Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2003/13 du dimanche 20 juillet 2003
NOR : CSCL0306690X
LOI HABILITANT LE GOUVERNEMENT
À SIMPLIFIER LE DROIT
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons lhonneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de larticle 61 de la Constitution, lensemble de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit telle que définitivement adoptée par le Parlement le 10 juin 2003.
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A titre liminaire, les auteurs de la saisine entendent rappeler leur attachement à lentreprise de simplification du droit et de codification pour laquelle ils ont uvré encore récemment. Il demeure que cette démarche ne saurait être réalisée en saffranchissant de façon trop conséquente des droits du Parlement. En particulier, le recours à la procédure des ordonnances telle quorganisée par larticle 38 de la Constitution ne doit pas être trop large et imprécise.
Or, il savère quen loccurrence la loi dhabilitation critiquée couvre un champ du droit extrêmement vaste, ainsi que ladmet le rapporteur de la commission des lois du Sénat en sinterrogeant sur « les conséquences dune habilitation dune si grande ampleur » (Sénat, rapport no 266, p. 28). Certes, la réponse de la majorité soutenant le Gouvernement, pour ne pas surprendre, tend à rassurer et à considérer que les prescriptions constitutionnelles sont ici respectées. Il reste, quà lévidence, ce texte concerne des matières parmi les plus diverses, pas seulement dordre technique, appartenant, parfois, au champ du droit pénal ou du droit du travail, et sans justification tirée ni de lurgence ni de lencombrement de lordre du jour des assemblées parlementaires. Il aboutit à faire échapper aux droits du Parlement des pans entiers de matières relevant du domaine de la loi et pour des durées parfois longues, jusquà dix-huit mois. On pourrait être tenté de voir dans une telle habilitation, sans doute lune des plus lourdes de la Ve République, une contradiction de principe avec larticle 38 de la Constitution dès lors que, par son champ très large, elle empêche, de facto, le Parlement de mesurer avec précision la finalité réelle et exacte de toutes ces mesures.
Une telle critique pourrait paraître excessive. En revanche, il importe dinvalider les dispositions les plus floues mettant en échec les règles constitutionnelles.
Dès lors, conformément à votre jurisprudence, les exigences de précision et de finalité qui résultent de larticle 38 de la Constitution trouveront à sappliquer avec toute la rigueur nécessaire (décision no 76-72 DC du 12 janvier 1977).
De même, il appartient au Conseil constitutionnel, dune part, de vérifier que la loi dhabilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître les règles et principes de valeur constitutionnelle, dautre part, de nadmettre la conformité à la Constitution de la loi dhabilitation que sous lexpresse réserve quelle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution (décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, considérants 14 et 15).
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I. - Sur larticle 5 de la loi
Cet article habilite le Gouvernement à prendre diverses mesures dont celles nécessaires pour rendre compatibles avec le droit communautaire les dispositions législatives relatives à la passation des marchés publics (I-1) et celles permettant « dalléger les procédures de passation des marchés publics pour les collectivités territoriales » (I-2).
Cette habilitation manque des précisions indispensables et, en particulier, méconnaît lexigence de finalité.
I-1. Sagissant du paragraphe 1o de larticle 5, force est dadmettre que sa rédaction imprécise par essence viole les articles 38 et 88-4 de la Constitution.
I-1.1. En premier lieu, ainsi que vous lavez décidé à plusieurs reprises, larticle 38 de la Constitution fait obligation au Gouvernement dindiquer avec précision au Parlement quelle est la finalité des mesures quil se propose de prendre et leurs domaines dintervention (décision no 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, considérant 13).
En lespèce, cette exigence ne peut pas être respectée pour la simple et bonne raison quil est impossible de préciser devant le Parlement le champ dune habilitation qui porte sur des actes de droit communautaire dérivé, ici des directives, non encore adoptées et dont on ignore, à ce jour, le contenu et la date de leur adoption par les institutions communautaires. Lhypothèse couverte par la loi no 2001-1 du 3 janvier 2001 était singulièrement différente dans la mesure où il sagissait de résorber le retard pris par notre pays par rapport à son obligation de transposition de nombreuses directives déjà adoptées et dont, pour certaines, le délai de transposition était échu.
