Lancement de la concertation sur l’apprentissage - Discours de Muriel Pénicaud

Lancement de la concertation sur l’apprentissage Discours de Muriel Pénicaud Ministère du Travail, le 10 novembre 2017

Seul le prononcé fait foi.

A l’occasion de cette première réunion plénière, j’ai l’honneur de vous souhaiter la bienvenue pour lancer la concertation pour l’avenir de l’apprentissage.
Je ne veux pas être trop solennelle, mais je souhaite malgré tout et d’emblée partager avec vous une conviction forte.

Nous ne sommes pas réunis autour de cette table pour faire une énième réforme paramétrique de l’apprentissage.
Nous sommes réunis autour de cette table car il y a un peu plus de six mois, le Président de la République a été élu après avoir présenté aux Français un programme de transformation de notre pays. Parmi les chantiers présentés dans la campagne, figure non pas une réforme, mais une transformation de l’apprentissage.

Cet engagement, comme tous les autres, le Président de la République l’a exposé de façon transparente et pédagogique aux Français, et le Gouvernement est là pour le mettre en œuvre.

Pour réussir cette transformation, nous avons besoin de tous, de vous tous, car l’apprentissage est un bien commun. C’est une partie de l’avenir de notre jeunesse qui est en jeu.

Notre pays compte plus de 1,3 millions de jeunes sans emploi et sans qualification, ce qui est un immense gâchis humain, une aberration économique et un risque majeur pour la cohésion sociale.

L’apprentissage est des solutions – pas la seule, mais assurément une des plus prometteuses et importantes - à cette situation inacceptable. Il constitue une voie de réussite et une promesse solide d’insertion professionnelle pour les jeunes, ainsi qu’une réalité d’embauche qualifiée pour les employeurs. Sept mois après leur sortie de formation, 69% des anciens apprentis ont un emploi et la moitié des apprentis sont embauchés dans l’entreprise où ils ont effectué leur apprentissage.

Je souhaite donc que nous agissions tous de concert pour un but commun : la réussite de l’apprentissage dans notre pays, à tous les niveaux de qualification.

Chacun est légitime pour proposer et améliorer le système au niveau de responsabilité qui est le sien. Et parce que nous sommes tous acteurs de l’apprentissage à différents niveaux, je souhaite que nous devenions tous acteurs de sa transformation.


Avant de présenter nos orientations, un mot sur la situation actuelle.

Autant nous, spécialistes du sujet autour de la table, nous savons que l’apprentissage est une voie d’excellence, autant cette voie de formation ne parvient pas toujours à faire naître la confiance chez les jeunes et leurs familles.
Alors que d’autres pays ont fait de cette voie de formation le socle de l’intégration sociale et économique de leur jeunesse – 65% des jeunes suivent une formation en apprentissage en Suisse par exemple, nous peinons à lui trouver une place centrale. Notre perception collective reste globalement négative malgré les progrès de la dernière décennie. Et les chiffres sont cruels : nous stagnons autour d’un peu plus de 400 000 apprentis, et formons ainsi deux à trois moins de jeunes par apprentissage que dans les pays qui ont fait significativement reculer le chômage des jeunes.

Beaucoup de rapports et de diagnostics ont été produits depuis de nombreuses années. Le constat est toujours le même, l’apprentissage est un système complexe tant par sa gouvernance, son financement que son opérationnalité. Orientation, construction des diplômes, carte des formations, financement, statut de l’apprenti et du maître d’apprentissage : tous ces sujets ont été maintes fois analysés, mais maintes fois laissés au bord de la réforme, ou alors retouchés à la marge.

Le résultat, c’est que la complexité et le manque de transparence produisent un système qui perd les jeunes, les familles et les entreprises.

C’est ce qui explique que malgré toutes les déclarations, malgré toutes les incantations, malgré toutes les réformes des dix dernières années, l’apprentissage stagne, voire régresse.

Mesdames et messieurs, je préfère le dire d’emblée, ce Gouvernement, contrairement aux deux précédents, ne posera pas a priori d’objectif chiffré, quantitatif, de développement de l’apprentissage. Les chiffres ne sont pas un objectif en soi. Ce sont une conséquence, la conséquence d’une transformation bien menée, et c’est cette transformation que nous allons faire ensemble.


Venons-en donc aux orientations que nous souhaitons poser.
Pour le résumer d’un mot, nous avons besoin, sur l’apprentissage, de faire une révolution copernicienne. Aujourd’hui, les entreprises et les jeunes tournent autour du système. Il faut faire l’inverse : il faut que le système tourne autour des jeunes et des entreprises, il faut que le système soit organisé pour répondre à leurs besoins et à leurs attentes.

