Discours de François Rebsamen, lancement des journées nationales de lutte contre l’illettrisme, 8 septembre 2014

Madame la Présidente de l’Agence nationale de Lutte contre l’Illettrisme,
Monsieur l’Administrateur général du CNAM,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs,

J’ai eu la chance, quand j’étais encore maire de Dijon, de côtoyer et d’accompagner des acteurs de terrain de la lutte contre l’illettrisme – je pense au CCAS de la ville et à la Ligue d’enseignement de Côte d’or. J’ai pu mesurer l’ampleur de leur tâche et la force de leurs convictions. Et je sais que cette force est aussi la vôtre.

Je tiens à vous remercier de me donner la parole, mais je tiens surtout à rendre hommage à votre engagement. Nous sommes réunis par une juste cause et je tenais, comme ministre de la formation professionnelle, à m’exprimer face à celles et ceux qui initient le mouvement.

Que vous soyez représentants des réseaux associatifs, des services de l’Etat, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, des acteurs de l’entreprise ou simples citoyens vous œuvrez depuis longtemps, avec courage et endurance, pour faire vivre ce qui a été enfin reconnue, en 2013, comme une Grande Cause Nationale. Nous ne sommes plus en 2013, mais la mobilisation ne faiblit pas – la semaine nationale d’action qui démarre aujourd’hui en est la preuve.

Je suis venu réaffirmer, devant vous, l’engagement de l’Etat à vos côtés. Nous devons porter ensemble la dynamique qui, depuis 2004, a permis de faire baisser de 2 points la part de la population confrontée à l’’illettrisme, et même de 5 points chez les plus de 45 ans.

Mais quand on parle d’illettrisme, on ne peut seulement répondre à des chiffres par des chiffres. On parle avant tout d’une souffrance, d’une souffrance trop répandue pour être ignorée, même si elle est souvent tenue cachée.
- La situation d’illettrisme est plus courante qu’on ne le croit. Elle concerne 2 500 000 de nos concitoyens et elle est ancrée dans le quotidien : c’est ne pas réussir à lire une ordonnance médicale ou des consignes de travail, ne pas pouvoir aider son enfant à faire ses devoirs. C’est une somme de petites gênes que l’on peut essayer de contourner, avec lesquelles on peut vivre. Mais ces petites gênes peuvent devenir un immense obstacle, dès lors que l’on cherche un emploi, qu’on élève un enfant, qu’on est malade…
- De fait, les salariés illettrés occupent souvent les métiers les moins qualifiés. Évoluer fait rarement partie de leur horizon. Il faudrait pour cela avoir suffisamment confiance en soi et « sortir du bois ». Trop de personnes acceptent leur situation. C’est aussi ce qu’il nous faut combattre.
- Mais je ne veux pas verser dans le misérabilisme. Beaucoup de personnes en situation d’illettrisme sont pleines de vie, dotées d’une volonté formidable pour déjouer les pièges de la société de l’information qui nous entoure. Loin d’être des victimes, elles se battent pour contourner l’obstacle et bricoler des solutions. Il faut saluer la détermination de ces personnes quand on sait à quel point l’apprentissage est plus difficile quand on est un adulte. Il faut surtout répondre à leur demande d’apprendre et de progresser.

Je veux maintenant dire un mot du marché du travail

Les chiffres publiés en 2012 montrent que 51% des personnes qui ne maîtrisent pas les savoirs de bases – compter, lire, écrire - sont en emploi. Illettrisme ne veut donc pas dire exclusion. Mais ce qui m’interpelle aussi, c’est que 15% des demandeurs d’emploi sont dans ce cas.

