Voeux aux forces vives

Discours de François REBSAMEN

Seul le prononcé fait foi

Mesdames, messieurs,
Acteurs de la vie économique et de la vie sociale,
Syndicalistes,
Entrepreneurs,
Responsables associatifs,
Responsables publics,
A vous tous qui êtes les forces vives de la Nation, j’adresse mes meilleurs vœux de réussites individuelles et collectives, mes vœux de bonheurs familiaux, personnels et professionnels.

Aujourd’hui la France est meurtrie.
Des Français, connus, inconnus, et pleurés par tout un peuple, sont morts sous les balles de terroristes.
Ils sont morts parce qu’ils défendaient des idées, exerçaient un métier, pratiquaient une religion, ou simplement parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment.
L’absurdité, la déraison ont piétiné ce début d’année, et elles y ont laissé leur empreinte.
Cette empreinte, aussi douloureuse soit-elle, nous devons la garder en nous : nous, responsables politiques ; comme vous tous qui êtes, comme le disait Gramsci, « les mains discrètes qui tissent la toile de la vie collective ».
La garder en nous pour continuer de tisser cette toile, inspirée par les valeurs de la République.
La garder en nous, aussi, pour mettre du sens là où il fait défaut, mettre des valeurs là où leur absence laisse le champ libre au fanatisme, au désespoir et à la crainte de l’avenir.

Après ce drame que faire ? Les Français nous ont montré la voie : nous rassembler. C’est dans cet esprit de rassemblement que vous êtes venus et je vous en remercie chaleureusement.
Et ce rassemblement nous devons le faire sur nos valeurs et une devise : Liberté, Egalité, Fraternité. De simples mots soudain libérés du scepticisme et de l’indifférence.
Dans l’épreuve, la devise de la République - notre devise - a retrouvé son poids, sa force originelle.

Le sursaut a été à la hauteur du traumatisme. La réaction, à la hauteur de notre histoire.
Avec courage, détermination, et par-delà même les oppositions, les fractures, les divisions, le peuple s’est uni. Partout, le désir d’être ensemble s’est fait entendre. Et en se rassemblant le dimanche 11 janvier, les Français ont adressé leurs vœux.
Leurs vœux n’exprimaient aucune haine, aucun rejet, aucune défiance. Ils n’exprimaient rien d’autre que notre devise.
Ces vœux, nous devons les entendre, les faire nôtres. Et le gouvernement, qui assure et continuera d’assurer la sécurité de tous les Français avec la plus grande fermeté, doit rester mobilisé en 2015, comme il le fut en 2014, et inlassablement depuis 2012, pour construire une société plus libre, plus égalitaire et plus fraternelle.

C’est à cette construction patiente, difficile, à cette construction qui nécessite force, conviction et audace, et que je veux mener dans le secteur qui est le mien, que je souhaite vous associer en 2015, vous qui êtes les acteurs déterminants de notre vie sociale et économique, vous avec qui nous élaborons jour après jour les politiques de l’emploi, de la formation professionnelle.

Construire une société plus libre, d’abord,

2014 a été une année de conquête, une année où de nouveaux droits ont été accordés aux travailleurs de notre pays, et la première des libertés que je veux évoquer est celle de choisir son avenir et d’en changer le cours.

C’est ce que permet le Compte personnel de formation, qui constitue la pierre angulaire de la réforme de la formation professionnelle. Depuis le 1er janvier, tous les salariés de notre pays, qu’ils soient en emploi ou au chômage peuvent en ouvrir un.
Véritable outil de synthèse entre désirs individuels de formation et besoins des entreprises, il donne à chacun la possibilité de construire et de gérer son parcours professionnel : anticiper une reconversion, adapter ses compétences aux exigences du marché du travail, ou pourquoi pas, changer totalement l’orientation de sa vie professionnelle. Chacun aura pour cela accès à un conseiller en évolution professionnelle, qui aidera à construire son propre parcours professionnel. Les partenaires sociaux en sont à l’origine, ce qui prouve à nouveau que le dialogue social est capable de réformer notre pays, d’adapter notre modèle social aux enjeux de notre siècle.
Le Compte personnel de formation, c’est aussi un outil efficace de lutte contre les déterminismes sociaux et scolaires, qui accorde à chacun une seconde chance permanente. Je compte sur vous pour porter ce message dans vos entreprises, auprès des salariés de tout le pays, car la mobilisation de tous, employeurs, employés, responsables syndicaux et patronaux, est la clef de la réussite de cette réforme.

