Discours de clôture des travaux statutaires de l’Assemblée générale de la CAPEB

Discours de François REBSAMEN

Monsieur le Président de la CAPEB,
Mesdames, messieurs,

Je tenais à venir devant vous aujourd’hui.

J’y tenais parce que, quand il y a des craintes, des doutes, quand la conjoncture est difficile et que l’avenir semble incertain, il faut avoir le courage du dialogue. Ce courage, c’est celui de se dire les choses, de se battre pour qu’elles changent. C’est aussi celui de s’écouter.

Voici bientôt huit ans que la crise éprouve notre économie et notre société ; huit ans qu’elle éprouve notre pays tout entier. Face à cette crise, nous devons faire preuve de combativité. Courage et combativité : je sais que cette attitude est la vôtre. Et je vous assure que c’est aussi la mienne, et celle du gouvernement.

Je connais ces exigences qui font votre quotidien : faire tourner l’entreprise, remplir les carnets de commande, préserver l’emploi des salariés.

Et c’est justement parce que le gouvernement les connaît aussi qu’il a choisi un cap : soutenir les entreprises françaises et renforcer leur compétitivité. C’est son objectif et c’est le mien.

Le diagnostic, je suis certain que vous le partagez : depuis des années – et quand je dis des années, ce n’est pas depuis 2012 –, les marges diminuent. La crise a révélé ce blocage structurel, mais elle en a aussi accentué les effets : aujourd’hui, la croissance est encore trop faible, la concurrence plus rude. Or la France a besoin d’entreprises performantes pour créer de la richesse et la redistribuer.

Quand je dis « les entreprises », ce sont toutes les entreprises : petites, moyennes et grandes. Et parmi elles, il y a bien sûr celles du bâtiment.

Quand on parle d’entreprises du bâtiment, ce sont à 98% des entreprises de moins de 20 salariés : 98%, soit plus de 370 000 entreprises et plus de 699 000 actifs, représentés par la CAPEB. C’est dire l’importance de l’artisanat et des petites entreprises au sein de la branche bâtiment. C’est dire aussi à quel point votre titre de « première entreprise de France » est mérité.

Le secteur du bâtiment est un secteur vital pour notre économie, pour l’emploi ; vital pour notre pays. Le savoir-faire que vous avez su préserver et développer dans tous les corps de métier est précieux. C’est grâce à vous que l’on construit aujourd’hui des bâtiments, des logements de qualité, et que l’on répondra, demain, à des enjeux aussi cruciaux que la transition énergétique. Les annonces faites par le Premier ministre hier, dans le cadre de son plan pour relancer l’investissement, en prévoyant une accélération des travaux de rénovation énergétique dans l’habitat (prolongement du crédit d’impôt pour la transition énergétique aux dépenses réalisées en 2016 ; abondement du budget de l’ANAH, etc.), conforteront ce rôle qui est le vôtre dans les mois et les années à venir.

C’est aussi grâce à vous que 69 000 jeunes peuvent se former et s’insérer dans l’emploi par l’alternance.

La structure de vos entreprises fait votre force, votre excellence. Mais en temps de crise, elle fait aussi votre faiblesse. Je vous ai entendu : baisse d’activité, carnet de commande trop mince, besoins de trésorerie, emplois menacés. J’ai conscience de vos difficultés.

C’est dans ce contexte difficile que je me dois de répondre à vos interpellations, monsieur le Président. Vous vous êtes exprimé avec franchise, permettez-moi d’en faire autant.

Sur la pénibilité, tout d’abord.
Vous évoquez tout le travail accompli par les entreprises du bâtiment pour améliorer les conditions de santé et de sécurité au travail, et je vous en remercie. Je sais qu’aucun chef d’entreprise ne peut être insensible à cette question, surtout dans votre secteur. Soyons concrets : combien de maçons travaillent sur vos chantiers jusqu’à soixante ans ? Quelles solutions leur proposer quand ils ne peuvent plus travailler, non pas parce qu’ils n’en ont plus envie, mais qu’ils n’en sont plus physiquement capables ? Vous parliez de bon sens, monsieur le Président. Je crois que c’est bien de bon sens qu’il s’agit.
Cette question touche à l’engagement même de l’entreprise vis-à-vis de ceux qu’elle emploie. L’engagement de l’entreprise, c’est de garantir à ceux qu’elle emploie des conditions de travail qui ne mettent pas en péril leur santé. Et c’est là tout l’enjeu de la reconnaissance de la pénibilité : personne ne peut nier que les inégalités d’espérance de vie générées par les conditions de travail sont une réalité, et qu’elles ne sont pas acceptables. Elles doivent être prises en compte : c’est là un impératif de justice et de solidarité. Mais elles doivent l’être d’une façon qui soit gérable par les entreprises, toutes les entreprises. La complexité que vous dénoncez aujourd’hui, elle ne vient pas de nulle part. Elle a, si j’ose dire, une histoire. Et les acteurs de cette histoire, vous les connaissez : Xavier Bertrand et la majorité de l’époque, tout d’abord, qui ont élaboré le dispositif, et le MEDEF, ensuite, qui avait alors activement participé à l’établissement de la liste des facteurs de pénibilité. Tout l’enjeu aujourd’hui est de conserver le principe, qui est bon, et de revenir sur cette complexité.