Le cas présent est radicalement distinct et lon comprend difficilement comment, au titre de larticle 38 de la Constitution, le Parlement pourrait habiliter le Gouvernement à prendre des mesures dont aucune des institutions nationales ou communautaires concernées ne connaissent la teneur précise au moment où sopère cette délégation.
Admettre une telle possibilité aboutirait à une dépossession supplémentaire et inédite des pouvoirs appartenant au Parlement. En aucune façon, larticle 38 de la Constitution na pu avoir pour objet de conduire à lhabilitation du pouvoir exécutif aux fins de modifier les matières relevant du domaine de la loi en anticipant les évolutions du droit communautaire. Il convient de relever, à cet égard, que la Commission de Bruxelles semble sétonner de lempressement du Gouvernement à transposer par avance des directives qui nexistent pas encore (voir Le Moniteur, 18 avril 2003, rubrique « Confidentiel », paragraphe 2).
I-1.2. En second lieu, et par voie de conséquence, cette habilitation en vue de la transposition de directives en voie dachèvement futur et incertain ne peut que méconnaître larticle 88-4 de la Constitution au terme duquel « le Gouvernement soumet à lAssemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de lUnion européenne, les projets et propositions dactes des Communautés européennes et de lUnion européenne comportant des dispositions de nature législative (...) » et « Selon les modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés à lalinéa précédent ».
Lhabilitation par anticipation du Gouvernement à procéder à la transposition de directives, dont certaines, eu égard à la procédure européenne, nont pas pu être transmises au Parlement, le prive pour lavenir de lexercice, via les délégations compétentes ou tout parlementaire, de son pouvoir de contrôle et de son droit à linformation sur la construction européenne.
A supposer même, et pour les seuls besoins du raisonnement, que ces actes soient transmis au Parlement pendant la période dhabilitation, la portée de larticle 88-4 de la Constitution serait méconnue dans la mesure où lexamen de ces projets de texte communautaire et les résolutions éventuellement votées seraient sans effet et donc privés de toute portée.
Cette habilitation inévitablement imprécise, puisque portant sur des propositions de directives non définitives, viole, en tout état de cause, le droit du Parlement français à exercer son contrôle sur les dispositions de nature législative portées par les actes communautaires.
De ces chefs, déjà, la censure est encourue.
I-2. Le paragraphe 3o de larticle 5 habilite le Gouvernement à prendre les mesures permettant « dalléger les procédures de passation des marchés publics pour les collectivités territoriales ».
Cest en vain que lon chercherait les précisions et la finalité irriguant cette habilitation. Les articles 38 et 72 de la Constitution sont alors évidemment méconnus et ensemble le principe dégalité devant la loi.
I-2.1. Sagissant dune loi dhabilitation tendant à la simplification du droit applicable, y compris à la commande publique, on comprend quelle puisse servir lobjectif de valeur constitutionnelle daccessibilité et dintelligibilité de la loi (décision no 99-419 DC du 9 novembre 1999). Cest ainsi que lexposé des motifs et plusieurs articles visent lharmonisation, la clarification, la coordination, ou, encore, la codification à droit constant.
En revanche, la notion dallégement des procédures de passation des marchés publics ne répond à aucune finalité particulièrement définie et, plus que tout, manque de tout début de précision sur son sens et sa portée.
Nul nignore les rigueurs dont le droit de la commande publique est heureusement entouré. Nul ne peut davantage contester que les formes et procédures qui entourent la passation des marchés publics et des délégations de service public garantissent légalité daccès aux contrats, la libre concurrence, et, autant lécrire puisque les temps sont à la transparence, limitent les risques de corruption. La nécessité danalyser les contraintes éventuellement inutiles car faisant, par exemple, doublon avec dautres règles, voire le besoin de préciser certaines règles, y compris pour rendre plus effectives telle ou telle garantie ou améliorer la gestion publique, sont des objectifs de nature à servir lintérêt général autant que laccessibilité et lintelligibilité de la loi.
A linverse, loption consistant à « alléger » les procédures de passation laisse songeur sur lampleur de ladaptation ainsi déléguée au Gouvernement et sur sa finalité réelle. En outre, et contrairement à lécho des mots, lallégement des procédures ne signifie pas nécessairement simplification et sécurité juridique.
Cette habilitation du Gouvernement ne répond absolument à aucune des exigences posées par larticle 38 de la Constitution tel quinterprété par votre jurisprudence constante. On ne voit pas, en outre, lurgence quil y aurait à alléger les procédures de passation des marchés des collectivités territoriales.
