Colloque de l’INRS « Cancers professionnels : nouveaux enjeux pour la prévention »

Discours de François REBSAMEN

Monsieur le Président du Conseil d’administration de l’INRS, Jean-François Naton,
Monsieur le Directeur général de l’INRS,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie pour votre invitation.
Je connais le rôle de l’INRS dans le champ de la santé au travail. C’est un acteur reconnu par les entreprises et les salariés. Je salue votre action de formation, d’information et d’accompagnement sur la prévention des risques professionnels, notamment par la diffusion d’outils adaptés à tous, de l’ingénieur de la grande industrie au patron de TPE.

C’est une mission importante. Car notre pays souffre d’une approche « post-traumatique » de ces situations, c’est-à-dire d’intervention une fois que l’accident a eu lieu. C’est encore trop vrai en matière de santé et santé au travail, même si les choses évoluent, et c’est aussi vrai en matière d’emploi. Jusqu’à la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, les difficultés économiques des entreprises se géraient au moment de l’accident, c’est-à-dire du plan de licenciement massif, faute d’avoir sur prévenir, anticiper et négocier. La loi de sécurisation de l’emploi a inversé cette logique. Car partout la réponse doit être la prévention. Elle doit être au centre de notre action collective. Outre qu’elle épargne des souffrances – et parfois des vies – elle évite des coûts considérables pour la collectivité. Car réparer est toujours plus coûteux que prévenir.

L’INRS est l’un des acteurs essentiels de ce travail de prévention. Il joue un rôle majeur en matière de veille et d’expertise sur les risques professionnels, en partenariat avec les autres opérateurs – je pense notamment à l’Anses et à l’INVS. Je salue ce travail.

Le colloque organisé aujourd’hui sur les cancers professionnels touche un sujet central. Nous savons que 2,2 millions de salariés sont exposés à des produits chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. La part des cancers attribuable à des expositions professionnelles est estimée entre 4 à 8,5%. Pour le seul régime général, près de 1700 nouveaux cancers d’origine professionnelle sont reconnus tous les ans, principalement liés à des expositions passées à l’amiante. Cela représente 1 milliard d’euros par an pour la branche AT-MP.

Nous sommes tous marqués par le drame de l’amiante, un matériau dont les effets dévastateurs n’ont été connus qu’après des années d’utilisation. C’est à ce titre que la veille et la prévention sont décisives : éviter les « amiantes » de demain.

Prévenir les cancers professionnels : un premier bilan

Beaucoup de choses ont été faites pour prévenir l’exposition des travailleurs aux agents cancérogènes.
- La veille et l’expertise, dont la richesse est apparue tout au long de ce colloque. Elles doivent conjuguer les points de vue des chercheurs et des praticiens. Ainsi l’INVS réalise un précieux travail de suivi des cohortes, en associant les services de médecine du travail. Ces recherches nécessitent un temps long et donc un investissement dans la durée. L’Etat doit être là pour en garantir la pérennité. L’Anses joue aussi un rôle essentiel pour assurer la veille épidémiologique.
- J’ajoute l’évaluation des substances (travaux de l’Anses), à la base de la réglementation, par exemple pour la fixation des valeurs limites d’exposition professionnelle ;
- Enfin, des travaux de recherche, dont certains ont été présentés ici, apportent des éclairages et permettent de tester des hypothèses sur la dangerosité de substances en tenant compte des situations réelles de travail. Les travaux en laboratoire menés par l’INRS sont à cet égard exemplaires.

Les progrès de la connaissance permettent de bâtir une réglementation protectrice, appuyée sur des actions de contrôle et d’accompagnement. En matière d’amiante, par exemple, des progrès majeurs ont été réalisés en France tant dans la connaissance de la dangerosité des fibres d’amiante que dans la prévention des risques d’exposition dans les secteurs les plus exposés, notamment le BTP.

Enfin, la France joue un rôle moteur dans la prévention des risques liés aux agents cancérogènes au niveau européen, et plus largement à tous les agents chimiques dangereux pour assurer l’adoption d’une réglementation ambitieuse et homogène, qui anticipe les risques émergents.

Mais l’action de prévention ne s’arrête pas à la réglementation.

