Discours de François Rebsamen - Proposition de loi simplification et au développement du travail, de la formation et de l’emploi, le 09 octobre 2014

Cher Président,
Chers députés,
Cher Gérard Cherpion,

Le calendrier offre des coïncidences parlantes : c’est aujourd’hui, où nous discutons de la proposition de loi déposée par le député Cherpion, que les huit organisations syndicales et patronales représentatives ouvrent officiellement les négociations sur la qualité et l’efficacité du dialogue social dans les entreprises.

Je relève le paradoxe parce que votre proposition de loi, qui je le souligne, n’a pas fait l’objet de concertation avec les partenaires sociaux, est examinée le jour où le dialogue social démontre qu’il est vivant, qu’il existe une volonté des partenaires sociaux, en dépit des oppositions, d’avancer dans la voie de réformes utiles.

Je le dis sans polémique : Je tiens à saluer votre travail, M. Cherpion, et je reconnais la pertinence de certaines propositions de cette PPL, qui ont du sens même si elles ne sont pas adaptées en termes de calendrier ou de méthode.

Mais je veux aussi dire mon étonnement, alors que je connais votre engagement et votre sérieux, devant certaines dispositions de pur affichage ou qui remettent en cause les droits des salariés et notre modèle social

Et en effet, cette proposition de loi comporte un certain nombre de dispositions inacceptables – je pense notamment à votre offensive contre les 35 heures, et à la proposition de revenir à 39 heures.
D’autres propositions sont tellement pertinentes qu’elles….viennent d’être adoptées dans des textes récents ! D’autres encore sont en cours de réflexions avec les partenaires sociaux.

Le texte que vous présentez n’est pas acceptable parce qu’il fait une entorse à une excellente règle de conduite prise sous Gérard Larcher : le dialogue social préalable à la loi.

C’est le gage de faire progresser notre démocratie sociale.

La France est un pays de dialogue social
 40 000 accords l’an dernier dans les entreprises, tous les syndicats qui signent : 85% pour la CGT, 94% pour la CFDT (historique). Notre pays progresse !
 Le bilan de la LSE montre que l’on négocie et trouve des compromis même en cas de destruction de l’emploi ! Dans 60% des procédures PSE, l’accord majoritaire est trouvé.
Les partenaires sociaux sont mûrs pour avancer, mûrs pour trouver des accords, mûrs pour assumer pleinement leurs responsabilités – c’est l’esprit même du pacte de responsabilité !
On ne peut demander aux représentants du patronat et des syndicats d’être responsables QUE SI on leur confie des responsabilités.
Nous avions fait ce constat vous comme nous.
Vous avez réformé la représentativité syndicale, nous avons fait celle de la représentativité patronale.
Là vous retournez en arrière, vous montrez de la défiance vis-à-vis des forces sociales. C’est un renoncement, un recul, et c’est vraiment dommage car là devrait être le socle d’un consensus politique entre nous.

Bien sûr, je peux rejoindre ou partager certaines préoccupations de la PPL

La simplification du droit du travail
Simplification, seuils et IRP (article 1)

 Elle est nécessaire
 C’est pourquoi j’ai adressé cet été un document d’orientation aux partenaires sociaux en les invitant à engager une négociation pour améliorer l’efficacité et la qualité du dialogue social. Cette négociation s’ouvre aujourd’hui même. Elle vise à renforcer l’efficacité du dialogue social, sa fluidité, sa capacité à être utile à l’entreprise et aux salariés. Et cela passe par des mécanismes simples et directs.
 Prenons le cas des IRP. Environ 75% des entreprises de 11 à 20 salariés n’ont pas de représentants du personnel, malgré le franchissement du seuil prévoyant l’élection du délégué du personnel. Il faut trouver les voies permettant une meilleure représentation des salariés dans ces très petites entreprises.
 Des pistes existent.
 mais vous admettrez que faire des propositions sur la représentativité des salariés sans consulter leurs représentants, c’est totalement contradictoire avec l’objectif de renforcer cette représentativité.
 Et résumer la question que vous soulevez à une question de seuils c’est réducteur. Il faut faciliter la vie de l’entreprise et améliorer la représentation des salariés ; il faut adopter des méthodes qui permettent un dialogue social de qualité.
 Et il faut garder à l’esprit que non, le dialogue social n’entrave pas l’entreprise. Il faut cesser de le considérer comme un irritant quand il permet au contraire de fédérer un collectif de travail.
 A l’heure où je vous parle, la balle est dans le camp des partenaires sociaux. Ils s’en sont saisis. Je vous propose de leur faire confiance.

Autre point de convergence : le contact entre l’école et l’entreprise, mais les réformes sont déjà faites.
Des représentants des salariés et des chefs d’entreprise dans les CA des collèges et lycées (article 14)

 C’est déjà fait par la loi « Peillon » du 8 juillet 2013, que vous n’avez d’ailleurs pas votée.
Des sessions de découverte de l’apprentissage au collège (article 17)
 C’est une bonne disposition. Elle est déjà prévue dans le parcours de découverte des métiers et des formations (loi Peillon également ).