I-2.2. Dautant plus que, ce faisant, la loi a méconnu larticle 72 de la Constitution consacrant la libre administration des collectivités territoriales. Faire ainsi passer, en substance, tout le droit de leurs marchés publics dans la main du pouvoir exécutif est pour le moins incohérent. Une habilitation aussi vaste aura pour effet de faire échapper la détermination des droits et obligations des collectivités territoriales au contrôle du Parlement. Au regard de lambition de décentralisation, ce glissement soudain ne manque pas de surprendre.
Pourtant, comme le relève M. le commissaire du Gouvernement, D. Piveteau, dans ses conclusions, partiellement contraires, exposées dans laffaire relative au nouveau code des marchés publics : « (...) alors même que le contexte constitutionnel est au renforcement de lautonomie locale, tout ce qui modifie les droits et obligations des collectivités locales relève normalement du domaine de la loi » (CE, Ass., 5 mars 2003, ordre des avocats à la cour dappel de Paris, requête no 238039). On ne peut quadhérer à cette analyse même si, en définitive, le Conseil dEtat a choisi dans cette espèce de juger légale lhabilitation résultant dun décret-loi du 12 novembre 1938. Dailleurs, à bien y réfléchir, la cohérence aurait été de remettre de lordre dans lordonnancement normatif et dabroger ce décret dun autre temps par une loi sur les contrats publics des collectivités territoriales. Larticle 5 critiqué ici fait le choix exactement inverse en prolongeant une habilitation dont, là encore, le libellé autorise tout et rien. Cest-à-dire beaucoup !
Le choix ainsi fait ne peut satisfaire ni larticle 38 de la Constitution ni larticle 72 de la Constitution nouveau. Là où une loi de clarification était nécessaire, le droit français va continuer avec une habilitation opaque dont le résultat sera de maintenir une matière relevant du domaine de la loi sous lautorité du pouvoir réglementaire.
Force est dadmettre, et quoi quil en soit du pouvoir dappréciation du Parlement qui ne peut être discutée devant le juge constitutionnel, que léventuelle habilitation du Gouvernement pour modifier le droit applicable aux collectivités locales doit sentendre de manière stricte et doit, pour le moins, être précise et répondre à une finalité évacuant, expressis verbis, toute incertitude sur le sens et la portée de la délégation ainsi consentie.
Or, cet « allégement des procédures » sinscrit en contradiction avec ces prescriptions.
Il serait malvenu, dailleurs, doser prétendre que cet allégement, en soi et pour soi, va faciliter laction des collectivités territoriales et donc renforcer leur libre administration. Pour qui connaît la réalité de la commande publique, dont les enjeux et les rapports de forces qui sétablissent avec les prestataires, parfois véritables puissances économiques, il apparaît que labsence de règles suffisamment protectrices assurant légalité des acteurs peut placer les collectivités dans des situations délicates. In fine, il sagit aussi du bon emploi des deniers publics et de la qualité des services publics. Dès lors, un « allégement » généralisé des règles peut savérer préjudiciable aux collectivités territoriales, aux services publics, et donc au citoyen.
Si une telle évolution devait intervenir, il conviendrait que cela se fasse dans la transparence indispensable et que le Parlement puisse jouer pleinement ses missions constitutionnelles.
Tel nest pas le cas en lespèce.
I-2.3. En tout état de cause, il convient de relever la méconnaissance du principe dégalité fondé sur les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 (décision no 2001-450 DC du 11 juillet 2001, décision no 2001-452 du 6 décembre 2001) lequel sapplique au droit de la commande publique. Il est certain, à cet égard, que les règles de mise en concurrence et de publicité contribuent directement au respect de ce principe constitutionnel.
Au cas présent, lallégement visé ne peut que conduire à diminuer les règles de mise en concurrence et de transparence. Par voie de conséquence, les procédures excessivement « souples » ne pourront que contribuer à la méconnaissance du principe dégalité, au risque de conduire à une limitation excessive de la libre concurrence.
Encore une fois, sagissant dune matière aussi délicate, dans tous les sens du terme, une telle habilitation aussi vaste, et sans précision sur sa finalité réelle, ne peut quaboutir à mettre en cause les équilibres du droit des contrats publics qui reposent, en partie, sur le principe dégalité.