La seconde des libertés que je veux évoquer, c’est celle d’entreprendre.
Il y a un peu plus d’un an, lors de ses vœux aux Français, le Président de la République avait annoncé un effort sans précédent en faveur de la compétitivité des entreprises, qui s’est concrétisé dans le Pacte de responsabilité et de solidarité. 40 milliards d’euro d’allègement de fiscalité et de cotisations sociales - deux points de PIB- ont été, ou seront distribués dans les années à venir, pour permettre à toutes les entreprises - petites, moyennes, grandes - d’investir, d’embaucher, d’innover.
Pour certains, c’est trop. Pour d’autres, c’est insuffisant.
Mais au jeu de la surenchère, nous avons tous et tout à perdre.
Je rappellerai simplement que c’est un effort soutenu par la nation toute entière et que la liberté d’entreprendre ne peut s’entendre sans contrepartie.

C’est pourquoi parallèlement au déploiement du pacte de responsabilité et de solidarité, les branches ont engagé des négociations sur la formation, l’apprentissage et les thèmes identifiés dans le relevé de conclusions du 5 mars 2014. J’ai initié un suivi renforcé des négociations dans les 50 plus grandes branches professionnelles en septembre dernier ; depuis, les négociations se sont très fortement accélérées et 50 % des salariés sont couverts par des accords signés ou ouverts à la signature. Mais je l’ai dit à plusieurs reprises, et je le redis aujourd’hui : nous ne devons pas en rester là. D’autres accords doivent suivre.
Nous en avons besoin pour préparer l’avenir.
Et nous en avons besoin pour orienter les évolutions de notre société vers plus d’égalité.

Construire une société plus égalitaire, c’est mon second vœu,

2014 a été une année difficile sur le front de l’emploi, en raison d’une conjoncture économique défavorable et de la faiblesse de la croissance dans la zone Euro qui ont pénalisé tous les pays européens sans exception,
Nous devons continuer à mener une politique de l’emploi offensive, notamment en faveur des publics qui en sont le plus éloignés : les jeunes, les seniors, les chômeurs de longue durée, car dans les périodes difficiles, ce sont les plus fragiles qui sont frappés en premier.

Les différents contrats aidés ont justement été créés pour montrer que chacun a sa place sur le marché du travail. Je pense, par exemple, aux 187.000 Emplois d’avenir, qui, depuis novembre 2012, ont permis à des jeunes peu ou pas qualifiés de bénéficier d’une expérience de travail et d’une formation. Ce sont des jeunes auxquels très peu d’entreprises auraient fait confiance, mais qui ont démontré qu’ils étaient capables du meilleur, pour peu qu’on leur laisse une chance.

Je pense aussi au Contrat de génération, qui permet de favoriser l’intégration des jeunes et le maintien des seniors dans l’entreprise et d’assurer la transmission du savoir et des compétences.
Je pense également à tous les contrats d’insertion dans le secteur marchand comme non marchand qui aident les uns et les autres à renouer avec l’emploi, et à cette formidable opportunité qu’offre le déploiement de la Garantie jeunes.
Au total, près de 500.000 personnes auront signé un contrat aidé en 2014 ; où en serait notre tissu social si nous n’avions pas eu cette mobilisation ?

Et je veux ici rendre hommage à tous les acteurs du service public de l’emploi qui œuvrent jour après jour pour que tous ces contrats soient possibles ; c’est un travail difficile qu’il faut saluer.
Je tiens à mentionner spécialement Pôle emploi, dont la convention tripartite vient d’être signée, feuille de route de l’établissement pour les quatre prochaines années.

Avec les partenaires sociaux de l’UNEDIC, dans un climat de confiance et de convergence que je salue ici, nous y avons défini des grandes priorités : doubler le nombre de places en accompagnement renforcé et en accompagnement global pour les personnes éloignées de l’emploi, dédier des conseillers à la relation entreprise pour améliorer la qualité de service aux employeurs, simplifier et alléger les démarches d’inscription pour concentrer les premiers instants de l’accompagnement sur la qualité du diagnostic, moderniser l’offre de services en passant à l’ère du numérique.
Pour permettre tout cela, nous avons garanti la stabilité des moyens de Pôle emploi.

