Intervention de Myriam El Khomri devant la Commission des Affaires sociales

Madame la Présidente,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés,

Je me réjouis de cette audition qui nous fournira je l’espère l’occasion d’une discussion constructive sur la loi que je porte, et qui vient d’être déposée à l’Assemblée.

Le délai supplémentaire que nous nous sommes donnés nous a permis d’apporter à ce texte des ajustements nécessaires, issus des concertations avec l’ensemble des partenaires sociaux et des organisations de jeunesse. Les syndicats qui représentent la majorité des salariés (CFDT, CGC, CFTC, UNSA) ont salué ces avancées.

Ce nouveau texte trouve aujourd’hui son équilibre au service d’une double ambition :

 réformer profondément notre droit du travail en donnant beaucoup plus de place à la négociation collective, afin de développer l’emploi, d’améliorer la compétitivité de nos entreprises et aussi de mieux protéger les salariés ;

 revivifier notre modèle social grâce au compte personnel d’activité qui apporte de nouvelles protections, en particulier pour les salariés et les indépendants les plus fragiles.

Après la concertation menée au cours des derniers mois avec les partenaires sociaux, j’aborde le débat parlementaire avec conviction et enthousiasme.
Je sais que la représentation nationale va fortement s’impliquer dans l’examen de ce texte et souhaite que ce travail d’enrichissement se poursuive, sans en dénaturer la philosophie.

Des désaccords peuvent exister, ils sont légitimes ; certains doivent pouvoir se surmonter ou du moins s’atténuer.

Je suis en tout cas certaine que nous saurons nous retrouver sur certains constats et la nécessité de ne pas nous en accommoder. On a parfois parlé de « préférence française pour le chômage ». Le fait est là : nous restons invariablement confrontés à un chômage de masse depuis plus de 30 ans et créons aujourd’hui moins d’emplois que certains de nos voisins. Le monde du travail connaît chez nous une segmentation très forte, reléguant beaucoup de nos concitoyens à ses marges : on compte ainsi aujourd’hui plus de 750.000 personnes prisonnières d’une spirale infernale, faite de chômage, d’intérim, de CDD à répétition et de plus en plus courts.

Pour ces personnes, l’hyper-précarité est une réalité quotidienne et durable. Pour un nombre croissant de jeunes, l’horizon du CDI confine au mirage (en 20 ans, l’âge moyen au premier CDI est passé de 22 à 27 ans). Pour toutes ces raisons, pour toutes ces personnes, il nous revient d’agir avec la détermination la plus grande.

Sur un texte de cette ampleur, qui réforme aussi profondément notre législation du travail, j’entends faire valoir tout à la fois ma force de conviction et une grande capacité d’écoute.

Permettez-moi tout d’abord de revenir en quelques mots sur la philosophie de ce texte. Je crois que c’est essentiel avant d’évoquer plus précisément les principales mesures qui en constituent l’architecture.

  • Ce projet s’inscrit dans la continuité et la cohérence de l’action gouvernementale depuis le début de ce quinquennat.

Depuis 2012 en effet, les lois successives dans le domaine du travail poursuivent la même finalité : renforcer le dialogue social et le rôle des partenaires sociaux pour construire dans notre pays une vraie culture de la négociation.

La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 puis celle relative à la formation professionnelle et à la démocratie sociale du 5 mars 2014 et enfin celle relative au dialogue social du 17 août dernier ont transcrit cette vision.

Je citerais ici :

 l’association des comités d’entreprise aux orientations stratégiques des entreprises et la participation des salariés aux conseils d’administration de toutes les entreprises de plus de 1000 salariés,

 la création de la base de données unique, des négociations et consultations rénovées autour des enjeux les plus stratégiques,

 la capacité à anticiper davantage pour éviter les licenciements et un renforcement de l’activité partielle désormais au même niveau que celui de l’Allemagne,

 un cadre entièrement refondu des procédures de licenciement collectif avec un poids majeur donné à l’accord majoritaire…

La liste serait longue si je devais détailler toutes ces avancées, mais je voudrais souligner quelques points : le constat d’un formalisme trop grand de notre dialogue social qui s’éloigne des préoccupations des salariés et des vrais enjeux et la conviction qu’il n’y a pas de dialogue social sans acteurs forts du dialogue social.

Le projet de loi que je vous présente prolonge et amplifie ce mouvement.

C’était d’ailleurs l’ambition des 44 propositions de la commission Combrexelle remises au premier ministre et à moi-même en septembre dernier. Il renforce considérablement le dialogue social, notamment au sein de l’entreprise – mais aussi au niveau de la branche.

