Colloque ITG « autonomie, mobilités, transitions : comment repenser le travail »

Discours de François REBSAMEN

Monsieur le Président de la fondation ITG, Patrick Lévy-Waitz,
Mesdames et messieurs les partenaires sociaux,
Mesdames et messieurs,

Je suis trés heureux d’ouvrir votre colloque, car le thème que vous avez choisi « autonomie, mobilités et transitions » est un sujet social majeur des années à venir.

Voilà une vingtaine d’années que la question de la « sécurisation des parcours professionnels » est débattue par les spécialistes et fait l’objet d’avancées partielles, mais n’a pas réussi à entrer suffisamment dans le quotidien des travailleurs et des entreprises.

L’étude que vous produisez aujourd’hui montre que cette réflexion a incontestablement franchi un cap. Elle est importante et elle est originale. Je lui reconnais deux grands mérites :
- Proposer la création d’un compte social universel,
- Faire un tour d’Europe des dispositifs de sécurisation : par exemple, le job rotation danois qui permet à un salarié partant en formation d’être remplacé, notamment par un demandeur d’emploi, les comités de flexibilité en Finlande pour anticiper les mutations économiques ; les centres de mobilité locale aux Pays-Bas et je pourrais en citer d’autres.

Tous ces dispositifs montrent que l’on peut faire preuve de créativité en matière sociale et qu’il y a de multiples façons d’organiser la sécurisation des parcours dans un monde où la mobilité professionnelle et géographique s’accroît.

Changement de monde social

Les pays industriels ont effet connu d’importantes mutations au cours des trente dernières années, aussi bien d’ordre économique que social.

Ces mutations ont contribué à mettre en porte-à-faux l’articulation entre emploi et protection sociale qui avait émergé durant les Trente Glorieuses, quand le chômage n’existait pas ou peu. Aujourd’hui, cette protection sociale fondée sur l’emploi ne remplit plus son plein rôle ou, à tout le moins, laisse passer entre ses mailles trop d’individus. Et ce n’est plus tenable, car cela atteint la légitimité même de notre système social :
- La protection sociale devient moins lisible : comment s’y retrouver quand on passe du public au privé, de l’emploi au chômage, d’un régime de retraite à l’autre ?
- Notre système social apparait moins protecteur. Les récentes données sur la pauvreté indiquent que 86% des Français pensent que leurs enfants pourront se retrouver à la rue. Cela montre que le sentiment de vulnérabilité sociale est là, bien au-delà de la réalité de la menace. Les conséquences économiques, sociales et politiques sont désastreuses.
- Enfin, notre système a plus de difficulté à protéger toutes les formes atypiques d’emploi. Ils sont en CDD, parfois un peu auto-entrepreneurs, ou bien pigistes, freelance, travailleurs indépendants, etc et peuvent avoir du mal à accéder à la formation, à une protection sociale de qualité.

Il est donc temps de construire les formes sociales du XXIe.

Une feuille de route sociale et prospective

D’abord, il nous faut dépasser l’apparente contradiction entre le besoin de flexibilité des entreprises et la demande de sécurité des travailleurs.

Pour l’entreprise et pour le salarié les besoins de flexibilités sont différents.
- Pour l’entreprise, quand la crise est là, il faut pouvoir s’adapter. La loi de sécurisation de l’emploi donne des moyens nouveaux.
- Pour le salarié, l’enjeu est de pouvoir choisir, changer et évoluer dans sa carrière. Là encore, il faut noter les évolutions législatives depuis 2012 : le compte personnel de formation va suivre le salarié tout au long de sa carrière et permettre davantage cette mobilité – ne plus en faire un « drame » comme le dit votre étude. Le compte personnel de formation sera en place au 1er janvier 2015, il est la base d’une transformation des parcours professionnels et des pratiques de gestion des ressources humaines. Il faut le porter haut et fort car dans le domaine de la formation, la loi du 05 mars issu de l’accord interprofessionnel du 11 décembre 2013 est la grande réforme depuis 1971.
- D’autres droits nouveaux s’attachent à faciliter les transitions. Les droits rechargeables à l’assurance chômage ont cette vocation : favoriser le retour à l’emploi, c’est-à-dire sécuriser la transition du chômage à l’emploi. Et prochainement, l’ensemble de ces modalités sera accompagnée par le conseil en évolution professionnelle. Progressivement, les transitions s’organisent. Et c’est par la négociation collective qu’elles se construisent depuis deux ans.
- C’est bien la preuve, contrairement à ce qui se dit parfois, que le dialogue social est également adapté aux temps de crise.

En second lieu, il nous faudra être capable de garantir la continuité des droits tout au long d’une trajectoire, par delà les ruptures et les changements, comme par delà le chômage et l’emploi, et ainsi d’englober les transitions.

Je n’oublie pas le compte personnel de prévention de la pénibilité, sorte de mémoire des travaux pénibles, qui donne des possibilités d’évolution d’aménagement des carrières et des fins de carrières.
Tous ces comptes et tous ces droits, à un moment ou un autre, auront vocation à converger vers un compte social universel, forme visible de ce travail de fond déjà engagé sur l’autonomie, les mobilités et les transitions.

Ce compte social universel, permettra, d’abord de connaître ses droits, ensuite de les porter, enfin de s’en saisir et de construire son parcours. Choisir de changer de métier, de se former, de prendre du temps pour autre chose, de construire son entreprise… en conservant de façon permanente ses droits sociaux.

Mais de nombreuses questions sont posées :
- d’ordre intellectuel : que s’agit-il de garantir ? Quelles transitions sécuriser ? Comment accompagner cet outil pour qu’il ne bénéficie pas qu’aux plus autonomes ?
- d’ordre technique : comment organiser la portabilité ? Qui est en capacité de gérer ce compte ? Quelles garanties collectives ? Comment accumuler des droits à un endroit et les consommer ailleurs ? Quelle gouvernance de chaque droit et de l’ensemble ?

On le voit, le travail à accomplir est encore considérable. Voilà une belle feuille de route pour les prochaines années ! Er vous avez un rôle déterminant à jouer.

Conclusion : un rôle à jouer

Vous avez su rassembler dans une dynamique de travail au sein de votre fondation différentes composantes et sensibilités du monde du travail et de la société, par delà les clivages. C’est tout l’art du président de la fondation, mais c’est aussi le signe que l’on est face à un sujet de société majeur. Le rassemblement d’aujourd’hui démontre que vous pouvez apporter beaucoup dans cette élaboration collective. Sachez que je serai à l’écoute, dans l’attente même, de votre contribution. Elle apportera le regard de la société civile au gouvernement et aux réflexions engagées au sein de France Stratégie. La tâche qui vous attend est importante, je ne doute pas que cette journée de débats aura de nombreux prolongements.

Je vous remercie.