I-2.4. La violation de larticle 14 de la Déclaration de 1789 relatif à la nécessité des dépenses publiques et du consentement à ces dépenses ne peut que résulter dune telle imprécision.
De quelques mots, lévidence est telle quils suffiront, on redira que lallégement ne peut que conduire à mettre en danger les procédures de contrôles qui contribuent à sassurer du bon emploi des deniers publics et donc de la légitimité de la dépense publique. La procédure de passation doit être suffisamment rigoureuse pour que le coût des contrats soit, au moment de la liquidation définitive, réellement supportable pour la collectivité territoriale concernée. On doit redouter, à cet égard, que lallégement indéterminé de la procédure ne se traduise par lalourdissement de la facture et plus loin de lélargissement de la fracture civique...
De tous ces chefs, la censure est inévitable.
II. - Sur larticle 6 de la loi
Cet article habilite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour modifier la loi no 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise douvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise duvre privée et créer de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes publiques ou des personnes privées chargées dune mission de service public pour la conception, la réalisation, la transformation, lexploitation et le financement déquipements publics, ou la gestion et le financement de services ou une combinaison de ces différentes missions.
Certes, lhabilitation est entourée de précisions, notamment relatives aux principes dégalité et à ses corollaires, et prévoit quun accès équitable à ces contrats sera assuré dune façon ou dune autre au bénéfice de certaines professions défavorisées par de telles règles.
Certes, les auteurs de la saisine nignorent pas que vous avez admis la constitutionnalité de tels contrats figurant dans la loi dorientation et de programmation pour la sécurité intérieure (décision no 2002-460 DC du 22 août 2002).
Il demeure que cet article méconnaît les articles 38 de la Constitution (II-1) et 72 de la Constitution (II-2), ainsi que le principe dégalité (II-3) et le principe de continuité des services publics (II-4).
II-1. Cette disposition, aussi détaillée soit-elle, ne répond pas à la nécessité constitutionnelle de préciser la finalité de lhabilitation telle que résultant du renvoi par larticle 38 de la Constitution à lexécution du programme du Gouvernement. Sans doute ici le domaine dintervention est-il précisé (décision no 95-370 DC du 30 décembre 1995, cons. 15 à 17, Rec. p. 269), mais, à linverse, la finalité napparaît pas avec suffisamment de rigueur.
Les lois sur la sécurité intérieure et sur la justice de 2002 qui ont organisé de telles procédures contractuelles bornaient précisément le champ de linnovation ainsi mise en uvre. Les raisons tirées de lurgence à mettre en place un plan pour construire des équipements liés à lordre public, à la sécurité des personnes et des biens, à la dignité des personnes incarcérées ont motivé, selon lexpression même du Gouvernement, cette évolution.
Rien de tel en loccurrence et larticle 6 reste particulièrement silencieux sur la finalité de ces nouveaux contrats.
Certes, il a été question dans les débats parlementaires du plan « Hôpitaux 2007 », mais cette perspective ne couvre quune partie du champ de lhabilitation qui reste donc imprécise.
Sil sagit de couvrir tout le champ des services publics, lhabilitation ne peut être admise dans la mesure où elle ferait basculer toute une partie du droit public dans le champ des ordonnances. Toute une partie du droit public, y compris celui applicable aux collectivités locales. Si une modernisation du cadre des contrats publics et des méthodes de gestion peut, en soi, rencontrer une adhésion assez large, il est tout aussi certain que les implications pour les deniers publics et les exigences liées au service public imposent que le Parlement puisse connaître avec le plus de précision possible la portée de telles modifications de tout un pan de notre droit public. Or, au risque dinsister, cest dans une indétermination préjudiciable aux droits du Parlement et aux principes constitutionnels que de telles évolutions auraient lieu.
II-2. Car cette habilitation concerne directement, là aussi, la libre administration des collectivités territoriales, lesquelles voient ainsi tout un pan de leur liberté contractuelle passer sous la férule du pouvoir exécutif.
On doit ajouter que lhabilitation dun champ aussi vaste paraît en contradiction avec le nouvel article 72-1 de la Constitution qui laisse une place à lexpérimentation pour les collectivités territoriales.
Une nouvelle fois, là où une clarification législative aurait été nécessaire, ce texte dhabilitation ramène le droit des contrats publics des collectivités territoriales dans lorbite du Gouvernement au risque de priver celles-ci de leur initiative.