Prenons quelques exemples concrets :

  • aujourd’hui, si un jeune est motivé par une formation en apprentissage et qu’une entreprise a une place à lui offrir, mais qu’on est au mois de janvier, de février ou même de juin, les deux parties sont coincées. L’entreprise comme le jeune doivent attendre la rentrée scolaire pour commencer à travailler ensemble, ce qui conduit souvent l’entreprise à proposer plutôt un CDD, et le jeune à faire autre chose. Ce n’est pas possible, ce n’est pas explicable aux Français ;
  • aujourd’hui, si une entreprise a besoin d’une formation en apprentissage, et que cette formation n’existe pas dans sa région, elle doit attendre entre un et deux ans avant que la formation ouvre, si elle ouvre. Ce ne sont pas les acteurs qui sont en cause, ce ne sont pas les Régions pour être claire, mais c’est la lourdeur du système. On ne peut pas avoir dans notre pays 25% de taux de chômage des jeunes et faire attendre 2 ans des entreprises qui souhaitent embaucher des jeunes en apprentissage. Ce n’est pas possible, ce n’est pas explicable aux Français ;
  • aujourd’hui, quand un contrat d’apprentissage est rompu en cours d’année, un jeune perd toute son année. On sait aussi que les taux de rupture de contrat sont très inégaux selon les secteurs, que certaines branches s’engagent significativement pour diminuer les ruptures, alors que d’autres ferment les yeux sur des pratiques pas acceptables. Ca aussi ce n’est plus possible, parce que ce n’est pas explicable aux Français.

Vous le voyez, les blocages, les freins (je viens d’en citer trois mais il y en a des dizaines d’autres), sont très concrets, et ce sont ces freins, tous ces freins que nous devons lever.

Nous ne parviendrons pas à les lever en collant des rustines, en changeant des tuyaux, en inventant des réponses partielles. Nous ne parviendrons à les lever qu’à la condition de refonder le système, qu’à la condition de partir, toujours et systématiquement, du point de vue des jeunes et des entreprises, pour construire, pour reconstruire le système, et non l’inverse.

Nous sommes ici au service des jeunes et des entreprises de notre pays, nous sommes ici pour faire reculer le chômage des jeunes, et non gérer des intérêts de structures, quelle qu’elle soit.
Renforcer très significativement la place de l’apprentissage dans notre système d’éducation et de formation professionnelle et dans l’accès au marché du travail, c’est se confronter à des défis économiques, sociaux et mais aussi citoyens.

L’enjeu économique et social

L’enjeu économique et social d’abord : il s’agit d’organiser un système à la fois réactif, transparent pour les jeunes et les familles et responsabilisant pour les entreprises.

  • Notre système doit être réactif, parce que l’offre d’apprentissage doit être en phase avec les évolutions du marché du travail et des besoins des entreprises qui évoluent à un rythme qui n’a jamais été aussi soutenu. Cela implique d’être attentif à la dynamique de l’offre de formation, mais aussi à la qualité du système de certification professionnelle, à la mise en place de passerelles avec le système scolaire et universitaire, et à l’actualisation rapide des compétences des diplômes ou les titres professionnels que visent les jeunes apprentis (et pas seulement les apprentis).
  • Notre système doit être transparent, parce que les jeunes et leurs familles doivent être en mesure de faire un choix libre et éclairé sur les formations en apprentissage vers lesquelles ils pourraient s’orienter en connaissant davantage en amont les débouchés en matière d’emploi, d’accès à la qualification.
  • Notre système doit être responsabilisant pour les entreprises, car je suis convaincu que celles-ci ont un rôle à développer pour organiser la transmission des compétences et l’insertion des jeunes dans la vie active. L’apprentissage, c’est une voie d’excellence pour l’entreprise aussi, c’est une des meilleures manières de préparer l’avenir et les compétences de demain. Nous l’avons vu avec plusieurs d’entre vous autour de la table en Suisse par exemple.
    • Je souhaite que les entreprises soient mises en situation de proposer davantage d’offres d’apprentissage sur les territoires, grâce à une refonte des règles qui les placera davantage au cœur du nouveau système.
    • La taxe d’apprentissage et ses circuits complexes, les aides à l’apprentissage et leurs effets, de même que les conditions d’exécution du contrat d’apprentissage (dont le statut et la rémunération des apprentis) doivent être analysées dans cette concertation et par là même profondément revisités.
    • Les entreprises et leurs représentants doivent pouvoir davantage gérer les centres en fonction de leurs besoins.
    • La fonction de tuteur ou de maître d’apprentissage doit être mieux valorisée.
  • Notre système doit bien sûr et enfin être bien régulé, au nom de l’intérêt général. Si les entreprises et les jeunes doivent devenir le cœur du système, il faut un régulateur, une puissance régulatrice, qui dispose de leviers pour tirer tout le système vers haut.

