Conférence plénière du 1er Congrès international francophone des Ressources humaines organisé par l’ANDRH au CNIT

Discours de François Rebsamen, prononcé par Emmanuelle Wargon

Monsieur le Président de l’ANDRH,

Mesdames et messieurs les DRH,

Mesdames et messieurs,

Ma présence étant requise au Sénat pour l’examen de mon projet de loi Dialogue social et emploi, je ne peux être parmi vous ce matin pour ce premier Congrès international francophone des ressources humaines organisé en France. Croyez que je le regrette profondément.
J’ai tenu néanmoins à vous adresser ce message par Emmanuelle Wargon, qui, j’en suis certain s’en acquittera très bien.

Je veux tout d’abord saluer l’importance de l’évènement à sa juste valeur, car la réunion pendant deux jours des professionnels des ressources humaines venus des quatre coins du globe va permettre un partage de compétences, d’expériences, de visions, et de pratiques d’un intérêt majeur pour votre profession, par delà les spécificités du droit du travail de chaque pays.


1. Pour moi le directeur des ressources humaines a un rôle stratégique dans l’entreprise. Et ce rôle stratégique, il doit aussi le jouer dans les politiques publiques du travail et de l’emploi, qu’elles soient définies au niveau international ou national.

Une entreprise est avant tout la somme des femmes et des hommes qui la composent, elle est une collectivité humaine, engagée dans un projet partagé. Elle porte des valeurs. Ce que l’on appelle la culture d’entreprise, cette sorte d’ADN qui la distingue des autres, c’est justement cela.

Or vous le savez, l’un des problèmes majeurs de l’économie mondiale, c’est aujourd’hui l’investissement. Et quand on parle d’investissement, on désigne trop souvent la forme financière ou matérielle du capital. Or, une entreprise qui rayonne, une entreprise qui attire, une entreprise qui innove, une entreprise qui réagit aux imprévus et aux difficultés, c’est une entreprise qui investit dans le capital humain. De quel investissement parle-t-on ici ?

  • de la formation pour avoir les compétences nécessaires,
  • de la gestion des mobilités et des talents, pour avoir les bonnes personnes au bon poste,
  • du management pour qu’elles soient mobilisées au plus fort de leur potentiel.

Les ressources humaines, c’est cette fonction particulière qui garantit à la fois la cohésion interne et l’ouverture sur l’extérieur. Tout l’enjeu est que l’entreprise ne soit pas une forteresse repliée sur elle-même, mais qu’elle échange en permanence avec la société, avec son environnement national et international, et avec les pouvoirs publics. Ce rapport harmonieux de l’entreprise avec l’extérieur est un autre gage de sa performance, et c’est à vous de l’instaurer.

Vous n’êtes pas seulement là pour gérer les processus « RH » (la paie, les contrats ou la formation), ou pour apaiser les relations sociales. On vous enferme, vous vous enfermez trop souvent dans ces rôles, d’ailleurs bien difficiles. Vous êtes aussi là pour développer les talents, pour accompagner des femmes et des hommes qui sont une ressource et un levier essentiels de compétitivité, de créativité, de réactivité de l’entreprise.

Prenons la réforme de la formation professionnelle en France, car c’est un exemple frappant.

L’objectif de la réforme est de transformer l’approche que les entreprises avaient de la formation professionnelle, en passant d’un statut d’obligation de dépenser à une fonction d’investissement stratégique. L’entreprise est ainsi amenée à identifier ses besoins, à justifier sa dépense, et à démontrer les résultats de la formation. Et par conséquent, à se poser les bonnes questions : « De quelles compétences ai-je besoin aujourd’hui ? » « Et demain ? ». Et pour cela, elle est amenée à se projeter vers l’avenir, à identifier les enjeux, qui lui donneront dans dix, vingt, trente ans, un avantage stratégique par rapport à ses concurrents.
Et le rôle des DRH est là encore central et exigeant : il consiste à trouver le juste équilibre entre stratégie de l’entreprise, dialogue managérial et construction d’une offre de formation, tout à la fois utile à l’entreprise et correspondant aux aspirations des individus.