Je sais que ce n’est pas simple, notamment pour les plus petites d’entre elles, de s’approprier un nouveau dispositif. C’est pourquoi Christophe Sirugue et Gérard Huot d’un côté, Michel de Virville de l’autre, ont été chargés de travailler en complémentarité pour faire des propositions de simplification de la mise en œuvre du dispositif. Je m’engage personnellement à ce que ce soit le cas. Il nous faut trouver le bon équilibre entre une approche collective et une approche individuelle pour l’application des facteurs de pénibilité, et mettre en place des modes d’emploi de branche qui aident notamment les PMEs. Le but, je le répète, c’est de parvenir à un dispositif simple dans son application pour les petites entreprises. C’est mon engagement.

Nous adapterons ce qui doit l’être : les missions rendront leurs conclusions avant l’été, et nous reprendrons celles qui permettront d’aller vers une plus grande simplicité du dispositif. Je suis en effet convaincu que la simplicité est la clef de la réussite, pour les entreprises et pour les salariés.

Sur le détachement illégal, ensuite.
Là encore, il faut remonter à un principe : celui de la libre circulation des personnes dans l’espace européen. Il n’est pas question de remettre en cause ce principe.

Mais ce principe ne doit pas être détourné. C’est pourquoi il nous faut lutter contre toutes les formes de travail illégal, notamment les fraudes au détachement. Car ce qui se joue derrière la lutte contre le détachement illégal, c’est la préservation de notre modèle social et de notre conception du travail : un travail digne, justement rémunéré et qui ouvre des droits à une protection sociale. Ce qui se joue, c’est aussi, vous le savez, le respect des règles de la concurrence, et c’est, comme le rappelait le Premier ministre, le respect de l’Etat de droit et de la République. Il est en effet inacceptable que les entreprises qui jouent le jeu et respectent les règles perdent des marchés, du chiffre d’affaire, parce que d’autres entreprises abaissent leurs coûts en recourant au travail illégal.

Je mène cette lutte - je pense ne pas avoir besoin de prouver ma détermination en la matière – sur tous les fronts :

- l’inspection du travail a été réorganisée pour lutter plus efficacement contre ce travail illégal : une unité nationale et des unités régionales d’inspecteurs du travail ont été créées pour faire face aux affaires les plus sensibles et complexes. Mis en place le 1er janvier dernier, elles peuvent d’ores et déjà intervenir en relais d’opérations nationales, partout dans les régions.

- le décret d’application de la loi Savary est paru le 30 mars dernier : il étend les obligations et la responsabilité du donneur d’ordre vis-à-vis de son sous-traitant. C’est une étape supplémentaire de franchie.

- le projet de loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui est en ce moment même en discussion au Sénat, prévoit un durcissement des sanctions et la mise en place d’une carte d’identification professionnelle dans le BTP, qui facilitera les contrôles. C’est là un engagement que j’ai pris et que j’ai tenu. En cas de manquements graves aux droits des salariés, les agents de contrôle pourront désormais suspendre la prestation pour mettre un coup d’arrêt réel à la fraude. Et le plafond de l’amende pour fraude sera porté à 500 000 euros pour renforcer l’effet dissuasif des sanctions.

- enfin, l’action « 500 chantiers » a été mise en place. Aux actions régulières de l’inspection du travail s’ajoute donc un plan de contrôle spécifique, qui vise 500 chantiers identifiés comme sensibles. Aujourd’hui même, partout sur notre territoire, des inspecteurs du travail sont mobilisés pour sanctionner les entreprises en situation d’illégalité. Et le décret « liste noire », qui prévoit l’inscription pendant deux ans des entreprises condamnées pour fraude au détachement, est en cours de préparation : il sera bientôt pris.

Vous le voyez, nous agissons, et nous agissons vite, car nous mesurons le danger que représente pour vous le travail illégal, et l’urgence qu’il y a à faire respecter la loi.
Ce combat pour l’ordre public social, la France le mène sur son territoire. Mais elle le mène aussi au niveau européen, où je souhaite que le débat sur les règles en matière de détachement soit rouvert.
Notre mot d’ordre est clair : ni exploitation, ni dumping social. Vous pouvez compter sur ma détermination pour le porter aussi longtemps qu’il le faudra pour que ces pratiques cessent.