Au-delà, nous devons renforcer notre capacité à faire plus et mieux pour ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les personnes en risque d’exclusion du marché du travail.
Ceux dont les difficultés de recherche d’emploi se cumulent avec des problèmes de logement, de garde d’enfant, de santé, d’argent.
Pour eux, il faut certes intensifier l’effort d’accompagnement, mais il faut en même temps agir sur ces contraintes.
C’est l’objet du plan contre le chômage de longue durée sur lequel nous avons travaillé avec les partenaires sociaux et les autres acteurs de l’emploi et de l’insertion, et que je présenterai le 9 février prochain.

Ce que nous installons ici, c’est le début d’une implication plus forte des partenaires sociaux en faveur de ceux qui sont privés d’emploi.
La question du chômage ne s’arrête pas à la porte des entreprises, parce que celles-ci, face aux difficultés de recrutement, doivent apprendre à intégrer de nouveaux profils, et parce que les trajectoires de plus en plus complexes des salariés rendent de plus en plus artificielle la séparation entre défense des salariés et protection des chômeurs.
Oui, j’ai la conviction que le chômage, mais aussi l’insertion, l’intégration durable de publics différents au sein de l’entreprise, et la cohabitation de ces publics au sein du collectif de l’entreprise, sont des enjeux de plus en plus essentiels du dialogue social.

Mais favoriser l’insertion, c’est, plus globalement, lutter pour que personne ne puisse être écarté du marché du travail en raison de ses origines, de son sexe ou d’un handicap.
J’ai mis en place un groupe de travail sur les discriminations, qui rendra ses conclusions dans les prochaines semaines. Tout l’enjeu est de faire comprendre à tous que la diversité n’est pas une contrainte, mais une richesse, et qu’une entreprise s’enrichit de compétences, d’âges, de profils, d’origines, de manières de penser différentes.

La République doit plus que jamais se montrer intraitable sur ces questions et combattre les comportements discriminatoires, rendus plus intolérables encore par les événements récents. Elle doit lutter contre toutes les portes fermées, tous les plafonds de verre. Veiller à ce que personne ne se sente exclu, rejeté, mis à la marge, et poursuivre l’idéal, toujours à construire, d’une société sans centre, ni périphérie.
Chacun comprendra toute l’actualité et toute l’urgence de ces combats.

L’égalité encore, c’est celle qui tient compte de la pénibilité du travail.
Nous savons tous que l’espérance de vie n’est pas la même selon le métier exercé.
Le Compte personnel de Prévention de la Pénibilité, c’est non seulement une avancée de justice sociale mais c’est aussi une mesure de solidarité. La solidarité de tous les employés et de tous les employeurs vis-à-vis de ceux qui, du fait de la pénibilité de leur travail, ont une espérance de vie plus courte.
C’est aujourd’hui une réalité, d’abord pour les critères les plus simples même si je ne mésestime ni les inquiétudes ni les difficultés. Le président de la République et le gouvernement ont pris un engagement : ce dispositif sera simple d’application et deux missions sont en cours pour apporter toutes les solutions aux difficultés opérationnelles que les uns et les autres nous ont signalées. Je fais confiance à Michel De Virville, Gérard Huot et Christophe Sirugue pour qu’il soit aussi simple à appliquer pour les employeurs qu’il le sera à utiliser pour les salariés.

L’égalité, c’est aussi celle de tous les travailleurs sur le sol français.
En 2014, la France s’est battue, au niveau européen et a obtenu que soit adoptée une directive européenne ambitieuse permettant de mieux lutter contre les fraudes au détachement, notamment par l’instauration d’un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d’ordre vis-à-vis du cocontractant dans le secteur du bâtiment. La France a transposé cette directive par anticipation et est allée plus loin encore en adoptant en juillet dernier la loi Savary.
Il nous faut nous battre à tous les niveaux pour un travail digne, justement rémunéré, qui ouvre des droits à une protection.
Il nous faut lutter avec la plus grande fermeté - et j’y suis résolu - contre le dumping social et la concurrence déloyale, qui alimentent un sentiment d’injustice chez les employeurs qui respectent le droit du travail. Sentiment qui est devenu, nous le savons tous, le fonds de commerce des partis xénophobes.
Je n’accepterai pas cette course au moins disant social : des mesures fortes seront adoptées dans le projet de loi « croissance et activité » et des initiatives seront prises en matière de lutte contre le travail illégal

Ensemble, construisons, enfin, une société plus fraternelle.