Au final, tout le monde est gagnant : la formation sert la performance de l’entreprise et participe au développement individuel des salariés ; elle devient un objet de premier intérêt pour le décideur.


2. Acteurs stratégiques de l’entreprise, vous avez devant vous un grand défi : accompagner l’évolution du contenu et de l’organisation du travail qui est à l’œuvre. C’est d’ailleurs le thème de votre rencontre : le monde du travail en transformation.

Et vous avez eu raison. Le travail connaît en effet de profonds bouleversements. Cela implique de réinventer nos pratiques et faire le choix d’orientations stratégiques.

Quels sont ces bouleversements ?

Le premier est sans nul doute la fragmentation des relations au sein de l’entreprise. Cette nouvelle réalité remet en cause bon nombre de nos présupposés. Regardons le processus d’individualisation sur le marché du travail. Et même ceux que l’on appelle parfois les insiders se caractérisent par l’aspiration à être de plus en plus mobiles, à faire carrière dans plusieurs entreprises ou dans plusieurs pays.

Au sein même de ces entreprises, l’organisation du travail évolue vers davantage d’éclatement des équipes et des fonctions : l’image d’une entreprise, basée sur un seul site, où la direction côtoie quotidiennement l’ensemble des salariés s’estompe. Dans la réalité, la répartition des services sur plusieurs sites ou dans plusieurs pays, ainsi que des modes d’interaction et de management de plus en plus dématérialisés, remettent en cause la vision traditionnelle du collectif de travail.

Enfin, la fragmentation du collectif est aussi l’objet de la constitution de communautés culturelles, d’âge, de corps de métiers, parfois même de religion, au sein même de l’entreprise. Elles cohabitent parfois difficilement, là où le salariat avait au siècle dernier, plutôt produit de l’homogénéité au sein des personnels.

Face à cela, l’enjeu est de réussir, malgré cette fragmentation, à produire un collectif qui fonctionne, et ainsi garantir la cohésion sociale. La question, au fond, c’est de réconcilier les aspirations de l’individu et les besoins de la structure, et de faire que les entreprises puissent être le plus possible à l’image de la société.

En France, l’Etat a développé des politiques ambitieuses en la matière : les contrats aidés, les mesures pour relancer l’apprentissage, les aides à la prise de poste, les outils pour lutter contre les discriminations. Ce sont des dispositifs qui visent à aider l’entreprise à inclure tout le monde sur le marché du travail. Il revient alors au DRH de s’en saisir pour mener une politique active qui resserre et fédère les salariés. Les difficultés de recrutement, qui aujourd’hui plus qu’hier, coexistent avec le chômage de masse, obligent de toute façon les entreprises qui veulent recruter à accueillir des personnes qui ne sont pas forcément la cible idéale des recruteurs.

Le deuxième bouleversement touche l’augmentation constante de la pression à laquelle le travailleur est soumis. Celle du client, celle du manager, celle de l’actionnaire, celle des collègues. Les conséquences sur le bien-être et sur la santé des travailleurs sont réelles.

La question de la qualité de vie au travail, et celle, indissociable, de la qualité du management, doit donc être une priorité des discussions menées au sein des entreprises. Elle doit faire l’objet d’études, de bilans de concertations et négociations avec les partenaires sociaux. C’est pourquoi j’ai souhaité que ça soit l’un des enjeux du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi que je porte actuellement devant le Parlement.

Le troisième bouleversement, c’est l’avènement du numérique. Les opportunités sont immenses et nous les vivons dès aujourd’hui dans nos vies professionnelles. Je le constate, le numérique est une aide à la décision, il permet d’améliorer considérablement les conditions de travail et de recentrer les salariés sur la création de la valeur ajoutée. Cela induit bien sûr des transformations des métiers : chaque génération bénéficie de nouvelles opportunités de carrière tout en voyant disparaître certains métiers. Mais le numérique implique aussi des risques qu’il ne faut pas occulter. Il crée des fractures, des mécanismes d’exclusion. Il peut en effet être synonyme de fragilisation du collectif et du lien direct entre les personnes car il réduit les échanges directs au profit des outils de communication.

