versées.

A ces indemnisations s’ajoutent celles versées par le FCAATA (779 millions d’euros en 2014) et le FIVA (521 millions d’euros en 2014).

En 2012, le ministère du travail a engagé une réforme d’ampleur de la gestion du risque amiante en direction des salariés.
Je veille en particulier à ce que cette réforme fasse l’objet d’un suivi et d’une application coordonnée entre les ministères concernés.
Dans mon ministère, nous avons engagé une forte action en direction de l’inspection du travail en inscrivant la prévention des risques liés à l’amiante parmi les priorités nationales fixées aux DIRECCTE en 2015 et 2016, en produisant des outils méthodologiques destinés aux agents de contrôle et en mettant en place un programme de formation d’envergure.

Nous travaillons également en ce moment à la rédaction d’une feuille de route commune avec la Ministre du Logement, la Ministre de la Santé et la Ministre de l’Ecologie qui devrait nous permettre de franchir une nouvelle étape en faveur des personnes exposées à l’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle passée.

C’est notamment le cas avec la systématisation du diagnostic préalable de repérage avant travaux, qui constitue une garantie forte pour la santé des travailleurs exposés à un tel risque. Après 2 ans de travail, l’ordonnance prévoyant son introduction dans le code du travail est cours d’examen par le conseil d’Etat.

  • L’introduction du droit à la déconnexion

Pour terminer je veux revenir rapidement sur le droit à la déconnexion que nous souhaitons introduire avec l’avant-projet de loi de réforme du code du travail.

Comme le soulignaient les conclusions du Rapport Mettling de septembre 2015, le développement du numérique au travail peut être un levier de développement de la qualité de vie au travail mais également un facteur d’accroissement des risques psycho-sociaux.
Chacun peut le constater la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle devient de plus en plus poreuse et le numérique contribue fortement à cette évolution.

C’est donc pour permettre de rétablir cette frontière lorsque cela s’avère nécessaire que l’avant-projet de loi institue un droit à la déconnexion pour tous les salariés.

Ce droit sera garanti et ses modalités de mise en œuvre seront définies au sein de chaque entreprise par accord collectif, afin de permettre d’adapter ses modalités d’exercice aux spécificités de chaque entreprise. En l’absence de régulation, l’usage d’outils numériques peut contribuer à la détérioration des conditions de travail, d’autant que la rapidité et la facilité des échanges via le numérique ont favorisé l’émergence d’une culture de l’urgence et de l’immédiateté. La loi instaure justement le principe d’une régulation, qui obligera les plus grandes entreprises à se doter de chartes et à placer cette problématique nouvelle au cœur de la réflexion autour de la qualité de vie au travail.

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Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Voici en quelques mots ce que je souhaitais vous dire à l’occasion de ce débat.

Le monde du travail a connu des évolutions profondes au cours des dernières années, notamment du fait de la révolution numérique, mais également en raison de nouvelles pratiques et de nouvelles organisations du travail au sein des entreprises, sans compter les aspirations renforcées de nos concitoyens pour une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Notre responsabilité, et en particulier ma responsabilité en tant que Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, c’est de porter une culture de prévention et de proposer un cadre à ces évolutions du monde du travail.

C’est tout le sens de mon action, c’est tout le sens du Plan santé au travail, et c’est tout le sens du projet de loi qui sera bientôt débattu au Parlement.

Je vous remercie,