Discours de Myriam El Khomri sur la Remise Rapport France Stratégie sur le « coût des discriminations »

Seul le prononcé fait foi

Madame la Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, chère Laurence,

Monsieur Ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Cher Patrick,

Monsieur le Commissaire général de France Stratégie, Cher Jean Pisani-Ferry,

Mesdames et Messieurs,

Depuis la nuit du 4 d’août 1789 et l’abolition des privilèges, notre pays est amoureux de l’égalité. Un amour sincère et passionné qui a traversé les siècles.

Chacun sait néanmoins qu’il n’a pas suffi d’abolir les privilèges en droit pour que l’égalité triomphe en faits.
Ce constat s’applique bien entendu au monde du travail. Personne, si ce n’est ceux qui se placent en dehors du champ républicain, ne remet en cause l’illégalité et l’immoralité des discriminations à l’embauche et dans l’emploi.
Mais beaucoup en minimisent l’ampleur.

Ceux-là ne voient pas ou ne veulent pas voir que les femmes, les descendants d’immigrés, les natifs des DOM, les personnes en situation de handicap, notamment, sont inégaux face à l’emploi. Notre rôle est donc bien entendu de rappeler le droit avec force, mais aussi et surtout de réveiller les consciences pour que les comportements changent. C’est tout le sens de ce rapport sur le coût économique des discriminations réalisé par France stratégie.

***

M. le Commissaire général, avec ce rapport vous nous aidez à franchir un grand pas pour saisir dans toutes leurs dimensions les dégâts causés par les discriminations.
Nous l’avons dit, les discriminations contreviennent d’abord au principe républicain d’égalité. Ce faisant, elles sont à l’origine d’un violent sentiment d’injustice chez nos concitoyens qui en subissent les conséquences, minant ainsi profondément notre cohésion sociale. C’est ce danger qui nous a amenés à conduire au printemps une grande campagne de sensibilisation intitulée « les compétences d’abord », pour interpeller le grand public et les recruteurs sur la réalité des discriminations. Une réalité encore rappelée avec force par le défenseur des droits hier.

Avec ce rapport, vous ajoutez une corde à notre arc. Ce que nous anticipions, vous le confirmez. Non seulement les discriminations réduisent les performances des entreprises, qui se privent de talents et de potentiels, mais elles entrainent également un manque à gagner considérable pour la collectivité.

Bien sûr, personne ne prétend que la valeur d’une personne se mesure en euros, mais il faut quand même souligner LE chiffre qui ressort de votre analyse : si l’ensemble des acteurs économiques s’engageaient véritablement dans la lutte contre les discriminations, estimez-vous, ce seraient 150 milliards d’euros que notre économie pourrait récupérer. Si les femmes gagnaient enfin autant que les hommes pour un même travail, si les descendants d’immigrés comme les natifs des DOM bénéficiaient du même accès à l’emploi et aux responsabilités que le reste des actifs, notre économie serait plus juste mais aussi considérablement plus prospère.

Ce chiffre colossal de 150 milliards d’euros qui correspond à votre scenario 2 doit nous interpeller. Il met cruellement en lumière le caractère totalement irrationnel des discriminations. C’était un exercice salutaire et un exercice inédit en France, préconisé par le groupe de dialogue, remarquablement réalisé par l’équipe de France Stratégie.

Votre travail renforce plus que jamais la légitimité de notre combat. Car la lutte contre les discriminations à l’embauche et dans l’emploi est l’une des grandes politiques portées par ce ministère. Nous sensibilisons, hier grâce à la campagne d’affichage du printemps dernier « les compétences d’abord », aujourd’hui grâce à votre rapport. Mais, parce que cela ne suffit pas, nous agissons aussi sur le terrain, dans les entreprises.

Il y a d’abord la grande campagne de testing menée depuis le printemps auprès d’une 40aine d’entreprises de plus de 1000 salariés. Cette campagne s’organise en trois étapes :

  • En premier lieu, nous avons évalué cet été la réalité des pratiques discriminatoires à l’échelle de ces grandes entreprises.
  • A réception des résultats, nous engagerons de façon bilatérale un dialogue avec chaque entreprise testée. Chacune aura ainsi l’opportunité d’expliciter, de corriger ses pratiques lorsqu’un risque de discrimination est avéré, d’améliorer ses processus de recrutement dans tous les autres cas.
  • Mais - et c’est la troisième étape de cette campagne de testing - nous serons intraitables avec les entreprises qui prendraient des mesures uniquement cosmétiques. Nous n’aurons alors aucun état d’âme à désigner les mauvais élèves. Chacun doit comprendre que la lutte contre les discriminations n’est pas un gadget. Nous savons aujourd’hui ce que coûtent à la collectivité les pratiques discriminatoires dans l’emploi, comment elles pèsent sur la performance de notre économie. Ces pratiques devront cesser par des actions inscrites dans la durée.

