Cérémonie de remise du 7ème prix du roman de l’Entreprise et du Travail

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président d’honneur et lauréat du Prix 2015 ,
Mesdames, messieurs les jurés,
Mesdames, messieurs les représentants des partenaires sociaux,
Messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les auteurs,
Mesdames, messieurs,

Je suis particulièrement heureuse de vous recevoir, ici au ministère du Travail, pour la 7ème édition du prix du roman d’Entreprise et du Travail.

La salle dans laquelle nous nous trouvons est le témoin de l’histoire sociale de notre pays. C’est ici que furent signés, en 1968, les Accords de Grenelle, à l’issue de l’un des mouvements sociaux les plus importants du 20ème siècle. Un événement qui nous rappelle combien le travail, et les luttes qu’il a pu suscitées chez ceux qui se battaient pour améliorer leur condition, conserve sa centralité dans la construction d’une histoire collective.

La place du travail comme composante majeure d’une identité individuelle et collective, c’est aussi ce que les romans en lice dans cette compétition littéraire mettent en lumière. Ils disent chacun une réalité, décrivent des parcours de vie, voire des aventures professionnelles.

Avant d’annoncer le lauréat 2016 et en finir avec ce suspense insoutenable, je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous.

D’une part, les organisateurs qui font depuis sept ans maintenant, vivre ce prix. Place de la médiation, Technologia, le Cercle des DRH européens, les jurés : je sais l’énergie et le dynamisme dont vous avez fait preuve pour aller chercher les talents et faire découvrir des auteurs. Je sais aussi que les débats ont été riches et animés tout au long de vos discussions.

D’autre part, les auteurs sélectionnés cette année qui défendent chacun un parti pris par leur œuvre. Il y a ceux qui décrivent un cadre de travail pour y ancrer une aventure humaine. Ceux qui décrivent un mouvement collectif et social qui transforme les personnages. Ceux qui décrivent une réalité du travail inhumain pour mieux la dénoncer. Et enfin, ceux qui se concentrent sur des métiers particuliers et les héros modernes.

Si je devais relever un point commun, c’est que vous défendez l’idée que la littérature participe à peindre la réalité du travail et nous l’enseigne. Votre littérature est une littérature de la vie, qui représente le quotidien, sans faux-semblant ni angélisme. Une littérature vraie qui complète les apports des études et autres statistiques.

En préface du Rouge et le noir, Stendhal disait : « Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. »

Voilà ce que permet le roman : il dit une réalité et donne à voir ce qui peut apparaître comme inconnu.

Comprendre la réalité du terrain, par les lectures mais aussi par des déplacements, par des rencontres, par des discussions franches et ouvertes : j’en ai fait ma méthode de travail. Et cela est essentiel pour éclairer la prise de décision.

La littérature sur le travail s’inscrit pleinement dans ce processus et je vous remercie, tous, d’exprimer une vérité et des expériences.

Sans plus attendre, j’en viens maintenant à l’annonce du lauréat.

Le 7ème prix du roman d’Entreprise et du Travail est décerné à Slimane KADER pour Avec Vue sous la mer.

Une littérature de voyage légitime l’absence d’un auteur ! Celui qui décrit le travail au cœur d’un paquebot de croisière se trouve en ce moment en mer. Je remercie son éditeur pour sa présence et lui confie la mission de lui adresser nos plus vives félicitations.

Entre la cité des 3000 de La Courneuve et là où se trouve Slimane KADER, il y a sûrement un océan et comme trait d’union, un paquebot de la taille d’un immeuble de plusieurs étages.

Le héros de ce roman, c’est Wam, qui vient du 93. Il donne à voir les conditions et les mécanismes du travail d’un géant des mers.

Bref, on y comprend les coulisses des croisières touristiques. La littérature s’est souvent nourrie des profondeurs des mers. Slimane KADER, lui, s’intéresse aux profondeurs du navire sur lequel il officie. Il y décrit une véritable organisation du travail où se côtoient des dizaines de nationalités, de corps de métiers, d’histoires personnelles. Ces travailleurs de l’ombre, eux, ne descendent pas aux escales. Ils ruminent au gré de la houle leurs conditions de travail difficiles qui catalysent l’entraide et la solidarité à bord.

Car Avec Vue sous la mer est avant tout un roman sur l’humain. Le rapport à la hiérarchie, aux autres voyageurs, la constitution de communautés, les rivalités, des cuisines en passant par le pont supérieur : c’est là la force de ce roman. Il décrit avec finesse et intelligence les rapports humains, cette réalité non-accessible pour qui embarque sur un paquebot.

On découvre alors une dualité de mondes : le monde des touristes, où tout semble facile, sur-mesure, organisé, convivial et divertissant ; le monde de l’ombre, aux cadences infernales, où les travailleurs donnent pourtant le meilleur d’eux-mêmes et attendent la fin du mois pour toucher leur rémunération.

Cette réalité est servie par le travail sur la langue opérée par l’auteur. Une langue franche, du quotidien qui embarque et fait voguer le lecteur sur des métaphores subtiles et parlantes. A la façon de l’Attrape-cœurs où Salinger transcrit par le style le fourmillement des pensées du personnage, Slimane KADER transcrit l’atmosphère des coursives, la perception des machines, la peur des chefs. Une sensibilité et une finesse d’analyse qui subjuguent la banalité des couloirs pour les transformer en théâtre d’aventures.

Mais ce qui se joue entre chacune des escales, c’est la quête d’identité du personnage, d’un travailleur qui grandit et s’émancipe dans son travail. Loin de se résigner à l’enfer des entrailles d’un paquebot, il sait sa chance et s’empare de son destin. Il faut peut-être y voir un modèle, celui d’un homme à la barre de son parcours professionnel, un homme pleinement conscient de sa réalité mais qui s’engage à la transformer.

On retrouve ici la dualité qu’évoquait Stendhal : « les bourbiers » ce sont les cuisines, la buanderie, les services de nettoyages, la dureté des rapports hiérarchiques ; « l’azur des cieux » c’est l’engagement d’un homme pour transformer son enfer en paradis, et s’échapper de sa prison des mers.

Voilà la réussite de ce roman : cette comédie noire est pleinement ancrée dans la réalité vécue par l’auteur qui tente de s’en échapper. Il fait surgir la littérature là où on ne l’attend pas. C’est peut-être là, le rôle d’un auteur : dévoiler l’inconnu, donner à voir les mécanismes de l’ombre et rendre perceptibles les mondes du travail.

A vous tous qui vous placez au service de cette belle mission, je vous remercie et vous souhaite de nombreux succès littéraires.