J’en viens au dialogue social.

Je regrette comme vous, monsieur le Président, que les négociations entre les partenaires sociaux n’aient pas abouti. Faute d’accord, le gouvernement a, comme il l’avait annoncé, repris la main, et un projet de loi a été transmis au Conseil d’Etat vendredi dernier. Il s’agit d’un projet de loi qui réforme en profondeur notre dialogue social, et le rendra plus stratégique, de plus grande qualité.

Vous le savez, le projet de loi prévoit aussi la création de commissions paritaires régionales. C’est, à mon sens, une avancée majeure, qui permettra à des millions de salariés qui ne le sont pas aujourd’hui d’être représentés et mieux conseillés. Nous nous sommes inspirés du modèle des CPRIA – je salue ici le rôle de précurseurs que vous avez joué en la matière. Et je précise que la loi ne touchera évidemment pas aux CPRIA. Vous affirmez à raison, monsieur le Président, qu’elles ont fait leur preuve, et elles pourront continuer d’exister dès lors qu’elles respecteront les dispositions de la loi.

Sur la formation professionnelle, enfin, et l’apprentissage
C’est, vous le rappeliez, monsieur le Président, un enjeu central pour votre secteur, qui doit notamment faire face aux besoins en nouvelles compétences liés à la transition énergétique. Vous pouvez compter sur le soutien de mes services, les DIRRECTE et la DGEFP notamment, pour vous accompagner dans cette démarche.
Qu’il s’agisse de l’alternance ou de la formation professionnelle, il faut désormais que les différents acteurs s’approprient la réforme. Le CPF est un droit nouveau et qu’il faut mettre pleinement en œuvre. En parallèle, l’investissement des entreprises au titre des plans de formations garde toute sa pertinence. Un travail d’accompagnement est à construire avec votre OPCA pour aider les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, pour qu’elles puissent réaliser les entretiens professionnels, des bilans d’évaluation.
Pour cela, vous avez raison, il faut un cadre stable et je crois pouvoir dire qu’il l’est aujourd’hui.

Quant à l’apprentissage, vous le savez, il s’agit d’une priorité du gouvernement. Il permet d’intégrer les jeunes sur le marché du travail, de lutter contre le fléau du chômage qui mine notre société, et d’apprendre à nos jeunes un métier et la fierté du travail accompli. Conformément à ce que le gouvernement avait annoncé lors de la réunion de mobilisation sur ce sujet le 19 septembre 2014, les freins financiers et non financiers à l’apprentissage sont en train d’être levés : je pense notamment à l’aide annoncée en septembre par le président de la République, à l’assouplissement récent de l’accès à certains travaux dangereux pour les apprentis afin de lever les freins à leur embauche, à l’aide au recrutement et à l’insertion de l’apprenti tout au long de son contrat. Il faut aller de l’avant. Pour que la campagne de recrutement qui s’ouvre bientôt soit un succès, nous avons besoin de l’engagement de chacun, dont le vôtre. Je compte sur vous.

Au-delà des réponses que j’ai pu vous donner, je voudrais rappeler que, dans un contexte difficile pour tout le secteur du BTP, le gouvernement est engagé à vos cotés. C’est le sens même du CICE et du Pacte de Responsabilité et de Solidarité.

Le CICE s’est élevé à 19 milliards d’euros en 2014. Plus de 6 milliards d’euros d’allègements supplémentaires seront mis en œuvre en 2015, en plus du CICE : un allègement de cotisations sociales ciblé sur les bas salaires (entre 1 et 1,6 SMIC), un allègement de cotisations des indépendants, et la suppression, enfin, d’une première tranche de contribution sociale et de solidarité des sociétés, qui bénéficiera prioritairement aux PME, et donc à vos entreprises.
Au total, ce sont 40 milliards d’aide qui seront distribués aux entreprises d’ici 2015. 40 milliards ! Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup à l’échelle du budget de la France et de son PIB. Et c’est un effort sans précédent que soutient la nation toute entière.

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Monsieur le Président, mesdames et messieurs, il faut que le dialogue entre le gouvernement et vous, artisans, chefs d’entreprise, reste fructueux pour que nous puissions avancer, ensemble.
Le gouvernement sait combien la situation des artisans et des chefs d’entreprise, surtout des PME, peut être difficile. Il agit, et il continuera d’agir en conséquence. Une conférence sociale se réunira ainsi prochainement, en juin, sur le sujet de l’emploi dans les PME pour apporter des réponses à ces difficultés. Je m’y engagerai avec la plus grande attention.

Cette légitime prise en compte doit aller de pair avec un impératif d’équilibre et de justice qui justifie que le gouvernement accorde aussi, en ces temps de crise, de nouveaux droits et une meilleure protection à tous les travailleurs et à tous ceux qui en subissent les effets.

Je vous remercie.