L’enjeu citoyen

Mais l’apprentissage, c’est aussi un enjeu citoyen.

  • Favoriser la transparence et la qualité dans l’apprentissage, c’est donner davantage la possibilité de faire un choix en conscience sur son avenir professionnel, d’organiser une transition plus robuste entre la vie scolaire et le travail, et de le faire sans être conditionné par son origine sociale, son réseau familial ou son handicap.
  • En ce qui concerne les jeunes handicapés, les CFA et les entreprises doivent pouvoir aussi adapter leur offre à leur situation.
  • Développer l’apprentissage, c’est renforcer l’accès à la qualification par d’autres voies que la voie scolaire académique usuelle. C’est permettre aussi à ces jeunes de trouver leur place dans la République, en tant que futur citoyen. Car l’apprentissage doit, encore plus dans l’avenir, proposer des parcours de réussite, mais aussi des parcours d’excellence, à tous les niveaux de qualification. C’est une conviction que nous partageons avec le ministre de l’Education nationale et la ministre de l’enseignement supérieur. L’apprentissage n’est pas une voie à part, c’est une pédagogie alternative, une autre manière de faire ses études, une autre manière d’arriver au même endroit, une autre voie d’émancipation sociale que propose la République à ses enfants. L’apprentissage est pour certains jeunes le seul moyen de faire des études, de poursuivre des études.
  • Développer l’apprentissage, c’est donc donner aux jeunes apprentis les mêmes perspectives que les lycéens ou les étudiants. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à Jean Arthuis, que je remercie à nouveau, de mettre son engagement et ses convictions enracinées de longue date sur le sujet, au service d’un Erasmus de l’apprentissage, afin que nos jeunes apprentis aient la chance, comme les autres étudiants, de se former dans d’autres pays d’Europe. J’attends des propositions opérationnelles que nous traduirons dans la législation française au printemps et dont nous nous inspirerons ensuite pour porter et faire aboutir, grâce à son aide précieuse, une initiative européenne ambitieuse en la matière.

En participant à la rénovation de notre système d’apprentissage, nous œuvrons également et concomitamment pour l’insertion professionnelle et pour la citoyenneté, nous œuvrons pour le développement économique et pour la République.


Pour mener à bien cette concertation, il nous faut un chef d’orchestre à votre écoute. C’est pourquoi j’ai demandé à madame Sylvie Brunet de nous accompagner tous grâce à sa connaissance de la gestion des ressources humaines et des jeunes, et à sa capacité personnelle à rechercher des convergences. Elle rédigera fin janvier un rapport de synthèse qui alimentera le projet de loi qui sera déposé au Parlement mi-avril.
La concertation sera organisée sous la forme de quatre groupes de travail. Madame Brunet pourra nous préciser davantage l’organisation et les objectifs de ces groupes de travail.

Mesdames, Messieurs, acteurs et actrices de l’apprentissage, notre ambition doit être et sera forte. Il ne s’agira pas ici de dire que tout va bien et que rien ne doit changer. Cela vaut également pour l’Etat. J’attends donc de cette concertation qu’elle débouche sur des options transformatrices et des choix puissants.

Nous sommes attendus par la jeunesse de notre pays et par leurs familles, qui se fichent de savoir qui fait quoi, qui se fichent des querelles du microcosme, mais qui veulent des réponses concrètes à leurs problèmes quotidiens, qui veulent un système qui fonctionne et qui est pensé en fonction de leurs besoins et de leurs attentes.

Cette exigence de servir nos concitoyens, de servir la société, cette exigence de réponse concrète à des problèmes concrets, je sais que nous la partageons tous ici et qu’elle nous réunit dans un esprit de responsabilité et d’intérêt général.

Nous serons absolument et résolument ouverts à toutes les propositions, nous nous inspirerons des meilleures pratiques, des pratiques les plus innovantes, qui existent dans beaucoup de nos régions et dans les autres pays.
Vous avez ma confiance, celle du gouvernement et celle du Président de la République pour engager des travaux que je souhaite féconds.

Je vous remercie donc tous pour votre implication à venir, vos apports que j’espère nombreux et riches.