Dès lors que lhabilitation vise un domaine qui relève de larticle 34 de la Constitution mais aussi entre dans le champ des articles 72 et 72-1 de la Constitution, la finalité au regard de lexécution du programme du Gouvernement doit être précisée avec la dernière rigueur.
Ce nest pas le cas en loccurrence et la censure ne manquera pas dintervenir.
II-3. Ce dispositif aboutit à méconnaître le principe dégalité tel quil sapplique au droit de la commande publique et aux services publics.
Il est acquis que dans vos décisions précitées vous avez rejeté les griefs tirés de la violation du principe dégalité alors quil était question de contrats, a priori, de même nature que ceux-là (décision no 2002-460 précitée). On doit cependant considérer que les limitations ainsi apportées aux règles de la commande publique avaient un but précis et légitime.
Dans le commentaire publié dans les Cahiers du Conseil constitutionnel, il est ainsi noté qu « Il nétait donc pas illégitime que le législateur, opérant la conciliation qui lui revient entre impératifs contradictoires, déroge aux règles existantes en matière de commande publique, même si ces règles tendent à favoriser le respect des exigences constitutionnelles. Il nappartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle ainsi portée par le législateur, dès lors que cette dernière nest entachée daucune erreur manifeste dappréciation.
« Lampleur et lurgence des travaux de construction et de remise en état des bâtiments à réaliser au cours des prochaines années pour couvrir les besoins de la police nationale et de la gendarmerie justifient le recours au dispositif critiqué » (Cahiers no 13).
On mesure à quel point le mécanisme proposé dans la présente loi pose les mêmes questions au regard du principe dégalité sans trouver les mêmes justifications du point de vue de lintérêt général ou dautres principes de valeur constitutionnelle.
Latteinte au principe dégalité est tellement certaine que le Sénat a introduit une disposition tendant à limiter les effets pervers du mécanisme querellé. Ainsi, une dernière phrase a été ajoutée à larticle 6 précisant que les mesures à prendre « prévoient les conditions dun accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans aux contrats prévus au présent article ».
On doit déduire de cet ajout, certainement indispensable, que les nouveaux contrats qui ressuscitent, sous un nouveau jour plus avenant, les anciens METP, ne sont pas, en eux-mêmes, de nature à satisfaire légal accès à la commande publique. Sinon, on ne comprend pas très bien la nécessité tendant à organiser un accès équitable pour plusieurs secteurs de léconomie.
Mais, au surplus, cette notion daccès équitable pose à son tour des difficultés dordre juridique non négligeables. La notion daccès équitable aux contrats publics est, en effet, délicate à cerner tant le principe dégalité ne saurait se confondre avec celui déquité.
On ajoutera que la solution de la sous-traitance ne saurait satisfaire le principe dégalité tant il renforce, de fait, la puissance des quelques grands groupes en situation de répondre à la lourdeur de tels montages contractuels globaux, et donc la dépendance des petites et moyennes entreprises ou des artisans à légard de ces entreprises. Le principe dégalité daccès à la commande publique ne peut se comprendre comme légalité daccès à la sous-traitance.
La crainte quexprime, malheureusement maladroitement, lamendement sénatorial rejoint celle de nombreuses autorités parmi les plus autorisées et les moins suspectes de partialité. Ainsi, les contrats globaux, anciennement METP et bientôt PPP, avaient fait lobjet de nombreuses critiques quant à lopacité, pas seulement juridique, qui les inspiraient ou quils généraient. Le Conseil dEtat dans son rapport public pour 1993 sinterrogeait, dans un style inhabituel, pour savoir comment lon pouvait continuer de conclure des marchés « à linvitation de ce quil faut bien appeler le groupe de pression des inventeurs et praticiens du METP, dans des conditions qui relèvent, chaque fois, plus ou moins, du coup de force juridique et de lépreuve de force avec les autorités chargées du contrôle de légalité » (p. 73). Ce que reprend, sous une autre forme, linstruction du ministère de léconomie et des finances publiée par la Revue des marchés publics (no 3/2001, p. 54) en indiquant que « les formules de METP avec paiement différé présentaient de nombreux inconvénients : endettement indirect de la collectivité locale, coût élevé, opacité dans la répartition du marché entre la construction, le financement et lexploitation ou la maintenance, frein pour laccès direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique, réduction de la concurrence » (p. 56, § 10.8).