  • Cette confiance et cette place inédites accordées aux partenaires sociaux et ce choix de la régulation par le dialogue social, sont à mon sens la voie la plus pertinente à la fois pour la pérennité de notre modèle social et pour la compétitivité de notre économie.

Car notre code du travail, à force de multiplier les dérogations, s’est complexifié au point de devenir illisible et contre-productif.

La solution n’est sûrement pas dans la déréglementation sauvage, comme l’ont expérimenté certains pays en renvoyant massivement au contrat de travail ou en abolissant le monopole syndical de la négociation collective comme le suggèrent d’autres.

Car cela reviendrait à laisser le salarié livré à lui-même dans une relation de travail déséquilibrée.

Ma conviction, au contraire, c’est que c’est par le collectif que le salarié est mieux défendu, que ses aspirations individuelles sont les mieux prises en compte. Et c’est par le collectif que l’entreprise peut trouver les marges de souplesse nécessaires à sa compétitivité, sans renoncer à rien sur le plan social.

C’est ce que nous montrent les expériences de certains de nos voisins européens comme ceux d’Europe du Nord, aux standards sociaux élevés.

Il ne s’agit pas d’avoir une vision angélique du dialogue social. Les blocages, les échecs, les pressions existent.

Mais je résumerais la philosophie de ce texte par l’équation suivante : aucune souplesse ne sera possible sans négociation ; et comme les entreprises ont besoin de souplesses, la négociation débouchera sur des accords équitables.

Ces accords devront recueillir l’assentiment des organisations représentant la majorité des salariés, ce qui est une grande avancée même si elle suscite des craintes de blocage.

A défaut d’accord, et je souhaite insister fortement là-dessus, les protections seront exactement au même niveau qu’aujourd’hui.

Cela signifie que tout le monde sera gagnant : les salariés, qui seront mieux représentés et défendus ; les entreprises qui gagneront en capacité d’adaptation et de souplesse, sources de compétitivité.

Pour en venir au contenu du texte à présent, je voudrais m’arrêter sur quelques mesures, sans prétendre à l’exhaustivité.

1. Tout d’abord, il consacre de nouveaux droits pour les travailleurs, quel que soit leur statut

En réaffirmant les droits fondamentaux des travailleurs, selon les principes dégagés par le comité de sages présidé par Robert Badinter.

• Même s’ils ne constitueront pas le Préambule du futur Code du travail, ces principes guideront le travail de réécriture qui s’achèvera en 2019. Permettez-moi à ce sujet quelques mots sur un sujet que certains ont tenté d’instrumentaliser, à savoir le fait religieux en entreprise.

• Nous savons tous que le principe de laïcité ne s’applique pas aujourd’hui à l’entreprise, qui n’est pas tenue à un devoir de neutralité.

Le principe issu des travaux du comité Badinter – qui ne sera pas incorporé dans le code du travail – rappelle le droit actuel, à savoir la liberté d’exprimer ses convictions, y compris religieuses, y compris au sein de l’entreprise.

Mais il rappelle aussi et surtout que des restrictions à cette liberté sont possibles au sein de l’entreprise, lorsqu’est en cause son bon fonctionnement ou l’exercice d’autres libertés.
L’employeur dispose d’un pouvoir important en la matière, c’est ce que rappelle ce principe. Il se borne ainsi à rappeler la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat.
Si la rédaction actuelle a suscité des débats, je l’ai dit, elle peut bien évidemment évoluer pendant le débat parlementaire pour mettre mieux en lumière la possibilité de telles restrictions.

En développant le compte personnel d’activité, base d’une véritable sécurité sociale professionnelle. Une démocratie sociale innovante et progressiste doit enfin savoir répondre aux attentes de nos concitoyens et anticiper leurs besoins futurs, afin de mieux les protéger et de les rendre maîtres de leur parcours professionnels.

De ce point de vue, le CPA constitue une avancée majeure en instaurant un droit universel à la formation quel que soit son statut : chacun-e sera doté de droits cumulables tout au long de son parcours, pour acquérir de nouvelles compétences, changer de métier, créer son entreprise.

Tout le monde pourra en bénéficier : salariés, demandeurs d’emploi, indépendants, artisans, fonctionnaires.
Et surtout, ceux qui en ont le plus besoin seront davantage aidés :
 les jeunes décrocheurs auront droit à une nouvelle chance, via le droit au retour en formation ,
 les salariés sans qualification, qui sont les décrocheurs d’hier et d’avant-hier, verront leurs heures de formation significativement augmentées (de 24 à 40h par an) et leur plafond maximum relevé de 150 à 400 heures ;
 pour les demandeurs d’emploi, nous avons fait cette année un effort exceptionnel avec le plan 500.000 et je souhaite que les partenaires sociaux puissent pérenniser un soutien à la formation des demandeurs non qualifiés.