La gravité des enjeux sociaux et économiques impose cette sévérité et je veux également me féliciter de la convention en cours de préparation entre le défenseur des droits et le ministère du Travail qui permettra de coordonner tous les moyens de détection, de contrôle et de sanction des discriminations, en mobilisant notamment l’inspection du travail.

Cette sévérité ne signifie pas que les entreprises sont laissées à elles-mêmes. J’ai souhaité que Pôle emploi développe une offre de service aux employeurs pour leur garantir un processus de recrutement non discriminant, de la publication de l’offre jusqu’à l’entretien d’embauche. De nombreux outils et guides sont développés et nous avons nous-mêmes créé une rubrique sur le site du Ministère du Travail d’information sur la lutte contre les discriminations. Les entreprises ont donc accès à l’information pour se saisir de la problématique et repenser efficacement leurs politiques de recrutement.

Bien entendu l’approche du ministère est globale. Nous agissons auprès des entreprises, mais également directement auprès des publics les plus exposés aux discriminations. Laurence Rossignol et Patrick Kanner détailleront avec précision certaines de ces actions. Pour ma part, je pourrais évoquer dans le domaine de l’emploi :

  • Les contrats starters, qui sont des contrats aidés dans le secteur marchand à destination des jeunes rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle et qui devraient être près de 15 000 à la fin du second semestre 2016. Nous veillerons à ce qu’au moins 35% de ces contrats concernent des quartiers prioritaires de la politique de la Ville.
  • Pôle Emploi qui se mobilise également et s’est engagé à recevoir près de 8 400 jeunes diplômés des quartiers populaires afin de leur proposer un parrainage ou une solution d’insertion ou d’emploi.
  • Viennent enfin les avancées introduites par la loi travail, notamment la généralisation de la garantie jeunes à tous les jeunes en situation de précarité à partir du 1er janvier 2017 et l’introduction d’un droit à la deuxième chance avec le CPA qui permettra à un jeune sans diplôme d’être formé et d’apprendre un métier.

Je pense aussi aux dispositions de la loi travail en faveur de l’égalité professionnelle. Chère Laurence, permets moi à cette occasion de saluer la campagne « Sexisme pas mon genre ». Sache que chacun de mes collaborateurs, femmes et hommes, a bien reçu son badge et a été vivement incité à le porter !

  • La loi travail contient d’abord des dispositions consacrées à la lutte contre le harcèlement et les agissements sexistes qui renforcent les obligations faites aux entreprises et protègent davantage les salariés. Par exemple, l’employeur sera désormais obligé de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à la personne licenciée suite à un traitement discriminatoire ou à un harcèlement moral ou sexuel.
  • La loi travail renforce également la protection des femmes à leur retour de congé maternité.
  • Enfin, la loi travail permet aux personnes en temps partiel, qui sont à 80% des femmes, d’avoir le même nombre d’heures de formation qu’une personne à temps plein.

Concernant l’activité législative récente, je pense également à la création de l’action de groupe dans le cadre du projet de loi Justice du XXIème siècle. Ce nouveau droit permettra d’attaquer les discriminations collectives qui peuvent toucher des candidats ou des salariés.

Je pense enfin à l’amendement initialement déposé par le député Daniel Goldberg, devenu article du projet de loi Egalité-citoyenneté, grâce à l’engagement d’Ericka Bareigts et le soutien de Patrick Kanner, qui vise à inciter les acteurs territoriaux de l’emploi, service public et associations spécialisées à travailler ensemble pour permettre aux jeunes diplômés résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville d’accéder à l’emploi.

***

Monsieur le Commissaire général,

Le rapport de France Stratégie nous invite à redoubler d’efforts car l’éradication des discriminations dans le monde du travail renforce non seulement l’égalité républicaine, mais améliore également notre performance collective, qu’elle soit économique et sociale. Lutter contre ces inégalités est donc non seulement moral mais rationnel.

Il nous revient, en tant que pouvoirs publics, avec le concours des partenaires sociaux et des associations de porter ce message d’espoir : nous sommes déterminés à réaffirmer quelques principes fondamentaux mais tout autant à obtenir des résultats concrets et substantiels. Voilà en tout cas ma feuille de route pour les mois à venir pour qu’enfin le réel se rapproche toujours davantage de l’idéal que nous défendons.

Je vous remercie.