On le voit, le principe dégalité nest pas assuré et ne peut être assuré au titre de lhabilitation trop imprécise ainsi donnée.
II-4. Enfin, le principe de continuité des services publics napparaît pas davantage garanti au travers du libellé de larticle critiqué.
Lexploitation, la maintenance, le financement déquipements publics, au-delà même de la conception et de la construction, touchent au cur du service public et à sa continuité. Il importe donc que les caractéristiques de ces contrats en assurent la garantie. La clause stéréotypée selon laquelle ces montages devront respecter les exigences du service public paraît plus de style queffective et de nature à satisfaire ce principe constitutionnel.
Les critiques anciennement adressées aux anciens METP comme la création dun endettement indirect non enregistré dans les comptes de la collectivité ou la mauvaise répartition des risques de lexploitation, peuvent être dirigées contre ces futurs contrats de partenariats.
Dès lors que ces contrats ont vocation à concerner lensemble des services publics, y compris ceux des collectivités locales, il aurait été nécessaire que lhabilitation soit beaucoup plus précise à cet égard.
De ce chef, encore, linvalidation ne manquera pas dintervenir.
III. - Sur larticle 7 de la loi
Cet article autorise le Gouvernement à prendre plusieurs mesures modifiant le code général des impôts et le livre des procédures fiscales.
Vous avez admis quune loi dhabilitation puisse comprendre des dispositions de nature fiscale (décision no 95-370 DC du 30 décembre 1995). Il demeure que la loi dhabilitation doit respecter les prescriptions de larticle 38 de la Constitution et les autres règles constitutionnelles.
Tel nest pas le cas en lespèce.
En particulier, lhabilitation paraît fort vague lorsquil sagit délargir les possibilités et assouplir les modalités doption pour les régimes fiscaux spécifiques. Le champ ici visé concerne tout un pan de la fiscalité des personnes sans que la finalité de lhabilitation apparaisse clairement.
Dautre part, une telle habilitation ne permet pas de garantir que le principe dégalité devant les charges publiques, tel que résultant de larticle 13 de la Déclaration de 1789, sera respecté.
Enfin, du point de vue des droits de la défense et du principe du contradictoire, il convient de sinterroger sur la simplification des modalités de recouvrement de limpôt par ladministration fiscale. Il importe que cette simplification maintienne toutes les garanties nécessaires.
En labsence de précisions suffisantes, ces diverses dispositions encourent la censure.
IV. - Sur larticle 18 de la loi
Cet article a pour objet de faciliter laccomplissement des formalités requises des candidats et dalléger les modalités dorganisation des élections, notamment en simplifiant les démarches que doivent accomplir les partis et groupements politiques pour participer à la campagne radiotélévisée des élections législatives, et en aménageant les modalités de contrôle des comptes de campagne.
En apparence, les mesures proposées paraissent, il est vrai, de portée limitée.
Il reste que la matière électorale touche les éléments fondamentaux de la vie démocratique et quune habilitation du pouvoir exécutif pour agir dans le domaine de la loi suppose, à ce titre, un cadre suffisamment précis.
Cette condition nest pas satisfaite pour au moins deux paragraphes de larticle en cause.
Dune part, la simplification des démarches des partis et groupements politiques en vue de la participation aux émissions audiovisuelles pendant la campagne législative pourrait, en labsence de précisions suffisantes, conduire à porter atteinte au pluralisme, principe dont la valeur constitutionnelle a été amplement consacrée (décision no 89-271 DC du 11 janvier 1990 ; décision no 2003-468 DC du 3 avril 2003).
Il importe, ainsi, que la modification des règles de la campagne audiovisuelle ne conduise pas, sous les auspices dapparentes règles de procédure ou de forme, à priver daccès à ces moyens de communication tel ou tel parti, et notamment pas les formations politiques de plus faible audience. A cet égard, le principe dégalité devra être respecté.
Dautre part, laménagement des modalités de contrôle des comptes de campagne vise un champ très large sans les précisions suffisantes. En particulier, cette procédure qui peut conduire à des invalidations liées au rejet du compte de campagne suppose que le principe de la contradiction soit pleinement respecté et que légalité entre les candidats soit assurée.
Rien de tel napparaît dans larticle en cause.
