Discours de Myriam El Khomri lors du colloque Travailler en bonne santé en 2040

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président, cher Gérard Sébaoun,
Mesdames et Messieurs les parlementaires [Yves Censi, Corinne Erhel],
Messieurs les présidents et Directeur général de l’INRS [Guy Vacher Président, Stéphane Pimbert DG],
Monsieur le Vice-Président [Jean-Francois Naton]
Mesdames, messieurs,

Je veux d’abord vous remercier de m’avoir proposée de participer à cette journée de réflexion sur le thème de la santé au travail en 2040. Je salue à cette occasion l’initiative du groupe d’études « pénibilité au travail, santé au travail et maladies professionnelles » de l’Assemblée nationale, et tout particulièrement son président Gérard Sébaoun, ainsi que l’ensemble des participants présents aujourd’hui.

Que signifie « travailler en bonne santé en 2040 » ?

Pour répondre à cette question, je pense qu’il faut d’abord identifier les défis à venir.

A mes yeux, ils sont au nombre de trois : la multiplication des formes de travail d’abord, l’apparition de risques émergents bien sûr, et la question du maintien en emploi et de la désinsertion professionnelle.

Notre premier grand défi, c’est le développement des nouvelles formes de travail. Nous sortons progressivement de la « société salariale » propre à l’ère industrielle, pour entrer dans une organisation moins monolithique et plus complexe. Le salariat reste la norme, mais les anciennes frontières entre activités professionnelles et non-professionnelles, entre salariat et travail indépendant, s’estompent progressivement. Ces mutations perturbent en profondeur le schéma de la prévention des risques professionnels qui à ce jour repose principalement sur l’obligation de santé et de sécurité qui incombe à l’employeur.

Le deuxième défi fait partie intégrante du cœur de métier du ministère du travail : je veux parler de l’identification et de la prévention des risques émergents. Par définition, ces risques restent peu lisibles dans leurs contours et quant à leurs effets sur la santé humaine. Ils sont encore en phase d’étude, mais impliquent une vigilance renforcée. Je pense évidemment aux risques portés par les perturbateurs endocriniens, par les nanomatériaux, mais aussi à l’impact des technologies numériques. Bien entendu, ces risques émergents ne doivent pas faire oublier les risques « classiques » : risques chimiques, chutes de hauteur, risques routiers, ou risques psychosociaux.

Reste enfin un dernier grand défi : celui du maintien en emploi et de la lutte contre la désinsertion professionnelle. A l’heure de l’allongement des carrières, du vieillissement de la population au travail et de la nécessaire prise en compte du handicap, il nous revient de penser un monde du travail qui permette aux plus vulnérables de trouver leur place.

Comment répondre dès lors à ces défis ?

Ma conviction est que les fondations de notre modèle social, notre approche de la santé au travail, pensées à l’ère de la société salariale, restent particulièrement protectrices. Mais, faute d’évoluer, elles ne permettront pas de prendre en compte la multiplicité des risques, des situations, mais aussi l’aspiration croissante à plus d’autonomie dans la gestion de sa vie professionnelle.

Tout notre travail consiste donc à la fois à penser de nouvelles ramifications dans notre modèle social, pour s’assurer qu’il inclut le maximum d’actifs et notamment les plus fragiles, tout en encourageant une approche globale des protections et de la santé qui laisse plus de place à l’autonomie des individus.

C’est notamment l’objectif de la réforme du travail introduite par la loi du 8 août 2016.

Avec la création d’une responsabilité sociale des plateformes collaboratives, nous garantissons par exemple un dispositif d’assurance couvrant les accidents du travail, ainsi qu’un droit d’accès à la formation professionnelle continue et la reconnaissance de leurs droits syndicaux pour les collaborateurs de plateformes.
Pour l’ensemble des actifs, avec le Compte Personnel d’Activité, nous attachons des droits – que ce soit à la formation, à un bilan de compétence ou à l’aide à la création d’entreprise - à la personne et non plus à un statut. Il s’agit bien de l’émergence d’une protection sociale professionnelle adaptée à des parcours de plus en plus discontinus.

