Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2003/15 du mercredi 20 août 2003
LOI POUR LINITIATIVE ÉCONOMIQUE
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons lhonneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de larticle 61 de la Constitution, la loi pour linitiative économique telle quadoptée par le Parlement.
Plusieurs de ses dispositions sont contraires à la Constitution et particulièrement les articles 43, 44, 47, 48 et 49.
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I. - Sur larticle 43
Larticle 43 de la loi déférée modifie les articles 789 A et 789 B du code général des impôts afin détendre lexonération de droits de mutation à titre gratuit prévue sur la valeur des parts ou actifs dans les cas de décès aux cas de transmission entre vifs.
La possibilité pour les héritiers de parts de société ou dune entreprise individuelle de bénéficier dune exonération des droits de mutation à titre gratuit sur la moitié de la valeur des parts ou des actifs constituant lentreprise a été introduite par la loi de finances pour 2000. Les articles 789 A et 789 B du code général des impôts dans leur rédaction issue de ce texte ainsi que de la loi de finances pour 2001 qui les a modifiés ont toutefois restreint cet avantage aux droits de mutation par décès.
Ce choix était justifié, ainsi que le relevait alors Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, dans les observations quil avait consacrées à ces dispositions (session 1999-2000, rapport no 89, tome II, volume I, pages 94 et suivantes sur larticle 5 bis) par le fait quil était déjà possible, en application de larticle 790 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 1999, pour les transmissions de titres de société ou de biens dune entreprise, de bénéficier dune réduction des droits de donation pouvant aller jusquà 50 %. Le législateur avait alors souhaité exclure le cumul dun abattement de 50 % sur la valeur des biens transmis et dune réduction de même montant sur les droits de donation qui aurait conduit à faire bénéficier les donations dentreprise davantages fiscaux disproportionnés par rapport aux donations de biens dune autre nature.
Le Conseil constitutionnel a en effet considéré par sa décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995 que le législateur ne pouvait pas créer, en instituant un régime favorable aux donations dentreprises, des différences de situation qui ne soient pas en relation directe avec lobjectif dencourager la transmission de ces biens. Ainsi quil la indiqué dans cette même décision, le conseil apprécie, pour se prononcer sur lexistence dune rupture caractérisée de légalité entre les contribuables pour lapplication du régime fiscal des droits de donations, le rapport entre limportance de lavantage consenti et les buts poursuivis par le législateur. Sil nest pas douteux quun dispositif qui limite à 50 % lavantage fiscal consenti aux bénéficiaires dune transmission dentreprise est proportionné au but poursuivi par le législateur, dans la mesure où cet avantage ne bénéficie quaux groupes dactionnaires constitués autour dun associé exerçant des fonctions dirigeantes dans lentreprise, en revanche le législateur ne peut aller au-delà dune diminution des droits de mutation de 50 % sans porter atteinte au principe dégalité entre les donataires.
Or, cest pourtant exactement ce à quoi aboutit le dispositif adopté à larticle 43, puisquil étend le bénéfice des dispositions des articles 789 A et 789 B aux donataires sans exclure pour autant lapplication des dispositions de larticle 790 du code général des impôts. Du fait de la combinaison de ces deux dispositifs la personne bénéficiant de la donation dune entreprise pourra prétendre à une économie dimpôt pouvant aller jusquà 75 %. Compte tenu de sa disproportion par rapport à lobjectif poursuivi par le législateur, loctroi dun tel avantage aboutit à une rupture caractérisée du principe dégalité devant limpôt.
II. - Sur larticle 44
Larticle 44, résultant dun amendement adopté par le Sénat en première lecture, modifie larticle 1840 G nonies du code général des impôts en prévoyant la suppression des droits complémentaires en cas de non-respect des conditions dapplication dun engagement collectif de conservation des titres ouvrant droit à lallégement des droits de mutation à titre gratuit pour la transmission dune entreprise.
Ce droit complémentaire est dû par lhéritier, le donataire ou le légataire qui ne respecterait pas lengagement de conservation des titres dune entreprise qui ont fait lobjet dune réduction de moitié des droits denregistrement, dans le cadre du dispositif prévu par les articles 789 A et 789 B du même code, dont larticle 43 de la loi déférée prévoit lélargissement en cas de donation.
En soulignant que le niveau élevé du droit complémentaire revêtait un caractère dissuasif, le rapporteur du texte au Sénat souligne que, dans lesprit du législateur, cet article est indissociable du dispositif prévu à larticle 43. Le Gouvernement, initialement opposé à ladoption de lamendement, reprenait cette logique en considérant que le niveau des droits navait pas fait obstacle à la signature de centaines dengagements collectifs de conservation. La suppression proposée par larticle 44 sinscrit donc clairement dans une logique de réforme du dispositif prévu à larticle 43 et vient donc accroître lavantage fiscal dénoncé et renforcer la rupture dégalité.
