Bulletin Officiel du Travail, de lEmploi et de la Formation Professionnelle
No 2004/9 du jeudi 20 mai 2004
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, dun recours dirigé contre la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, adoptée le 7 avril 2004.
Les requérants articulent à lencontre des articles 41, 42 et 43 de la loi différents griefs qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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Ces articles 41, 42 et 43 font partie du titre de la loi déférée consacré au dialogue social, qui procède à une refonte des règles de la négociation collective. Cette réforme, qui sinscrit dans le prolongement dune « position commune » adoptée en juillet 2001 par la plupart des partenaires sociaux, est articulée autour de trois idées principales. Le législateur a voulu, en premier lieu, subordonner la validité des accords collectifs à un principe majoritaire, qui se décline de façon différente selon les niveaux de négociation ; la loi a entendu, en deuxième lieu, accroître le champ de responsabilité des partenaires sociaux en leur ouvrant la faculté, sous certaines conditions, de signer des accords dérogatoires par rapport à des conventions supérieures ; la loi a visé, enfin, à étendre le champ de la négociation dentreprise par rapport à la négociation de branche.
Dans ce cadre, larticle 41 de la loi déférée modifie larticle L. 132-13 du code du travail qui détermine larticulation des accords interprofessionnels et des accords de branche en fonction du champ couvert. En vertu de la loi déférée, les dispositions des accords interprofessionnels ne simposeront désormais aux accords de niveaux inférieurs que si leurs signataires lont expressément prévu. Pour sa part, larticle 42 modifie larticle L. 132-23 du code du travail relatif à larticulation des accords interprofessionnels, professionnels ou de branche et des accords dentreprise. La modification apportée par la loi déférée vise à ouvrir de nouvelles marges dautonomie aux accords dentreprise par rapport aux accords de branche, en permettant aux accords dentreprise, sous les conditions prévues par la loi, de déroger aux accords de niveau supérieur. En conséquence de ces modifications apportées aux règles darticulation des conventions et accords, le champ de la négociation dentreprise est étendu par larticle 43 de la loi déférée, qui énumère les dispositions du code du travail dont lapplication est désormais susceptible dêtre négociée au niveau de la branche ou au niveau de lentreprise.
Les députés requérants font valoir que ces dispositions de la loi déférée seraient entachées dincompétence négative et soutiennent, en particulier, quelles porteraient atteinte au principe dit « de faveur ». Ils considèrent également que les dispositions critiquées seraient contraires à lobjectif de valeur constitutionnelle de clarté et dintelligibilité de la loi. Ils estiment, enfin, que ces dispositions priveraient de garanties légales les exigences constitutionnelles résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Ces différents griefs appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I. - En ce qui concerne le grief tiré
de lincompétence négative
Contrairement à ce qui est soutenu par la saisine, le législateur nest pas demeuré en deçà de sa compétence en adoptant les dispositions critiquées des articles 41, 42 et 43 de la loi.
1. Il convient de rappeler, à cet égard, quen vertu du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 « tout travailleur participe, par lintermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi quà la gestion des entreprises » et que, selon larticle 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux du droit du travail relève de la compétence du législateur.
Il résulte de ces dispositions constitutionnelles que, sil appartient au législateur de définir les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations du travail, il lui est loisible de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser après une concertation appropriée les modalités concrètes de mise en uvre des normes quil édicte (décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989).
Il faut, aussi, souligner que le principe dit « de faveur », invoqué par la saisine, ne présente pas le caractère dun principe à valeur constitutionnelle. Par la décision no 2002-465 DC du 13 janvier 2003, le Conseil constitutionnel a, en effet, jugé que ne constitue pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République le principe selon lequel le législateur ne pourrait permettre aux accords collectifs de travail de déroger aux lois et règlements ou aux conventions de portée plus large que dans un sens plus favorable aux salariés (V. aussi la décision no 97-388 DC du 20 mars 1997).
