Discours de François Rebsamen au Sénat sur le détachement des travailleurs - Commission mixte paritaire

Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la Commission des Affaires Sociales,
Madame la rapporteure Anne Emery Dumas,
Mesdames et messieurs les sénateurs,

Nous sommes réunis aujourd’hui pour concrétiser l’aboutissement d’un travail collectif.
En avril 2013, un rapport du sénateur Eric Bocquet (CRC) pointait l’ampleur du phénomène du détachement dans notre pays, qui s’était multiplié par 4 depuis 2006. Il en soulignait les dégâts dans l’opinion publique, choquée que des salariés étrangers, captent des emplois parce qu’ils coûtaient moins chers aux employeurs, et il alertait sur le risque politique qui en résultait.
Il avait raison.

L’exploitation de la misère de salariés venus d’autres pays d’Europe, la confiscation d’emplois par du dumping salariale, la concurrence sans frein et sans loi qui agresse notre modèle social et fait perdre des marchés aux entreprises (françaises ou non) respectueuses des règles, tout cela est non seulement inacceptable, mais mauvais pour notre économie et mauvais pour l’Europe et la cohésion sociale.

C’est l’absence de dispositions concrètes en matière de contrôle au sein de la directive de 1996 qui explique cette explosion de la fraude au détachement.

Conscient de ce manque, le Gouvernement a négocié pied à pied à Bruxelles, face à une majorité des pays d’Europe plaidant pour la déréglementation.

Mais notre cause était juste et c’est pour cela que nous avons réussi.
Le 25 octobre, c’est au nom de tous – travailleurs français, travailleurs étrangers, entreprises qui respectent les règles et payent leurs cotisations sociales – que la France a refusé un mauvais compromis et s’est donné un mois et demi pour convaincre. C’était risqué, fauted’accord, nous aurions pu en rester aux insuffisantes règles actuelles.

Mais à force de détermination, nous avons arraché un compromis positif contre les fraudes au détachement le 9 décembre.

Ce compromis prévoit que la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle soit ouverte, fixée par chaque pays – ce qui permet d’imposer des règles dans ceux qui n’en ont pas.
Il donne la possibilité d’établir une chaîne de responsabilités des entreprises donneuses d’ordres du BTP vis-à-vis de leurs sous-traitants. Et ce, obligatoirement et dans tous les États, notamment sous la forme d’une responsabilité solidaire.

Cette victoire à l’arrachée démontre que l’Europe peut avancer sur des propositions sociales ambitieuses ; mais surtout que la combativité produit des résultats pour la défense de notre modèle social contre le dumping social.

En 2 ans la gauche a réussi ce que la droite n’avait pas fait en 10 ans.
Mais il ne s’agissait pas de s’en tenir là.
C’est le Parlement qui a repris l’initiative.

Les députés socialistes Gilles Savary et Chantal Guittet, avec le député UDI Michel Piron, ont déposé en décembre une proposition de loi pour « prendre tout de suite des mesures de sauvegarde nationale et euro compatibles », comme l’avait appelé le rapporteur Gilles Savary.
Le 19 février, la loi a été largement votée en première lecture avec des avancées majeures :
- Le renforcement de la responsabilisation des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, des pouvoirs plus étendus donnés aux organisations professionnelles et aux syndicats de salariés, une plus grande facilité accordée aux services de contrôle et des mesures spécifiques pour les transports, particulièrement concernés par la concurrence déloyale.
Aujourd’hui, au terme du processus législatif
- la loi va au-delà de la responsabilité solidaire prévue par l’Europe. Celle-ci ne couvrira pas seulement le BTP, mais tous les autres secteurs concernés par le détachement (agroalimentaire, transport, etc.) – ce qui n’est que facultatif dans le compromis européen.
- Le texte met aussi en place une liste noire, où pourront figurer pendant deux ans, sur décision du juge, les entreprises condamnées pour « travail illégal ».
- La CMP a aussi retenu, comme le proposait le Sénat, un dispositif unique de solidarité financière, applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non.
- Enfin, le fait de ne pas déclarer des travailleurs détachés sera désormais sanctionné, et le maître d’ouvrage devra y veiller, même s’il n’est pas lui-même l’employeur.

L’aboutissement de la CMP aujourd’hui nous permet donc de figurer parmi les pays les plus en avance sur cette législation. D’autres pays vont suivre, comme la Belgique, par exemple, montrant la voie à l’Europe.

Et d’ailleurs, premiers pas significatifs, dans le même temps, la réglementation européenne avance dans un autre hémicycle, celui du Parlement européen, sous l’impulsion de nos collègues français et notamment Pervenche Bérès dont je salue ici l’action.
La coopération entre Etats membres est renforcée. C’est la condition de l’efficacité. Nos inspecteurs du travail le disent : comment faire face à un bulletin de salaire dans une langue étrangère ? Comment vérifier que l’entreprise n’est pas une boîte aux lettres ?
A cet égard, parallèlement nous réformons l’inspection du travail où, partout, des unités spécialisées sur le travail illégal sont en cours de création pour être efficace face aux montages complexes et frauduleux.

Mesdames et Messieurs, ce qui nous réunit ce matin, c’est l’aboutissement d’un processus exemplaire qui a permis de défendre les intérêts de notre pays, mais aussi une certaine vision du travail, contre la déloyauté et de l’homme contre son exploitation.
Aujourd’hui, même s’il reste beaucoup à faire, nous savons que nous avons fait notre devoir au service de la protection des salariés mais aussi des entreprises. La CAPEB et la FFB, par exemple se sont alarmées du détachement, notamment frauduleux. Le secteur du bâtiment représente plus de 40% des travailleurs détachés en France.
« En sept ans, de 2004 à 2011, le secteur a dû faire face à une augmentation de près de 1000% d’une concurrence structurellement moins chère, et ce, en pleine crise. Cette situation n’est plus tenable » disaient les représentants des artisans et entreprises du bâtiment, demandant des décisions concrètes. C’est chose faite.

Salariés et patrons, travailleurs français et étrangers, tous avaient besoin d’une action forte.
Nous pouvons être satisfaits d’avoir répondu à leurs attentes.