La rapporteure à lAssemblée nationale soulignait enfin, pour justifier ladoption en deuxième lecture de cet article, qu« il convient également de prendre en compte la possibilité que lhéritier de lentreprise transmise ne puisse assurer le respect de lengagement de conservation pour des raisons légitimes, qui ne relèvent pas dun calcul frauduleux ou dune démarche doptimisation fiscale ».
Cet article est donc indissociable de larticle 43 et ne pourra quêtre censuré avec celui-ci.
III. - Sur larticle 47
Larticle 47 crée un article 885 I bis dans le code général des impôts excluant sous certaines conditions des bases à limpôt de solidarité sur la fortune, à concurrence de la moitié de leur valeur, les parts ou les actions dune société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Ces parts ou actions de sociétés devraient faire lobjet dun engagement collectif de conservation dune durée minimale de six ans, regroupant 25 % au moins des droits sociaux dune entreprise cotée ou 34 % des parts ou actions dune entreprise non cotée, une partie non définie de ces titres devant être détenue par une personne exerçant une fonction dirigeante au sein de la société.
Ainsi que la rappelé le Conseil constitutionnel dans ses décisions no 81-133 DC du 30 décembre 1981 et no 98-405 DC du 29 décembre 1998, lobjet de limpôt de solidarité sur la fortune est de frapper la capacité contributive que confère la détention dun ensemble de biens. Le principe énoncé par larticle 13 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen selon lequel les impositions doivent être établies selon les facultés contributives des citoyens ninterdit pas au législateur de prévoir, lorsque cette faculté est appréciée comme ici par la détention dun ensemble de biens, que certaines catégories de biens ne seront pas prises en considération, en totalité ou en partie, pour apprécier cette faculté contributive.
Mais, ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel, encore faut-il que les règles ainsi définies par le législateur reposent sur des critères objectifs et rationnels conformes aux buts quil poursuit et nentraînent pas de rupture caractérisée de légalité devant les charges publiques. La décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995 précitée portant sur les dispositions relatives aux droits de mutation à titre gratuit développe effectivement un tel principe.
La disposition contestée méconnaît ces principes à un double titre.
En premier lieu, elle institue un avantage fiscal disproportionné par rapport à lobjectif poursuivi par le législateur. Ainsi quil ressort des travaux préparatoires de ce texte, issu dun amendement déposé par le rapporteur général de la commission des finances de lAssemblée nationale, lobjectif poursuivi par le législateur était dencourager, dans les entreprises à structure familiale, le maintien dun actionnariat familial en octroyant un avantage fiscal aux actionnaires qui décident de souscrire un engagement collectif de conservation des titres de la société. Dautres objectifs ont parfois été mentionnés, comme la volonté déviter la délocalisation dentreprises ou de maintenir lemploi en France, mais ils sont de toute évidence sans rapport avec lobjet de la mesure. Cette dernière nest subordonnée à aucune exigence de création demplois. De plus, elle ne peut, en respect du droit communautaire, garantir que les titres ouvrant droit au bénéfice de lavantage soient ceux de sociétés françaises ou exerçant leur activité en France.
Au regard de cet objectif, en instituant un abattement de 50 % sur la valeur de parts de sociétés comprises dans les bases dimposition de limpôt de solidarité sur la fortune aux seules conditions que les détenteurs de ces parts conservent ces biens pendant une durée minimale de six années et que lun des associés exerce une activité dirigeante dans la société, mais sans introduire de conditions permettant de limiter effectivement le bénéfice de la mesure aux seules entreprises familiales, en plafonnant en valeur absolue le montant de lavantage fiscal ou en subordonnant le bénéfice à lexistence de liens familiaux entre les associés, le législateur a introduit vis-à-vis des autres assujettis à limpôt de solidarité sur la fortune des différences de traitement qui ne sont pas en relation directe avec lobjectif dintérêt général quil sétait assigné.
De plus, la fixation dune condition imposant que lengagement collectif de conservation porte sur au moins 20 % des droits financiers et droits de vote attachés aux titres émis par la société sils sont admis à la négociation sur un marché réglementé introduit une nouvelle fois une différence de traitement au regard des dispositions prévues au 2o de larticle 885 O bis du code général des impôts qui dispose que les parts et actions des sociétés sont considérées comme biens professionnels si leur propriétaire (unique dans ce cas) possède au moins 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société.