C’est pourquoi il faut, qu’ensemble, nous nous mobilisions pour faire du numérique un atout qui nous aidera à mieux vivre demain. Cela implique d’intégrer pleinement ses potentialités et de réguler ses excès. C’est dans cet esprit que je vais prochainement annoncer une démarche d’ensemble sur le numérique et ses conséquences sur le travail, avec notamment deux volets :

  • des expérimentations de nouvelles organisations du travail autour du numérique, au sein d’entreprises volontaires,
  • une mission confiée à Bruno Mettling sur les enjeux du numérique dans les relations de travail, et dont le rapport, attendu à la rentrée, alimentera à n’en pas douter les réflexions. Je souhaite notamment les présenter aux partenaires sociaux.

Le quatrième bouleversement, enfin, c’est que les nouvelles organisations du travail apparaissent plus flexibles, plus floues, plus mouvantes. Cela soulève bien sûr de nouvelles questions, fondamentales, en termes de droit et de pratiques professionnelles. Ces questions sont par exemple celles posées par le recours à la sous-traitance, ainsi qu’aux tiers employeurs et autres intermédiaires de type UBER.


3. Ces défis sont à relever à l’échelle de votre entreprise. Mais je crois qu’il vous appartient aussi de contribuer à les relever à l’échelle de la société.

L’entreprise a tout à voir avec son environnement, et avec la vie publique. Il ne peut pas y avoir d’entreprise qui fonctionne sans un écosystème qui va bien. En tant que garants de l’ouverture sur l’extérieur, votre rôle est essentiel pour que chaque entreprise assume cette responsabilité étendue, qui peut prendre des formes très différentes :

  • dans le territoire
  • dans la chaîne de valeur, responsabilité à l’égard des sous-traitants
  • dans la construction et le maintien de la cohésion sociale
  • dans la compétitivité globale de l’économie

Il faut dépasser l’idée qu’il y aurait les entreprises d’un côté et les Etats de l’autre. Bien au contraire, je crois que nos enjeux communs dépassent de très loin nos différences. Il n’y a pas de politique publique efficace sans implication des entreprises, et il n’y a pas d’entreprises qui se développent sans politique publique qui les accompagne.

C’est pour toutes ces raisons que les Etats doivent reconnaître les entreprises et les DRH qui s’engagent. En France, le label diversité en est un bon exemple. Et, vous le savez, je me suis engagé dans le plan de lutte contre les discriminations au travail, à améliorer la visibilité des entreprises qui l’ont reçu.


***

Mesdames et messieurs,

Je crois profondément au renforcement des liens entres les DRH et les décideurs publics. Et je sais, pour ma part, pouvoir compter sur ma relation de travail avec l’ANDRH. Cela suppose que nous installions concrètement des relations plus suivies, au niveau national, mais aussi au niveau de nos réseaux, en région et dans les territoires pour s’informer, échanger, se sensibiliser réciproquement. Les réflexions de ce congrès pourront aussi porter sur cette volonté d’inventer une nouvelle relation basée sur la co-construction des politiques publiques.

Ce partenariat entre décideurs publics et DRH doit permettre de penser la mondialisation pour que la révolution permanente des rapports sociaux qu’elle entraîne ne se fasse pas au détriment du bien-être et de la santé des salariés. La mondialisation ne doit être un espace vide régi par les seules lois de l’échange mais un espace à remplir de valeurs. Ces valeurs ne sont pas contradictoires avec la performance économique. Bien au contraire et j’espère vous en avoir convaincu, ces valeurs et l’investissement dans le capital humain font et feront la pérennité, la compétitivité et l’attractivité, des entreprises partout dans le monde. Tel est le message que je voulais partager avec vous aujourd’hui et que peuvent à mon sens porter les DRH, au cœur des entreprises.