Discours de François Rebsamen sur le détachement des travailleurs

Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par Gilles Savary, visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance internationale.
Elle a un but que nous partageons tous : lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la commission des affaires sociales,
Mesdames et messieurs les sénateurs,

Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par Gilles Savary, visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance internationale.
Elle a un but que nous partageons tous : lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.

Le détachement de travailleurs étrangers n’est pas un fait nouveau, mais il se développe : Ces détachements ont concerné 170 000 salariés en 2012 et sont évalués à 220 000 salariés en 2013 soit une hausse de 10%.

Un grand nombre de nos compatriotes en bénéficient également. 140 000 Français sont détachés à l’étranger par des entreprises françaises. La France est le troisième pays en Europe à user de cette possibilité.

Le principe même du détachement des travailleurs n’est pas en cause, ce qui est en cause, ce sont les montages frauduleux et les abus qui peuvent l’entourer et qui malheureusement se développent de plus en plus.

La directive européenne « détachement » de 1996 avait posé un cadre pertinent : aucun employeur établi hors d’un territoire ne peut détacher un salarié sans être soumis au respect des règles sociales de l’Etat d’accueil. Mais cette directive est désormais contournée, sans possibilité réelle de sanction.

Ces situations ne sont ni l’apanage des villes, ni celui des campagnes ; ni celui des chantiers de BTP ou des exploitations agricoles, c’est un sujet pour toute la société française, et toute l’Europe.

Pour le gouvernement, pour moi le choix est clair : Faire l’Europe, ce n’est pas laisser faire et nous refusons la concurrence au moins disant social

C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi :

  • Elle protège les entreprises qui payent leurs cotisations sociales en France et respectent le droit ;
  • Elle protège les travailleurs installés en France d’une concurrence aussi inégale,
  • mais elle protège aussi les travailleurs « détachés », non pas coupables mais victimes de ces pratiques inacceptables.

C’est l’honneur de notre pays que de protéger ceux qui travaillent sur notre sol. Et pour tous les travailleurs, détachés ou pas, la loi française doit s’appliquer. Il est illégal de travailler 45 heures par semaine pour 3 euros de l’heure, de dormir dans des hangars et de ne pas avoir accès aux soins.
Ces dénis de notre droit provoquent cette concurrence déloyale que dénoncent d’une même voix organisations syndicales et patronales et qui engendre racisme et xénophobie.

En 2012, la Commission européenne a proposé un texte faible ne donnant pas la possibilité de demander des comptes au donneur d’ordres – le vrai responsable.

La France l’a refusé le 25 octobre dernier, faisant ainsi échouer un mauvais compromis et se donnant deux mois pour convaincre ses partenaires européens. Avec l’Allemagne, mais aussi la Roumanie et la Bulgarie qui savent mieux que quiconque ce que veut dire l’exploitation de leurs travailleurs, nous y sommes parvenus et nous avons arraché un bon compromis le 9 décembre 2013.

Ce compromis du 9 Décembre porte deux avancées majeures :

  • que la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle soit une liste ouverte. La France fixera la liste des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés en France. La directive imposera aussi des règles dans les pays qui en sont dépourvus.
  • que les entreprises donneuses d’ordres du secteur du bâtiment et des travaux publics soient responsabilisées vis-à-vis de leurs sous-traitants, obligatoirement et dans tous les États, sous la forme d’une responsabilité solidaire ou via un mécanisme de sanctions équivalentes.

Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités pour lutter contre les montages frauduleux. La page de la directive « Bolkestein » est donc bel et bien tournée. Il n’y aura plus ni dumping, ni exploitation !

Le Parlement européen a voté cette directive le 16 avril dernier.
La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui anticipe sa mise en œuvre et la renforce. Elle ne limite pas son champ d’action au seul secteur du bâtiment. Elle élargit la chaîne de responsabilité à l’ensemble des donneurs d’ordre, des maîtres d’ouvrage mais aussi des entreprises de travail temporaire ou des entreprises qui sous-traitent, et garantit ainsi aux salariés détachés la possibilité de faire valoir leurs droits. Elle confère en outre aux organisations syndicales la possibilité d’agir au nom d’un salarié lorsque celui, par exemple, n’est plus présent sur le territoire. C’est bien souvent le cas.

Votre commission, sous l’égide de Madame Emery Dumas, a fait un important travail de simplification de la proposition. Je l’en remercie. Ses propositions permettent d’en renforcer la portée en articulant les mesures autour de deux axes :

  • la création d’une sanction administrative pour non respect de l’obligation de déclaration de l’entreprise mais aussi l’obligation de vigilance du donneur d’ordre qui doit vérifier que l’entreprise à laquelle il fait appel est en règle.
  • le recentrage de la solidarité financière en cas de non respect de son obligation de diligence pour non paiement des salariés par leur employeur, ou pour hébergement dans des conditions indignes.

Les donneurs d’ordre qui, en France, ne se seront pas assurés du respect de ces obligations par leur prestataire, seront également passibles de sanctions.
Parallèlement, la responsabilité solidaire du donneur d’ordre a été recentrée sur le paiement par l’entreprise de salaires inférieurs aux minima conventionnels ou légaux et/ou sur la prise en charge du relogement collectif des salariés.

L’action ne s’arrête pas là. Le plan national de lutte contre le travail illégal apporte des outils supplémentaires, comme la réforme de l’inspection du travail qui crée des unités pluridisciplinaires et spécialisées. L’URSSAF, les forces de l’ordre et/ou les services fiscaux sont également impliqués dans cette lutte, avec la volonté d’une plus grande cohérence de l’action collective.

Mesdames et Messieurs,
Sans harmonisation des conditions sociales en Europe, les libertés de circulation et du commerce seront caduques, car rongées par le dumping.
Le gouvernement apporte donc son soutien plein et entier à cette proposition de loi, afin de mieux combattre ou dissuader les abus.

A la veille des élections européennes, ce texte montre quelle Europe nous voulons, nous, la gauche. Nous voulons une Europe solidaire, une Europe des échanges, du partage, de la libre circulation, mais aussi une Europe respectueuse des règles sans lesquelles le vivre ensemble est impossible.
Je vous remercie.