La discordance entre les seuils retenus na pas reçu de justification en rapport avec lobjet de la loi. La référence avancée, notamment par le rapporteur au Sénat, à une « réalité économique » plus grande du seuil de 20 % en référence à la présomption de contrôle de la société implique notamment que le critère retenu ici nest plus celui du bien professionnel, seul légitime au regard de lobjectif de la loi.
En second lieu, le dispositif critiqué introduit une rupture caractérisée de légalité entre des redevables de limpôt de solidarité sur la fortune pourtant placés dans une situation identique au regard de lobjectif même que sétait assigné le législateur.
En effet, larticle 47 ne sapplique quau patrimoine professionnel constitué de parts et dactions de société et non aux entreprises individuelles. Il est pourtant fréquent que les situations auxquelles le législateur a voulu remédier en instituant la disposition critiquée se retrouvent à lidentique sagissant des entreprises individuelles. Certes, les biens constituant une entreprise individuelle qui sont nécessaires à lexercice à titre principal par leur propriétaire dune profession sont considérés comme des biens professionnels par larticle 885 N du code général des impôts et exonérés à ce titre de limpôt de solidarité sur la fortune.
Mais il peut arriver, notamment à la suite dune transmission à titre gratuit de lentreprise, que les biens constituant lactif de cette dernière soient détenus par dautres personnes que celle qui exerce son activité professionnelle dans le cadre de cette entreprise. Cest dailleurs la raison pour laquelle, lorsque avaient été introduites par la loi de finances pour 2000 les dispositions codifiées à larticle 789 A du code général des impôts, qui prévoient, selon un mécanisme dont sest ici inspiré le législateur, lexonération à hauteur de 50 % des droits de mutation à titre gratuit sur les parts de société grevées dun engagement de conservation des titres, avait été institué un dispositif permettant lexonération dans les mêmes conditions des biens affectés à lexploitation dune entreprise individuelle (article 789 B du code général des impôts).
En traitant différemment les détenteurs dune entreprise selon que cette dernière est constituée sous forme de société ou sous forme dune entreprise individuelle, larticle 47 porte atteinte au principe dégalité puisque rien ne justifie dintroduire une telle discrimination entre les détenteurs dune entreprise placés dans une situation identique au regard de lobjet de la loi qui est dencourager la poursuite dune entreprise sous forme familiale.
IV. - Sur larticle 48
Larticle 48 crée un article 855 ter dans le code général des impôts prévoyant lexonération sous certaines conditions des titres reçus en contrepartie dune souscription au capital dune petite ou moyenne entreprise ayant son siège dans la Communauté européenne.
Ainsi que le rappelle à échéance régulière le Conseil constitutionnel, le principe dégalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur institue pour des motifs dintérêt général des incitations fiscales, mais une fois encore cest à la condition que lappréciation du législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en relation avec lobjet quil poursuit. Or larticle 48 méconnaît le principe dégalité dans la mesure où il institue un avantage disproportionné par rapport au but quil poursuit et une distinction entre entreprise individuelle et entreprise constituée sous forme de société.
Daprès les indications données par le secrétaire dEtat aux petites et moyennes entreprises, auteur de lamendement dont est issue cette disposition, lobjet de ce texte est daccroître les investissements dans les PME pour favoriser lemploi (Débats AN, 3e séance du jeudi 6 février 2003, Journal officiel du 7 février 2003, pages 1053 et suivantes). Or la disposition critiquée prévoit une exonération non partielle mais totale de limpôt de solidarité sur la fortune sur les titres reçus par un redevable en contrepartie de sa souscription au capital dune société répondant à la définition communautaire des PME. Là aussi, en accordant aux souscripteurs des titres de ces sociétés un avantage dune telle importance, alors quune exonération partielle dimpôt de solidarité sur la fortune aurait été suffisante pour encourager linvestissement dans les PME, le législateur a introduit une rupture caractérisée de légalité devant limpôt entre les redevables de limpôt de solidarité sur la fortune.
Le dispositif adopté conduit, en outre, à traiter différemment des redevables de limpôt de solidarité sur la fortune placés dans une situation identique au regard de lobjet de la loi. Cest ainsi que, dune part, à la suite dun amendement présenté lors de la discussion au Sénat, lavantage institué a été étendu à la souscription de titres de sociétés exerçant leur activité dans les activités bancaires, financières et dassurances, alors même quil est généralement dusage dexclure ce type dactivité des avantages institués en matière fiscale (ainsi que le font les articles 789 A et 789 B du code général des impôts ainsi que larticle 885 I bis du même code introduit par larticle 47 de la loi), mais en excluant en revanche les activités de gestion du patrimoine mobilier ou immobilier. On ne voit pas sur quel critère objectif et rationnel repose cette exclusion, dès linstant que les activités bancaires et financières, qui ont également une dimension patrimoniale, relèvent du champ dapplication du dispositif.