Troisième sujet de convergence : le développement de l’apprentissage.

Nous partageons votre conviction qu’il faut développer l’apprentissage. La loi du 5 mars 2014 a permis des avancées majeures qu’il convient de rappeler :
 Une réforme financière qui permet de flécher davantage de taxe d’apprentissage vers cette voie de formation. Par rapport au montant de la taxe d’apprentissage qui aurait été collecté hors réforme en 2015, nous avons donc dégagé plus de 300 M€ de ressources supplémentaires pour l’apprentissage d’ici 2017 ;
 Sécurisation des parcours professionnels des apprentis et amélioration des droits : création d’un contrat à durée indéterminée, renforcement de l’accompagnement du jeune à travers une nouvelle mission confiée aux CFA, amélioration des droits à la retraite des apprentis par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice des systèmes de retraite.
 Du point de vue des entreprises, simplification sur le plan fiscal au niveau de la taxe d’apprentissage et de sa collecte.

Nous avons fixé un objectif : celui d’accueillir 500 000 apprentis en 2017. Mais au-delà de ce chiffre, nous avons une ambition, rappelée le 19 septembre dernier présidée par le Président de la République : celle de renforcer la qualité des formations dispensées, de mieux accompagner, de mieux suivre les entreprises mais aussi les jeunes afin qu’ils accèdent à un emploi et disposent d’un véritable métier. Ce sont ces chantiers qui s’ouvrent maintenant et qui créent le cadre d’un apprentissage de qualité.

J’en viens à vos autres propositions :

Moduler et négocier la durée du contrat d’apprentissage (article 15)
 Ce besoin de souplesse existe déjà. Même si la durée de principe est de 2 années, aujourd’hui, un contrat d’apprentissage peut aller de 6 mois à 4 ans en fonction de la situation de l’apprenti : s’il détient un autre diplôme, s’il a déjà effectué des périodes de formation, etc.
 Mais l’apprentissage reste une formation initiale et non un type de contrat de travail de plus entre l’intérim et le CDD. Nous devons tenir à ce principe et maintenir une durée minimale pour que la formation permette de donner les compétences qui permettront aux jeunes de s’insérer en emploi.

Réintroduire le pré-apprentissage à partir de 14 ans, sous statut scolaire (article 18) :
 La loi du 5 mars dernier introduit déjà une souplesse en prévoyant que le jeune de moins de quinze ans puisse être inscrit soit dans un lycée professionnel, soit dans un centre de formation d’apprentis sous statut scolaire.
 Cette réécriture est conforme au droit européen.
Des souplesses en matière de travaux dangereux pour les apprentis (article 19)
 J’entends la nécessité de renforcer la pertinence de la formation en entreprise pour préparer au mieux les jeunes à l’exercice de leur futur métier ; j’entends la lourdeur de la procédure administrative qui nécessite en amont de demander une autorisation administrative ;
 C’est pourquoi le gouvernement a décidé de se saisir de ces questions, comme je l’ai annoncé le 19 septembre lors de la journée de mobilisation sur l’apprentissage. Des propositions de modification de la règlementation seront prochainement présentées au COCT.
 Mais, je réaffirme que le travail des mineurs ne peut pas obéir aux mêmes règles que celui des adultes.

Quatrième sujet de convergence : le CDD-OD (CDD à objet défini)

 Le CDD à objet défini répond dans certains secteurs (je pense en particulier à l’enseignement supérieur) à certaines attentes et spécificités. Sa pérennisation doit donc être envisagée. Mais il faut le faire en lien avec les partenaires sociaux car ce sont eux qui ont créé cet outil particulier, en 2008, et envisagé sa reconduction.

 J’ai donc lancé les concertations avec les partenaires sociaux sur ce sujet et le gouvernement présentera une disposition avant la fin de l’année si le souhait de pérenniser ce contrat se confirme.

Ainsi, nous avons des points d’accord. Mais faites confiance au dialogue social. Et, actualisez vos propositions car les réformes, nous les avons faites !

La PPL contient des dispositions nocives que nous ne pouvons accepter

a. Des propositions nocives ou illégales pour l’apprentissage
La gratuité de la conclusion, de l’enregistrement et de la rupture du contrat d’apprentissage (article 16)

 c’est déjà fait pour la conclusion et l’enregistrement du contrat d’apprentissage.
 impossible pour la rupture : le contrat d’apprentissage reste un contrat de travail !
 Il n’est pas possible de faire n’importe quoi avec l’apprentissage au motif de le développer.
 l’apprentissage ne sera pas plus attrayant s’il précarise les jeunes.

L’assujettissement des collectivités territoriales à la taxe d’apprentissage (article 20)
 cela relève du monopole de la loi de finances !

b. La marche arrière sur les stages alors que les textes viennent tout juste d’être adoptés
Supprimer les autorisations de congés et d’absence en cas de grossesse, de paternité ou d’adoption ?