V. - Sur larticle 25 de la loi
Cet article tend à lallégement des formalités résultant de la législation du travail, y compris en ce qui concerne les seuils deffectifs et les procédures de licenciement.
Au regard des exigences de larticle 38 de la Constitution, une telle habilitation manque encore de précision. En effet, lampleur des matières ainsi visées, et donc le nombre de matières relevant normalement de larticle 34 de la Constitution pour ce qui est du droit du travail, aurait dû conduire la loi dhabilitation à préciser davantage la finalité de ces mesures. Le droit du travail est un droit de protection des salariés qui ne saurait échapper trop largement au contrôle du Parlement.
En outre, et par voie de conséquence, une telle imprécision ne peut quentraîner des difficultés au regard du principe dégalité.
De ces chefs, la censure devra intervenir.
VI. - Sur larticle 26 de la loi
Cet article prévoit, notamment, linstitution dune procédure accélérée pour lexamen, par le Conseil de la concurrence, des affaires inférieures à un seuil déterminé et le relèvement du seuil du chiffre daffaires des entreprises soumises au contrôle des concentrations.
Une telle habilitation est insuffisamment précise dès lors que le relèvement du seuil du chiffre daffaires des entreprises soumises au contrôle des opérations de concentration nest encadré par aucun critère objectif. Or, considérant limportance dune telle mesure sur tout un pan du droit applicable à la vie économique, cette indétermination ne permet pas de regarder cette disposition comme précisant la finalité réelle.
Ensuite, cette disposition est en contradiction avec le principe du pluralisme et de la liberté de communication dès lors quelle est susceptible de sappliquer à des entreprises ayant une activité dans le domaine audiovisuel ou de presse (décision no 86-217 DC du 18 septembre 1986, considérant 11). En sorte que pourrait échapper audit contrôle des opérations de concentration résultant de fusions ou dacquisitions dentreprises susceptibles de restreindre la liberté daccès à la culture ou la libre expression des idées et des opinions et, partant de là, le pluralisme.
Cette imprécision ne peut être admise.
Enfin, linstauration dune procédure accélérée ne peut se faire sans que le principe du contradictoire, le contrôle juridictionnel ou les droits de la défense soient garantis. Cest ce que vous avez jugé, déjà pour le Conseil de la concurrence (décision no 86-207 DC, précitée, considérant 23).
Or, en loccurrence, aucune garantie nest prévue à cet égard et rien ne révèle, dans la disposition querellée, que ces prescriptions de valeur constitutionnelle seront respectées.
De tous ces chefs, la censure est encourue.
VII. - Sur larticle 34 de la loi
Cet article autorise le Gouvernement à prendre par voie dordonnances des dispositions relatives à la définition, à ladministration, à la protection et au contentieux du domaine public et du domaine privé, mobilier comme immobilier, de lEtat, des collectivités territoriales et des établissements publics.
Une telle habilitation excède par son ampleur le champ de larticle 38 de la Constitution et larticle 72 de la Constitution.
En premier lieu, ainsi que vous lavez jugé, le principe de codification à droit constant soppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées (décision no 99-421 DC du 16 décembre 1999).
En lespèce, cet article 34 fait exception au principe de la codification à droit constant et transfère au pouvoir exécutif la rédaction dun code du domaine concernant tant lEtat que les autres personnes morales de droit public. Il faut ajouter que la matière ainsi dévolue au pouvoir réglementaire fait, aux termes mêmes de votre jurisprudence, lobjet de nombreuses prescriptions de nature constitutionnelle tenant à la protection de la domanialité publique (décision no 94-346 DC du 21 juillet 1994). Or, rien ne permet de considérer que ces principes et règles de valeurs constitutionnelles seront respectés pleinement.
En second lieu, il savère que cette codification à droit mouvant concerne tout également les collectivités territoriales et fait échec, eu égard notamment à lampleur de la matière traitée et des implications que cela peut avoir pour la gestion et ladministration desdites collectivités, aux articles 72 et 72-1 de la Constitution. Un tel texte dhabilitation de nature à créer au quotidien des obligations et des devoirs aussi importants pour les collectivités territoriales ne peut être constitutionnellement admis sauf à faire du domaine de la loi et de la libre administration des collectivités territoriales une coquille vide.
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Nous vous prions dagréer, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, lexpression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 2003-473 DC.)