Et on comprend encore moins la raison pour laquelle là encore le législateur a limité le champ dapplication du dispositif aux souscriptions en numéraire de parts de société, sans prendre en considération les apports de capitaux réalisés dans une entreprise individuelle. Alors que les 2 millions de PME gérées sous forme dentreprises individuelles constituent les principaux vecteurs de création demplois, et ont tout autant besoin que celles qui sont gérées sous forme de sociétés dun apport de capitaux, lavantage institué par le législateur les exclut de son champ dapplication. Le Conseil constitutionnel ne pourra là aussi que censurer latteinte portée de ce fait au principe dégalité. Rien ne justifie une telle discrimination entre les entreprises individuelles et les entreprises constituées sous forme de société, et ce dautant plus que le but du législateur est de favoriser lemploi dans les PME. Lavantage est inadapté par rapport à lobjectif poursuivi.
Enfin, le Conseil constitutionnel ne pourra que constater la rupture dégalité introduite par lexonération des apports non seulement en capital mais également en nature. Cette disposition introduite par un amendement au Sénat a conduit le Gouvernement comme les rapporteurs à lAssemblée à souligner que cette extension conduisait à sécarter du dispositif initial qui tendait à cibler la mesure sur linvestissement en faveur du développement économique de lentreprise. Les rapporteurs à lAssemblée nationale ont souligné que cette disposition allait même « à lencontre du but poursuivi initialement qui était, rappelons-le, de remédier à linsuffisance de loffre de financements aux PME. Il est donc essentiel de recentrer la mesure sur lapport dargent frais qui permettrait réellement dinsuffler un nouvel élan à la création ou au développement des PME, sans courir le risque dun détournement de la mesure par des apports de valeurs mobilières, dans le but de les exonérer dISF ».
Lexonération spécifique est donc clairement sans lien avec lobjectif poursuivi par le législateur et ne saurait donc quêtre annulée par le Conseil constitutionnel qui constatera une rupture du principe dégalité.
V. - Sur larticle 49
Larticle 49 modifie larticle 885 O bis du code général des impôts afin dintroduire un assouplissement des critères permettant la qualification de biens professionnels au sens de limpôt de solidarité sur la fortune.
Le but poursuivi par le dispositif prévu à larticle 885 O bis du code général des impôts dans sa rédaction actuelle est dassurer lexclusion - prévue au dernier alinéa de larticle 885 A qui dispose que « les biens professionnels définis aux articles 885 N à 885 R ne sont pas pris en compte pour lassiette de limpôt de solidarité sur la fortune » - des biens professionnels, et eux seuls, du champ de limpôt de solidarité sur la fortune.
La modification prévue par larticle 49 doit être analysée au regard de ce principe général.
Larticle prévoit que les dirigeants dentreprises, qui ne détiennent pas les 25 % du capital de leur entreprise ouvrant droit à exonération automatique au titre de lISF, bénéficient de lexonération dès lors que leurs parts représentent plus de 50 % de la valeur brute de leur patrimoine imposable, contre 75 % actuellement. Ainsi, des parts de société seront considérées comme bien professionnel, et donc soumises à lISF, si elles constituent 50 % au moins du patrimoine imposable dun dirigeant de société.
Labaissement du seuil de 75 % à 50 % conduira à accorder un avantage fiscal disproportionné au regard de lobjectif poursuivi par la loi. En effet, un dirigeant dentreprise qui ne possède plus un pourcentage largement majoritaire au sein de son patrimoine des parts de la société ne peut prétendre que ces parts sont constitutives dun bien professionnel au sens propre.
Ainsi, les mêmes parts pourraient, en totale méconnaissance du principe dégalité, donner droit à une exonération totale de lISF pour certains contribuables compte tenu uniquement de leur fonction, et non pour dautres, sans que cette différence de traitement soit justifiée par le fait que ces parts constitueraient dans un cas un bien professionnel et dans lautre non.
Lavantage créé par larticle 49 est donc disproportionné au regard de lobjectif poursuivi par la loi et le Conseil constitutionnel ne pourra que censurer latteinte portée de ce fait au principe dégalité.
(Liste des signataires : voir décision no 2003-477 DC.)