Mais ce CPA valorisera également l’engagement citoyen, avec la création du compte engagement citoyen : un crédit d’heures de formation sera alloué en contrepartie d’activités reconnues pour leur utilité collective (service civique, maîtrise d’apprentissage, périodes de réserve, responsabilités associatives).

Avec le CPA, je n’hésite pas à le dire, nous posons les fondements d’un nouveau modèle social, celui du XXI e siècle.

En généralisant la « garantie jeunes » pour tous nos concitoyens de moins de 26 ans qui sont en situation de grande précarité, c’est-à-dire sans qualification, sans formation, sans emploi et acceptent de s’inscrire dans un parcours d’insertion exigeant et adossé à une allocation.

En créant un « droit à la déconnexion » pour tous les salariés, pour que le numérique ne soit pas facteur de souffrance au travail mais au contraire une opportunité pour améliorer la qualité de vie.
Sa mise en œuvre sera un item de la négociation obligatoire sur la qualité de vie au travail et à défaut d’accord, les entreprises de plus de 300 salariés devront mettre en place une charte.
Dans tous les cas, ce droit sera donc garanti, et il prendra en compte la réalité de l’entreprise..

En réformant la médecine du travail, pour rendre le suivi médical des salariés plus effectif et mieux protéger ceux qui en ont le plus besoin.
Ces dispositions s’inspirent des travaux menés par le rapport remis l’an dernier par votre collègue Michel Issindou, ainsi que par les travaux du Conseil d’orientation des conditions de travail et qui ont débouché sur des pistes novatrices, pour répondre aux enjeux en matière de santé au travail et de prévention.

2. Le projet ouvre ensuite de nouvelles marges d’adaptation pour les entreprises et les salariés par accord d’entreprise.

Toute la partie du code sur le temps de travail est réécrite pour donner à la négociation collective une place prépondérante. Cette nouvelle architecture du code du travail est issue des préconisations du rapport Combrexelle dont les conclusions ont été largement saluées en septembre dernier.

Le gouvernement a fait le choix de la transparence et de la clarté en réécrivant in extenso cette partie, y compris lorsque les règles ne changent pas, pour beaucoup mieux distinguer ce qui relève de l’ordre public, ce qui relève du champ de l’accord, et les dispositions dites « supplétives » qui s’appliquent en l’absence d’accord.

Cette clarification a conduit à des critiques souvent infondées, car elles sont dirigées contre des règles qui existent depuis bien longtemps et qui ne sont pas modifiées dans ma loi – je pense notamment à la possibilité de travailler jusqu’à 60 heures par semaine ou jusqu’à 12 heures par jour, à certaines conditions particulières que nous n’avons nullement modifiées.

Il a en revanche ouvert de nouvelles souplesses, par accord d’entreprise majoritaire, pour organiser le temps de travail au plus près du terrain. Beaucoup était déjà possible, et il s’agit de donner toute la cohérence à cette négociation d’entreprise.

Et pour être claire, il n’y a pas non plus inversion de la hiérarchie des normes. Enfin, plusieurs thèmes resteront, même pour la durée du travail, du ressort de la branche. Je pense au temps partiel ou à la modulation au-delà de l’année.

3. Le texte marque en outre une nouvelle étape ambitieuse dans la rénovation de la démocratie sociale :

• il généralise les accords majoritaires au niveau de l’entreprise pour tous les accords concernant le chapitre réécrit du code du travail : pour être valides, les accords devront être signés par des organisations syndicales qui rassemblent 50% des suffrages. Ce sera la règle générale qui a vocation à s’étendre dès 2019 à l’ensemble du champ de la négociation collective d’entreprise.

De manière exceptionnelle, dans les cas où l’enjeu de l’accord le justifiera aux yeux des organisations syndicales qui l’auront signé, un accord signé à 30% sans atteindre la majorité pourra être soumis à la consultation des salariés.

Il me semble étrange de considérer que la consultation des salariés, à l’initiative des organisations syndicales, sur leurs conditions de vie au travail et les choix qui les concernent directement, serait une régression.

• il clarifie la place des accords, qui pourront, avec l’accord du salarié, se substituer aux contrats de travail lorsqu’ils visent à préserver ou à développer l’emploi.
Là encore, il s’agit de donner plus de poids aux compromis collectifs dès lors que l’accord est majoritaire.
Et de tels accords ne pourront évidemment pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle des salariés.
C’est un acte de confiance dans le dialogue social, dans le caractère majoritaire des accords.