Ainsi, conformément à ce quavait déjà établi la jurisprudence antérieure, un tel principe présente non le caractère dun principe constitutionnel simposant au législateur mais celui dun principe fondamental du droit du travail au sens que donne à cette notion larticle 34 de la Constitution, cest-à-dire un principe qui fonde la compétence du législateur (décision no 67-46 L du 12 juillet 1967 ; décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989). Une telle qualification est, dailleurs, également celle qui a été retenue par le Conseil dEtat dans les avis de ses formations administratives (avis dassemblée générale du 22 mars 1973) ou dans ses décisions contentieuses (CE Ass. 8 juillet 1994, Confédération générale du travail, Recueil, p. 356).
Cette qualification implique que seul le législateur a compétence pour définir le contenu du principe, pour aménager ou limiter sa portée, comme il la fait à plusieurs reprises au cours des années récentes, notamment en matière de durée du travail. Ce principe fonde ainsi la compétence du législateur, mais il ne limite aucunement les choix auxquels ce dernier peut procéder dans lexercice de cette compétence.
2. Au cas présent, le législateur a fixé de nouvelles règles pour la négociation collective et déterminé de nouveaux modes darticulation des différents niveaux daccords collectifs. Il a, ce faisant, pleinement exercé sa compétence.
Il importe, à ce propos, de mesurer précisément la portée des modifications qui ont été apportées aux dispositions du code du travail.
Les dispositions critiquées des articles 41, 42 et 43 de la loi déférée nont ni pour objet ni pour effet de modifier les rapports entre les dispositions législatives et réglementaires dordre public et les normes conventionnelles. Elles nétendent, en effet, pas le champ des règles conventionnelles par rapport aux dispositions du code du travail. Ainsi quil a été, à plusieurs reprises, rappelé par le Gouvernement au cours des débats parlementaires, la loi déférée ne confère pas aux accords, quel que soit leur niveau, la faculté de déroger, au détriment des salariés, à des dispositions législatives ou réglementaires impératives. De fait, larticle L. 132-4 du code du travail na pas été abrogé et il dispose toujours que les accords collectifs ne peuvent déroger aux dispositions dordre public des lois et règlements. On doit souligner, par ailleurs, que la loi déférée est également sans portée sagissant des rapports entre accords collectifs et contrats de travail.
La réforme instituée par la loi ne vise que le champ conventionnel. A cet égard, elle modifie, dune part, les règles darticulation des différents niveaux de négociation - cest lobjet des articles 41 et 42 - et étend, dautre part, le champ des accords dentreprise par rapport aux accords de branche - cest lobjet de larticle 43.
Sagissant des articles 41 et 42 relatifs à larticulation entre les différents niveaux de négociations que sont le niveau interprofessionnel, le niveau de la branche et celui de lentreprise, la loi a précisément régi les nouveaux rapports entre les normes conventionnelles en donnant aux accords la faculté de déroger à une règle conventionnelle du niveau supérieur. Cette faculté affecte certes la portée du principe, de valeur législative, dit « de faveur », mais elle est encadrée par lénoncé de limites ou de conditions.
En premier lieu, laccord doit refléter une majorité dorganisations syndicales ou de salariés selon des modalités définies par la loi et qui diffèrent selon le niveau de négociation. En la matière, la loi a eu le souci douvrir différentes options aux partenaires sociaux, en distinguant notamment des cas de majorité dadhésion ou dabsence dopposition majoritaire ; il a pris soin dencadrer chaque option de telle sorte quelle traduise lexpression dune réelle majorité.
En second lieu, on doit relever que larticle 42 a exclu certaines matières du champ des dérogations possibles. Dans ces matières, pour lesquelles le législateur a considéré quelles impliquaient une régulation à un niveau dépassant le cadre de lentreprise, les accords dentreprise ne pourront contenir des stipulations dérogatoires par rapport aux accords interprofessionnels ou de branches. Il sagit des salaires minima, des classifications et des garanties collectives quant à la mutualisation de certains risques et à la formation professionnelle. En outre, la faculté de dérogation nest pas générale et peut toujours être interdite par laccord supérieur. En effet, conformément aux dispositions des articles 41 et 42 de la loi déférée, il appartient aux partenaires sociaux dindiquer explicitement dans les accords interprofessionnels et dans les accords de branches les stipulations conventionnelles qui seront revêtues dun caractère impératif pour les accords de niveau inférieur. Il est vrai que la dérogation sera possible dans le silence de laccord, mais le législateur a veillé à ce que ce silence traduise la volonté effective des partenaires sociaux. On doit souligner, à cet égard, la portée des dispositions de larticle 45 de la loi déférée qui déterminent lentrée en vigueur effective des nouvelles dispositions : en précisant que la loi na pas pour effet de remettre en cause la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux accords conclus avant lentrée en vigueur de la loi, larticle 45 a pour effet dinterdire dinterpréter le silence des accords conclus avant lentrée en vigueur de la loi comme autorisant les accords de niveau inférieur à y déroger.