 Je croyais que vous défendiez la famille !

Supprimer le plafond de stagiaires par organisme d’accueil ?
 C’est supprimer un moyen de lutte contre les recours massifs et abusifs aux stages.
 Ce n’est pas le moindre des problèmes de nos entreprises que la concurrence déloyale de celles qui abusent des stagiaires.
 Cependant, afin de tenir compte des risques sur l’offre de stages dans certains secteurs, le plafond sera fixé à 15% au lieu des 10% annoncés initialement.

Revenir en arrière sur la gratification des stagiaires ?
 L’augmentation de 2,5% du plafond de la sécurité sociale (par palier) ne paraît pas excessive.
 En revanche, l’exonération de charges de la gratification dans la limite de 80% du SMIC que vous proposez pèserait lourd sur les comptes de la sécurité sociale.

Intégrer les stagiaires embauchés en CDI dans le quota des alternants ?
 Votre but est de diminuer le montant de la taxe d’apprentissage pour les entreprises qui ne recrutent pas d’apprentis à hauteur de l’obligation légale.
 Quel frein au développement de l’apprentissage !
 Et cela créerait la confusion entre le statut du stagiaire et celui de l’apprenti.

c. La fausse route en matière d’indemnités de licenciement (article 13)

 Interdire le versement des indemnités de licenciement n’est pas la solution.
 l’Etat, à travers l’homologation des PSE, dispose d’un levier efficace pour lutter contre une « préférence » pour les indemnités de licenciement.
 Laissons vivre la loi de sécurisation de l’emploi.

d. Vous plaidez pour un retour aux 39 heures

Ça n’est pas acceptable. Les 35h sont un vrai progrès social pour les salariés et nous ne rouvrirons pas ce débat, le Premier ministre l’a rappelé. Je signale au passage que M. Lionel Jospin est auditionné ce matin, dans ces murs, par votre commission d’enquête sur l’impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Les 35h ont changé la donne.
 en matière de dialogue social dans l’entreprise. Comme l’ont relevé de façon continue les bilans de la négociation collective : on négocie davantage. Le temps de travail est aujourd’hui le deuxième sujet de négociation dans les entreprises.
 l’impact en termes de création d’emplois est de + 6 à + 7% (DARES).

Les éléments de souplesse pour lesquels vous plaidez existent depuis 1982 ! en effet, les lois Auroux fixaient la durée journalière de travail à 10 heures en prévoyant qu’il était possible d’y déroger par accord d’entreprise. Les lois sur les 35 heures ont encore accru ces souplesses en prévoyant la possibilité d’un décompte pluri-hebdomadaire. En clair, en prévoyant la possibilité de travailler moins une semaine et plus une autre, en fonction de l’activité.

Aujourd’hui, la négociation permet la souplesse de la gestion du temps de travail dans l’entreprise.
Et je relève que vous avez vous même conservé le seuil des 35h comme celui de déclenchement des heures supplémentaires parce que cette disposition est bonne pour le pouvoir d’achat.

Reste le sujet des conditions de travail. Si la satisfaction l’emporte chez les salariés, il reste un sujet sur l’intensification du travail car en vérité, on est aux antipodes d’une France qui travaille moins. Alors portons ensemble nos efforts sur les conditions de travail plutôt que de rejouer les vieux débats.

e. On pourrait en dire de même sur vos propositions sur le temps partiel

 La loi relative à la sécurisation de l’emploi de juin 2013, a créé un socle minimal de 24 heures de travail hebdomadaires pour les salariés à temps partiel, sauf dérogation individuelle ou accord collectif contraire.
 Résultat : au 12 septembre, 36 accords de branches ont été conclus dont 16 sont d’ores et déjà étendus et 20 devraient l’être prochainement.
 Ce sont ainsi près de 70% des salariés à temps partiel de la trentaine de branches recourant structurellement au temps partiel qui sont couverts. Et si l’on prend en compte les salariés à temps partiel dans les autres branches, on arrive à 1,2 millions de salariés désormais couverts par ces accords.
 Ceux-ci sont même parfois unanimes : c’est le cas dans la bijouterie joaillerie, dans la restauration rapide…
 Au total, les discussions avancent et rares sont les branches en situation de blocage
 Le gouvernement a fait adopter dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises une disposition sécurisant la procédure de « dédit » du salarié lorsque celui-ci a demandé une dérogation pour travailler moins de 24 heures et change ensuite d’avis.
 Le cadre juridique est donc sécurisé, le dialogue social quasiment achevé, et cette réforme constitue, là encore, un vrai progrès social pour les salariés.
 Il n’est pas envisageable de revenir dessus.

En conséquence, à la fois parce que beaucoup de ces questions ont été ou vont être résolues par des voies plus pertinentes, et parce que certaines de vos propositions remettant en cause profondément notre modèle social, le Gouvernement émet un avis défavorable au texte.