Avec le Compte personnel de prévention de la pénibilité, nous ouvrons de nouveaux droits aux salariés exposés à des facteurs de pénibilité, dans une logique d’équité.

Avec le droit à la déconnexion, nous souhaitons garantir l’effectivité du droit au repos et à assurer le respect de la vie personnelle à l’heure du numérique.

Enfin, avec la réforme de la médecine du travail, nous souhaitons faire évoluer un système qui comporte de nombreuses discontinuités faute de ressources suffisantes, vers un modèle plus adapté, plus efficace, qui permet un suivi tout à la fois universel et mieux ciblé. Nous privilégions la prévention et le maintien en emploi, tout en donnant la priorité à ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés. C’est à mes yeux la voie la plus prometteuse et la plus sûre pour l’avenir de la santé au travail.

C’est d’ailleurs l’orientation qui est au cœur du 3ème Plan santé au travail, engagé il y a près d’un an et qui a été élaboré dans le cadre d’un dialogue social de très grande qualité au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail.

Sans entrer dans les détails, quelles sont les grandes lignes de cette nouvelle approche de la santé au travail ?
Nous affirmons d’abord le principe selon lequel tout travailleur doit bénéficier d’un suivi individuel de son état de santé, par le médecin du travail et par les autres professionnels de santé placés sous sa responsabilité, notamment les infirmiers.

Dès l’embauche, une visite d’information et de prévention sera réalisée par un professionnel de santé appartenant à l’équipe pluridisciplinaire, sous la responsabilité du médecin du travail.

Ce professionnel pourra bien sûr orienter immédiatement le salarié vers le médecin du travail si nécessaire. Suite à cette visite, qui fera l’objet d’une attestation, le médecin définira les modalités et la périodicité du suivi individuel, en fonction des caractéristiques de la personne et de son poste. Nous passons ici d’une logique de visite automatique et indifférenciée à une approche individualisée et personnalisée.

Les salariés affectés à des postes qui présentent des risques particuliers bénéficieront quant à eux d’un suivi renforcé, qui comprendra une vérification de leur aptitude au moment de l’embauche, renouvelée périodiquement. Soyons clairs : nous ne faisons pas basculer la médecine du travail vers une médecine de contrôle, ou de sélection. Pour des postes particulièrement exposés ou dangereux, nous voulons permettre au médecin de prévenir un risque grave. C’est notre seul critère.

Nous souhaitons également renforcer l’action du médecin du travail en faveur du maintien en emploi des salariés. Ses prérogatives sont clarifiées et confortées, tant dans les propositions d’adaptation du poste de travail, que dans les indications qu’il peut donner pour favoriser le reclassement du salarié en cas d’inaptitude. L’inaptitude ne sera prononcée qu’en dernier ressort, lorsque toutes les options de maintien en emploi auront été envisagées.

Ce texte permet enfin une autre grande avancée en prenant en considération des salariés en contrats courts, jusqu’à présent laissés pour compte. La réforme prévoit des adaptations pour les salariés intérimaires et pour les salariés en CDD en leur garantissant un suivi médical individuel équivalent à celui des salariés en CDI.

Voici donc quelques exemples des actions menées par ce gouvernement pour permettre au plus grand nombre de travailler en bonne santé en 2040.

Au-delà de la création de nouveaux droits, nous avons voulu porter une nouvelle vision, celle du travail perçu comme facteur de santé, une vision positive du travail, qui s’ajoute à l’indispensable devoir de protection des travailleurs contre les risques professionnels.

La logique d’anticipation, de prévention, de prise en main de son parcours est alors envisagée comme facteur de progrès social et économique. C’est à mes yeux la voie la plus sûre et la plus moderne, celle qui répond aux attentes des actifs, des employeurs et des professionnels, dans un monde du travail complexe et mouvant.

Je vous remercie.