Point presse "Plan de lutte contre les discriminations à l’embauche et dans l’emploi" Mardi 19 mai 2015

Seul le prononcé fait foi

Les discriminations au travail font partie de ces sujets sur lesquels la République doit se montrer intraitable.

Pourquoi ? Parce que les discriminations minent la cohésion sociale de notre pays, parce qu’elles brouillent le message républicain d’égalité, et parce qu’elles mettent à mal la conception du mérite et du travail qui doit être la nôtre.

Chacun d’entre nous peut à un moment ou à un autre de sa vie professionnelle être victime de discrimination au travail.
Discriminé, on ne l’est pas seulement parce qu’on est issu de la diversité, ou parce qu’on habite un quartier politique de la ville. On l’est aussi en raison de son âge, de son physique, de son état de santé, de son sexe, de son orientation ou de son identité sexuelle…

Et il faut en avoir pleinement conscience : les conséquences sociales et psychologiques des discriminations peuvent être particulièrement lourdes, surtout quand elles sont répétées et qu’elles finissent par former une sorte de plafond de verre qui empêche l’insertion ou l’évolution dans l’emploi. La perte d’estime de soi, le sentiment de rejet, la démotivation peuvent être à l’origine d’un éloignement durable du marché du travail, ou d’un mal-être persistant au sein de l’entreprise.

Certaines entreprises ont mis en place des politiques de promotion de la diversité. Ce sont des initiatives qu’il faut saluer. Mais l’engagement de certains ne doit pas nous faire oublier une réalité bien plus contrastée. Tout indique en effet, qu’avec la crise, dans un contexte de concurrence accrue sur le marché du travail, le phénomène s’est amplifié, jusqu’à devenir systémique.

Pour les entreprises, les discriminations représentent à la fois un risque et un coût :

  Un risque juridique, parce qu’elles s’exposent à de lourdes peines si les discriminations sont avérées, même si elles ne sont pas délibérées.
  Un coût, parce que discriminer à l’embauche, c’est recruter quelqu’un pour de mauvaises raisons, et discriminer dans l’emploi, c’est ne pas valoriser un employé comme il devrait l’être.

C’est un point sur lequel je veux insister : les stéréotypes attachés aux caractéristiques physiques et sociales des individus peuvent parfois tenir lieu de grille de lecture invisible d’un CV, ou d’une courbe d’évolution salariale. Les entreprises font alors des choix qui leur portent préjudice, comme, par exemple, se priver d’un talent qui a les compétences requises et qui aurait servi leur performance, ou ne pas récompenser un salarié, qui, dès lors, s’investit moins dans son travail.
Libérer la prise de décisions au sein des entreprises de ces stéréotypes, c’est donc, aussi, un enjeu de performance et de compétitivité.

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C’est parce que la lutte contre les discriminations en entreprise répond à un impératif à la fois républicain, éthique et économique que le gouvernement a décidé d’agir.

En octobre dernier, Patrick Kanner et moi-même avons installé un groupe de travail composé des partenaires sociaux, d’associations et de personnalités compétentes. Le rapport, qui rend compte de leurs travaux, nous a été remis aujourd’hui. Et je voudrais, avant même de vous présenter les mesures prises par le gouvernement, féliciter tous les membres du groupe de travail pour leur investissement et pour la qualité de leurs échanges.

Je voudrais m’arrêter un instant sur l’approche qui a été retenue. Le groupe de travail a constaté, et le gouvernement s’accorde sur ce constat, que l’approche morale du problème qui est privilégiée depuis vingt ans, n’a pas permis de le résoudre.

Nous avons donc souhaité adopter une approche nouvelle, que je qualifierais de pragmatique.

Cette nouvelle approche privilégie l’objectivation des discriminations : c’est la condition d’une prise de conscience de la part des entreprises, qui discriminent, dans la plupart des cas, sans le savoir. C’est aussi la clef d’un profond changement dans la société, qui doit être sensibilisée à la question des stéréotypes. Cette question franchit, bien entendu, les portes des entreprises et concerne chacun d’entre nous.

Cette nouvelle approche a également fait primer la voie de la conciliation. L’objectif n’est pas de montrer du doigt, ou de susciter des conflits, mais bien d’amener l’ensemble des acteurs à corriger leurs pratiques. Dans cette perspective, et parce qu’il s’agissait de prendre en compte la spécificité du monde du travail, le rôle primordial des partenaires sociaux a été réaffirmé.

Cependant, le pragmatisme n’exclut pas un ferme rappel à la loi.

C’est un point sur lequel je veux être très clair : lutter contre les discriminations, ce n’est pas seulement valoriser des bonnes pratiques, mais bien respecter et faire respecter la loi.

Et je veux le dire pour que les choses soient bien claires : rien ne peut justifier les pratiques discriminantes, ni les habitudes de recrutement, ni la crainte de sa hiérarchie, ni les attentes supposées des clients, ni l’ « identité » d’une entreprise. Le gouvernement se doit d’agir pour appuyer, outiller tous les acteurs qui interviennent dans le champ du recrutement et de la carrière, chefs d’entreprise, organisations syndicales, intermédiaires de l’emploi, salariés et candidats.

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Les mesures prises par le gouvernement sont toutes issues du rapport remis par Jean-Christophe Sciberras, dont je salue la qualité. Elles s’organisent autour de quatre axes :

Premier axe : les discriminations à l’embauche.

