Biennale Lasaire « Europe, Travail, Emploi »

Discours de François REBSAMEN

Mesdames et messieurs,
Mesdames et messieurs les partenaires sociaux.
Je salue Thierry Lepaon, Anne Demelenne, secrétaire générale FGTB belge et Susana Camusso, secrétaire générale CGIL italienne, ainsi que les représentants de BusinessEurope.

Je salue aussi l’institution que représentent les biennales Lasaire, qui depuis 1990 nous donnent l’occasion de regarder au-delà des frontières.

L’Europe, nous le savons, n’est pas au mieux.

La crise économique et sociale dont elle se relève progressivement est une crise majeure. Et nous avons une responsabilité centrale à jouer dans la façon dont se fera la reprise. Car si l’Europe n’est pas porteuse, au regard de ses citoyens, de progrès non seulement économique mais aussi social, quelle sera sa légitimité ?

Or l’Europe sociale est fragile. Elle a souffert de la crise économique et financière. Et la situation économique et sociale des pays membres est très diverse, ce qui rend complexe les avancées à 28.

Mais ma conviction profonde, c’est que le modèle social est un atout essentiel de l’Europe, et que nous devons collectivement porter une ambition forte sur ce sujet.

Certes, on peut débattre de la crise, de la nécessaire coordination financière, des évolutions de la régulation bancaire, du niveau élevé de l’euro ou des exigences budgétaires de la commission. C’est légitime, c’est pertinent, mais derrière tous ces mots, il y a des conséquences humaines et sociales réelles.

L’impact des déséquilibres, est subi par les acteurs du social et de l’emploi.

Ces impacts vont de l’augmentation du chômage au durcissement des relations sociales en passant par le dumping social (je pense au détachement illégal des travailleurs). N’oublions pas aussi que les difficultés économiques entraînent des difficultés démocratiques. Prenons garde ainsi de ne pas sacrifier une génération sur l’autel du chômage..

Les solutions viendront de nous. La Confédération Européenne des Syndicats a, par exemple, proposé un plan de financement des investissements sur la base de 2% du PIB européen. Au final, le plan Juncker propose un plan de 300 milliards. C’est le signe que les acteurs sociaux vont jouer un rôle dans la sortie de crise, par un cadre plus démocratique et dialogué. L’Europe n’est pas n’importe quelle entité politique. Elle se doit d’être fidèle à elle-même et à son histoire – qui est une histoire démocratique et de dialogue.

Je souhaite à présent évoquer les chantiers en cours et nos avancées.

Continuer le combat pour l’emploi, notamment des jeunes

L’emploi des jeunes est et demeure une priorité, car il ne doit pas y avoir de génération sacrifiée

L’adoption, en 2013, de la Garantie européenne pour la jeunesse a créé un élan mobilisateur pour soutenir et développer les dispositifs nationaux en direction des jeunes qui sortent de l’enseignement, avec ou sans diplôme, et qui cherchent à s’insérer dans le monde du travail.

La création de l’instrument financier de « l’Initiative européenne pour la jeunesse » poursuit l’ambition de la Garantie en ciblant des moyens sur les jeunes les plus en difficulté.

Avec la ministre Nahles – nous l’avons dit à chaque fois que nous en avons eu l’opportunité – nous souhaitons et proposons des voies de simplification de cet outil pour une mise en œuvre rapide.

Sur le champ de la mobilité, des compétences

On peut se féliciter de la réforme du réseau européen des services publics de l’emploi, via la plateforme Eures que nous devons réellement « équiper » et améliorer pour rendre le fonctionnement du marché du travail européen plus efficace.

Des améliorations sont possibles : je pense en particulier en matière d’information et d’association des partenaires sociaux, des collectivités territoriales et des Parlements nationaux.

