Projet d’avis CESE sur les travailleurs détachés

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président, cher Jean-Paul DELEVOYE,
Madame la Présidente de la section sociale, chère Françoise GENG ;
Messieurs les rapporteurs, chers Jean GROSSET et Bernard CIEUTAT,
Mesdames et messieurs les conseillers,

Je tiens tout d’abord à vous remercier chaleureusement pour votre invitation.

La remise de votre avis sur les travailleurs détachés est à mes yeux un moment fort dans la lutte contre les fraudes au détachement que le gouvernement a engagée depuis plus de trois ans maintenant et qu’il poursuit sans relâche.

Vous le savez, ce sujet est prioritaire à ses yeux. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre vous a saisis d’une demande d’avis. C’est la raison pour laquelle je viens aujourd’hui devant vous, vous dire ma détermination en la matière.

Les fraudes au détachement, c’est à mes yeux une lente corrosion de notre modèle social, contre laquelle il nous faut lutter de toutes nos forces. En effet, ces fraudes créent un dumping social qui fragilise nos ressources fiscales et sociales et qui fausse la concurrence au détriment des entreprises qui « jouent le jeu ». Elles constituent une exploitation inacceptable de salariés qui travaillent sur notre sol, en méconnaissance de siècles de luttes sociales qui ont permis de garantir pour tout salarié des conditions dignes de travail. Elles mettent à mal notre cohésion sociale et notre projet politique commun en alimentant le repli sur soi et la peur de l’étranger.

Elles sont enfin une menace pour le projet européen lui-même.

Car, je veux le redire avec force ici, l’Europe et la libre-circulation en son sein des travailleurs sont d’abord une chance pour notre économie et pour les citoyens européens. Je rappelle au passage que nous sommes un des pays qui envoient le plus de salariés dans d’autres pays européens…

Mais, et votre avis le montre bien, cela ne vaut que si l’on assure à toutes et à tous des conditions décentes de travail.

C’est fort de cette conviction que le gouvernement a agi avec volonté et fermeté depuis trois ans, que ce soit :

- par le renforcement sans précédent des sanctions en cas de fraude aux règles du détachement ;

- par une réorganisation en profondeur de l’inspection du travail qui lui donne les moyens de détecter des fraudes de plus en plus sophistiquées. Je pense en particulier aux unités régionales d’appui et de contrôle spécialisées en matière de travail illégal qui répondent au nom évocateur d’ « URACTI » et au groupe national sur le travail illégal installé par le Premier ministre en février 2015 au ministère du travail, sorte de « GIGN » du détachement spécialisé notamment dans la lutte contre les montages les plus complexes ;

- par la responsabilisation accrue des maîtres d’ouvrage vis-à-vis de leurs sous-traitants, sur le plan européen tout d’abord – je veux ici saluer l’opiniâtreté de Michel Sapin, qui a obtenu gain de cause sur la directive de 2014 qui a créé une responsabilité du donneur d’ordre dans le secteur du bâtiment obligatoire dans chaque pays européen. C’est un pas en avant majeur. La loi Savary puis la loi Macron sont allées bien au-delà en droit interne. Cela veut dire, concrètement, que les maîtres d’ouvrage sont in fine coresponsables financièrement des agissements de leurs sous-traitants si ceux-ci ont commis de fraudes au détachement et qu’ils ne font rien pour mettre fin à cette situation. Car il nous faut lutter aussi, en la matière, contre la tentation de certains de « fermer les yeux » sur certains agissements.

- par la mise en place de nouveaux outils : je pense en particulier à la carte d’identification professionnelle obligatoire dans le secteur du bâtiment, qui permettra de mieux contrôler, dans la pratique, les chantiers.
La France est donc pleinement engagée, à tous les niveaux, pour que le détachement soit une opportunité économique et non une remise en cause de notre modèle social.

Mais il nous faut intensifier cette lutte. Votre avis, qui apporte un éclairage important sur ce phénomène, explore les voies pertinentes pour le faire.

J’en partage totalement les orientations, je le dis d’emblée.

Sur le plan européen, tout d’abord, vos propositions me semblent extrêmement prometteuses. Je pense en particulier à l’extension de la responsabilité solidaire obligatoire du donneur d’ordres à tous les secteurs d’activité dans tous les pays européens, au renforcement de la coopération administrative entre les Etats, aux précisions que vous proposez d’apporter aux textes pour lutter contre les entreprises « boîtes aux lettres » qui n’ont que très peu voire pas d’activité dans le pays où elles ont leur siège et qui pratiquent à tour de bras le détachement.

Toutes ces propositions vont dans le bon sens. Vous pouvez compter sur moi pour les faire avancer ! Le travail a commencé, puisque la France a été à la tête d’une initiative de neufs États demandant à la Commission une révision des directives de 1996 et 2014 pour que cette régulation soit plus forte. Pour ma part, dès mon premier échange avec mon homologue allemande la semaine dernière, j’ai réaffirmé combien ce combat était essentiel pour moi. Je le mènerai avec détermination !

Je tiens à saluer ici le rôle des partenaires sociaux sur ce terrain européen. La lutte contre les contournements des règles du détachement, je crois pouvoir le dire, est un sujet qui unit les partenaires sociaux autour de valeurs communes. Elle suscite réflexion, discussions, propositions constructives. Et c’est aussi ce qui fait la force du ministre du travail lorsqu’il arrive à Bruxelles ou à Luxembourg et qu’il doit se battre, parfois un peu seul, à la fois contre les volontés de statu quo et contre les velléités de régression. Avoir votre soutien, mesdames et messieurs les représentants des organisations syndicales et patronales, c’est une force que vous devez mesurer, et c’est un aiguillon ! Je vous en remercie donc ici publiquement.

Sur le plan interne, ensuite, la priorité est désormais l’application de l’arsenal que nous avons mis en place récemment. Votre rapport propose là aussi des pistes intéressantes.

Je pense en particulier à votre préconisation d’assurer une information efficace et complète des prestataires et des donneurs d’ordre sur leurs obligations en matière de déclaration et de rémunération des salariés détachés notamment par la création d’un site d’information en ligne. Je m’engage devant vous à le mettre en place le plus rapidement possible.

Je proposerai également dans les tous prochains jours à la garde des sceaux de travailler, comme votre avis le suggère, à une instruction renforçant notre politique pénale contre l’emploi illégal de travailleurs détachés et je lui proposerai d’avancer ensemble dans ce sens.

Enfin, je ne peux qu’abonder dans le sens d’un renforcement des moyens des URACTI qui sera, je l’espère, possible en dépit des contraintes budgétaires.

Car, nous en avons tous conscience je crois, aucun arsenal législatif ne servira si nous ne sommes pas capables d’appliquer la règle sur le terrain. C’est une question d’efficacité et c’est une question de crédibilité. Et je tiens à rendre hommage aux agents du ministère du travail qui ont répondu à notre appel en faisant de la lutte contre la fraude au détachement une priorité. Le ministre du travail avait fixé un objectif de 1000 contrôles par mois ; nous avons doublé les contrôles en 3 mois et largement dépassé cet objectif. Je ferai en sorte que nous ne faiblissions pas !

Ma mobilisation, celle du gouvernement, vous le voyez, sont totales. Et je suis convaincue que nous allons encore avancer. Dans ce chemin, la pierre que vous apportez pour stabiliser notre route commune n’y aura pas été pour rien.

Soyez-en de nouveau, en mon nom et au nom du gouvernement, remercié !