  L’article prévoyant la systématisation du CV anonyme sera abrogé dans la loi relative au dialogue social et à l’emploi, conformément aux préconisations du rapport du groupe de travail. C’est une question complexe. Le rapport qui nous a été remis aujourd’hui préconise cette modification de la loi, en raison des difficultés de mise en œuvre qu’elle pose, du développement des réseaux sociaux professionnels sur internet, ou des questions qu’elle soulève pour les entreprises qui conduisent d’ores et déjà une politique de lutte contre les discriminations en leur sein.
Le CV anonyme peut toutefois être utile et efficace s’il est mis en œuvre sur la base du volontariat par des entreprises ou des collectivités territoriales, dans le cadre d’une politique de recrutement cohérente. J’ai moi-même pu en mesurer les effets positifs quand j’étais maire de Dijon.

Bref, le CV anonyme est une solution, au même titre que la méthode de recrutement par simulation ou le CV vidéo. Mais en aucun cas il n’est la solution, et c’est pour cette raison que le gouvernement n’a pas souhaité qu’il soit l’unique méthode de recrutement retenue.

  Deuxième mesure : conformément à l’engagement pris par le premier Ministre, dans le cadre du Comité interministériel Egalité et Citoyenneté du 6 mars dernier, le gouvernement lancera une grande campagne de testing à l’automne prochain auprès des entreprises. L’objectif est de permettre aux entreprises de prendre conscience de leurs pratiques et de mettre en place des actions correctives. Toutes les entreprises seront en outre encouragées à pratiquer l’auto-testing, sur le modèle de ce qu’a mis en place Casino, pour avoir une vision réaliste des phénomènes de discriminations en leur sein, pour constater leurs progrès dans le temps, pour appuyer tous les acteurs du recrutement pour qu’ils respectent le droit.

  Troisième mesure : Pôle Emploi proposera aux employeurs une offre de service intégrée pour leur garantir un recrutement non discriminant, de la publication de l’offre jusqu’à l’entretien d’embauche. Grâce notamment aux nouveaux conseillers « entreprise », les recruteurs seront ainsi sensibilisés aux différentes techniques de recrutement non-discriminantes, comme la méthode de recrutement par simulation, en fonction de leurs besoins spécifiques.

Deuxième axe : les discriminations dans l’emploi.

  Le gouvernement a souhaité que des actions collectives puissent être engagées en cas de discriminations au travail. Cependant, il est apparu nécessaire de prendre en compte les spécificités du monde du travail en réaffirmant le rôle central des partenaires sociaux dans la lutte contre les discriminations dans l’emploi. C’est pourquoi le nouveau recours placera les syndicats en première ligne. Il s’agit également de donner la priorité au dialogue social sur la voie contentieuse, sans pour autant restreindre les possibilités de recours actuelles notamment sur le plan individuel.

  Deuxième mesure : la possibilité d’intégrer de nouveaux indicateurs dans le bilan social sera étudiée en lien avec les partenaires sociaux

  Troisième mesure : les entreprises seront invitées à désigner un « référent égalité des chances ». Ce référent sera désigné par la direction, avec avis du comité d’entreprise.

Le troisième axe concerne la sensibilisation, l’information et la formation, qui seules garantissent une évolution profonde et durable de notre société sur le sujet des discriminations. La question des stéréotypes est une question qui déborde en effet largement le champ de l’entreprise.

  Une campagne de communication grand public sur la lutte contre les stéréotypes sera lancée par le gouvernement avant la fin de l’année.

  Une étude sur le coût économique de la discrimination sera commandée à France Stratégie

  Le gouvernement portera également une attention toute particulière aux propositions qui pourront être formulées par les partenaires sociaux dans le cadre du bilan de l’ANI Diversité de 2006, notamment en matière de développement de la formation sur la lutte contre les discriminations, de transparence dans le processus de recrutement, etc.

Le quatrième et dernier axe concerne la valorisation des bonnes pratiques :

  Le gouvernement s’engage à communiquer plus systématiquement sur les entreprises titulaires du Label Diversité et sur les actions qu’elles ont mises en place. Il faut saluer la démarche exigeante qu’elles conduisent pour l’essaimer.

  Dans le cadre de la transposition de la directive européenne sur la publication d’informations non-financières et d’informations relatives à la diversité par certains groupes, les politiques d’entreprise de lutte contre les discriminations seront valorisées comme indicateur de respect des droits de l’Homme.

J’ai enfin personnellement souhaité que le groupe de travail poursuive ses travaux, dans sa configuration actuelle. La pérennisation de ce groupe est en effet la condition d’une action de fond, cohérente et efficace. C’était une demande récurrente de tous les partenaires que ce groupe soit mis en place et pérennisé, dans sa forme actuelle, c’est-à-dire réunissant les partenaires sociaux, les associations, les intermédiaires de l’emploi, des personnalités qualifiées, et les services des différents ministères concernés. La qualité des travaux, et l’investissement de tous les membres de ce groupe démontre à quel point nous avons eu raison de lui donner la place qui lui revenait.

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La réunion d’aujourd’hui marque une étape importante dans la lutte contre les discriminations en entreprise. Mais ce n’est qu’une étape.
  Ce n’est qu’une étape parce que, sur la base des propositions qui lui seront faites par le groupe de travail, le gouvernement continuera d’agir pour mettre fin à ces pratiques qui n’ont pas leur place dans notre République.
  Ce n’est qu’une étape, aussi. Parce que la question des discriminations nous concerne tous, c’est à nous en tant que citoyens, d’interroger et de corriger nos comportements, nos pratiques. Le groupe de dialogue dans sa composition actuelle contribuera également à la réflexion sur la mise en œuvre de toutes les mesures qui vous été annoncées.

C’est nécessaire si nous voulons combattre et déconstruire les stéréotypes qui constituent la racine des comportements discriminatoires.

Et c’est vital si nous voulons être à la hauteur de la promesse républicaine d’égalité, qui seule garantit la cohésion sociale de notre pays.