J’y accorde une importance toute particulière.
La fraternité, c’est le respect de l’opinion de chacun, c’est la cordialité et l’écoute dans l’échange.
C’est aussi la volonté de substituer la culture du compromis à celle de l’affrontement par-delà les divergences de points de vue et d’intérêts.

Les 5 accords nationaux interprofessionnels signés depuis 2012 prouvent la maturité et la vitalité de notre démocratie sociale.
Au-delà du contenu des accords, c’est la méthode qui importe. Cette méthode, c’est le dialogue social, qui est, je crois pouvoir le dire, la marque de ce quinquennat.
J’ai adressé en juillet dernier aux partenaires sociaux un document d’orientation leur demandant de se saisir du sujet de l’efficacité et de la qualité du dialogue social dans l’entreprise.
L’enjeu est considérable. Il s’agit de mieux prendre en compte la diversité des entreprises, de rendre le dialogue social plus stratégique et moins formel, de rendre plus lisibles les structures et de reconnaître l’engagement des élus et représentants syndicaux.
Le préalable est évidemment que chacun soit convaincu que le dialogue social est un levier de la compétitivité, que partager les informations, anticiper, négocier permet de surmonter les défis.
Je crois qu’il est partagé par tous.
Aussi, personne ne comprendrait que sur ce thème, les partenaires sociaux n’arrivent pas à dégager un accord et laissent au gouvernement le soin de proposer, seul, les règles du dialogue social.

Nous sommes à la veille d’une nouvelle séance de négociation, je l’espère conclusive car ce serait un mauvais signal que d’échouer sur ce thème.
Je fais confiance aux partenaires sociaux pour trouver un compromis qui concilie l’intérêt des salariés et celui des entreprises, car à bien y réfléchir, c’est le même.

Aux trois valeurs qu’exprime notre devise, j’en ajouterai une dernière : la solidarité.
La solidarité qui est, à mon sens, avec la liberté, l’égalité, la fraternité, le plus puissant remède contre nombre de mots et de maux inquiétants qui ont envahi récemment notre univers : le déclinisime, le radicalisme, l’intégrisme, le fondamentalisme.
Et il me semble que l’apprentissage relève de la solidarité.
Au delà des aspects concrets, techniques et financiers, l’enjeu de l’apprentissage est un enjeu de solidarité nationale.
Tout le monde s’accorde à dire que pour un jeune, l’apprentissage est la meilleure voie vers l’emploi.
Tout le monde s’accorde à dire que l’emploi des jeunes doit être une priorité.
Tout le monde constate que le chômage des jeunes gangrène nos quartiers, voire notre société toute entière comme le montrent les récents événements.
Alors comment expliquer que le nombre d’apprentis en France soit aussi faible ? Comment expliquer que dans un grand groupe européen, il y ait 10 fois moins d’apprentis dans ses usines françaises que dans ses usines allemandes ? Nous avons stabilisé le cadre réglementaire et j’ai simplifié les procédures d’accueil des jeunes.
C’est pourquoi je lance un appel à la solidarité des entreprises en faveur de l’apprentissage dans leur intérêt et dans l’intérêt des jeunes donc de l’avenir de notre pays.

Un mot plus personnel, pour finir.
En matière de travail, d’emploi, de formation professionnelle et de dialogue social, on ne peut simplement répondre à des chiffres par des chiffres. Ces chiffres ont un envers, et nous le connaissons : ce sont des souffrances, des déceptions mais aussi des joies, des espoirs…
L’envers de ces chiffres, c’est l’humain, que nous plaçons, ici au ministère, au cœur de chacune de nos démarches.
Et vous le devinez ce qui est mon vœu le plus cher, c’est que cette année 2015 marque le début de la diminution du nombre d’hommes et de femmes sans emploi.
Autant j’ai reconnu notre échec collectif et ancien dans la lutte contre le chômage, autant j’affirme que les réformes voulues par le Président de la République et mises en œuvre par le Premier Ministre et son gouvernement, sont à la hauteur de l’enjeu du redressement de notre pays et qu’elles vont porter leurs fruits
Je sais que ce vœu vous le partagez avec moi et que c’est celui qui nourrira nos échanges et notre collaboration tout au long de l’année qui vient.
Je vous remercie.