Voilà ce que la France défend et pratique. L’association des partenaires sociaux est un des principes de fonctionnement du CDSEI (Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales). Lieu d’information, le CDSEI est aussi un moyen de construire ensemble, entre l’Etat et les partenaires sociaux, une ligne et une stratégie partagées sur des points qui font consensus. Je prends un exemple : la directive « détachement ». Les partenaires sociaux s’en sont saisis et c’est dans le CDSEI que la mobilisation et la stratégie ont pris forme.

A la lutte contre le chômage s’ajoute un deuxième combat contre le travail illégal et indécent.

2. Lutter contre le travail non déclaré

La conviction que porte la France, et qui est son fil rouge, est la suivante : l’Europe ne peut pas construire son modèle social sur le moins-disant et la concurrence déloyale de tous contre tous.

Ainsi, dans la foulée de la directive « Détachement », la Commission a décidé de constituer une plateforme européenne pour renforcer la coopération afin de prévenir et décourager le travail non déclaré.

Lutter contre le travail illégal doit devenir un axe fort de la coopération des États membres.

- Parce que c’est socialement déloyal autant que dangereux,

- Parce que c’est, économiquement, un manque à gagner pour les Etats et une distorsion de concurrence vis-à-vis de ceux qui respectent les règles et payent leurs impôts et cotisations sociales.

- Parce que c’est démocratiquement périlleux, alimentant les discours xénophobes.

La plateforme envoie un signal de responsabilité et de sécurisation pour tous, salariés et entreprises en règle. La France soutient cette initiative qui est une réelle avancée, d’autant que la participation à la plateforme sera obligatoire (mais pas à chaque action).

Dans beaucoup de pays de l’Union, le rejet citoyen du projet communautaire est massif. L’acceptabilité de réformes de notre marché du travail et de notre système de protection sociale est, par conséquent, très faible, alors même que des réformes sont nécessaires à la restauration de la compétitivité de nos entreprises et de leur capacité à créer des emplois.

Si nous voulons pouvoir réformer,

- l’Europe doit prendre sa part dans le soutien à l’emploi,

- l’Europe doit assumer son rôle dans la conduite d’une stratégie industrielle – qui est aussi une stratégie de création d’emplois nouveaux,

- l’Europe doit porter le dialogue social.

Notre grand enjeu, c’est que la reprise économique ne laisse pas au seuil de l’emploi des millions de citoyens européens qui ne comprennent plus le destin de plus en plus inégalitaire et précaire qui leur semble imposé. Là encore le dialogue social est fondamental. Car sans un marché du travail qui intègre tous les potentiels et les qualifications, l’Union ne retrouvera pas le chemin d’une croissance durable.

3. A l’offensive

En des temps de crise, les velléités de développement social font souvent machine arrière et l’on se contente seulement de sauver ce qui peut l’être, ou de « lutter contre ». Je viens d’en donner la preuve : lutter contre le chômage, contre la pauvreté, contre le dumping.

D’autres points de convergence peuvent exister, d’autres bonnes idées peuvent circuler – donc il faut se parler, à tous les niveaux : gouvernements, syndicats, patronats.

- Le Danemark a depuis 1996 un système de Jobrotation. qui consiste à lier un congé de formation à l’embauche temporaire d’un chômeur préalablement formé pour tenir le poste vacant.

- L’Autriche a des fondations du travail qui sont des cellules de reclassement sophistiquées, pérennes, financées qui contrecarrent les effets des restructurations.

- La Suède a des conventions de transition de carrière pour aider les actifs en cas de licenciement, en particulier les seniors et les peu qualifiés. Elles prévoient l’établissement de « conseils de sécurité de l’emploi » bi-partites ou bien d’agences de transition au niveau des branches.

- La Finlande a des comités de flexisécurité pour identifier les besoins d’évolutions du système et les outils nécessaires pour développer l’employabilité des actifs.

Voilà quelques idées que nous pourrions avoir en partage et porter ensemble, de manière offensive.

Je vous remercie.