• il améliore les moyens des acteurs du dialogue social, dans le prolongement des lois précédentes, en augmentant de 20 % le crédit d’heures des délégués syndicaux et en protégeant mieux les bourses du travail.

Enfin, les règles de négociation et de révision sont profondément rénovées, pour favoriser la loyauté et le dynamisme des accords.

4. le texte comporte un volet ambitieux pour mieux accompagner les PME-TPE, et favoriser l’emploi

en mettant en place des cellules d’appui dans les territoires qui proposeront des réponses rapides aux questions juridiques des PME et des TPE.

• en élargissant les sujets sur lesquels les salariés et élus mandatés peuvent négocier et en instaurant les accords type de branche préconisés par le rapport Combrexelle, pour favoriser la négociation dans ces petites entreprises, qui leur permettra d’utiliser les souplesses permises par notre droit.

en restructurant les branches professionnelles, dont le nombre sera réduit de plus de 700 à environ 200 ; on ne peut renforcer le rôle des branches si on reste dans le champ conventionnel actuel.

en créant des accords type de branche, spécifiquement dédiés aux PME TPE : c’est une innovation qui a été insuffisamment mise en lumière et dont j’espère fortement qu’elle redonnera de la vigueur à la négociation de branche et la souplesse nécessaire pour les PME.

En clarifiant la définition du motif économique.
Je crois qu’il faut entendre le besoin de prévisibilité qui s’exprime fortement du côté des entreprises, notamment les petites entreprises qui ne peuvent pas s’appuyer sur des armées d’experts juridiques et pour qui la complexité de la rupture peut être un frein à l’embauche, au moins en CDI.

A travers cette loi, je le dis avec force, notre objectif n’est pas de faciliter les licenciements – ce qui serait pour le moins paradoxal pour la ministre de l’emploi que je suis. Il est de poser des règles claires et intelligibles.

Ainsi, la précision du motif du licenciement économique permettra de lutter contre la précarité des salariés :
 D’une part, il favorisera les recrutements en CDI, car on sait que le taux élevé de recours aux CDD est en partie dû aux craintes du contentieux de la rupture des CDI.
 D’autre part, il évitera des licenciements fondés à tort sur un motif personnel, ou des ruptures conventionnelles parfois abusives, là où c’est un licenciement économique qui devrait être décidé, avec tout l’accompagnement qui va avec pour le salarié concerné.

La loi clarifie les conditions du licenciement économique, en reprenant très largement la jurisprudence et en précisant les situations qui justifient de se séparer d’un salarié, comme par exemple une baisse importante des commandes sur plusieurs trimestres.

Elle aligne notre droit sur celui de nos voisins européens pour les groupes implantés à l’international. En même temps, elle permet de lutter contre les contournements en prévoyant que lorsque les difficultés économiques ont été créées artificiellement à la seule fin de supprimer des emplois, le licenciement sera dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il nous faut entendre et répondre aux difficultés des petites et moyennes entreprises et prendre la responsabilité, sur ce sujet, de faire bouger les lignes.

Sachez que j’examinerai avec intérêt toute proposition complémentaire, s’inscrivant dans l’esprit de cette loi et visant à soutenir les TPE et les PME. C’est un enjeu fort pour dynamiser notre tissu économique.

Voilà ce que je souhaitais vous dire pour expliquer à la fois la logique profonde de cette loi et ses objectifs.

Si je devais résumer cette philosophie je voudrais dire ceci. Bien sûr, le gouvernement aurait pu faire le choix de ne rien faire, faisant le constat que notre démocratie sociale est encore perfectible, que les acteurs en sont souvent trop faibles, qu’il faut attendre qu’elle soit mûre pour lui donner de nouveaux espaces.

Mais c’est précisément le pari inverse que fait le gouvernement, parce que nous sommes convaincus qu’il existe un cercle vertueux à tracer : il faut dans un même mouvement, donner plus de moyens aux acteurs du dialogue social et plus de pouvoir, à travers une plus grande place et capacité de décision à la négociation au plus près du terrain.
C’est la seule façon de faire bouger en profondeur les lignes dans notre pays.

Je comprends qu’un texte aussi profondément réformateur suscite des questionnements et nécessite des débats.
Ceux-ci doivent se poursuivre et je vous redis ma volonté d’être à l’écoute de la représentation nationale pour construire collectivement une société où progrès économique et progrès social ont partie liée.

Je vous remercie et vous cède à présent la parole.

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