Sagissant de larticle 43 de la loi, celui-ci étend les possibilités de renvoi aux accords dentreprise dans certains cas où les dispositions antérieures du code du travail renvoyaient à des accords de branche. Cet article ne modifie pas la ligne de partage résultant du droit en vigueur entre ce qui relève de la compétence du législateur et ce qui relève de la négociation collective. Il ne crée pas davantage de possibilité pour laccord dentreprise de déroger à la loi.
Il faut aussi souligner que le renvoi à laccord dentreprise effectué par larticle 43 nest pas général. Larticle énumère limitativement les cas où le renvoi est possible et exclut, ce faisant, certaines matières pour lesquelles le législateur a estimé que lintérêt général imposait le maintien du seul renvoi à laccord de branche ou un contrôle des pouvoirs publics sous la forme dun décret. Il en va ainsi, par exemple, de la définition du travailleur de nuit (art. L. 213-2 du code du travail), des dérogations à la durée maximale hebdomadaire (art. L. 212-7) ou de linstauration dune durée équivalente (art. L. 213-4).
En définissant de la sorte les nouvelles règles darticulation des différents niveaux daccords collectifs de travail, le législateur a exercé la compétence quil tient de larticle 34 de la Constitution et procédé, dans le cadre de son pouvoir dappréciation, aux aménagements qui lui paraissaient devoir être portés au principe, de valeur législative, dit « de faveur ».
II. - En ce qui concerne le grief tiré
du défaut de clarté et dintelligibilité de la loi
En adoptant les dispositions contestées de la loi déférée, le législateur a entendu ouvrir aux partenaires sociaux différentes options sur la déclinaison du principe majoritaire et étendre le champ de la négociation collective en ouvrant la faculté de conclure des accords dérogeant aux accords supérieurs. Pour mettre en uvre à cet égard la compétence quil tient de larticle 34 de la Constitution, et éviter aussi toute ambiguïté sur linterprétation des règles nouvelles, il a veillé à définir de façon précise les règles de validité des accords, les rapports entre les différents niveaux de négociation et les cas de renvois possibles à tel ou tel niveau daccord. Témoigne, en particulier, de ce souci de précision la rédaction de larticle 43 qui a pris soin dénumérer les cas nouveaux de renvoi à des accords dentreprise, sans se borner, comme le prévoyait la rédaction initiale, à un renvoi général et indéterminé.
Pour complexes que puissent apparaître certaines dispositions de la loi déférée, cette dernière, qui procède à une réforme denvergure du droit de la négociation collective impliquant la modification de nombreuses dispositions du code du travail, ne manque pas à lobjectif de valeur constitutionnelle dintelligibilité de la loi. Les dispositions critiquées, même complexes, sont énoncées de façon claire et précise, de telle sorte que la critique formulée au titre de la clarté et de lintelligibilité de la loi ne pourra quêtre écartée (décision no 2001-453 DC du 18 décembre 2001).
III. - En ce qui concerne le grief tiré du onzième alinéa
du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
Ainsi quil a été précédemment exposé, la loi déférée na nullement pour objet de permettre aux accords collectifs de déroger aux dispositions impératives résultant de la loi ou du règlement. En aucun cas, les accords collectifs ne pourront déroger, par des stipulations moins protectrices, aux règles impératives en matière de santé et de sécurité au travail résultant des règlements communautaires et des prescriptions législatives et réglementaires du droit du travail. La loi déférée ne modifie pas létat du droit à cet égard ; les seules dérogations susceptibles dêtre apportées par voie daccord sont celles qui, dans lintérêt des salariés, vont au-delà des prescriptions impératives en assurant un degré de protection supérieur.
Dans ces conditions, le grief tiré du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant la protection de la santé ne pourra quêtre écarté comme manquant en fait.
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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs du recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. Cest pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.