Remise du rapport du Conseil national du numérique sur le travail et l’emploi, « Les nouvelles trajectoires »

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président du Conseil national du numérique, cher Benoît Thieulin,
Chère Nathalie Andrieux,
Mesdames et Messieurs,
J’ai le plaisir et l’honneur de recevoir aujourd’hui le rapport du Conseil national du numérique sur le travail et l’emploi, intitulé « Les nouvelles trajectoires ».

Ce rapport est le fruit d’un travail considérable. Il avait été commandé il y a un an par mon prédécesseur François Rebsamen. Je tiens à remercier chaleureusement Nathalie Andrieux, qui a conduit ces travaux, ainsi que l’ensemble des membres du CNNum et de ses rapporteurs qui y ont contribué.
Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est, j’en suis persuadée, la grande affaire de la décennie à venir. Les Français le savent. Ils attendent que les institutions – et je parle ici aussi bien des pouvoirs publics que des partenaires sociaux – en prennent la mesure de la transformation numérique et agissent en conséquence.

Le Gouvernement s’est saisi de ces enjeux. Le projet de loi pour une République numérique, porté par Axelle Lemaire, définit les grands principes, sur l’ouverture des données publiques ou la neutralité du net. Plusieurs rapports ont été commandés, le rapport de Bruno Mettling sur la transformation numérique de la vie au travail, le rapport de Pascal Terrasse sur l’économie collaborative, qui sera remis prochainement, et votre rapport, qui traite le sujet dans toutes ses dimensions, de l’avenir de l’emploi à la place du salariat en passant par le dialogue social à l’heure du numérique.

Je voudrais m’arrêter, parmi les nombreuses propositions du rapport, sur trois sujets qui sont pour moi d’un enjeu immédiat, en vue du projet de loi que je présenterai au Parlement ce semestre.

1. Le CPA
Vous avez consacré d’importants développements au CPA, et vous avez écrit qu’il arrivait au « bon moment ». Je le crois aussi.

Mettons-nous à la place d’un jeune qui entre sur le marché du travail aujourd’hui. Au cours de sa vie professionnelle, qui durera plus de 40 ans, combien de fois va-t-il changer d’emploi ? Combien de fois va-t-il chercher à faire évoluer ses compétences, par souhait ou par nécessité ? Combien d’activités exercera-t-il en même temps ? Le nombre de pluriactifs, les « slashers », progresse en effet constamment.

Face à cette vie professionnelle plus changeante, allons-nous laisser chacun se débrouiller, au risque que seuls s’en ceux qui ont accès aux meilleures formations, au meilleur réseau relationnel ? Ou allons-nous doter chaque citoyen des ressources nécessaires pour construire son parcours professionnel ? C’est cela l’enjeu du CPA, de cette « sécurité sociale professionnelle » que le Président de la République veut instaurer. Il s’agit de rendre aux individus du pouvoir d’action sur leur vie.

Les partenaires sociaux sont aujourd’hui en cours de négociation pour définir les contours du CPA. Cette négociation doit être complétée par un débat public participatif. Ce débat public, nous allons le lancer le 21 janvier. Il s’appuiera sur une plateforme internet, où tous les acteurs de la société civile pourront déposer leur contribution.
Je me retrouve pleinement dans les propositions faites par le CNNum sur le CPA. Oui, nous allons organiser la construction du compte personnel d’activité en utilisant des méthodes agiles, en partant des besoins des utilisateurs, en les impliquant en amont, dès la conception de l’outil numérique et tout au long de son développement.

2. Les travailleurs des plateformes

« L’ubérisation » est un terme à la mode, mais il y a derrière cette expression une réalité. C’est une nouvelle forme d’organisation, dans laquelle le travail est assuré par des indépendants, mis en relation avec leurs clients par des plateformes numériques, qui définissent parfois le contenu du service et son prix.
Vous avez mis en évidence la situation de dépendance économique dans laquelle pouvaient se trouver les travailleurs des plateformes, et souligné leur besoin de protection. Le rapport du député Pascal Terrasse, qui doit être remis prochainement, sera consacré à ce sujet. Le Gouvernement et le Parlement auront des décisions à prendre.

Pour ma part, j’aborde ce débat avec deux convictions :

  • Le développement de l’économie collaborative est porteur de création d’emplois, notamment pour des personnes qui ont des difficultés d’accès au marché du travail. Nous devons l’encourager, et nous ne devons pas hésiter, si c’est nécessaire, à le sécuriser juridiquement. Je ne souhaite pas que nous ayons des années de contentieux pour savoir si un travailleur opérant sur une plateforme doit être requalifié en salarié.
  • Mais nous ne devons pas opposer développement de cette économie et protection de ses travailleurs. Ce sont les indépendants eux-mêmes qui nous le disent : selon l’Observatoire de l’autoentrepreneuriat, 80 % des autoentrepreneurs demandent plus de protections.
    Lorsqu’il y a situation de dépendance économique, il est légitime de se demander si la plateforme n’a pas une forme de responsabilité sociale, qui doit l’amener à contribuer à la protection de ces travailleurs, par exemple en finançant leur formation.

3. La validation des acquis de l’expérience

Enfin, vous avez abordé la question de la VAE. Je crois l’idée de la VAE tout à fait adaptée à notre époque. A l’heure du « do it yourself », on doit pouvoir faire la preuve de ses capacités sans passer par une formation classique.
Cependant, la VAE telle qu’elle existe aujourd’hui a été conçue dans les années 1990, à l’ère pré-numérique. Elle est trop formaliste et pas assez connue.

Moins de 30 000 certifications sont délivrées chaque année, ce n’est pas du tout à la hauteur des besoins.

Vous formulez deux pistes qui me paraissent très intéressantes :

  • Assouplir la condition d’ancienneté, aujourd’hui de 3 ans. Cette condition peut en effet fermer la voie de la VAE à des personnes ayant acquis des compétences au cours de stages ou dans un cadre informel.
  • Expérimenter d’autres modes de validation des acquis, en utilisant les outils numériques pour valider certaines compétences à distance.

Vous l’avez compris, je me retrouve pleinement dans l’esprit d’innovation et de justice sociale qui anime ce rapport, et je suis sûre que nous mettrons en oeuvre nombre de ses propositions au cours de l’année à venir.

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