Intervention de Monsieur François REBSAMEN - Conférence pour l’emploi et la croissance

Intervention de Monsieur François Rebsamen à la conférence pour l’emploi et la croissance, Milan, le 8 octobre 2014

Seul le prononcé fait foi

M. Bobba, chers collègues ministres,
Mesdames et messieurs les partenaires sociaux,
Mesdames et messieurs les directeurs des services publics nationaux de l’emploi,

1. Un an et demi après l’adoption par le Conseil européen de la Garantie européenne pour la jeunesse, en avril 2013, les États membres et la Commission se sont mis en ordre de marche pour lutter contre le chômage et les difficultés d’insertion professionnelle qui concernent aujourd’hui quelques 6 millions de jeunes européens.

L’ambition politique de la Garantie européenne pour la jeunesse est de « veiller à ce que tous les jeunes de moins de 25 ans se voient proposer un emploi de qualité, une formation continue, un apprentissage ou un stage dans les 4 mois suivant la perte de leur emploi ou leur sortie de l’enseignement formel ».
Cette ambition partagée est aujourd’hui en acte et c’est par le second point de l’ordre du jour que M. Poletti nous a proposé que je souhaite commencer mon intervention.
Le compte-rendu de M. Pirrone, que je remercie, montre que nos services publics de l’emploi, ont
mis en œuvre :

 les partenariats utiles pour cibler et aller chercher les jeunes qui ont des difficultés temporaires ou durables d’insertion socioprofessionnelle.
Je pense notamment aux institutions en charge de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la formation en alternance, et des associations d’insertion et d’action sociale,

 un accompagnement spécifique, à l’écoute des problèmes que connaissent les moins de 25 ans, notamment par manque de qualification, d’information, de lien avec l’entreprise ou d’orientation adéquate.
En France, par exemple, 700 conseillers du Pôle emploi, spécialement formés aux problématiques des jeunes entrant sur le marché du travail, seront dédiés à l’accompagnement renforcé de plus de 30 000 jeunes NEETs,

 les liens avec les entreprises, si importants pour éviter les ruptures et les errements des jeunes, et pour remettre au cœur de l’intégration sociale, professionnelle et citoyenne des employeurs qui ont aussi besoin d’aide pour recruter sans a priori des jeunes demandeurs d’emploi.

Le réseau européen de nos services publics de l’emploi permet un meilleur service aux jeunes chômeurs grâce au partage des initiatives et des innovations, grâce aux collaborations, et grâce à l’émulation.
En tant que ministres de l’emploi, nous devons nous attacher à renforcer et approfondir ce réseau, sans doute en élaborant une coopération rénovée avec les partenaires sociaux au niveau européen.
Ainsi, en France, l’emploi des jeunes est au cœur du dialogue social. Des engagements forts et conjoints, en ligne avec la Garantie, ont été pris par le Gouvernement et les partenaires sociaux lors de la grande conférence sociale de juillet 2014 :

 pour lutter contre le décrochage scolaire et les sorties d’école sans qualification, notamment grâce à des plates-formes régionales de lutte contre le décrochage à l’organisation rénovée,

 pour lancer une concertation sur la mobilisation des outils et moyens paritaires dans l’accès à la formation, la levée des freins à la mobilité et à l’emploi (logement, transports…) y compris au niveau européen avec un renforcement des portails EURES et l’accompagnement vers l’emploi durable,

 pour multiplier les mises en situation professionnelle dans la formation initiale afin d’acculturer les jeunes au monde de l’entreprise, et d’aider les entreprises à recruter et intégrer des jeunes grâce à des « pôles de stages et de périodes de formation en milieu professionnel ».

2. Un an après la création de l’Initiative européenne pour la jeunesse, l’un des outils financiers de la Garantie européenne, les États membres éligibles ont présenté à la Commission leurs actions dédiées aux jeunes les plus en difficulté, les NEETs.

Cependant, la concrétisation traine devant des obstacles que je qualifierais de deux sortes :
 D’abord, les obstacles sont « conjoncturels ». Les porteurs de projet, souvent associatifs, ne disposent pas de la trésorerie nécessaire pour amorcer leurs actions pourtant validées, et cruciales pour notre jeunesse en difficulté.

Dans le contexte macroéconomique actuel, et devant leurs propres contraintes budgétaires, les gouvernements eux-mêmes ont beaucoup de mal à lever cette contrainte de liquidité.
Dès lors, comme l’indique M. Poletti dans sa lettre, le faible niveau du préfinancement par l’IEJ pose problème.

 Ensuite, les obstacles sont « structurels » et attachés au fonctionnement des fonds structurels.