Qu’il soit dû à une formation initiale insuffisante et lacunaire, ou à l’inactivation de compétences acquises, l’illettrisme est pénalisant pour plusieurs raisons :
- Il nuit à l’employabilité des travailleurs et les rend plus vulnérables sur le marché du travail. C’est un frein à l’embauche comme au retour à l’emploi.
- Il rend difficile la formation des travailleurs au sein des entreprises. Dans le monde économique et social actuel, où sont valorisées l’information, la communication, l’autonomie et l’initiative, il réduit les possibilités de promotion. Et comment ne pas rappeler l’importance pour notre société de la promotion sociale au sein d’une institution comme le CNAM fondée par l’abbé Grégoire qui a donné son nom à la salle où nous nous retrouvons !
- Enfin, il constitue un frein à la compétitivité. Cette compétitivité, les entreprises la recherchent aujourd’hui plus que jamais en misant sur le développement des compétences de leurs salariés, tous leurs salariés. Et, vous le savez, la compétitivité est au cœur du Pacte de responsabilité et de solidarité porté par le Gouvernement et les partenaires sociaux.

C’est pour ces trois raisons que le Ministère du Travail s’est engagé dans cette lutte.

Et nous nous y sommes engagés en poursuivant un double objectif :
- Faire des lieux de travail, de formation professionnelle et de recherche d’emploi, des points privilégiés d’identification de l’illettrisme.
- Et proposer des solutions d’accompagnement, sur la base notamment des outils élaborés par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, et en relation avec les différentes associations rassemblées au sein du collectif « Agir ensemble contre l’illettrisme ».

La lutte contre l’illettrisme est un objectif transversal à l’ensemble des politiques de mon ministère : l’emploi et la formation professionnelle, bien sûr, mais aussi le travail et le dialogue social, car ce sujet doit pouvoir être discuté collectivement, au nom de la protection et de la qualité de vie au travail de l’ensemble des salariés.

La lutte contre l’illettrisme, qui a connu un temps fort en 2013, continue sans temps mort. L’Etat et les pouvoirs publics poursuivront leur effort en 2015 afin de vous accompagner.
- Suite à un travail des partenaires sociaux, un décret va paraître dans les prochaines semaines. Il définira ce qu’est, pour un actif, un socle commun de connaissances et de compétences professionnelles qui sera reconnu par chaque entreprise.
- L’acquisition de ce socle constituera une formation automatiquement éligible au compte personnel de formation des salariés, qui constitue, comme vous le savez, le cœur de la réforme de la formation professionnelle qui se met en place.
_ Les partenaires sociaux ont souhaité, et c’est un geste fort, que l’accès à cette formation ne puisse être contesté par l’employeur.
- De plus, le 1er janvier prochain, les Régions deviendront compétentes pour organiser l’ensemble des actions de formation, pour les demandeurs d’emploi, visant à la maîtrise des savoirs de base. Cela rendra l’action des pouvoirs publics plus cohérente et efficace.

Nous entrons dans une phase d’accélération et de renforcement. Les acteurs sont convaincus, les dispositifs sont en place, les outils sont là. Et c’est à nous de continuer d’agir pour atteindre l’objectif ambitieux que nous nous sommes fixé fin 2013 : réduire d’encore deux points la part de la population souffrant d’illettrisme à l’horizon 2018.

J’ai beaucoup parlé d’insertion, de compétitivité, de salariés et d’entreprises… Je veux rappeler pour conclure que la maîtrise des savoirs de base est indispensable à l’exercice libre et actif de la citoyenneté.

En période de crise, quand les extrêmes menacent, la République doit rester vigilante sur le sens qu’elle donne à la citoyenneté. C’est un mot qui supporte mal la désinvolture.
Rousseau nous avertissait déjà : « Le vrai sens du mot s’est presque entièrement effacé chez les modernes ; la plupart prennent une ville pour une Cité et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville mais que les citoyens font la Cité. » Nous ne devons pas nous satisfaire de construire des villes. Nous devons former des citoyens, pour construire une Cité qui ne laisse personne à sa périphérie.
C’est au fond, et par-delà la question de l’emploi, l’ambition collective qui nous rassemble ce soir.