D’autres initiatives ont été prises dans le cadre du Plan Santé au Travail 2
- de nombreux outils d’information ont été mis en place en direction des entreprises et des salariés ex : site travailler-mieux et fiches toxicologiques de l’INRS (en ligne) ;
- la politique de substitution a été promue et demeure un axe fort sur le risque chimique ;
- s’agissant des risques émergents, un système permettant une connaissance et une traçabilité des nanomatériaux a été instauré en 2013. Les substances à l’état de nanoparticules font dorénavant l’objet d’une déclaration annuelle par les fabricants, importateurs et distributeurs. La France est le seul pays au monde à s’être dotée d’un tel dispositif !
- le Plan cancer récemment présenté par le Président de la République poursuit cette ambition en matière de prévention des cancers professionnels.

Il nous faut maintenant aller plus loin

1. La santé au travail est l’affaire de tous : managers, dirigeants, salariés et leurs représentants. Et les TPE ne doivent pas rester à l’écart. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, elles ont besoin d’un accompagnement, notamment sur l’application de la réglementation.
Des initiatives positives ont été prises au cours des dernières années. Ainsi, le risque chimique a pu s’appuyer sur des conventions d’accompagnement conclues avec des branches regroupant essentiellement des petites entreprises, par exemple dans le secteur de la réparation de véhicules (convention « garages » signée en 2012).

2. Il faut agir ensemble. Beaucoup d’acteurs sont compétents et légitimes, mais ils ne doivent pas se doublonner. La cohérence doit aussi exister entre la veille et les actions concrètes. Le Plan santé au travail, conçu comme un outil partenarial, dont les priorités sont élaborées grâce à la concertation, joue un rôle essentiel comme base pour des actions coordonnées.
Cela suppose une meilleure gouvernance de la santé au travail. Les travaux menés au sein du COCT ont permis de dessiner des pistes d’action et le plan santé au travail 3 devra permettre d’avancer ensemble.

3. Il faut décloisonner. La santé publique doit se rapprocher de la santé au travail comme de la santé environnementale. D’ores et déjà, nous avons fait des progrès : par exemple les conventions « CMR » (cancérogène, mutagène et toxique pour la reproduction) signées le 21 avril 2008 avec l’Union des industries chimiques, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie et la Fédération des Industries des Peintures, Encres, Couleurs, Colles et adhésifs, préservation du bois. Sa portée dépasse la seule santé au travail.

Beaucoup d’actions restent à mener car beaucoup de secteurs, des travailleurs et de clients (comme l’environnement) sont concernés. La Convention d’Objectifs et de gestion de la branche AT MP 2014-2017 travaillera à réduire ou supprimer les perchloroéthylènes dans les pressings, les émissions de moteur Diesel dans les centres de contrôle technique, le styrène dans les activités de plasturgie et de nautisme, etc.

Le 3ème plan santé au travail

Toutes ces réflexions, ces actions, cette coordination doivent se retrouver dans le plan de santé au travail en cours d’élaboration.
Le COCT a lancé les travaux le 30 juin dernier. Depuis, les partenaires sociaux se sont réunis à plusieurs reprises au sein d’un groupe restreint, permettant un dialogue centré sur les défis réels.
J’engagerai sur cette base les travaux d’écriture du plan, en lien étroit avec l’ensemble des parties prenantes. _ [[Il s’agit d’un chantier à venir très important. Les conclusions tirées de ces deux journées d’échanges viendront sans nul doute nourrir la réflexion.

En conclusion, je veux tout de même replacer mon propos dans une perspective différente. 22 millions de Français vivent chaque jour des situations très concrètes de travail, avec leurs joies et leurs risques. Il faut se garder d’une approche trop négative et trop maladive du travail, faite de risques psychosociaux et de maladies professionnelles. Car si le travail peut rendre malade – c’est un fait – il est aussi ce qui maintient en forme, parfois en vie ; il est davantage du côté de la santé que de la maladie. Ne l’oublions pas.

Il n’y a pas d’opposition avec ce que je viens de dire car tout converge dans un vrai et beau combat : celui de la qualité de vie au travail, et de la qualité du travail.

Je vous remercie