Déplacement prud’hommes, 6 novembre 2014

Intervention de Monsieur François REBSAMEN

Seul le prononcé fait foi

Madame la garde des Sceaux,
Monsieur le Premier Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Mesdames, Messieurs,

Je tiens à vous remercier pour votre présence et pour la qualité des échanges qui ont eu lieu. Merci aussi au président Lacabarats, dont la présentation claire et percutante nous a permis de lancer le débat.
Les prud’hommes sont une institution singulière. Ils incarnent
- la spécificité du monde du travail dans la gestion de ses conflits,
- la singularité du paritarisme dans l’organisation de la vie professionnelle,
- Mais aussi une forme d’avant-garde :les femmes en sont devenues électrices en 1907 et ont été éligibles en 1908, soit 40 ans avant que ces droits ne leur soient reconnus au niveau politique !
A l’égard des Prud’hommes, je ne crains pas de parler d’exception culturelle française, et comme elle, je considère qu’il faut les défendre.

C’est mon engagement – notre engagement avec la Garde des Sceaux, Christiane Taubira.

Dans cette réforme il n’y a pas de remise en cause ni de démantèlement des prud’hommes Changer n’est pas casser.

En particulier, je tiens à rappeler mon attachement au caractère paritaire de la juridiction, qui en est sa raison d’être, et qui constitue sa spécificité et sa force. Car vous connaissez, mieux que personne, le monde du travail, ses caractéristiques, ce qui peut permettre de dénouer un conflit entre le salarié et son employeur.

Mais en tant que juges et praticiens vous êtes aussi, souvent, les premiers critiques d’un système qui ne fonctionne plus assez bien. Et c’est bien parce que vous croyez aux prud’hommes que vous êtes exigeants, à juste titre.

De fait, personne ne peut se satisfaire
- que la part de conciliation ne représente plus que 5,5% des affaires terminées.
- que la durée moyenne de traitement des affaires au fond soit de 16 mois.
- que les condamnations de l’Etat pour lenteur de la justice soient de plus en plus nombreuses :
51 en 2013 en matière de délai des conseils de prud’hommes.
99% des demandes introduites devant les prud’hommes sont le fait de salariés : licenciement contesté, relations de travail dégradées, CDD à répétition, etc. Ils ont besoin de prud’hommes qui fonctionnent mieux.

D’ores et déjà, nous faisons évoluer le mode de désignation des conseillers prud’homaux pour mieux asseoir sa légitimité.
Il faut à présent aborder une réforme plus en profondeur des conseils de prud’hommes. Cette réforme, à mon sens, doit s’appuyer sur les propositions faites par M. Lacabarats.
Votre rapport, monsieur le président, constitue une base de travail précieuse pour nous – même si les discussions encore à venir permettront de « trier » ou d’affiner les mesures proposées. J’ai d’ores et déjà reçu les organisations représentatives de salariés et d’employeurs pour leur en parler La ministre de la justice a elle aussi mené des concertations.

Mais ce rapport trace bien les grandes lignes de la réforme qui nous paraît souhaitable.

Christiane Taubira vous dira quelques mots sur la procédure, les délais, la mise en œuvre, la déontologie.

En ce qui me concerne je souhaite aborder deux avancées que je porterai dans le cadre de cette réforme : la formation des conseillers de prud’hommes et le statut du défenseur syndical.
Le sujet de la formation est sensible, mais il est essentiel.
- Aujourd’hui, chaque organisation forme, transmet une culture et une expertise de l’interprétation de la jurisprudence et du code du travail ;
- C’est important, et c’est bien évidemment légitime.
- Mais des voies de progrès importantes existent pour parvenir à une justice plus précise et plus homogène, à des jugements plus sûrs juridiquement. Il en va de l’intérêt de tout le monde, de celui de l’employeur comme de celui du salarié.
- Cela implique notamment un tronc commun de formation initiale obligatoire qui soit un véritable creuset pour une justice prud’homale plus cohérente. Elle concernerait tous les conseillers prud’homaux, qu’ils soient issus des rangs des salariés ou de ceux des employeurs et quelle que soit leur organisation. Je suis convaincu que le respect des différences et de l’identité de chacun n’empêchent pas une culture commune, notamment autour de questions procédurales et contentieuses.
- Il faudra dans les jours qui viennent dessiner les contours de cette formation, en particulier son lieu et ses modalités. Plusieurs organisations syndicales ont plaidé pour des rencontres au niveau de chaque cour d’appel. Je suis ouvert aux discussions qui sont en cours.

Deuxième avancée : le statut du défenseur syndical.
- C’est une proposition qui a reçu un accueil très favorable des organisations syndicales.
- Aujourd’hui, le statut du défenseur syndical n’est pas satisfaisant : il n’existe aucune règle sur les conditions de recrutement, de formation, de travail des délégués syndicaux. Le code du travail prévoit seulement qu’ils peuvent bénéficier de 10 heures par mois d’autorisation d’absence, non rémunérées.
- Des progrès doivent être faits, en matière de formation obligatoire au début de la prise de fonctions des défenseurs syndicaux, de rémunération de leurs heures de délégation, d’obligation de confidentialité, de non-cumul de certaines fonctions.
- Une fois doté d’un véritable statut, le défenseur syndical pourrait avoir accès à des données et des logiciels internes à la juridiction auxquels il n’a pas accès aujourd’hui, ce qui lui donnera les moyens d’assurer mieux sa tâche.
- Cela permettra aussi que l’obligation de représentation en appel, si elle était retenue, puisse se faire par un défenseur syndical autant que par un avocat.

Mesdames et Messieurs, si nous sommes réunis aujourd’hui ici, c’est que nous croyons à l’institution prud’homale. Certes, elle présente des faiblesses importantes, souvent pointées, auxquelles il faut remédier. Il en va de l’intérêt de tous : des employeurs, qui ont intérêt à une plus grande sécurité juridique des décisions rendues, notamment, et des salariés, qui ont intérêt à des délais plus courts, de notre société dans son ensemble car une juridiction prud’homale qui fonctionne c’est une garantie de relations sociales plus sereines.

Mais elle constitue une institution belle, enracinée dans notre histoire, et qu’il nous faut préserver et renforcer.

C’est l’objectif de cette réforme et l’esprit dans lequel nous la préparons la Garde des Sceaux et moi, et c’est dans cet esprit que nous aborderons les dernières discussions qui auront lieu avant l’élaboration du projet de loi.

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