Oui, il faut que le remboursement par la Commission s’appuie sur des justificatifs d’argent déboursé. Non, on ne peut pas laisser six mois à la Commission pour décider si les modalités de justification seront acceptées. Sans cette assurance basique, que fera le porteur de projet ? Rien.
Les jeunes ne peuvent pas attendre 6 mois de plus.
Oui, il faut cibler nos efforts sur les jeunes en difficulté, ceux qui sont aujourd’hui sans attaches scolaires, professionnelles, et sociales. Non, on ne peut pas refuser à celui qui a accompagné avec succès ces jeunes qui s’en sortent, le remboursement de son risque parce que les jeunes qu’il a sortis de la galère n’y sont justement plus au moment où il justifie ses actions. Pénaliser le succès n’a jamais suscité la prise de risque, surtout pour des publics toujours sur le point de rupture.
Des solutions sont possibles et la France souhaite soumettre au débat des propositions fortes et concrètes pour accélérer l’investissement dans la jeunesse européenne, seul investissement d’avenir qui existe.
Ces solutions je vous les décris ici brièvement et modestement sous la forme de questions à débattre aujourd’hui :

 Pourquoi la Commission et les États membres éligibles à l’IEJ ne trouveraient pas rapidement, et ensemble, la façon de valider « par partie », et en avance d’une validation plus globale, les parties de programmes opérationnels qui s’inscrivent dans le cadre de la garantie européenne pour la jeunesse ?

 Pourquoi ne pourrait-on pas apprécier de façon rétroactive le statut de NEET des jeunes accompagnés dans les actions validées afin de ne pas pénaliser des accompagnements qui marchent ?

 Pourquoi ne pas trouver, avec les Commission, des justificatifs de coûts encourus innovants, en particulier sous la forme de forfaits de dépense unitaire que la Commission agréerait dans les plus brefs délais ?

 Enfin, pourquoi ne pas utiliser des financements simples et à coût faible voire nul pour les porteurs de projets en mobilisant les instruments financiers européens existant (comme les prêts de la banque européenne d’investissement) ?

Sur ce dernier point, il me semble que le recours à la BEI, dont les États membres sont actionnaires, doit se faire sans frais, c’est-à-dire à taux zéro : nous ne pouvons nous permettre de dilapider en intermédiation financière (qui reviendrait aux États sous la forme d’intérêt !) les 6 milliards de l’IEJ.

Cela n’aurait pas de sens et les citoyens européens exigent aujourd’hui de la rapidité et de la cohérence dans nos actions communautaires, au moins autant que de l’efficacité.

3. Enfin, M. Poletti nous a interpellés sur les questions plus larges des réformes du marché du travail. Celles que nous menons, comme celles qu’il serait souhaitable de mener de façon coordonnée.

La reprise économique ne peut pas s’inscrire dans la durée si elle laisse au seuil de l’emploi des millions de citoyens européens qui ne comprennent plus le destin de plus en plus inégalitaire et précaire qui leur semble imposé.
En France, comme dans beaucoup d’autres pays de l’Union, le rejet citoyen du projet communautaire est massif.
L’acceptabilité de réformes structurelles de notre marché du travail et de notre système de protection sociale est, par conséquent, très faible, alors même que ces réformes sont nécessaires à la restauration de la compétitivité de nos entreprises et de leur capacité à créer des emplois.
Je pense que là encore le dialogue social est clé. C’est pourquoi en juillet dernier, j’ai proposé aux partenaires sociaux français un document d’orientation les invitant à ouvrir les négociations sur la qualité et l’efficacité du dialogue social au sein des entreprises, notamment les petites et moyennes.

De même, nous devons sécuriser les parcours professionnels en attachant des droits aux personnes, non à leur emploi. À cet égard, la mise en œuvre au 1er octobre dernier des « droits rechargeables » pour les chômeurs est un pas vers une protection qui n’ancre ni dans l’inactivité, ni l’activité précarisée. En effet, toute période travaillée par un demandeur d’emploi avant l’épuisement de ses allocations (avec un plancher de 150h effectuées pendant la période
indemnisée) allonge la durée de ses droits à l’assurance chômage.

Enfin, nos réformes doivent restaurer les marges des entreprises, leurs capacités de trésorerie et d’investissement, et leur capacités et volonté d’embaucher.

Sans un marché du travail qui intègre tous les potentiels et les qualifications, l’Union ne retrouvera pas le chemin d’une croissance durable.
Pour cela, notre investissement dans la jeunesse doit se concrétiser et s’ancrer dans la durée. À cet égard, nous devons rapidement apporter des solutions aux obstacles que j’ai décrits plus haut. J’ai mis sur la table un certain nombre de propositions à examiner et souhaite qu’elles fassent l’objet d’un consensus, ou à défaut d’une convergence, large.

Je vous remercie.